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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 30 septembre 2021, n° 17/09414

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Midex International (Sté)

Défendeur :

La Poste (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Lignières

T. com. Paris, du 7 févr. 2017

7 février 2017

Faits et procédure :

La société de droit libanais Midex International (anciennement Middle East Express - Midex) est une société de droit libanais, qui a pour activité le transport international par voie aérienne de colis postaux. Elle avait une filiale française, la société Midex (ci-après Midex France), qui possédait un établissement à Orly.

Le 2 avril 1993, la société Middle East Express Midex, représentée par son directeur général M. X, a conclu avec la société La Poste un contrat de sous-traitance concernant les opérations de transport et de livraison de colis postaux à destination de Madagascar.

Le 3 février 2006, la société Midex international, représentée par son directeur général M. X, a conclu avec la société La Poste un contrat de sous-traitance concernant les opérations d'acheminement, dédouanement, distribution et retour de colis postaux internationaux à destination de l'Egypte, des Emirats Arabes Unis, du Koweit, du Liban, de Madagascar, de l'Ile Maurice, de la Syrie, de la Côte d'Ivoire, du Portugal et des USA.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 juin 2012, la société La Poste a notifié à la société Midex International, la résiliation de leurs relations contractuelles à compter du 31 décembre 2012 pour les destinations pour lesquelles étaient confiées uniquement des prestations de transport, soit le Portugal et la Côte d'Ivoire, et à compter du 3 février 2013 pour les destinations pour lesquelles étaient confiées des prestations de transport et de livraison, soit l'Egypte, les Emirats Arabes Unis, le Koweit, le Liban, Madagascar, l'Ile Maurice et la Syrie.

Parallèlement, la société La poste a organisé une consultation le 24 septembre 2012 sur une partie de ces destinations en vue de s'assurer de la compétitivité des solutions utilisées jusqu'alors.

Par courriel du 31 décembre 2012, la société La Poste a informé la société Midex International que sa candidature n'avait pas été retenue dans le cadre de cette consultation. Elle a néanmoins fait part de son souhait de prolonger les relations existantes jusqu'au 31 mars 2013 quant aux prestations de transport et de livraison sur l'Egypte, les Emirats Arabes Unis, le Koweit, le Liban, Madagascar, l'Ile Maurice et la Syrie.

Par courriel du 14 janvier 2013, la société Midex International a fait part de son accord quant à la prolongation des relations jusqu'au 31 mars 2013.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 janvier 2013, la société Midex international a dénoncé à la société La Poste une rupture brutale des relations commerciales.

La société La Poste a cessé ses livraisons à la fin du mois mars 2013.

Par jugement du 29 avril 2013, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Midex France.

Par acte du 30 janvier 2014, la société Midex international a fait assigner la société La Poste devant le tribunal de commerce de Paris de voir engager sa responsabilité pour abus de position dominante et rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 7 février 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

-  Débouté la société de droit libanais Midex International de l'ensemble de ses demandes ;

-  Condamné la société de droit libanais Midex International à payer à La Poste la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-  Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

-  Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

-  Condamné la société de droit libanais Midex International aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 132,36 euros dont 21,84 euros de TVA.

Par déclaration du 9 mai 2017, la société Midex International a interjeté appel de ce jugement.

Prétentions et moyens des parties :

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 5 octobre 2017, la société Midex International demande à la cour de :

Réformant la décision de première instance,

-  Constater l'existence de pratiques anti-concurrentielles de La Poste et d'abus de position dominante. Le cas échéant après avoir, conformément à l'article L. 462-3 du code de commerce, consulté l'Autorité de la concurrence et pris connaissance de son avis ;

-  Condamner La Poste à payer la somme de 1.233.750 euros à titre de dommages et intérêts au titre du non-respect d'un préavis conforme à la durée des relations commerciales et la somme de 20 millions d'euros au titre de la compensation de la perte du fonds de commerce ;

-  Ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois quotidiens nationaux, au choix du demandeur et aux frais de l'intimé ;

-  Ordonner l'insertion de la décision à intervenir dans le rapport financier annuel de La Poste ;

-  La condamner à payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-  La condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 4 décembre 2017, la société La Poste demande à la cour de :

Vu les articles L. 1432-12 et suivants du code des transports,

Vu l'article 1353 du code civil,

-  Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

-  Débouter la société Midex International de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Y ajoutant,

-  Condamner la société Midex International à payer à La Poste, au titre de l'instance d'appel, la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-  La condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Y, avocat, en application de l'article 699 du même code.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 février 2020.

MOTIFS :

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

A l'appui de son action en responsabilité de ce chef, la société Midex International soutient qu'elle entretenait avec la société La Poste une relation commerciale depuis plus de 20 ans et qu'elle réalisait plus de 70 % de son chiffre d'affaires avec elle. Elle prétend en conséquence que le préavis contractuel de six mois était manifestement insuffisant au regard de ces éléments et qu'en réalité, seul un préavis de trois mois a été observé. Elle affirme en effet que la société La Poste lui a fait croire que les relations se poursuivraient à l'issue de la consultation organisée et qu'elle n'a appris que le 31 décembre 2013 que sa candidature n'était pas retenue. Elle ajoute que les dispositions du contrat-type de commissionnaire ne sont pas applicables dès lors que la loi du 30 décembre 1982 sur les transports intérieurs n'est pas applicable aux transports aériens internationaux, que l'article 8 de cette loi ayant été abrogé, le décret du 26 décembre 2003 pris sur son fondement est illicite, que le contrat-type ayant été institué par le décret du 5 avril 2013 n'était pas applicable à la date de la rupture et qu'en outre, il n'a vocation à s'appliquer qu'en l'absence de contrat écrit, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Elle fait encore valoir que les usages relatifs au transport intérieur routier ne peuvent s'appliquer à du transport aérien international.

La société La Poste réplique qu'aucune rupture brutale n'est caractérisée. Elle affirme avoir respecté les dispositions contractuelles prévoyant un préavis de six mois et ajoute que le préavis effectivement accordé sur certaines destinations a été de neuf mois. Elle prétend que l'article L. 442-6 du code de commerce n'est pas applicable dans la mesure où il existe un contrat-type de commissionnaire qui prévoit en son article 15 un préavis de trois mois lorsque la durée de la relation est supérieure à un an. En tout état de cause, elle se prévaut d'un usage commercial en matière de transport fixant à trois mois la durée de préavis pour une relation supérieure à un an.

S'il est exact que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ne s'appliquent pas dans le cadre des relations commerciales de transport lorsque le contrat-type afférant prévoit la durée des préavis de rupture, il sera rappelé que le contrat-type est supplétif c'est-à-dire qu'il n'est applicable qu'en l'absence de dispositions contractuelles sur le préavis. Or le contrat conclu le 3 février 2006 entre la société La Poste et la société Midex International prévoit des dispositions relatives au préavis applicable en cas de rupture des relations contractuelles. En outre, il sera relevé que le contrat-type invoqué en matière de commission de transport a été approuvé par décret n° 2013-293 du 5 avril 2013 et est entré en vigueur le 8 avril 2013, soit postérieurement au contrat conclu le 3 février 2006, de sorte qu'il ne saurait s'appliquer en l'espèce.

En conséquence, les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce du code de commerce sont applicables.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Contrairement à ce que soutient la société La Poste, il n'existe aucun usage commercial en matière de transport international aérien ou de commission de transport fixant à trois mois la durée du préavis à respecter pour rompre une relation commerciale d'une durée de plus d'une année.

En l'espèce, le caractère établi de la relation commerciale qui liait la société La Poste à la société Midex International n'est pas contesté.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée,de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Il est constant que la société La Poste a informé la société Midex International de la rupture des relations par lettre du 12 juin 2012. Le préavis annoncé et exécuté pour les destinations du Portugal et de la Côte d'Ivoire a été de 6 mois et demi ; la fin de relations au titre de ces destinations ayant eu lieu le 31 décembre 2012. Le préavis annoncé pour les autres destinations a été de près de huit mois étant précisé que le préavis réellement exécuté s'est prolongé jusqu'au 31 mars 2013 et correspond ainsi à une durée de neuf mois et demi.

Il sera à cet égard relevé que contrairement à ce que soutient la société Midex International, aucun élément n'établit que la société La Poste lui aurait laissé penser que la relation se poursuivrait après la consultation menée au mois de septembre 2012.

Il convient ainsi d'examiner la durée du préavis exécuté au regard des critères sus-énoncés.

Sur la durée des relations, la société Midex International fait remonter le début des relations à 1991. Toutefois aucun élément ne permet de retenir cette année comme marquant le début des relations commerciales. En revanche, il est établi qu'un contrat a été conclu le 2 avril 1993 entre la société Middle East Express Midex, représentée par son directeur général M. X, et la société La Poste portant sur les opérations de transport et de livraison de colis postaux à destination de Madagascar. Ce contrat sera donc retenu comme marquant le début des relations commerciales.

Selon les éléments comptables produits aux débats, la société Midex International a réalisé un chiffre d'affaires avec la société La Poste de 1.799.363 euros en 2012, de 1.818.766 euros en 2011, de 1.371.383 euros en 2009 étant précisé que le chiffre d'affaires réalisé en 2010 n'est pas connu, ce qui a correspondu à 68,4 % du chiffre d'affaires réalisé en 2012, à 70,6 % en 2011 et à 53,4 % en 2009.

Contrairement à ce que soutient la société La Poste, les chiffres comptables à retenir sont ceux de la société Midex International et non ceux de la société Midex SARL qui n'entretenait aucune relation directe avec la société La Poste.

Compte tenu de ces éléments et de la durée de la relation commerciale de près de 20 années, le préavis de 6 mois et demi exécuté pour les destinations du Portugal et de la Côte d'Ivoire et de neuf mois et demi exécuté pour les autres apparaît insuffisant. Par ailleurs, le préavis doit s'exécuter dans des conditions de volume d'affaires équivalentes à celles antérieures de sorte qu'il y aura lieu d'indemniser la réduction du chiffre d'affaires subie du fait de l'interruption des relations sur les destinations du Portugal et de la Côte d'Ivoire au 31 décembre 2012.

Il convient donc d'estimer à 18 mois le préavis qui aurait dû être respecté.

Sur le préjudice

Le préjudice consécutif à la brutalité de la rupture est constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis et s'évalue donc en considération de la marge brute escomptée durant cette période.

Pour estimer la marge brute liée à son activité, la société Midex International se prévaut d'un rapport établi le 22 octobre 2013 par la société Maqassar. La société La Poste critique ce rapport en soulignant qu'il n'est pas signé et que la qualité de la société Maqassar est inconnue.

Il sera observé que le rapport litigieux émane d'une société bruxelloise « Maqassar » dont le numéro d'immatriculation est mentionné, qui a joint en annexe les documents comptables utilisés et qui explique précisément les modalités de calcul de la marge brute de sorte que le caractère probant de ce rapport sera retenu par la cour. En outre, il sera souligné que la société La Poste ne produit aucun document de nature à remettre en cause les calculs qui y sont faits.

En revanche, à l'inverse de ce qui est demandé par la société Midex International qui prend le calcul de la marge brute qui lui est le plus favorable (soit 38,1 %) et qui correspond à une hypothèse selon laquelle la marge brute est identique quelle que soit la destination et donc quels que soient le nombre d'envois et leur poids pour chacune des destinations, il y a lieu de prendre en compte un taux de marge brute de 31,8 % qui correspond à une analyse comptable plus réaliste.

Le chiffre d'affaires réalisé avec la société La Poste étant de 1.799.363 euros en 2012 et de 1.818.766 euros en 2011, soit une moyenne annuelle de 1.809.064 euros, la marge brute escomptée doit être estimée à 47.940 euros par mois [(1.809.064 euros x31,8 %) /12 mois].

Le préjudice résultant de l'insuffisance de préavis pour les destinations arrêtées au 31 mars 2013 sera réparé par l'allocation d'une somme de 407.490 (47.940 x 8 mois et demi)

Pour évaluer la perte résultant de la rupture partielle des relations commerciales liée à l'interruption des destinations du Portugal et de la Côte d'Ivoire, il convient de soustraire le chiffre d'affaires réalisé en 2012 du chiffre d'affaires réalisé en 2011 avec la société La Poste, ce qui correspond à une perte annuelle de 19.403 euros, soit 1.616,91 euros par mois. Ainsi la perte de marge brute correspondante sera estimée à 1.542 euros [(1.616,91 euros x 31,8 %) x3 mois]

En conséquence, le préjudice résultant de l'insuffisance du préavis sera évalué à 409.032 euros.

La société Midex International revendique en outre l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de son fonds de commerce.

Toutefois il sera rappelé que le préjudice indemnisable sur le fondement de l'article précité tient exclusivement à la réparation du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même.

Or la société Midex International ne démontre pas que la perte de son fonds de commerce, à la supposer avérée, serait liée à l'insuffisance du préavis observé et non pas à la rupture des relations elle-même.

Dès lors, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la société Midex International au titre de la rupture brutale des relations commerciales. La société La Poste sera condamnée à payer à la société Midex International une somme de 409.032 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'insuffisance du préavis observé.

Sur l'abus de position dominante

La société Midex International soutient que la société La Poste a abusé de sa position dominante en mettant fin brutalement à leurs relations contractuelles. Elle affirme qu'entre 2011 et 2013, la société La Poste était en position dominante sur le marché du colis postal en général et du colis postal international en particulier vers les destinations desservies dans le cadre de la relation et qu'elle a abusé de cette position en intégrant dans son groupe les expéditions qu'elle lui avait précédemment confiées. Elle soutient que ce faisant, la société La Poste a éliminé un concurrent et fait obstacle au maintien d'une concurrence effective sur ces marchés, ce qui lui a permis d'augmenter ses tarifs.

La société La Poste soutient qu'il n'est aucunement démontré qu'elle occupe une position dominante sur le marché du colis international, ni qu'elle ait abusé d'une telle position à la supposer avérée, et que les effets anticoncurrentiels d'un tel comportement ne sont pas davantage établis. Elle affirme qu'elle était libre de modifier la structure de son réseau de distribution en mettant fin licitement au contrat qui liait avec la société Midex International sans que celle-ci ne bénéficie d'un droit acquis au maintien du contrat.

L'article L. 420-2 alinéa 1er du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose que :

« Est prohibée, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. »

Selon ces dispositions, l'abus de position dominante suppose la réunion de trois conditions :

- Une position dominante sur le marché ;

- Une exploitation abusive de cette position dominante ;

- Et un objet ou effet anticoncurrentiel, au moins potentiel.

Contrairement à ce qu'elle soutient dans ses conclusions, la société La Poste se définit elle-même dans son dossier de presse comme occupant 60 % du marché du colis avec un chiffre d'affaires de 5,2 milliards d'euros en 2011 et comme le numéro un en France et le numéro deux en Europe du colis et de l'express en termes de chiffre d'affaires. Elle peut ainsi difficilement soutenir qu'elle n'occupait pas une position dominante sur le marché du colis international.

Toutefois la société Midex International se contente de procéder par voie d'affirmations pour soutenir que la société La Poste l'aurait évincée du marché. Par ailleurs, elle ne justifie pas que cette exclusion ait eu un effet anticoncurrentiel sur le marché en question notamment en termes de prix, de production, d'innovation, de diversité ou de qualité des produits et services. Il sera observé que les décisions invoquées de l'Autorité de la concurrence ne concernent aucunement le marché des colis internationaux.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté l'action en responsabilité de ce chef intentée par la société Midex International.

Sur l'abus de dépendance économique

La société Midex International soutient qu'elle dépendait pour plus des trois quarts de son activité des expéditions de la société La Poste et de ses filiales et qu'après la rupture des relations avec elle, elle s'est trouvée dans l'impossibilité économique de retrouver un autre client et a été contrainte de cesser toute activité à la fin du préavis. Elle affirme que la société La Poste a abusé de cette dépendance économique en la contraignant à geler ses prix pendant sept ans, malgré la hausse de ses coûts, et en faisant pression sur elle en la menaçant de résilier ses contrats.

La société La Poste répond qu'aucun état de dépendance économique n'est caractérisé, qu'en outre, à le supposer établi, un tel état ne doit pas avoir été choisi et qu'enfin un tel état n'est prohibé que s'il est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, ce qui n'est pas démontré en l'espèce.

L'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige prévoit que : « Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme. »

L'abus de dépendance économique suppose ainsi la réunion de trois conditions :

-  Un état de dépendance économique ;

-  Une exploitation abusive de cet état de dépendance ;

-  Et une affectation, réelle ou potentielle, du fonctionnement ou de la structure de la concurrence.

Ici encore, la société Midex se contente de procéder par voie d'affirmations. En l'espèce, s'il est avéré que la société La Poste représentait 68,4 % du chiffre d'affaires réalisé en 2012 et 70,6 % en 2011, la société Midex International ne démontre aucunement que l'importance de cette part dans son chiffre d'affaires aurait été contraint. Il sera à cet égard relevé qu'outre la société La Poste, la société Midex International avait pour principaux clients la Poste Suisse et le Royal Mail et que la société La Poste ne représentait que 53,4 % de son chiffre d'affaires en 2009 et 46,6 % en 2008.

Dans ces conditions, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'action en responsabilité de la société Midex International sur ce fondement.

Sur l'utilisation de procédés déloyaux

La société Midex International soutient que la société La Poste lui aurait fait croire qu'elle organisait un appel d'offres alors que sa décision de résilier le contrat et de confier le marché à l'une de ses filiales, la société Geopost, était déjà prise et a ainsi fait preuve de déloyauté.

La société La Poste dénie tout comportement déloyal et se prévaut de sa liberté de réorganiser son réseau.

Ainsi qu'il a été précédemment jugé, la société Midex international ne rapporte la preuve d'aucun comportement déloyal de la part de la société La Poste et notamment qu'elle avait déjà pris sa décision de l'évincer définitivement du marché lors de la consultation réalisée au mois de septembre 2012.

Sur la demande de publication de la décision

Cette demande n'apparaît pas nécessaire et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société La Poste succombe partiellement à l'instance. Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront réformées. La société La Poste sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à verser à la société Midex International une somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel. La demande de la société La Poste sur ce fondement sera rejetée. Me Hervé L., avocat, sera autorisé à recouvrer les dépens de l'instance d'appel selon les modalités prévues à l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Midex International de sa demande de dommages et intérêts au titre d'une rupture brutale des relations commerciales et en ce qu'il a condamné la société Midex International aux dépens et aux frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit que le préavis qui aurait dû être observé par la société La Poste avant de rompre les relations avec la société Midex international doit être fixé à 18 mois ;

Dit que la société La Poste n'a pas laissé à la société Midex International un préavis suffisant pour se réorganiser avant de rompre les relations commerciales établies les liant ;

Déclare la société La Poste responsable à l'égard de la société Midex International du préjudice causé par l'insuffisance du préavis observé ;

Condamne la société La Poste à payer à la société Midex International une somme de 409.032 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'insuffisance du préavis observé ;

Condamne la société La Poste à payer à la société Midex International une somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société La Poste de sa demande de ce chef ;

Condamne la société La Poste aux dépens de première instance et d’appel ;

Dit que Me Hervé L., avocat, sera autorisé à recouvrer les dépens de l'instance d'appel selon les modalités prévues à l'article 699 du code de procédure civile.