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Décisions

Cass. 3e civ., 30 septembre 2021, n° 20-15.354

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Total Mayotte (SAS)

Défendeur :

Station Kaweni (SCI), Sodifram (SAS), Nel (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Maunand

Rapporteur :

Mme Farrenq-Nési

Avocat général :

M. Burgaud

Avocats :

SCP de Nervo et Poupet, SCP Piwnica et Molinié, SCP Alain Bénabent

Saint Denis, du 4 février 2020

4 février 2020

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° C 20-15.354 et Z 20-16.156 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, chambre d'appel de Mamoudzou, 4 février 2020), le 29 mars 2010, la société Total Mayotte a échangé avec la société Nel une parcelle de terrain sur laquelle elle avait exploité une station-service de distribution de carburants de 2004 à 2010, l'acte contenant une « clause de pollution ».

3. Le 31 mai 2010, la société Nel a revendu la parcelle à la société Station Kaweni, qui l'a donnée à bail à la société Sodifram pour y édifier des parkings, commerces et bureaux.

4. En octobre 2013, à l'occasion de travaux d'aménagement et de terrassement, une pollution aux hydrocarbures a été découverte sur ce terrain.

5. Les sociétés Station Kaweni et Sodifram ont assigné les vendeurs successifs en indemnisation de leurs préjudices pour non-respect des articles L. 512-12-1 et R. 512-66-1 du code de l'environnement, manquement à leur obligation de délivrance conforme et garantie des vices cachés.

6. La société Total Mayotte a formé un appel en garantie contre la société Nel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° Z 20-16.156 de la société Nel, ci-après annexé

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le moyen du pourvoi n° C 20-15.354 de la société Total Mayotte

Enoncé du moyen

8. La société Total Mayotte fait grief à l'arrêt de la condamner à indemniser les sociétés Station Kaweni et Sodifram et de rejeter son appel en garantie contre la société Nel, alors :

« 1°/ que le vendeur est tenu de délivrer une chose conforme à celle prévue au contrat ; que lorsque la convention des parties porte sur un terrain comportant un risque de pollution résiduelle connu de l'acquéreur, ce dernier ne peut se prévaloir d'un manquement du vendeur à l'obligation de délivrance si le risque se réalise ; que dans le contrat d'échange du 29 mars 2010, la société Total Mayotte informait la société Nel que le terrain était anciennement affecté à l'usage de station-service et qu'il avait fait l'objet d'une campagne de dépollution ; que le contrat précisait qu'en l'état de ces informations, « la société Nel reconnaît avoir été avertie, dans les conditions prévues par la loi, de l'activité anciennement exercée sur l'Immeuble échangé et avoir pleinement connaissance de l'ensemble des informations et documents visés ci-dessus qui sont réputés avoir un caractère contradictoire et faire foi entre les parties. En conséquence, la société Nel renonce d'une manière générale, à tout recours contre la société Total Mayotte, ayant pour cause l'état du sol et du sous-sol de l'immeuble vendu, et garantit ce dernier contre les réclamations de tout tiers se rapportant à l'état du sol et du sous-sol dudit bien » ; que la convention des parties portait ainsi sur un terrain ayant servi de cadre à une activité polluante, ayant fait l'objet d'une opération de dépollution sur la consistance de laquelle la société Nel était pleinement informée et qui comportait un risque de pollution résiduelle, connu de la société Nel et accepté par elle ; qu'en retenant que la société Total Mayotte avait manqué à son obligation de délivrance du fait de l'apparition d'une pollution résiduelle sur ce terrain, la cour d'appel a violé l'article 1603 du code civil ;

2°/ que le contrat d'échange rappelait que le terrain avait accueilli une station-service et avait fait l'objet d'une dépollution ; qu'il précisait qu'en conséquence de ces informations, la société Nel renonçait à tout recours concernant une éventuelle pollution résiduelle ; qu'en retenant que le contrat, et notamment le rapport technique joint à l'acte d'échange « accréditait l'idée d'une dépollution complète du site, ce qui est loin d'être le cas », la cour d'appel a méconnu le contrat, dont il résultait expressément que l'existence d'un risque de pollution résiduelle avait été envisagé par les parties et accepté par la société Nel et a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;

3°/ que l'exploitation ou la constructibilité du terrain n'avaient pas été envisagées par les parties dans l'acte d'échange du 29 mars 2010 ; qu'en appréciant l'obligation de délivrance de la société Total Mayotte au regard d'une caractéristique qui n'était pas entrée dans le champ contractuel, la cour d'appel a violé l'article 1603 du code civil ;

4°/ le juge ne peut, fut-ce au titre de l'ordre public écologique, modifier l'objet du contrat ; que le contrat stipulait en l'espèce que la société Total Mayotte transférait la propriété d'un terrain ayant servi de cadre à une activité polluante et ayant avait fait l'objet d'opérations de dépollution portées à la connaissance de la société Nel, qui s'était en conséquence engagée à faire son affaire personnelle de toute opération de dépollution supplémentaire qui s'avérerait nécessaire ; qu'en condamnant la société Total Mayotte, sur le fondement de son obligation de délivrance, à prendre en charge les conséquences d'un risque de pollution qui avait été expressément exclu du champ de cette obligation, la cour d'appel a violé la convention des parties et méconnu l'article 1134 ensemble 1604 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel a énoncé à bon droit que le sous-acquéreur jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur et dispose à cet effet contre le vendeur initial d'une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée.

10. Elle a relevé qu'à la « clause de pollution » de l'acte d'échange du 29 mars 2010 ayant pour but d'exonérer la société Total Mayotte de tout recours de l'acquéreur en raison de l'état du sol et du sous-sol de l'immeuble « pouvant être imputable à l'activité précédemment exercée sur ce dernier » était joint un rapport de synthèse de dépollution du 8 avril 2008.

11. Elle a constaté que la présence de reflets moirés et une forte odeur d'hydrocarbures étaient apparues « au premier coup de godet », signe d'un travail de dépollution pour le moins superficiel ayant conduit le maître d'oeuvre à suspendre immédiatement les travaux, qu'un arrêté préfectoral du 24 décembre 2013 avait intimé à la société Total Mayotte l'ordre de remettre le site de l'ancienne station-service dans l'état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement relatif aux installations classées pour la protection de l'environnement et que la société Total Mayotte avait elle-même anticipé cette décision administrative dès le 16 décembre 2013.

12. N'ayant pas constaté l'acceptation, par l'acquéreur, d'un risque connu de pollution résiduelle, mais retenu que le rapport technique joint à l'acte d'échange accréditait l'idée d'une dépollution complète du site, ce qui était loin d'être le cas, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs, dès lors que le bien n'était pas conforme à cette caractéristique, que la société Total Mayotte avait manqué à son obligation de délivrance et qu'il y avait lieu de retenir sa responsabilité contractuelle envers la société Station Kaweni, sous-acquéreur, et délictuelle envers la société Sodifram.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° Z 20-16.156 de la société Nel

Enoncé du moyen

14. La société Nel fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Total Mayotte, à indemniser les sociétés Station Kaweni et Sodifram, alors « que le défaut de conformité de la chose vendue à sa destination normale constitue un vice caché et non un défaut de conformité aux caractéristiques convenues entre les parties ; que la pollution d'un terrain retardant les opérations de construction entreprises par son acquéreur sur ce terrain constitue un vice du sol qui ne peut être sanctionné que dans le cadre de la garantie des vices cachés, et non un défaut de conformité, lequel ne peut porter sur l'inconstructibilité d'un terrain ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la société Nel avait manqué à son obligation de délivrance envers la SCI Station Kaweni et avait engagé sa responsabilité à l'égard de cette dernière et de sa locataire Sodifram, dès lors que le terrain vendu s'était trouvé inconstructible pendant six mois à raison de la présence d'hydrocarbures car la société Total Mayotte n'avait pas livré à la société Nel, son ayant droit au titre d'un contrat d'échange, « un terrain exploitable et donc conforme à sa destination, notamment sa constructibilité » ; qu'en se prononçant ainsi, tout en ayant constaté que le terrain vendu, en raison de sa dépollution incomplète par la société Total Mayotte, n'était pas conforme à sa destination, et que la pollution résiduelle avait retardé les opérations de construction sur ce terrain, qui s'était révélé inconstructible pendant six mois, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d'où il résultait que la SCI Station Kaweni et la société Sodifram invoquaient, à l'encontre de la société Nel, un vice prétendument caché et non un défaut de conformité, a violé les articles 1603, 1604 et 1641 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1603, 1604 et 1641 du code civil :

15. Il résulte des deux premiers de ces textes que le vendeur a l'obligation de délivrer une chose conforme à celle promise.

16. Selon le troisième, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en n'aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

17. Pour juger que la société Nel n'avait pas satisfait à son obligation de délivrance conforme, l'arrêt retient que la parcelle que la société Station Kaweni destinait à la construction de parkings, commerces et bureaux s'est trouvée inconstructible pendant six mois en raison de la présence d'hydrocarbures imputable au manquement de la société Total Mayotte à son obligation de délivrance, à la société Nel, d'un terrain dépollué.

18. En statuant ainsi, alors que la clause de pollution n'avait pas été reprise dans l'acte de la vente conclue entre les sociétés Nel et Station Kaweni et que l'inconstructibilité du terrain constituait non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Nel à payer à la société civile immobilière Station Kaweni les sommes de 8 570 euros et 566 114, 50 euros et à la société Sodifram la somme de 15 960 euros, l'arrêt rendu le 4 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis, chambre d'appel de Mamoudzou ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis, autrement composée.