CA Cour Appel de Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 octobre 2021, n° 21/07727
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Eastman Kodak (SARL)
Défendeur :
Antalis France (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Mathieu
La société Antalis France a assigné la société de droit suisse Eastman Kodak (ci-après « Kodak ») devant le tribunal de commerce de Nancy pour obtenir des dommages intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et réparation d'un préjudice moral sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.
Par jugement du 18 février 2021, le tribunal de commerce de Nancy :
A déclaré la société EASTMAN KODAK SARL recevable mais mal fondée en son exception d'incompétence,
L'en a débouté, s'est déclaré compétent pour connaître du litige, a réservé les dépens, a condamné la société EASTMAN KODAK SARL à payer à la SAS ANTALIS la somme de 1 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 28 avril 2021, la société Kodak a interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris.
Vu l'ordonnance présidentielle du 29 avril 2021 autorisant la société Kodak à assigner à jour fixe ;
Vu l'assignation à jour fixe délivrée le 12 mai 2021 par laquelle la société KODAK demande à la cour d'appel de Paris de :
Vu les articles 83 et s. du Code de procédure civile,
ACCUEILLIR la société Eastman Kodak Sarl en son appel et l'y déclarer bien fondée,
CONFIRMER le Jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la société Eastman Kodak Sarl recevable en son exception d'incompétence,
RÉFORMER le Jugement entrepris en ce que :
Il a déclaré la société Eastman Kodak Sarl mal fondée en son exception d'incompétence et l'en a débouté, il s'est déclaré compétent pour connaître du litige, il a réservé les dépens et condamné Eastman Kodak Sarl à payer à la société Antalis France la somme de 1 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
STATUANT À NOUVEAU des chefs du Jugement réformés :
Déclarer la société Eastman Kodak Sarl bien fondée en son exception d'incompétence et y faire droit, renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de commerce de Paris, seule juridiction compétente pour trancher de la recevabilité et le bien fondé des demandes de la société Antalis France à l'égard de la société Eastman Kodak Sarl,
EN TOUT ÉTAT DE CAUSE,
CONDAMNER la société Antalis France à verser la société Eastman Kodak Sarl la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
La CONDAMNER en outre aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de la société Antalis déposées et notifiées le31 août 2021 par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu les articles L. 442-6, I, 5° (ancien) et D. 442-3 du code de commerce,
Vu l'article 1240 du code civil,
Vu l'article 46 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement entrepris,
- condamner la société Eastman Kodak à lui verser une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
Sur l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Paris
Le contrat de commission de transport conclu entre Antalis et Kodak le 16 février 2011 comporte en son article 23-3 une clause attributive de compétence ainsi rédigée :
« Droit applicable
Le présent contrat doit être régi et est interprété conformément à la loi française et le cas échéant à la Convention CMR de 1956. L'application de la Convention des Nations Unies sur les Contrats pour la Vente internationale de Marchandises (la Loi de Vienne sur la Vente internationale de Marchandises du 11 avril 1980) est exclue. Tous les litiges relatifs au présent Contrat doivent être soumis au tribunal de commerce de Paris seul compétent ».
Aux termes du jugement entrepris, le tribunal de commerce de Nancy a retenu que cette clause ne vise que les litiges relatifs au contrat sans préciser si la clause s'applique en cas de litige ou de contestation pour d'autres prétentions que celles relatives à la relation contractuelle et, faisant application de l'article 46 du code de procédure civile aux termes duquel en matière délictuelle la juridiction compétente est celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort duquel le dommage a été subi ainsi que de l'article D. 442-3 du code de commerce, il s'est déclaré compétent.
Or, ainsi que le soutient à bon droit la société Kodak, outre que la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 est applicable s'agissant d'un litige portant sur une relation commerciale entre une société de droit français et une société de droit suisse, la nature contractuelle de l'action en rupture brutale des relations commerciales établies dans un contexte international doit être retenue conformément à la jurisprudence de la CJUE (arrêt Granarolo du 14 juillet 2016 Aff C-196/15) et de la Cour de cassation (Com. 20 septembre 2017, n° 16-14.812), étant observé que l'article 5 point 3 de la Convention de Lugano est identique à l'article 5 point 3 du Règlement Bruxelles 1 Bis, objet de la question préjudicielle posée à la CJUE dans l'arrêt précité et que cette dernière a compétence pour interpréter la Convention de Lugano en tant qu'instrument de l'Union dans le cadre de l'article 267 TFUE.
En outre, dans les litiges internationaux fondés sur l'article L. 442-6 I, 5° (ancien) du code de commerce, la clause attributive de juridiction est opposable aux parties.
En l'espèce, la clause attributive désigne le tribunal de commerce de Paris, lequel figure sur la liste des juridictions spécialisées de l'article D. 442-3 du Code de commerce
Et la clause litigieuse qui vise « tous les litiges relatifs au présent Contrat » est suffisamment large pour s'appliquer au contentieux de la rupture brutale des relations commerciales établies puisqu'elle s'applique à la cessation du contrat.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nancy en ce qu'il a déclaré non fondée l'exception d'incompétence soulevée par Kodak et en ce qu'il a retenu sa compétence, et statuant à nouveau de dire le tribunal de commerce de Paris compétent.
Sur les autres demandes
Le jugement est également infirmé en ce qu'il a condamné la société Kodak à payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Antalis, partie perdante, est condamnée aux dépens, déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à verser à la société Kodak la somme de 2 000 euros sur ce dernier fondement.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré la société Eastman Kodak recevable en son exception d'incompétence ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déclare la société Eastman Kodak fondée en son exception d'incompétence ;
Déclare le tribunal de commerce de Paris compétent ;
Renvoie la cause et les parties devant ce tribunal ;
Déboute la société Antalis France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Antalis France aux dépens de première instance et d'appel avec le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Eastman Kodak la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.