CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 30 septembre 2021, n° 18/21411
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Century 21 Raspail (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grandjean
Conseillers :
Mme Trouiller, M. Devignot
Avocats :
Me Filler, Me Ohana
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par contrat en date du 2 décembre 2016, M. Y D et Mme A D, propriétaires d'un appartement situé à Ivry sur Seine, ont confié à la société Century 21 Raspail un mandat exclusif de gestion de leur appartement pour une durée de trois ans. Par lettre recommandée reçue le 27 janvier 2017, M. et Mme D ont résilié le contrat en indiquant que le logement sera mis à disposition de leur fils.
Saisi par la société Century 21 Raspail d'une demande tendant principalement à la condamnation des mandants au paiement de dommages et intérêts, le tribunal d'instance d'Ivry sur Seine, par un jugement contradictoire rendu le 31 août 2018 auquel il convient de se reporter, a débouté la société Century 21 Raspail de sa demande.
Le tribunal a principalement retenu que la clause prévoyant, en cas de résiliation, le paiement par le mandant au mandataire d'une indemnité équivalente à ses honoraires restant à percevoir jusqu'à la date d'échéance du contrat était abusive au sens de l'article R. 212-2, 8° du code de la consommation.
Par une déclaration en date du 27 septembre 2018, la société Century 21 Raspail a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses conclusions remises le 26 novembre 2018, elle demande notamment à la cour :
- d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré la clause de résiliation anticipée abusive,
- de condamner solidairement M. et Mme D à lui payer la somme de 6 947,84 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi par la résiliation anticipée du mandat de gestion du 2 décembre 2016.
L'appelante soutient que la clause contenue dans l'article 10 bis du contrat n'est pas abusive dès lors que chaque partie peut dénoncer le contrat dans les mêmes conditions trois mois avant le terme convenu et qu'elle tend seulement à permettre au professionnel d'obtenir la rémunération de son travail. Elle indique que l'indemnité de rupture anticipée doit s'analyser comme une clause de dédit, et non comme une clause pénale.
Elle fait valoir qu'en résiliant le contrat en dehors des dispositions convenues, M. et Mme D ont engagé leur responsabilité sur le fondement des articles 1231-1 et 1103 du code civil et elle détaille le préjudice en résultant.
Dans leurs conclusions remises le 27 février 2019, M. et Mme D demandent à la cour de confirmer le jugement dont appel sauf en ce qu'il les a déboutés de leur demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les intimés exposent que l'article 10 bis du contrat met à la charge du seul mandant une indemnité particulièrement élevée et disproportionnée en cas de résiliation, ce qui soumet la résolution du contrat à des modalités plus rigoureuses pour le consommateur et que cette clause est donc abusive au sens des articles L. 212-1 et R. 212-2 du code de la consommation.
A titre subsidiaire, ils font valoir que l'appelante ne justifie d'aucun préjudice, le bien n'ayant jamais été loué.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les parties ont conclu le 2 décembre 2016 un contrat de mandat exclusif de gestion locative pour une durée de trois années, prévoyant une reddition annuelle des comptes et la rémunération du mandataire pour sa gestion, à hauteur de 10,8 % TTC du montant des sommes encaissées pour le compte des mandants et d'un forfait par dossier pour des prestations particulières et pour la location, d'un prix au m2 à la charge du locataire et de 16,67 % TTC du loyer annuel à la charge du bailleur.
L'article 10 dispose que le contrat est renouvelable par tacite reconduction mais peut être dénoncé par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis de trois mois avant sa date d'échéance triennale.
L'article 10 bis mentionne qu'en cas de rupture du contrat par le mandant en dehors des périodes mentionnées à l'article 10, ce dernier devra s'acquitter d'une indemnité égale au montant des honoraires restant à percevoir au prorata temporis de la date d'échéance conventionnelle.
Il est constant que le contrat litigieux, conclu entre un professionnel et un consommateur, entre dans les prévisions de l'article L. 212-1 du code de la consommation.
Selon l'article R. 212-2 8° du même code, est présumée abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de soumettre la résolution ou la résiliation du contrat à des conditions ou modalités plus rigoureuses pour le professionnel que pour le consommateur.
La distinction effectuée par la société Century 21 Raspail entre une clause pénale et une clause de dédit est indifférente à la solution du litige qui ne dépend que du caractère abusif ou non de la clause litigieuse au regard des textes précités.
En l'espèce, si les deux parties disposent de la même faculté de dénoncer le contrat au terme du délai triennal, il est patent que la possibilité pour les mandants de résilier le contrat avant ce terme est assortie de l'obligation d'acquitter l'indemnité prévue par l'article 10 bis tandis que le contrat ne prévoit aucune indemnité au bénéfice des mandants si le mandataire venait à résilier le contrat avant le terme convenu.
Elle ne saurait être justifiée par le droit du mandant à percevoir la rémunération de ses diligences puisque le travail de gestion s'achève nécessairement lors de la résiliation du contrat et que la rémunération de la location reste due pour autant que l'agence ait effectivement trouvé un locataire.
C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que cette clause qui pose des conditions de résiliation plus rigoureuses pour le mandant que pour le mandataire était abusive au sens de l'article R. 212-2 8° précité.
Cette clause est donc réputée non écrite.
Au visa des articles 1231-1 et 1103 du code civil, la société Century 21 Raspail soutient qu'en résiliant le contrat avant son terme, M. et Mme D ont commis une faute dont ils doivent réparation.
Selon l'article 1217 du code civil en vigueur depuis le 1er octobre 2016, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- solliciter une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
L'article 1231-1 du même code dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l'espèce, alors que les parties s'étaient engagées pour une durée ferme de trois années, le 17 janvier 2017, M. D a indiqué à l'agence immobilière qu'il souhaitait mettre fin au mandat de gestion au motif que l'appartement sera habité par son fils qui revient en France pour son travail.
M. et Mme D ont donc rompu le contrat unilatéralement avant le terme convenu sans pouvoir se prévaloir ni d'une circonstance de force majeure, ni d'un manquement de la mandataire dans ses propres obligations.
Pour autant, le mandat donné à l'agence, dont l'exclusivité ne portait que sur la mise en location de l'appartement et les tâches y afférentes, n'empêchait pas les propriétaires mandants de prendre toutes autres dispositions relatives à la jouissance de leur bien, y compris celle de laisser la jouissance du bien à leur fils pendant une durée indéterminée ou de la reprendre pour eux mêmes. Or, il n'est pas contesté que le bien a effectivement été retiré du marché locatif.
Dans ces circonstances, en l'absence de signature d'un bail avant la rupture contractuelle, la société Century 21 Raspail ne disposait que d'un espoir de rémunération ; elle ne justifie d'aucun préjudice étant observé qu'elle ne sollicite pas le remboursement de prestations dont elle aurait exposé le coût pour le compte des mandants.
En conséquence, le jugement dont appel est confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
- Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
- Condamne la société Century 21 Raspail aux dépens d'appel et à payer à M. Z D et Mme A D la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.