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Décisions

CA Paris, ch. civ. 2, 5 octobre 2021, n° 19/00946

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Tigneudis (SAS), Allianz Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cardona

Conseillers :

Mme Denjoy, M. Grava

Avocats :

Me Balestas, Me Lachat

TGI Bourgoin-Jallieu, du 17 janv. 2019

17 janvier 2019

FAITS ET PROCÉDURE

Le 10 avril 2015, Mme A E a fait une chute alors qu'elle tentait de s'asseoir sur un fauteuil dans le centre commercial Edouard D sis à Tignieu Jameyzieu, assuré auprès de la société Allianz IARD.

Par actes des 30 janvier, 2 et 8 février 2018, Mme E, majeure protégée assistée par l'association Eva tutelle, a assigné la société Tigneudis exerçant sous l'enseigne centre commercial Edouard D et son assureur la société Allianz IARD ainsi que la CPAM devant le tribunal de grande instance de Bourgoin Jallieu pour voir indemniser ses préjudices.

Par jugement réputé contradictoire en date du 17 janvier 2019, le tribunal de grande instance de

Bourgoin Jallieu a :

Débouté Mme E de l'intégralité de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision,

Déclaré le jugement commun et opposable à la CPAM,

Condamné Mme E aux entiers dépens.

Le tribunal a retenu que :

- les deux témoignages produits par Mme E sont contradictoires, ce qui ne permet pas de savoir dans quelles conditions elle a tenté de s'asseoir sur le fauteuil,

- il était parfaitement visible que le fauteuil en plastique n'était pas fixé au sol,

- en l'absence de présomption de responsabilité du fait d'une chose inanimée et aucune anomalie ou défectuosité du fauteuil n'est démontrée.

Le 26 février 2019, Mme E a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens.

Par conclusions d'appel n° 2 notifiées le 11 janvier 2021, Mme E demande à la cour de':

Voir condamner la société Tigneudis - centre commercial Edouard Leclerc et son assureur la société Allianz IARD à réparer le préjudice corporel subi par Mme E de la manière suivante :

- DFT classe II : 220 euros,

- DFT classe I : 470 euros,

- DFP : 3 750 euros,

- assistance tierce personne : 100 euros,

- souffrances endurées : 3 000 euros,

Voir condamner les mêmes à la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que':

- en application de l'article 1242 du code civil, le gardien est responsable du dommage causé par le fait des choses qu'il a sous sa garde, et qu'en présence d'une chose inerte, la victime doit rapporter la preuve que la chose occupait une position anormale ou qu'elle présentait un caractère dangereux,

- la société Tigneudis est présumée propriétaire et gardien du fauteuil défectueux puisqu'il était en libre accès à l'intérieur du centre commercial Edouard D,

- la défectuosité du fauteuil, qui est à l'origine du dommage, existait avant qu'elle ne s'assoit dessus, alors qu'aucune autre cause de l'accident n'est imaginable,

- il ressort du relevé d'incident qu'elle a basculé en arrière lorsqu'elle s'est assise dans le fauteuil mis à la disposition du public par le centre commercial Edouard D,

- elle a eu un comportement adapté et normal lors de la prise de possession du fauteuil,

- le fauteuil n'apporte pas les conditions normales de sécurité auxquelles les usagers peuvent raisonnablement s'attendre dans un lieu public, ce qui ressort des témoignages de Mme C et Mme Y,

- le fauteuil devait être fixé au sol afin que l'on puisse s'appuyer sur lui pour s'asseoir, ce qui le rend dangereux,

- si la photographie communiquée par la société Tigneudis présente un fauteuil en plastique, rien n'empêche sa fixation au sol et rien ne démontre que ce fauteuil était celui présent au moment du sinistre,

- aucun panneau n'indiquait que le fauteuil pouvait être utilisé qu'après un contrôle préalable quant à sa stabilité,

- il ressort des témoignages de Mme C et Mme Y que la chute est due à la volonté de Mme E de s'asseoir et de s'être trouvée face à un siège qui a basculé, peu important si ladite bascule a eu lieu en avant ou en arrière,

- les qualités de solidité, résistance et stabilité de ce fauteuil ne sont pas réunies pour accueillir du public puisque le fauteuil a basculé.

Par conclusions d'intimées notifiées le 13 août 2019, la société Tigneudis exerçant sous l'enseigne centre commercial Edouard D et la société Allianz IARD demandent à la cour de :

Dire et juger qu'il n'existe aucune présomption de causalité en présence d'une chose inerte,

Dire et juger que Mme E ne rapporte pas la démonstration d'une anomalie dans l'état de la chose ou dans sa position

Dire et juger que la responsabilité de la société Tigneudis n'est pas engagée

Par conséquent,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Condamner Mme E à leur verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elles font valoir que :

- le régime de la responsabilité du fait des choses prévu à l'article 1242 du code civil dispose qu'il n'existe pas de présomption de responsabilité à l'égard du gardien d'une chose inanimée, de sorte que la victime doit démontrer une anomalie,

- en l'espèce, Mme E se contente de soutenir qu'elle pensait que le fauteuil était fixé au sol, or cela ne constitue en rien une anomalie, la majorité des sièges n'étant pas immobilisée,

- Mme E était persuadée que le fauteuil immobile et a adopté une mauvaise position lorsqu'elle s'est assise, ce qui explique sa chute,

- il s'ensuit que la responsabilité civile de la société Tigneudis n'est pas engagée.

La déclaration d'appel, les conclusions de l'appelant et l'assignation à comparaître ont été signifiées à la CPAM, qui n'a pas constitué avocat, par actes en date des 26 avril et 4 juin 2019 remis à une personne se disant habilitée.

Le présent arrêt sera réputé contradictoire en application des dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction est intervenue le 3 mars 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constater » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.

Sur la responsabilité,

L'article 1384 alinéa 1er, devenu 1242 alinéa 1er, du code civil dispose que l'on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore celui qui est causé par le fait des personnes dont on droit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.

Il est de principe que s'agissant d'une chose est inerte, la victime doit démontrer que la chose a bien été l'instrument du dommage, c'est-à- dire que malgré son inertie, elle a joué un rôle actif dans sa réalisation, notamment par son mauvais état ou par l'anormalité de son positionnement, outre la démonstration du lien de causalité entre cette caractéristique et le dommage. Il est rappelé que la seule survenance du dommage ne peut à elle seule établir ce caractère anormal.

En l'espèce, il est constant que Mme E a fait une chute le 10 avril 2015 alors qu'elle tentait de s'asseoir sur un fauteuil dans le centre commercial Edouard D sis à Tignieu Jameyzieu.

Mme E soutient que le fauteuil sur lequel elle a tenté de s'asseoir, aurait dû être fixé au sol et qu'il a été l'instrument du dommage.

A l'appui de ses prétentions, elle produit uniquement les attestations de Mme B C et de Mme X Y qui ont vu, Mme E chuter vers l'arrière selon Mme C, et vers l'avant selon Mme Z

Toutefois, Mme E ne verse aucune pièce susceptible de démontrer que le fauteuil était défectueux, qu'il présentait un positionnement anormal ni même qu'il était indiqué dans la galerie marchande qu'il était fixé au sol.

La photographie produite par la société Tigneudis, sur laquelle il apparaît que les pieds du fauteuil ne sont pas dissimulés, sera écartée dès lors qu'il n'est pas possible d'identifier les lieux où elle a été réalisée ni de savoir précisément s'il s'agit du fauteuil présent au moment de l'accident de Mme E d'autant plus que cette dernière conteste la véracité de cette pièce.

Dans ces conditions, aucun élément objectif précis ne permet de laisser supposer que les clients du centre commercial Edouard D pouvaient légitimement s'attendre à ce que le fauteuil soit fixé au sol. En effet, le seul fait qu'un fauteuil soit positionné dans un centre commercial n'implique pas qu'il soit fixé au sol et ne peut suffire à caractériser sa dangerosité pas plus que son mauvais état.

En conséquence, il doit être retenu que le fauteuil, chose inerte, ne présentait pas d'anormalité dans son agencement ou son positionnement, pas plus qu'il n'était en mauvais état, même s'il a été, au moins pour partie, l'instrument du dommage de Mme F

Dès lors, les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de la société Tigneudis exerçant sous l'enseigne centre commercial Edouard D sur le fondement de l'article 1384, devenu 1242, du code civil, ne sont pas réunies.

C'est donc à bon droit que le premier juge a débouté Mme E de ses demandes.

Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les demandes accessoires,

Mme E, dont les prétentions sont rejetées, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.

L'équité commande que Mme E soit condamnée à payer aux sociétés Tigneudis et Allianz IARD la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe après en avoir délibéré conformément à la loi :

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Rejette toutes les autres demandes,

Condamne Mme A E à payer aux sociétés Tigneudis et Allianz IARD la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de l'instance d'appel,

Condamne Mme A E aux dépens de la procédure d'appel.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.