CA Riom, 3e ch. civ. et com., 29 mai 2019, n° 19/00851
RIOM
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Defi Mode (SAS), MTG Holding (SAS), Necha Holding (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Riffaud
Conseillers :
M. Kheitmi, Mme Theuil-Dif
Exposé du litige :
La SAS DEFI MODE a pour objet le commerce au détail d'articles de prêt-à-porter ; au cours de l'année 2008, la SAS VIVARTE a acquis la totalité des actions de cette société.
La SAS DEFI MODE a rencontré, à partir de l'année 2011, diverses difficultés, qui l'ont conduite à demander au cours de l'année 2016 la désignation d'un mandataire ad hoc puis celle d'un conciliateur, Me Hélène B.
Dans le cadre de la conciliation, un protocole de conciliation a été conclu le 22 juillet 2016 entre notamment M. Nenad J. et la SAS VIVARTE : M. J. s'est engagé à acquérir, soit en son nom propre soit par l'intermédiaire d'une société à créer, la totalité des actions composant le capital de la SAS DEFI MODE ; et la SAS VIVARTE s'est engagée entre autres à verser une somme d'environ 30 000 000 d'euros à la SAS DEFI MODE, avant le transfert des titres et afin de participer au financement du projet de l'acquéreur.
Les actions de la SAS DEFI MODE ont été cédées, conformément à ce protocole, à la société NECHA HOLDING le 1er septembre 2016.
Les difficultés financières de la SAS DEFI MODE ont persisté, et cette société a sollicité le président du tribunal de commerce du Puy-en-Velay pour voir désigner à nouveau un conciliateur, désignation qui fut prononcée suivant ordonnance du 28 juillet 2017, Me Nicolas D. étant nommé avec mission notamment de négocier, de conclure un protocole de conciliation avec les partenaires de la société requérante, « et en particulier tout tiers investisseur pouvant participer à la poursuite de la stratégie de retournement de la société ».
La SAS DEFI MODE, la SAS NECHA HOLDING, la SAS MGT HOLDING, M. J. et M. Thierry D. sont parvenus à établir un protocole de conciliation, qui prévoyait notamment la possibilité, sous certaines conditions suspensives, de la cession des parts de la SAS NECHA HOLDING à la SAS MGT HOLDING, présidée par M. Thierry D.
Le projet de cession a été présenté au comité d'entreprise de la SAS DEFI MODE, qui a donné son accord à l'unanimité lors d'une réunion du 21 septembre 2017. Le protocole de conciliation a été signé le 4 octobre 2017.
La SAS DEFI MODE a soumis le protocole de conciliation, pour homologation, au tribunal de commerce du Puy-en-Velay, qui suivant jugement du 20 octobre 2017 a homologué l'accord de conciliation et lui a donné force exécutoire, en y incluant « les dispositions de ce jugement » ; dans une autre de ses dispositions, le tribunal s'est ainsi prononcé :
« Donne acte de l'accord du repreneur et de ses conseils d'assurer une stabilité des fonds propres à un montant minimum de 12,5 millions euros par apports si nécessaire en comptes courants bloqués, pendant 3 ans à compter de la date du jugement, ceci afin de compenser les éventuelles pertes qui affecteraient les fonds propres au-dessous de ce seuil défini. Cet engagement a été demandé et accepté afin d'éviter des difficultés de trésorerie pour les 3 prochaines années ; que l'engagement est pris dans l'accord de conciliation de consacrer à la trésorerie actuelle soit 18 millions euros, issue des dispositions du jugement du 01/08/2016 exclusivement à la poursuite de la restructuration de la société DEFI MODE et à son développement ; d'aucune utilisation permise de la trésorerie de DEFI MODE pour d'éventuelles opérations de croissance externe et qu'aucun dividende ne soit servi par DEFI MODE pendant les 3 prochaines années ».
La SAS DEFI MODE a connu de nouvelles difficultés, qui ont conduit à la désignation d'un autre mandataire ad hoc, en la personne de Me Philippe B. (ordonnance du président du tribunal de commerce de Bobigny du 17 juillet 2018).
Dans ces circonstances, le Comité social et économique (CSE) de la SAS DEFI MODE a fait assigner les sociétés DEFI MODE, NECHA HOLDING et MGT HOLDING devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance du Puy-en-Velay, en lui demandant de dire qu'en exécution du jugement du tribunal de commerce du 20 octobre 2017, la SAS MGT HOLDING devrait, au travers de la SAS MGT HOLDING, abonder le compte courant de la SAS DEFI MODE à hauteur de 1 811 963 euros, et de faire défense à la SAS DEFI MODE de poursuivre sa procédure volontaire de cessation d'activité.
Le juge de l'exécution, suivant jugement du 5 avril 2019, s'est déclaré incompétent pour faire interdiction à la SAS DEFI MODE de poursuivre la procédure volontaire de cessation d'activité, et a déclaré irrecevable la demande tendant à voir ordonner à la SAS MGT HOLDING d'abonder le compte courant de la SAS DEFI MODE.
Le CSE de la société DEFI MODE, et seize salariés de cette société (Mmes Cindy A., Nancy B., Maria S., Delphine P., Antonia R., Sarah M., Aurélie L., Myriam C., Faustine C., Maelle F., Catherine P., Floriane C., Marie-Laure A., Christel D., MM. Philippe M. et Nicolas L.), ont alors fait assigner, le 19 avril 2019, les sociétés DEFI MODE, NECHA HOLDING et MGT HOLDING devant le juge des référés du tribunal de grande instance du Puy-en-Velay, en lui demandant de constater le trouble manifestement illicite causé par le manquement de la société MGT HOLDING, au travers de la société NECHA HOLDING, à respecter son engagement d'abonder le compte courant de la SAS DEFI MODE, et de voir condamner cette société à effectuer cette opération pour la somme prévue dans le protocole de conciliation, à peine d'astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
La présidente du tribunal de grande instance du Puy-en-Velay, statuant par ordonnance de référé contradictoire du 19 avril 2019, a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés défenderesses, déclaré recevable l'action des demandeurs, et ordonné à la société MGT HOLDING, au travers de la société NECHA HOLDING, d'abonder le compte courant de la SAS DEFI MODE à hauteur de la somme de 1 811 963 euros, dans les dix jours de la signification de l'ordonnance et à peine d'astreinte de 1 000 euros par jour, l'astreinte étant fixée pour trois mois.
Le juge des référés a énoncé entre autres, dans les motifs de son ordonnance, que le jugement d'homologation du tribunal de commerce du 20 octobre 2017 constituait un titre exécutoire au sens de l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution, et que des éléments d'information comptables récents (postérieurs à la clôture des comptes annuels intervenue le 30 juin 2018) révélaient une baisse de la trésorerie et des capitaux propres de la SAS DEFI MODE très au-dessous du montant pour lequel les sociétés cessionnaires s'étaient engagées à abonder les comptes, situation qui caractérisait un trouble manifestement illicite justifiant qu'il soit fait droit à la demande.
Les sociétés DEFI MODE, MGT HOLDING et NECHA HOLDING ont interjeté appel de toutes les dispositions de cette ordonnance, suivant une déclaration faite au greffe de la cour le 25 avril 2019. Les sociétés appelantes ont d'ailleurs fait assigner les intimés à jour fixe devant la cour, sur ordonnance d'autorisation de la première présidente, prononcée le 29 avril 2019.
Les sociétés DEFI MODE, MGT HOLDING et NECHA HOLDING ont fait valoir, dans leur requête d'autorisation d'assigner à jour fixe, que le juge des référés n'était pas compétent pour statuer sur les demandes du CSE et des salariés, qui tendent à l'exécution forcée d'un jugement, et qui dès lors ressortissent à la compétence de droit commun du juge de l'exécution en la matière, ou dans le cas particulier à celle du tribunal de commerce ayant homologué l'accord de conciliation, ou de son président, par application de l'article L. 611-10-3 du code de commerce. À titre subsidiaire, les sociétés appelantes soulevaient une fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt à agir pour le CSE et pour les salariés, qui n'ont été ni signataires du protocole de conciliation, ni parties à l'instance d'homologation de ce protocole, et qui ne peuvent donc demander l'exécution forcée du jugement d'homologation. Les sociétés appelantes contestaient, à titre subsidiaire, l'existence d'un trouble manifestement illicite, les fonds propres de la SAS DEFI MODE étant actuellement supérieurs au montant prévu par le protocole.
Le CSE et les salariés intimés concluent au rejet de l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés appelantes, et à la confirmation de l'ordonnance déférée. Ils exposent que M. Thierry D. et le groupe DAI se sont efforcés de récupérer un maximum de trésorerie de la SAS DEFI MODE, par le moyen d'avances de trésorerie accordées par cette dernière société à deux sociétés du groupe DAI, de novembre 2017 à mai 2018, pour un montant total de 1 618 000 euros, sans compter des avances accordées sur les collections de l'année 2018 ; et qu'après seulement 12 mois d'exploitation M. Thierry D. a annoncé aux salariés de la SAS DEFI MODE sa décision de cesser les activités de cette société pour le 18 décembre 2018, alors que la société est in bonis, et qu'elle dispose de quelque 60 points de vente.
Le CSE et les salariés précisent que les sociétés repreneuses n'ont pas tenu l'engagement qu'elles avaient pris devant le tribunal de commerce, de maintenir les capitaux propres de la société acquise à un certain montant : ils se prévalent sur ce point de l'avis du cabinet d'expertise comptable D., qu'ils ont sollicité, et qui énonce que les capitaux propres de la SAS DEFI MODE s'élevaient à 10,7 millions d'euros au 30 juin 2018, soit 1,8 million en-deçà du montant de l'engagement pris devant le tribunal de commerce.
Sur l'exception d'incompétence du juge des référés : les intimés reprochent aux sociétés appelantes de ne pas préciser explicitement la juridiction qu'elles estiment compétente ; subsidiairement sur ce point, ils font valoir que leur action vise à mettre fin au trouble manifestement illicite résultant du manquement du repreneur à son obligation, et ne constitue ni une demande de résolution de l'accord, réservée au tribunal de commerce selon l'article L. 611-10-3 du code de commerce, ni une difficulté tenant à l'exécution du jugement d'homologation, relevant de la compétence du juge de l'exécution.
Sur la fin de non-recevoir : les intimés, qui admettent ne pas être parties au jugement d'homologation du 20 octobre 2017, exposent que ce jugement relève de la matière gracieuse, et que l'effet relatif des conventions, de même que l'effet relatif des jugements, ne leur interdit pas, en leur qualité de tiers, d'invoquer les dispositions de l'accord et du jugement qui l'a homologué, si le défaut d'exécution d'une de leurs obligations leur cause un dommage manifestement illicite. Sur le fond : ils déclarent que le manquement constaté à l'encontre des sociétés repreneuses cause un trouble manifestement illicite tant pour le CSE que pour les salariés, dès lors que ce manquement a participé à la cessation d'activité de la SAS DEFI MODE, et à la minoration des mesures prises en faveur des salariés dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi qui a été arrêté.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions, déposées en cause d'appel, le 10 mai 2019 pour les sociétés appelantes (conclusions annexées à l'assignation délivrée à jour fixe les 2, 6 et 9 mai 2019), et le 14 mai 2019 pour les intimés.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la compétence :
Ainsi que le rappellent les intimés, l'article 75 du code de procédure civile oblige la partie qui soulève une exception d'incompétence, à peine d'irrecevabilité, à motiver l'exception et à faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée.
Les sociétés appelantes demandent à la cour de « dire et juger que les contestations relatives à la prétendue inexécution de dispositions d'un accord de conciliation relèvent de la seule compétence du tribunal qui a homologué ledit accord, à savoir le tribunal de commerce du Puy-en-Velay ». Par la demande ainsi formulée, les appelantes ont expressément désigné la juridiction qu'elles estiment compétente, et satisfait aux exigences de l'article 75 du code de procédure civile. Leur exception n'est pas irrecevable pour ce motif, il convient de l'examiner sur le fond.
L'article L. 611-10-3 du code de commerce, invoqué par les appelantes au soutien de leur exception, donne compétence au président du tribunal de commerce, saisi par l'une des parties à l'accord constaté, pour prononcer la résolution de celui-ci, s'il constate l'inexécution des engagements résultant de cet accord. Le même article donne compétence au tribunal lui-même pour prononcer la résolution de l'accord homologué, après avoir été conclu selon les modalités prévues aux articles
L. 611-4 et suivants du même code.
Les sociétés appelantes font valoir que les demandes des intimés, auxquelles a fait droit le premier juge, ne tendent, sous couvert d'un trouble manifestement illicite, qu'à obtenir l'exécution forcée du titre exécutoire que constitue le jugement d'homologation du 20 octobre 2017, alors que les suites et les conséquences de ce jugement relèvent de la compétence exclusive du tribunal ayant homologué l'accord, le tribunal de commerce du Puy-en-Velay.
Cependant l'article L. 611-10-3 du code de commerce ne donne compétence au tribunal de commerce ayant homologué l'accord que pour prononcer la résolution de l'accord, et s'il y a lieu la déchéance des délais de paiement qui auraient été consentis ; il ne lui donne pas compétence générale sur les questions que poserait l'exécution du jugement d'homologation ; d'ailleurs, comme l'a exactement relevé le premier juge, l'action engagée par les intimés ne tend pas à obtenir l'exécution forcée du jugement au sens de l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution : cet article réserve le droit à l'exécution forcée aux seuls créanciers visés dans le titre exécutoire, alors qu'aucun des intimés n'est créancier en titre de l'obligation d'abonder les comptes, contenue dans le jugement d'homologation du 20 octobre 2017 : seule la SAS DEFI MODE, partie à l'accord et bénéficiaire de cette obligation, a cette qualité de créancière.
L'action engagée par les intimés constitue ainsi, comme l'a exactement analysé le premier juge, une demande fondée sur l'existence d'un trouble manifestement illicite, qui relève de la compétence du juge des référés de droit commun. L'ordonnance entreprise sera confirmée, en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence.
Sur l'intérêt et la qualité à agir :
Il est incontestable, et incontesté, d'une part que le jugement d'homologation du 20 octobre 2017 constitue un titre exécutoire y compris dans sa disposition ayant donné acte à l'accord « du repreneur et de ses conseils » d'assurer le maintien des fonds propres de la SAS DEFI MODE à un niveau de 12,5 millions d'euros, et d'autre part que les intimés (le CSE et les salariés en cause), n'étant parties ni à l'accord ni au jugement, n'ont pas qualité, comme déjà énoncé, pour demander la résolution de l'accord ou l'exécution forcée du jugement.
Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
La situation de tiers à l'accord et au jugement, qui est celle des intimés, n'empêche que les salariés individuellement ont un intérêt légitime certain, en vue d'assurer la pérennité de l'entreprise qui les emploie, à obtenir que la disposition en cause soit exécutée, de même que le CSE, qui a pour attribution « d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise » (article L. 2312-8 du code du travail).
Les sociétés appelantes contestent la qualité à agir des intimés, au motif que l'action fondée sur l'inexécution de l'accord homologué est une action attitrée, réservée aux parties à cet accord selon l'article R. 611-46 du code de commerce, de sorte que les tiers à l'accord ne pourraient contester le jugement que par la voie d'une tierce opposition.
Cependant l'article R. 611-46 du code de commerce est inapplicable à la cause, puisqu'il ne traite que des formes de l'instance en résolution de l'accord constaté ou homologué, alors que les intimés, demandeurs initiaux, ne contestent pas le jugement lui-même, mais se plaignent du trouble manifestement illicite que leur causerait son défaut d'exécution. Les sociétés appelantes ne sont pas fondées à se prévaloir, pour ce premier motif, d'un défaut de qualité à agir des intimés.
Les sociétés appelantes contestent ensuite cette qualité à agir, au motif de l'effet relatif de l'accord et du jugement d'homologation, qui ne créerait de droit ou d'obligation que pour les personnes qui y ont été parties.
Selon l'article 1199 du code civil, le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l'exécution du contrat ni se voir contraints de l'exécuter, sauf les exceptions prévues aux articles 1200 à 1209, et au chapitre III du titre IV du livre III du même code.
Comme le font valoir les intimés, l'effet relatif des contrats n'interdit pas aux tiers de se prévaloir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, d'un manquement à l'une des obligations au contrat, dès lors que ce manquement leur a causé un dommage (Cass. Ass. Plénière 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13255).
Tel est le cas des salariés et du CSE intimés, qui justifient du dommage que leur a causé, ou que pourrait leur causer le manquement des sociétés repreneuses à leur obligation de financement rappelée ci-avant, contenue dans le jugement d'homologation du 20 octobre 2017'auxquels ils n'ont pas été partie ; leur qualité à agir est donc certaine, aucune disposition légale particulière n'ayant réservé cette qualité à certaines personnes déterminées, au sens de l'article 31 du code de procédure civile. La SAS DEFI MODE, entièrement contrôlée par les sociétés repreneuses, créancière en titre de l'obligation de financement mise à la charge des sociétés repreneuses MTG HOLDING et NECHA HOLDING, s'abstenant de faire valoir les droits que lui confère cette obligation et d'exercer l'action qui lui est ouverte, les salariés, créanciers de leur employeur, au titre notamment des salaires, sont fondés à invoquer le trouble manifestement illicite susceptible d'en résulter dès lors que cette carence compromet l'exercice de leurs propres droits.
Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite :
Selon l'article 809 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance, saisi en référé, peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Ainsi que l'a énoncé à juste titre le premier juge, il ressort du rapport établi le 4 mars 2019 par le cabinet d'expertise comptable D., sollicité par le CSE pour examiner le plan de sauvegarde de l'emploi présenté par l'employeur en vue de la cessation d'activité de la SAS DEFI MODE, que les comptes annuels, arrêtés à la clôture du dernier exercice le 30 juin 2018, auraient dû être établis en valeur liquidative, de sorte que le montant des capitaux propres à cette date, qui ressortait sur le bilan à 13 947 687 euros, seraient après correction de 10 688 037 euros (pièce n° 2 produite par les intimés, page 68).
Les sociétés appelantes contestent la pertinence de ce rapport, aux motifs qu'il n'a pas été établi contradictoirement, et que le jugement d'homologation du 20 octobre 2017 a précisé les modalités de contrôle du respect de l'obligation en cause, contrôle qui ne pouvait être opéré que par le commissaire aux comptes, dans le cadre de sa mission annuelle.
Cependant sur ce dernier point : s'il est vrai que le jugement susdit contient une disposition qui « donne acte de l'accord du repreneur de vérification de l'exigence de fonds propres constatés majorés du montant des comptes courants bloqués supérieurs ou égales à 12,5 millions € est une mission annuelle du commissaire aux comptes, mention à porter dans son rapport général et avec mission d'alerte du président de commerce du Puy-en-Velay en cas de non-respect », cette disposition n'a pas eu pour effet d'exclure tout contrôle en-dehors des modalités ainsi fixées, et n'interdit pas à toute personne ayant intérêt et qualité, de rapporter la preuve, à tout moment et par tout moyen, que les sociétés repreneuses ne remplissent pas leur obligation'; d'ailleurs le rappel du droit d'alerte incombant au commissaire aux comptes, contenu dans la disposition du jugement invoquée par les appelantes, confirme s'il en était besoin que le contrôle ne se limitait pas à sa mission annuelle'; et le rapport D. du 4 mars 2019 relève l'anomalie résultant de ce que le commissaire aux comptes de la SAS DEFI MODE, le cabinet EXCO, n'a pas déclenché la procédure d'alerte en août 2018, alors qu'il résultait de ses constatations faites à la même époque, au vu des comptes arrêtés au 30 juin 2018, que la pérennité de la société était incertaine : pages 55 à 59 du rapport D.
Ce rapport, bien que non contradictoire, a été rédigé dans un cadre prévu par la loi ; il constitue un élément d'appréciation recevable, dès lors qu'il a pu être discuté par les parties au cours des débats.
Les sociétés appelantes ne produisent aucun document comptable postérieur aux comptes annuels arrêtés au 30 juin 2018, qui justifierait du montant des capitaux propres de la SAS DEFI MODE, pour la période écoulée depuis cette date.
Le rapport sur le déroulement du mandat ad hoc, établi le 10 décembre 2018 par Me B. à l'attention du président du tribunal de commerce de Bobigny, fait état quant à lui de « pertes structurelles [qui] entraînent une consommation importante de trésorerie qui ne peut que conduire la société à très court terme à l'état de cessation de paiement ». Ce même rapport mentionne, sous la forme d'un diagramme, le montant de la trésorerie de la SAS DEFI MODE, qui est devenue inférieure au seuil minimum de 12,5 millions d'euros à partir de février 2018 (12,3 millions d'euros pendant ce mois), et qui n'a cessé de se réduire depuis lors, jusqu'à 2,8 millions d'euros en novembre 2018 (pièce n° 4 des intimés, page 52).
Le compte rendu d'une réunion de négociation tenue du 2 au 7 janvier 2019, entre la direction de la société et les organisations syndicales sur les mesures sociales d'accompagnement dans le cadre de la mesure de licenciement collectif envisagé, mentionne une déclaration de Me B., selon laquelle le solde de trésorerie ressortait à 428 247 euros à la fin du mois de mars 2019 (pièce n° 6 produite par les intimés). Et une «'note d'information-consultation » du 11 mars 2019, établie dans le cadre du projet de licenciement collectif pour motif économique, reprend les chiffres de la trésorerie figurant sous forme de diagramme dans le rapport de Me B., la note confirmant en page 27 « la baisse importante du niveau de la trésorerie » (pièce n° 8 des intimés).
Il ressort de ces documents, non réfutés par les pièces que produisent les sociétés DEFI MODE, MTG HOLDING et NECHA HOLDING, que ces sociétés ne remplissent pas leur obligation de maintenir les fonds propres de la SAS DEFI MODE au montant de 12,5 millions d'euros. Ainsi que l'a énoncé le premier juge, ce manquement des sociétés repreneuses à leur obligation constitue un trouble manifestement illicite pour les salariés et pour le CSE, dès lors qu'il contribue à aggraver la situation de la SAS DEFI MODE, et comporte une menace directe sur la survie de cette société et sur le maintien des emplois.
La circonstance que, dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise (PSE), le document unilatéral établi par l'employeur ait été homologué par l'autorité administrative, au motif entre autres que les mesures proposées étaient proportionnées aux moyens dont disposaient la SAS DEFI MODE et les sociétés MTG HOLDING et NECHA HOLDING (décision d'homologation du 23 avril 2019, pièce n° 10 produite par les sociétés appelantes), n'est pas de nature à écarter l'existence d'un manquement des sociétés repreneuses à leur obligation, et d'un trouble manifestement illicite': il n'entrait pas dans les attributions de l'autorité administrative de statuer sur ces questions.
L'existence d'un trouble manifestement illicite apparaît d'autant plus caractérisée que le cabinet D., dans son rapport du 4 mars 2019, a relevé les anomalies suivantes, dans la gestion de la SAS DEFI MODE': immixtion de cadres dirigeants du groupe DAI dans les décisions relatives aux achats'; conditions financières qualifiées «d'étrangement favorables'», accordées par la SAS DEFI MODE à deux sociétés fournisseurs appartenant au groupe DAI, avec notamment des avances de trésorerie; absence de procédure d'alerte.
Les sociétés repreneuses ne sauraient d'ailleurs se prévaloir de leur impossibilité de satisfaire à leur obligation: elles se sont engagées en connaissance de cause pour une durée de trois ans, elles n'ignoraient pas les circonstances économiques, internes ou extérieures à l'entreprise, dans lesquelles elles ont donné cet engagement; elles ne rapportent pas la preuve d'un cas de force majeure, qui seul serait de nature à les libérer de leur obligation, selon l'article 1351 du code civil: la force majeure en matière contractuelle n'est caractérisée que lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur (article 1218 du même code). L'obligation de ces sociétés n'est donc pas sérieusement contestable.
C'est à bon droit que le premier juge a constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite commis par les sociétés MTG HOLDING et NECHA HOLDING, et a prononcé des mesures appropriées aux fins de le faire cesser, en condamnant lesdites sociétés à exécuter leur obligation, et en assortissant sa décision d'une astreinte, selon dans modalités qui apparaissent adaptées aux éléments de la cause. Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant après en avoir délibéré, publiquement, en matière de référé, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum la SAS MTG HOLDING, la SAS NECHA HOLDING et la SAS DEFI MODE à payer aux intimés une somme globale de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel ;
Rejette le surplus des demandes.