Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 7 mai 2019, n° 18/19374

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Beard Investment (SARL)

Défendeur :

Ami Paris (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roy-Zenati

Conseillers :

Mme Dias Da Silva, Mme Grall

T. com. Paris, du 26 juill. 2018

26 juillet 2018

Suivant convention en date du 14 octobre 2016, la SARL de droit luxembourgeois Beard Investment a consenti à la SAS Ami Paris une avance en compte courant d'un montant de 1 000 000 euros remboursable au plus tard le 14 janvier 2017, sauf prorogation décidée d'un commun accord entre les parties.

La société Beard Investment a accepté de proroger au 30 juin 2017 la date prévue pour le remboursement de l'avance en compte courant.

Par lettre en date du 24 août 2017, la société Beard Investment a mis en demeure la société Ami Paris de procéder au remboursement de l'intégralité de l'avance en compte courant au plus tard le 15 septembre 2017.

Par ordonnance en date du 4 avril 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, saisi sur assignation délivrée à la société Ami Paris, par acte d'huissier en date du 15 février 2018, à la requête de la société Beard Investment, a :

Vu l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile,

- Condamné la société Ami Paris à payer à la société Beard Investment, à titre de provision, la somme de 1 000 000 euros, avec les intérêts conventionnels au taux de 5 %, à compter du 14 janvier 2016 et ce jusqu'à complet paiement,

- Condamné la société Ami Paris à payer à la société Beard Investment la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rejeté toutes des plus amples ou contraires des parties,

- Condamné en outre la société Ami Paris aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 46,34 euros TTC dont 7,51 euros de TVA.

Par ordonnance en date du 16 avril 2018, le président du tribunal de commerce de Paris, saisi d'une demande de conciliation par la société Ami Paris, a :

Vu les articles L. 611-4 et suivants de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005,

Vu l'article R. 611-23 du décret n° 2007-431 du 25 mars 2007,

- Décidé l'ouverture d'une procédure de conciliation en faveur de la société Ami Paris,

- Nommé la Selarl Ascagne, prise en la personne de Maître Julie L., administrateur judiciaire, en qualité de conciliateur, pour une durée de quatre mois, avec mission d'assister le dirigeant dans ses négociations avec ses créanciers, notamment la société Beard Investment et plus généralement, dans la recherche de toutes solutions afin d'assurer la pérennité de l'entreprise.

Suivant acte d'huissier en date du 7 mai 2018, la société Ami Paris a fait assigner la société Beard Investment devant le président du tribunal de commerce de Paris, statuant en la forme des référés, aux fins de voir :

Vu l'article L. 611-7 du code de commerce,

Vu l'article 1343-5 du code civil,

- Ordonner le report du paiement de la créance en compte courant d'associé que détient la société Beard Investment sur la société Ami Paris, et ce pour une durée d'un an.

- Dire que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt au taux légal.

- Prendre acte de ce qu'elle se réserve d'engager une procédure au fond à l'encontre de la société Beard Investment dès lors que le taux d'intérêt de 8 % avec capitalisation prévu aux termes de la convention de compte courant du 14 octobre 2016 n'est pas conforme à ses statuts.

- Condamner la société Beard Investment à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ordonnance en date du 26 juillet 2018, le président du tribunal de commerce de Paris, statuant en la forme des référés, a :

Vu les articles L. 611-7, R. 611-35 du code de commerce,

Vu les articles 1343-5 du code civil,

- Dit que la société Ami Paris était recevable et bien fondée en son action,

- Ordonné à la société Ami Paris le paiement de la créance de la société Beard Investment, soit la somme de 1 000 000 euros, en 12 mensualités égales de 83 333,33 euros, la première 12 mois après la signification de la décision, puis mensuellement à la date anniversaire du premier versement,

- Ordonné que les échéances reportées porteraient intérêts au taux légal,

- Dit que la totalité du montant restant dû serait exigible, en cas de non-paiement à son terme de l'une quelconque des échéances,

- Dit que chaque partie conservait à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle avait pu engager,

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rejeté le surplus de la demande,

- Rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties,

- Condamné en outre la société Beard Investment aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 65,17 euros TTC dont 10,65 euros de TVA, la présente décision étant de plein droit exécutoire par provision en application de l'article 489 du code de procédure civile.

Suivant déclaration en date du 31 juillet 2018, la société Beard Investment a interjeté appel de cette décision.

Suivant conclusions déposées et notifiées le 12 mars 2019 par le RPVA, la société Beard Investment, appelante, demande à la cour de :

Vu les articles L. 611-7 et R. 662-1 du code de commerce,

- Dire que les conditions requises pour que le président du tribunal de commerce de Paris ait compétence pour ordonner des délais de paiement font défaut et prononcer, en conséquence, la nullité pour défaut de pouvoir de l'ordonnance du 26 juillet 2018.

- Dire recevable l'appel formé à l'encontre de ladite ordonnance.

- Dire que la procédure de conciliation mise en oeuvre par la société Ami Paris a été détournée de sa finalité légale.

- Dire que les conditions de fond posées à l'article L. 611-7 alinéa 5 pour l'octroi de délais de paiement n'étaient pas réunies.

En conséquence,

- Réformer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.

En tout état de cause,

- Condamner la société Ami Paris à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société Ami Paris aux dépens.

La société Beard Investment fait valoir principalement ce qui suit :

sur la recevabilité de l'appel interjeté contre l'ordonnance rendue le 26 juillet 2018

- l'ordonnance rendue le 26 juillet 2018 doit être annulée en ce que le président du tribunal de commerce de Paris ne disposait pas du pouvoir d'octroyer des délais de paiement à la société Ami Paris sur le fondement de l'article L. 611-7 alinéa 5 du code de commerce dont les conditions n'étaient pas réunies dès lors que,

la société créancière était titulaire d'un titre exécutoire obtenu le 4 avril 2018 et signifié le 12 avril 2018, soit antérieurement à l'ouverture de la procédure de conciliation.

la société créancière n'a initié aucune poursuite ni demande en recouvrement pendant la procédure de conciliation se bornant à solliciter la réalisation d'un audit indépendant.

- les ordonnances rendues au visa de l'article L. 611-7 alinéa 5 du code de commerce sont susceptibles d'appel, l'appel des ordonnances rendues au visa du dit texte ne relevant pas des dispositions de l'article L. 661-2 du code de commerce mais de celles de l'article R. 662-1 qui dispose qu'à moins qu'il ne soit disposé autrement par le présent livre, les règles du code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI de la partie législative du présent code.

sur la réformation de l'ordonnance rendue le 26 juillet 2018 :

- les conditions de fond requises pour l'octroi de délais de paiement font défaut puisque la société créancière n'a pas mis en oeuvre des poursuites ou adressé de mise en demeure à la société Ami Paris au cours de la procédure de conciliation et a, au contraire, indiqué à la conciliatrice puis au président du tribunal de commerce qu'elle n'entendait pas poursuivre l'exécution de l'ordonnance de référé rendue le 4 avril 2018.

- la procédure de conciliation a été détournée de sa finalité par la société Ami Paris dès lors que :

* la conciliation n'a pas été instaurée pour servir de procédure d'appel d'exception et permettre ainsi à la société Ami Paris d'obtenir l'octroi des délais de paiement qui lui avaient été refusés par le juge des référés aux termes de l'ordonnance rendue le 4 avril 2018 dont elle avait interjeté appel le 27 avril 2018, appel dont elle s'est ensuite désistée.

* la procédure de conciliation n'a pas été instaurée pour masquer un état de cessation des paiements.

Suivant conclusions déposées et notifiées le 18 mars 2019 par le RPVA, la société Ami Paris, intimée, demande à la cour de :

Vu les articles 125 et 910-4 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 611-7 et L. 661-1 du code de commerce,

Vu l'article 1343-5 du code civil,

A titre principal,

- Déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société Beard Investment à l'encontre de l'ordonnance rendue le 26 juillet 2018.

A titre subsidiaire,

- Confirmer l'ordonnance rendue le 26 juillet 2018 en toutes ses dispositions.

En tout état de cause,

- Condamner la société Beard Investment à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société Beard Investment aux entiers dépens.

La société Ami Paris fait valoir principalement ce qui suit :

l'appel nullité doit être déclaré irrecevable dès lors que,

- la demande d'annulation de l'ordonnance dont appel est intervenue tardivement, cette demande ne figurant nullement dans la déclaration d'appel ainsi que dans les premières conclusions de l'appelante déposées le 20 décembre 2018, et aucun élément nouveau n'étant susceptible d'être invoqué pour justifier le caractère tardif de cette prétention conformément à l'article 910-4 du code de procédure civile.

- la société Beard Investment ne caractérise, en tout état de cause, aucun excès de pouvoir de la part du premier juge au soutien de son appel nullité.

l'ordonnance entreprise doit être confirmée dès lors que,

- le président du tribunal de commerce de Paris avait bien le pouvoir d'accorder des délais de paiement dans la mesure où, en vertu de l'article L. 611-7 du code de commerce, il faut et il suffit que la demande de délais de grâce intervienne au cours de la procédure de conciliation et qu'elle soit faite par un débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier, même si la mise en demeure ou la poursuite précède l'ouverture de la conciliation.

- sa situation financière justifie l'octroi de délais de paiement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 mars 2018.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens soutenus par les parties, la cour se réfère à leurs écritures et à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise, en vertu de l'article 910-4 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

En l'espèce, la société Ami Paris soutient que la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise formée par la société Beard Investment doit être déclarée irrecevable comme étant tardive pour avoir été présentée pour la première fois dans ses conclusions déposées le 12 mars 2019.

Toutefois, le moyen tiré du défaut de pouvoir de la juridiction saisie constitue une fin de non-recevoir, qui peut être proposée en tout état de cause conformément à l'article 123 du code de procédure civile, et non une défense au fond, de sorte que la demande de nullité de l'ordonnance entreprise ne saurait être déclarée irrecevable en application de l'article 910-4 précité.

Pour autant, l'erreur commise par un juge dans l'application ou l'interprétation d'une règle de droit tenant au fait allégué selon lequel les conditions de fond de l'article L. 611-7 du code de commerce n'étaient pas réunies, ne caractérise pas un excès de pouvoir dont la réalité, en conséquence, n'est pas établie par la société Beard Investment.

La demande de nullité de l'ordonnance entreprise doit donc être rejetée.

Sur la recevabilité de l'appel interjeté contre l'ordonnance entreprise, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond.

L'absence de voie de recours constitue une fin de non-recevoir qui revêt un caractère d'ordre public, conformément aux dispositions de l'article 125 du code de procédure civile.

La société Ami Paris a saisi le président du tribunal de commerce statuant en la forme des référés pour obtenir des délais de paiement en application des dispositions de l'article L. 611-7 alinéa 5 du code de commerce qui dispose : « au cours de la procédure [de conciliation], le débiteur mis en demeure ou poursuivi par un créancier peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l'article 1343-5 du code civil »;

Il est ainsi constant que la procédure ayant donné lieu à la décision critiquée s'inscrit dans le cadre de la procédure de conciliation prévue au Livre VI Titre Premier du code de commerce relatif à la prévention des difficultés des entreprises.

L'article L. 611-6 alinéa 3 prévoit que la procédure d'ouverture de la procédure de conciliation est susceptible d'appel de la part du ministère public.

L'article L. 611-10 ouvre ce recours à l'encontre du jugement d'homologation de l'accord qui met fin à la procédure de conciliation.

L'article L. 661-1 du dit code, qui régit plus généralement les voies de recours des décisions rendues en vertu du Livre VI, énumère celles qui sont susceptibles d'appel ou de pourvoi en cassation.

L'ordonnance qui a statué sur le fondement de l'article L. 611-7 alinéa 5 du code n'est pas expressément visée par cette énumération.

Les articles R. 661-1 à R.661-8 relatifs aux voies de recours ne contiennent pas de dispositions permettant de considérer que l'énumération des décisions qui sont susceptibles d'appel en matière de procédures relatives aux difficultés des entreprises résultant de l'article L. 661-1 ne serait pas limitative.

Il s'en déduit que l'appel interjeté par la société Beard Investment à l'encontre de l'ordonnance statuant sur le fondement de l'article L. 611-7 alinéa 5 du code de commerce est irrecevable.

Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les demandes des parties à ce titre seront, en conséquence, rejetées.

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande de nullité de l'ordonnance rendue le 26 juillet 2018 par le président du tribunal de commerce de Paris ;

Déclare La société Beard Investment irrecevable en son appel ;

Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Beard Investment aux dépens d'appel.