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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 29 novembre 2011, n° 10/01919

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel Pyrénées Gascogne (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Meallonnier

Conseillers :

Mme Claret, M. Scotet

T. com. Bayonne, du 12 avr. 2010

12 avril 2010

Faits et procédure

En mars 2002 la CRCAM Pyrénées Gascogne a octroyé aux époux R. divers prêts dont un prêt habitat personnel d'un montant de 204 282 € pour l'acquisition d'une partie d'immeuble à usage d'habitation, un prêt professionnel d'un montant de 198 184 € aux fins d'acquisition d'une partie d'immeuble à usage commercial et un second prêt professionnel d'un montant de 304 898 € aux fins d'acquisition d'un fonds de commerce, le restaurant LA GALUPE, exploité à Urt, bénéficiant alors de deux étoiles au guide Michelin, les trois prêts étant assortis de diverses garanties.

L'acte de cession du fonds de commerce en date du 26 mars 2002 prévoyait que le cédant s'engageait notamment pendant une durée d'un an à présenter M. Stéphane R. à la clientèle et aux fournisseurs et à le conseiller pour l'exploitation du fonds, qu'il s'engageait également à accompagner M. R. à Paris pour le présenter aux responsables du guide Michelin.

En mars 2003 les deux étoiles au guide Michelin ont été retirées au restaurant LA GALUPE, ce qui a entraîné des difficultés de paiement pour l'entreprise.

En mars 2005 le restaurant LA GALUPE a obtenu une étoile au guide Michelin.

Des propositions de restructuration ont été soumises à la juridiction consulaire compétente dans le cadre d'une procédure de conciliation, le tribunal de commerce de Bayonne a alors ouvert une procédure de conciliation par ordonnance en date du 21 juillet 2006 et nommé Me L. en qualité de conciliateur, lequel a déposé un rapport de fin de mission le 27 décembre 2006, constatant l'accord conclu entre le débiteur et son principal créancier, conciliation qui n'a pas eu de lendemain.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 avril 2008 la CRCAM a dénoncé à M. R. les concours bancaires.

Suivant acte d'huissier du 25 avril 2008 Monsieur et Madame R. ont assigné la CRCAM Pyrénées Gascogne aux fins de voir juger que la banque leur a octroyé un crédit abusif consistant en un soutien abusif de l'entreprise dépassant les dispositions de l'article 650-1 du code de commerce, voire dire que l'ensemble des garanties tomberont s'agissant d'une déchéance des garanties octroyées à la banque, de condamner la banque au paiement d'une somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts aux seules fins de renflouer le compte débiteur, préjudice direct des créanciers compte tenu de la lettre recommandée avec accusé de réception dénonçant les encours autorisés, de dire que la lettre recommandée du 17 avril 2008 est sans effet, de condamner la banque au paiement d'une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec bénéfice de l'exécution provisoire.

Par jugement du 19 mai 2008 Monsieur R. a été mis en liquidation judiciaire et Me G. nommé comme liquidateur.

Par le jugement entrepris du 12 avril 2010 le tribunal de commerce de Bayonne a :

- reçu les parties en leur demande, fins et conclusions,

- déclaré recevable la demande au titre de soutien abusif soutenue dans la présente procédure et de l'intervention volontaire de Me G. ès qualités de liquidateur à cette procédure,

- déclaré qu'il n'y a aucun lien de causalité qui puisse être établi et retenu entre la procédure collective subie par M. Stéphane R. et les prêts accordés par le crédit agricole pour l'acquisition du fonds à partir des résultats connus de l'exploitation et reproduits dans l'acte de cession,

- déclaré seuls fautifs les époux R. dans leur appréciation sur la réaction du guide qui a entraîné la perte de sa qualification de restaurant étoilé,

- déclaré qu'il n'existe aucun lien direct qui caractérise la causalité avec la procédure collective ouverte, le lien de causalité étant directement lié à la perte significative du chiffre d'affaires de l'exploitation qui est de la seule responsabilité des demandeurs,

- débouté sur le fondement de l'article L. 650-1 du code de commerce les époux R. et Me G. ès qualités de liquidateur, de l'action engagée pour absence de preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité,

- condamné les époux R. et Me G. ès qualités de liquidateur à payer au crédit agricole la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement,

- rejeté comme inutiles et non fondées toutes autres demandes contraires des parties,

- condamné les époux R. et Me G. ès qualités de liquidateur aux entiers dépens dont les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 216,61 €, TVA 19,6 % incluse, en ce compris l'expédition du présent jugement.

MOYENS ET PRETENTIONS

En l'état de leurs dernières écritures M. Stéphane R. et Mme Catherine R. demandent à la cour de :

- vu l'article 1382 du code civil,

- vu l'article 650-1 du code de commerce,

- vu le jugement du tribunal de commerce de Bayonne du 12 avril 2010,

- constater que Mme R. n'est pas partie à la procédure de liquidation judiciaire,

- constater l'absence de contestation de Me G. ès qualités,

- déclarer recevable et bien fondé l'ensemble des demandes formulées par les époux R.,

- infirmer le jugement dans l'ensemble de ses dispositions,

en conséquence,

- dire que la CRCAM Pyrénées Gascogne a octroyé un crédit abusif consistant en un soutien abusif de l'entreprise dépassant les dispositions de l'article 650-1 du code de commerce,

En tout état de cause,

- dire que la CRCAM Pyrénées Gascogne a commis une faute entraînant un préjudice direct et certain,

En conséquence,

- dire que l'ensemble des garanties seront annulées,

- dire que la CRCAM Pyrénées Gascogne sera condamnée à payer aux époux R. la somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts,

- condamner la CRCAM. Pyrénées Gascogne à payer aux époux R. la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Les appelants exposent qu'ils ont subi un certain nombre de revers dans le cadre de l'exploitation promise, qu'ils ont tout d'abord perdu les étoiles du restaurant, situation classique en cas de changement de propriétaire, qu'en outre des investissements étaient nécessaires pour réaliser d'importants travaux au sein de l'entreprise ainsi qu'en ce qui concerne le matériel, que les vendeurs n'ont pas respecté tous les engagements qu'ils avaient pris, qu'ils ont fait entièrement confiance depuis l'origine aux vendeurs ainsi qu'au banquier, le crédit agricole étant également la banque des vendeurs et disposant en conséquence d'informations particulièrement complètes permettant de conseiller utilement les acheteurs.

Ils soutiennent que la CRCAM n'a pas rempli ses obligations à l'égard des acheteurs en accordant et poursuivant un soutien abusif tout en étant particulièrement consciente de la situation obérée des époux R., qu'en l'espèce les trois conditions non cumulatives requises par l'article L. 650-1 du code de commerce sont remplies, à savoir :

- une fraude au sens large puisque la banque a poursuivi ses engagements ruineux pour l'entreprise alors que la situation était irrémédiablement compromise depuis très longtemps, voire a envisagé des solutions totalement frauduleuses, la banque continuant à apporter un concours permettant finalement de poursuivre une activité déficitaire sans perspective proche de redressement et contribuant ainsi à l'aggravation du passif, notamment au moyen d'une autorisation de découvert excessive de l'ordre de 60 000 €, et ce dans le seul but de protéger son intérêt propre et non de soutenir sainement l'activité de l'entreprise,

- une immixtion caractérisée, la banque allant même jusqu'à participer activement à la conciliation pour ne pas ensuite la respecter,

- des garanties disproportionnées.

Me Dominique G., ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de M. Stéphane R., conclut à ce qu'il lui soit donné acte, ès qualités, de ce qu'il s'en remet à justice sur les mérites de l'appel et demande à la cour de statuer ce que de droit quant aux dépens.

La CRCAM. Pyrénées Gascogne demande à la cour aux termes de ses dernières écritures de :

- dire et juger l'appel de Monsieur et Madame R. irrecevables,

- sinon dire et juger M. R. dessaisi, irrecevable en ses demandes,

- dire et juger Madame R. irrecevable en les siennes,

- sinon dire et juger M. R. comme Mme R. mal fondés en l'ensemble de leurs prétentions, demande, fins et conclusions,

- les en débouter,

- débouter de même Maître G. ès qualité de liquidateur de M. R. de toutes prétentions qui pourraient éventuellement être formulées à l'encontre de la CRCAM,

- confirmer à tout le moins le jugement déféré,

- condamner en outre solidairement les parties adverses qui succomberont à payer à la concluante une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

- les condamner solidairement aux dépens.

La CRCAM expose que le retrait des deux étoiles a marqué le point de départ des difficultés de l'entreprise puisque les premiers retards de paiement dans les crédits octroyés ont été constatés dès le mois de juin 2003, qu'à la fin de l'année 2003 elle a décidé d'attendre la fin de la saison 2004 pour valider de nouvelles capacités de remboursement compte tenu de ces nouveaux éléments, que la situation comptable en novembre 2004 a démontré que le chiffre d'affaires n'était pas au rendez-vous, avec une rentabilité faible en raison d'une gestion peu appropriée à la nouvelle situation du restaurant (perte des 2 étoiles) qu'en mars 2005 le restaurant a obtenu une étoile au guide Michelin, que l'exercice comptable clôturé en 2005 a enregistré une bonne progression du CA sur les derniers mois en relation directe avec cet événement, que cependant le CA est resté insuffisant pour faire face à l'endettement initial et qu'une restructuration est apparue nécessaire,

que légitimement elle a demandé que ces propositions de restructuration soient avalisées par la juridiction consulaire dans le cadre d'une procédure de conciliation, laquelle a été ouverte par ordonnance du 21 juillet 2006.

La banque fait valoir que la procédure de conciliation est restée plusieurs mois au point mort, que constatant qu'il n'existait pas d'issue immédiate à la question du réaménagement de la dette des époux R., elle a dénoncé le concours en compte courant jusque-là implicitement accordé, que cette dénonciation est cependant restée conditionnelle puisqu'elle précisait qu'elle était disposée à suspendre ses effets si la procédure de conciliation devait aboutir à un accord, que le 12 octobre 2006 une rencontre était organisée entre le Crédit Agricole et M. R.,

celui-ci ayant fait part à la banque de sa volonté de poursuivre l'exploitation de son restaurant et d'obtenir une seconde étoile, qu'un courrier de la banque du 26 octobre 2006 consigne les éléments abordés au cours de cette rencontre, qu'en novembre 2006 un nouvel entretien a eu lieu en présence de l'étude de Me L., que le 6 décembre 2006 le Crédit Agricole étant toujours dans l'attente de la communication des éléments comptables (prévisionnels...) a indiqué à Me L. qu'en l'état du dossier il ne pouvait donner une suite favorable à la demande de financement supplémentaire de M. R. à hauteur de 40 K€, qu'il est apparu que seule une prorogation de la mission du conciliateur qui prenait fin au 27 novembre 2006 permettrait de trouver un accord dans le but d'assurer la pérennité de l'activité, que c'est dans ces conditions que le 27 décembre 2006 un protocole d'accord a été signé entre le crédit agricole et les époux R. afin de permettre la restructuration et la viabilité de leur entreprise, lequel a été constaté par le président du tribunal de commerce le 30 janvier 2007 et est devenu exécutoire.

La CRCAM soutient que :

- les époux R. n'ont pas qualité pour se prévaloir d'un prétendu soutien abusif ni pour formuler des demandes de ce chef, lesquels sont irrecevables puisque seul le liquidateur pourrait être recevable à formuler de telles prétentions et en tout état de cause les époux R. ne rapportent pas la preuve d'une faute de la banque, d'un préjudice et d'un lien causal certain et direct entre la faute alléguée et le préjudice prétendu, au regard des cas limitatifs retenus par la jurisprudence permettant d'engager la responsabilité de la banque à savoir :

- soutien artificiel à une entreprise dont la banque connaissait la situation irrémédiablement compromise,

- retrait abusif de crédit en violation des dispositions de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier,

- violation du devoir de mise en garde et de l'obligation de conseil à l'égard de l'emprunteur non averti.,

- la dénonciation du découvert bancaire ne peut être considérée comme abusive dès lors que la législation prévue par le code monétaire et financier a été respectée sur la forme et sur le fond, que cette dénonciation est la conséquence directe de la conjonction de faits objectifs totalement extérieurs à la banque, savoir le refus de valorisation du fonds par le commissaire aux apports et les mauvais résultats comptables qui ont été transmis tardivement à la banque par son client,

- les époux R. reconnaissent dans leurs écritures que la situation dont ils se plaignent est de leur fait et à tout le moins extérieure à la banque puisque consécutive à la perte des étoiles du restaurant, à la nécessité d'effectuer de nombreux travaux et au non-respect par les vendeurs de leurs engagements,

- l'étendue de l'obligation du conseil de la banque est appréciée selon que l'emprunteur est ou non averti, en l'occurrence il s'agit bien d'un professionnel de la restauration averti puisqu'il avait exploité auparavant un restaurant de 1990 à 2001 à Alençon,

- la banque n'a aucune responsabilité dans le fait que la procédure de conciliation n'a pas eu de suite, les époux R. ayant été peu diligents pour transmettre les éléments nécessaires à l'examen de leurs propositions (documents comptables, prévisionnels...) au surplus sans l'intervention du crédit agricole aucun accord n'aurait été homologué puisque c'est la banque qui a sollicité la prorogation de la mission du conciliateur sans quoi la procédure aboutissait à un échec et enfin l'absence de la mise en oeuvre de l'accord homologué ne peut être opposée ni imputée à la banque.

MOTIVATION DE LA DECISION

I- Sur la recevabilité de la demande des époux R..

L'article L. 641-9 du code de commerce issu de la loi du 26 juillet 2005 dispose que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens... les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Il convient de relever que les époux R. ont assigné la CRCAM par devant le tribunal de commerce de Bayonne suivant assignation en date du 25 avril 2008, qu'en cours de procédure devant le tribunal de commerce M. Stéphane R. a été mis en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bayonne du 19 mai 2008 qui a désigné Me G. en qualité de liquidateur, que ce dernier est intervenu volontairement à la procédure devant le tribunal de commerce afin de prendre à son compte l'ensemble de la procédure diligentée aux termes de l'assignation du 25 avril 2008.

Si la procédure a pu être régularisée devant le tribunal de commerce dans la mesure où l'assignation avait été délivrée antérieurement à la liquidation judiciaire de M.Stéphane R., il n'en est pas de même en cause d'appel dans la mesure où M. R. a relevé seul appel le 17 mai 2010 du jugement du 12 avril 2010 alors qu'il était dessaisi par l'effet du jugement de liquidation judiciaire et que l'appel par le débiteur seul est irrecevable, la règle du dessaisissement étant impérative et d'ordre public.

En l'espèce Me Dominique G. intervient en cause d'appel ès qualités de liquidateur de M. Stéphane R. pour demander à la cour qu'il lui soit donné acte de ce qu'il s'en remet à justice sur le mérite de l'appel formé par les époux R., alors qu'en première instance Me G. avait conclu à ce qu'il lui soit donné acte de son intervention volontaire afin de prendre à son compte l'ensemble de la procédure diligentée aux termes de l'assignation en date du 25 avril 2008 à l'encontre de la CRCAM Pyrénées Gascogne et avait repris les développements des conclusions des époux R. tendant à voir juger que la banque avait octroyé un crédit abusif consistant d'un soutien abusif de l'entreprise.

En conséquence il ne peut être considéré que le liquidateur s'est associé à l'exercice de la voie de recours formée par M. Stéphane R. seul et l'appel de M. Stéphane R. doit être déclaré irrecevable.

Par contre l'appel formé par Mme Catherine R. qui n'est pas concernée par la procédure de liquidation judiciaire et qui dispose de sa pleine et entière capacité pour interjeter appel du jugement entrepris sera déclaré recevable.

II- Sur le soutien abusif de la banque.

Mme R. invoque les dispositions de l'article L. 650-1 du code de commerce issu de la loi du 26 juillet 2005 applicable aux procédures ouvertes après le 1er janvier 2006 qui dispose que les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

Il est acquis au vu de l'acte de cession du fonds de commerce de restaurant dénommé L'AUBERGE LA GALUPE à Urt en date du 26 mars 2002, auquel la CRCAM Pyrénées Gascogne est intervenue en qualité de prêteur de deniers pour la somme de 304 898 €, que ledit fonds a été acquis sur la base d'un prix de 381 122,54 € établi à partir des trois bilans précédant la cession soit du 1er mars 1998 au 28 février 2001, lesquels faisaient apparaître que le fonds était bénéficiaire puisque le chiffre d'affaires moyen des trois dernières années était de 853 365 € en progression constante chaque année et que les bénéfices correspondant étaient respectivement de 115 600 €, 110 150 € et 139 174 € soit une moyenne annuelle de 121 641 €.

En premier lieu l'appelante fait elle-même état des difficultés rencontrées très rapidement et des revers subis dans le cadre de l'exploitation promise, notamment la perte des étoiles du restaurant, la nécessité de réaliser des investissements importants pour effectuer des travaux au sein de l'entreprise et l'absence de respect par les vendeurs des engagements pris et explicités en pages 4 et 5 de l'acte de vente du fonds de commerce, avec de surcroît la création par l'ancien chef et ancien propriétaire d'un nouvel établissement avec un autre grand chef réputé à proximité bien qu'à l'extérieur des limites de la clause de non-concurrence, entraînant une partie de la clientèle fortunée, tous éléments totalement étrangers à la banque.

Comme l'a relevé à juste titre le tribunal de commerce, il n'y a aucun lien de causalité qui puisse être établi entre la procédure collective subie par l'exploitant et les prêts accordés par le crédit agricole pour l'acquisition du fonds à partir des résultats connus de l'exploitation et reproduits dans l'acte de cession du fonds de commerce, le jugement retenant que M. R. a récupéré en 2005 une étoile au guide Michelin et que même si l'augmentation du chiffre d'affaires a été immédiatement sensible, les résultats n'ont pas été à la hauteur de l'espérance des exploitants et surtout n'ont pas permis de satisfaire au remboursement des emprunts tels qu'il s'y étaient engagés, que pendant ce délai il n'est établi aucune intervention financière du crédit agricole en dehors d'une autorisation de découvert estimée normale dans cette situation déficitaire, et il convient de retenir que la perte significative du chiffre d'affaires de l'exploitation est de la seule responsabilité des exploitants.

Lorsqu'une restructuration est apparue nécessaire eu égard à l'insuffisance du chiffre d'affaires pour faire face à l'endettement initial et ce malgré la progression du chiffre d'affaires sur l'exercice comptable clôturé en 2005 en raison de l'obtention d'une étoile au guide Michelin en mars 2005, le crédit agricole a proposé aux époux R. par lettre du 7 juillet 2006 la mise en oeuvre de la procédure de conciliation prévue par l'article L. 611-4 du code de commerce, qui a donné lieu à une ordonnance du président du tribunal de commerce de Bayonne du 21 juillet 2006, nommant Me L. en qualité de conciliateur, dans laquelle il est fait état du fait que le crédit agricole s'est déclaré disposé à envisager une restructuration des prêts professionnels et privés actuels et à consentir un nouveau prêt de 12 000 € pour financer divers travaux et également une ouverture de crédit en compte courant dont le montant sera déterminé en fonction des besoins de trésorerie, les dettes sociales et fiscales étant à jour et l'entreprise n'étant pas en état de cessation des paiements.

Il est important de relever qu'à cette époque le crédit agricole, constatant qu'il n'existait pas d'issue immédiate à la question du réaménagement de la dette des époux R., a dénoncé par lettre du 10 octobre 2006 le concours en compte courant, les mouvements du compte faisant apparaître que le niveau du chiffre d'affaires ne correspondait pas à ce qui avait été annoncé, que cette dénonciation visait à limiter le solde débiteur du compte à - 34 500 €, somme correspondant à l'utilisation moyenne maximum observée durant les derniers mois, que toutefois la banque était disposée à suspendre les effets de la dénonciation si la procédure de conciliation devait aboutir à un accord.

Il est également important de préciser que par lettre du 30 novembre 2006 le crédit agricole se montrait surpris de ne pas avoir reçu de propositions concrètes de la part des époux R. de nature à démontrer leur volonté de développer le chiffre d'affaires notamment durant la période hivernale, rappelant que la banque les avait accompagnés pour conquérir leur première étoile mais que malheureusement le CA n'était pas au rendez-vous, les mettant en garde sur l'existence d'un passif supplémentaire d'environ 39 000 € à régler et sur la difficulté de trouver une solution de restructuration des dettes bancaires sans un développement certain de l'activité, réitérant enfin sa demande de communication sous huitaine des prévisions comptables concrètes pour les 4 mois à venir jusqu'en mars 2007 de manière à connaître les mesures prises notamment pour le développement du CA et indiquant que ce n'est qu'au vu des résultats pendant la saison creuse que pourrait s'envisager une restructuration des dettes sur une longue période (supérieure à 10 ans).

Il est constant qu'un protocole d'accord a finalement été établi le 27 décembre 2006 et soumis au président du tribunal de commerce, aux termes duquel notamment le crédit agricole rachetait l'immeuble à usage privatif et commercial au prix de 500 k€ afin de solder les deux prêts ayant permis leur acquisition par les époux R. et leur consentait un bail de l'ordre de 6 % l'an de la valeur des biens, le fonds de commerce devant être apporté à une société à constituer avec une dévaluation d'au moins 100 k€ par rapport à sa valeur d'aujourd'hui, avec une période probatoire de trois mois du 1er janvier au 31 mars 2007 pendant laquelle le restaurant devra avoir réalisé un chiffre d'affaires de 85 k€.

Il est également constant qu'en raison de problèmes de santé de Mme R. et d'un dégât des eaux ayant entraîné une fermeture de l'établissement pendant trois semaines la période probatoire a été repoussée au 30 avril 2007, qu'à cette date le chiffre d'affaires n'était pas tout à fait à la hauteur des prescriptions de l'accord (73,7 k€ au lieu de 85 k€) que toutefois le crédit agricole a décidé de ne pas remettre en cause les engagements protocolaires, que Me M., notaire à Pau, était chargé de la rédaction des actes, que toutefois le 26 décembre 2007 le projet de statuts de la SARL a fait apparaître une valorisation du fond beaucoup trop importante au vu des prescriptions protocolaires (dépréciation prévue d'au moins 100 k€) en raison du refus du Commissaire aux apports de valoriser le fonds de commerce, qu'au surplus les documents comptables au 31 août 2007 ont fait ressortir une situation financière préoccupante avec une diminution du chiffre d'affaires de 16 % par rapport à 2006, que c'est dans ces conditions que la banque a procédé par lettre du 17 avril 2008 à la dénonciation des concours jusqu'alors accordés.

C'est à bon droit que le jugement a relevé qu'à l'appui de la demande de conciliation les époux R. avaient indiqué que leur entreprise n'était pas en état de cessation des paiements, que l'on ne pouvait reprocher au crédit agricole d'avoir proposé la reprise de l'immeuble, sous condition d'un retour à meilleure fortune, cette solution permettant aux repreneurs de diminuer leur endettement, qu'il ne peut non plus être reproché à la banque d'avoir soutenu financièrement l'exploitant par l'octroi d'un découvert pendant la période à laquelle les parties ont souhaité concilier, et en a déduit à juste titre que le crédit agricole a parfaitement adhéré à l'idée de concilier et n'a dénoncé ses concours qu'après avoir eu connaissance du refus du Commissaire aux apports de valoriser le fonds de commerce au vu des derniers résultats financiers.

Il appert des éléments ci-dessus analysés que l'ouverture de la procédure collective n'a été retardée pour partie que par les négociations qui ont duré plus que prévu en raison du retard apporté par les exploitants à la communication de certains documents (prévisionnels..) indispensables à l'étude par la banque avant toute participation de sa part, étant précisé que le crédit agricole est de loin le créancier le plus important des époux R..

Mme R. ne fait nullement la preuve de l'existence d'une fraude de la part de la banque qui aurait selon elle poursuivi ses engagements ruineux pour l'entreprise alors que la situation était irrémédiablement compromise depuis très longtemps et aurait même envisagé des solutions totalement frauduleuses, ni d'une immixtion caractérisée de la part du Crédit Agricole, pas plus que de garanties disproportionnées.

En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que la preuve n'est pas rapportée par l'appelante d'un soutien abusif de la part du crédit agricole dès lors qu'il n'est pas démontré que la banque au jour de l'ouverture des crédits consentis aux repreneurs du restaurant LA GALUPE, mis par la suite en redressement judiciaire, pouvait prévoir l'aggravation de la situation financière des exploitants et que l'octroi des prêts y ait contribué substantiellement.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la CRCAM les frais qu'elle a dû exposer en cause d'appel et il ne sera pas fait application devant la cour des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les époux R. qui succombent seront condamnés aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déclare irrecevable l'appel formé par M. Stéphane R. seul

Déclare recevable l'appel formé par Mme Catherine R..

Donne acte à Maître Dominique G., ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de M. Stéphane R., de ce qu'il s'en remet à justice sur les mérites de l'appel.

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Bayonne en date du 12 avril 2010.

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Condamne les époux R. aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés par la SCP L. L.-D. M. et Maître V., avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.