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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 8 novembre 2011, n° 10/05697

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

GSD Gestion (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hoffbeck

Conseillers :

M. Cuenot, M. Allard

TGI Strasbourg, du 6 sept. 2010

6 septembre 2010

Madame W. a été contactée à la fin de l'année 1997 par la SA GSD GESTION, société de gestion de portefeuille agréée.

Un contrat de travail à temps partiel (30 heures par semaine) a été conclu le 2 janvier 1998 entre les parties, Madame W. étant chargée d'exercer des fonctions de gérante de portefeuille (salariée) et d'assurer le suivi et la gestion de son propre portefeuille.

Le salaire était fixé à 26.000 Francs brut par mois, payable sur 13 mois.

Le 24 octobre 1998, un contrat d'apport de clientèle a été conclu entre la SA GSD GESTION et une EURL Ethique et Performance, dont Madame W. était seule associée et gérante, la première concédant à la seconde un mandat non exclusif de recherche et d'apport de clientèle.

En contrepartie, la Société Ethique et Performance devait percevoir une rémunération correspondant à '80% du chiffre d'affaires généré par la clientèle apportée' et garantissait à la SA GSD GESTION, pendant toute la durée du contrat, 'le montant du salaire et des charges sociales de l'emploi de Madame Edith W.'.

Ce type de montage mis en oeuvre par la SA GSD GESTION, et dont celle-ci était coutumière, devait être sanctionné le 16 mars 2004 par l'Autorité des Marchés Financiers, laquelle retenait en particulier :

- que le dirigeant de cette société avait « permis à des personnes extérieures à la société GSD GESTION , ayant la qualité apparente de « gérant salarié », d'exercer, sous le couvert de la société GSD GESTION, une activité de gestion des portefeuilles qu'ils apportaient » ;

- « que les gérants n'étaient employés qu'à temps partiel, la durée de travail imposée par leur contrat n'étant comprise qu'entre 21 et 30 heures hebdomadaires, et ne percevaient de GSD qu'un salaire en relation avec la durée de cette activité, l'autorité de l'employeur ne s'exerçant que dans ce cadre ; que, parallèlement, des contrats d'apport de clientèle étaient conclus, comportant une clause selon laquelle les sociétés créées à cet effet par les gérants s'engageaient à prendre en charge sous forme d'honoraires versés par elles à GSD GESTION le montant du salaire et des charges sociales desdits gérants, tandis qu'elles tiraient leur propre rémunération d'un partage des commissions de mouvement... » ;

- que ce faisant, le dirigeant de la société « mettait GSD GESTION, seule à bénéficier de l'agrément de la COB en qualité de société de gestion de portefeuille, à disposition de ces sociétés, permettant à des gérants de portefeuille employés de GSD d'exercer, de manière autonome et en dehors de tout contrôle, une activité propre de gestion de portefeuille pour laquelle ils ne possédaient pas l'agrément requis ».

Auparavant, au mois d'avril 1999, un litige était né entre Madame W. et la SA GSD GESTION, aboutissant à un licenciement de la salariée pour faute lourde en date du 24 septembre 1999.

Par un arrêt du 9 avril 2002, la Chambre sociale de la Cour d'appel de Paris a confirmé le bienfondé de ce licenciement.

La rupture du contrat de travail de Madame W. a également entraîné la cessation des relations de mandat avec la Société Ethique et Performance dès le 27 septembre 1999.

La Société Ethique et Performance a alors fait assigner la SA GSD GESTION en paiement des commissions dues au titre de l'exercice 1999.

La SA GSD GESTION, invoquant la nullité du contrat du 24 octobre 1998, s'est opposée à ces prétentions et a réclamé reconventionnellement la restitution des montants réglés à la Société Ethique et Performance en exécution du contrat annulé.

Par jugement du 11 février 2005, le Tribunal de Commerce de Paris a rejeté l'argumentation présentée en défense par la SA GSD GESTION et a condamné celle-ci au paiement des commissions restant dues à la Société Ethique et Performance.

Par arrêt du 18 mai 2007, la Cour d'appel de Paris a cependant infirmé ce jugement et a déclaré nul le contrat d'apport de clientèle du 24 octobre 1998, motif pris que cette convention avait été conclue pour permettre à la Société Ethique et Performance d'exercer une activité de gestion de portefeuille sans les agréments requis. En conséquence, elle a condamné la Société Ethique et Performance à rembourser à la SA GSD GESTION la somme de 221.642 Euros, dont elle avait bénéficié en exécution du contrat annulé.

Un pourvoi en cassation formé contre cet arrêt a été rejeté le 4 novembre 2008 par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation, laquelle a estimé que c'était à bon droit que la Cour de Paris avait prononcé la nullité du contrat en raison du caractère illicite de son objet.

La SA GSD GESTION s'est alors retournée contre la Société Ethique et Performance pour obtenir le paiement des montants dus en exécution de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris.

La Société Ethique et Performance, ne disposant pas des fonds nécessaires, a saisi la Chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg qui a prononcé sa mise en liquidation judiciaire par jugement du 10 décembre 2007.

Maître C. a été désigné en qualité de mandataire liquidateur.

Par acte du 12 février 2009, la SA GSD GESTION, agissant en qualité de contrôleur de la procédure collective ouverte au profit de la Société Ethique et Performance, a fait assigner Madame W. aux fins d'extension de la procédure de liquidation judiciaire en raison de la confusion des patrimoines.

Madame W. a préalablement soulevé l'irrecevabilité de cette demande, en faisant essentiellement valoir que le droit du contrôleur d'agir à la place du liquidateur, seul titulaire de ce droit, n'existait qu'en cas de carence du mandataire judiciaire, ce qui n'était pas le cas en l'occurrence.

Par jugement du 6 septembre 2010, la Chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg a suivi l'argumentation de la défenderesse et déclaré en conséquence irrecevable la demande formée par la SA GSD GESTION. Elle a mis en outre à la charge de la SA GSD GESTION le paiement d'une somme de 3000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Selon une déclaration enregistrée au greffe le 22 octobre 2010, la SA GSD GESTION a interjeté appel de cette décision.

Par ses dernières conclusions déposées le 20 juin 2011 au visa des articles L.622-20 et R.622-18, L. 621-10 et L. 621-2 du Code de Commerce, elle demande à la Cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

- constater que le liquidateur judiciaire a refusé d'introduire une action en extension de la liquidation judiciaire sans rechercher si les conditions de fond de l'extension étaient réunies ;

- dire et juger que le mandataire judiciaire, qui refuse ainsi d'introduire une action en extension de la procédure de liquidation judiciaire, faute de disposer d'actif suffisant, ne peut être considéré comme ayant agi, au regard des dispositions des articles L. 622-20 et R. 622-18 du Code de Commerce emportant irrecevabilité de la demande du contrôleur ;

- dire et juger en conséquence recevable l'action introduite par la SA GSD GESTION, en qualité de contrôleur de la liquidation judiciaire de la Société Ethique et Performance, aux fins d'extension de ladite procédure à Madame W., gérante et associée unique de la Société Ethique et Performance ;

- constater que les ressources de la Société Ethique et Performance étaient constituées par le montant des rétrocessions des commissions versées par la SA GSD GESTION après imputation du montant des salaires et charges salariales afférents au contrat de Madame W., et qu'il s'agissait alors de salaires déguisés en honoraires ;

- constater que les seules ressources de la Société Ethique et Performance étaient constituées par des versements ainsi amputés émanant de la SA GSD GESTION ;

- constater que la concomitance absolue entre l'exécution du contrat de travail de Madame W. et celle du contrat d'apport de clientèle, ainsi que l'unité délibérée des activités de gestionnaire salarié de Madame W. chez GDS et de gérante de la personne morale ;

- dire et juger en conséquence que les conditions de confusion des patrimoines de la Société Ethique et Performance et de Madame W., ainsi que la fictivité de la Société Ethique et Performance, sont réunies ;

- ordonner l'extension de la procédure de liquidation judiciaire de la Société Ethique et Performance à sa gérante et associée unique, Madame W. ;

- dire et juger en conséquence que Madame W., gérante, supportera à titre personnel l'ensemble du passif de la Société Ethique et Performance ;

- condamner Madame W. aux entiers frais et dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 10.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Par ses dernières conclusions déposées le 1er août 2011, Madame W. demande à la Cour de :

- dire et juger SA GSD GESTION, déclarant agir en qualité de contrôleur de la procédure de liquidation judiciaire de la Société Ethique et Performance, irrecevable en son action en raison :

- de l'interdiction pour un créancier d'exercer l'action en extension ;

- de l'absence de 'carence' du mandataire liquidateur sur la demande formulée par la SA GSD GESTION d'ouvrir une procédure en extension ;

-  de l'absence de pouvoir du contrôleur en vue de l'extension ;

En tout état de cause,

- dire et juger l'action exercée mal fondée ;

- dire et juger que la Société Ethique et Performance est une société réelle et non fictive, ayant été régulièrement constituée et ayant fonctionné régulièrement ;

- dire et juger que n'existe aucune confusion de patrimoine entre celui de la Société Ethique et Performance et celui de Madame W. ;

- constater qu'aucun exemple de confusion de patrimoine n'est apporté ;

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris ;

- condamner la SA GSD GESTION au paiement de la somme de 10.000 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux frais et dépens.

SUR CE, LA COUR

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits et moyens ;

Attendu qu'aux termes des articles L. 622-20 et R. 622-18 du Code de Commerce, si en principe le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, un créancier nommé contrôleur peut toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, agir dans cet intérêt ; que cette action par défaut n'est cependant recevable qu'après une mise en demeure adressée au mandataire judiciaire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception restée infructueuse pendant deux mois à compter de la réception de celle-ci ;

Attendu en l'occurrence que Maître C. a été désigné en qualité de mandataire liquidateur de la Société Ethique et Performance ;

Attendu que la SA GSD GESTION, créancier principal dans la liquidation judiciaire de la Société Ethique et Performance, a elle-même été désignée contrôleur par ordonnance du juge-commissaire du 1er juillet 2008 ;

Attendu qu'il ressort des pièces versées aux débats que, conformément aux dispositions susvisées, la SA GSD GESTION, en sa qualité de contrôleur de la procédure de liquidation judiciaire de la Société Ethique et Performance, a mis en demeure Maître C. ès qualités par un courrier du 11 août 2008 « de bien vouloir saisir le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg sur le fondement cumulé ou alternatif des articles L. 621-2 et L. 651-2 du Code de Commerce », lui faisant savoir qu'à défaut elle se verrait contrainte de le faire ;

Attendu que, par courrier du 15 septembre 2008, le mandataire liquidateur a répondu à la SA GSD GESTION en ces termes :

« Je fais suite à votre mise en demeure en application de l'article L. 622-20 et/ou L. 651-3 du Code de Commerce.

Je vous informe qu'en l'absence de tout actif, je ne suis pas en mesure de saisir le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg de la demande que vous souhaitez voir soumise à la juridiction » ;

Attendu qu'il ressort de ce courrier en réponse, parvenu à la SA GSD GESTION avant l'expiration du délai de deux mois prévus à l'article R. 622-18 du Code de Commerce, que Maître C. ès qualités a pris clairement position sur la demande formée par le créancier nommé contrôleur, en indiquant qu'il n'engagerait pas l'action en extension ;

Attendu que la mise en demeure adressée par le créancier nommé contrôleur à Maître C. ès qualités n'est donc pas restée infructueuse, puisqu'elle a reçu une réponse explicite dans le délai prévu par le texte, peu important les raisons invoquées par le mandataire judiciaire ;

Attendu qu'il n'y a pas davantage carence de la part du mandataire liquidateur ;

Attendu en tout état de cause qu'il ne saurait être tiré quelque conséquence de ce que Maître C. invoquait l'absence d'actif dans sa lettre en réponse, sachant que, s'il avait vraiment été persuadé de l'opportunité d'engager l'action en extension souhaitée par

la SA GSD GESTION, il eût été en mesure de solliciter une avance du Trésor Public sur ordonnance motivée du juge-commissaire ou du président du tribunal en application de l'article L. 663-1 du Code de Commerce ;

Attendu qu'il en résulte que l'action par défaut ouverte au créancier nommé contrôleur est effectivement irrecevable ;

Attendu ainsi que, sans qu'il soit nécessaire d'analyser le bienfondé de la demande, il convient de rejeter l'appel et de confirmer le jugement entrepris ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à Madame W. la charge de ses frais d'appel relevant de l'article 700 du Code de Procédure Civile à hauteur d'une somme complémentaire de 1500 Euros ;

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

REÇOIT l'appel, régulier en la forme ;

Le DÉCLARE cependant non fondé et CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

CONDAMNE la SA GSD GESTION à payer à Madame W. une somme complémentaire de 1500 Euros ( mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

La CONDAMNE aux dépens d'appel.