Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-18.113
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 27 janvier 2012), que la société Jema et la société Sintex, ayant pour actionnaire principal la société Jema, qui exploitaient des magasins de vêtements, ont bénéficié du concours de la banque Rhône-Alpes (la banque) ; qu'après avoir dénoncé, le 9 janvier 2004, les conventions de comptes courants souscrites aux noms de Jema SAS, X et Karen avec un préavis de soixante jours, la banque a, le 30 janvier 2004, rejeté des traites et chèques tirés sur ces comptes ; qu'elle a également rejeté un chèque émis par la société Sintex ; que les sociétés Jema et Sintex ont été mises en redressement judiciaire, respectivement les 4 et 11 février 2004 puis ont bénéficié chacune d'un plan de redressement par continuation, M. Y étant désigné commissaire à l'exécution ; que les sociétés Sintex et Jema, M. X, actionnaire principal, et Mme X, salariée et associée, ont assigné la banque en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale des concours consentis, tandis que M. X a demandé réparation pour les fautes commises par la banque directement à son encontre ; que M. Y est intervenu volontairement à l'instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés Jema et Sintex font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes en dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°) qu'un concours à durée indéterminée consenti à une entreprise par un établissement de crédit ne peut être interrompu que sur notification écrite et préalable, sous peine de nullité de la rupture et de responsabilité de l'établissement de crédit ; qu'en s'abstenant de vérifier, comme ils y étaient invités, si la rupture de l'ouverture de crédit consentie à la société Sintex avait préalablement fait l'objet d'une notification à cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
2°) qu'une banque ne peut refuser le paiement d'un chèque pour défaut de provision qu'après avoir informé le titulaire du compte des chèques concernés et de son obligation de reconstituer une provision suffisante ; qu'en s'abstenant de vérifier si la banque Rhône-Alpes avait, avant de refuser son paiement, averti les sociétés Jema et Sintex des chèques litigieux et de leur obligation de reconstituer une provision suffisante, quand ces deux sociétés reprochaient à la banque de ne pas les avoir préalablement avisées de ce rejet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-73 du code monétaire et financier ;
3°) que, s'agissant d'apprécier le lien de causalité entre les fautes reprochées à la banque Rhône-Alpes et le préjudice subi par les sociétés Jema et Sintex, l'arrêt attaqué se borne à relever que le rapport de l'administrateur judiciaire ne mentionnait la circonstance d'une rupture abusive de l'ouverture de crédit que comme une cause possible parmi d'autres de la cessation des paiements, et que lui-même, comme le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan, n'avait pas pris l'initiative d'agir en réparation contre la banque Rhône-Alpes ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les fautes reprochées à cette banque étaient à l'origine de la cessation des paiements et du préjudice consécutif des sociétés Jema et Sintex, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
4°) qu'en admettant même qu'elle se soit appropriée les motifs des premiers juges selon lesquels le préjudice des sociétés Jema et Sintex ne serait pas établi en tant que celles-ci étaient déjà en état de cessation des paiements lors de la rupture du crédit consenti et du rejet des chèques tirés sur la banque, qu'en se prononçant de la sorte sans vérifier que l'actif disponible de ces sociétés ne leur permettait pas de faire face au passif exigible à cette date, les sociétés Jema et Sintex faisant au contraire valoir que la tendance de leur encours à l'époque de la rupture était à une réduction très sensible, la cour d'appel a une nouvelle fois privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la banque a rejeté un chèque de 4 000 euros quand le découvert s'établissait la veille à 29 200 euros, l'arrêt retient que la société Sintex avait elle-même indiqué que le plafond autorisé était de 30 000 euros ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, desquelles il résultait que le rejet des chèques était justifié par le dépassement du montant du concours consenti, et non par son interruption, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions que les sociétés Jema et Sintex ont soutenu que l'absence d'avis, avant le rejet des chèques, était à l'origine du préjudice invoqué, ayant fondé leur demande en indemnisation exclusivement sur la rupture abusive de crédit ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Attendu, en dernier lieu, que la cour d'appel ayant retenu que les sociétés Jema et Sintex ne démontraient pas que la banque avait commis une faute, les griefs des troisième et quatrième branches sont inopérants ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen, après avertissement délivré aux parties :
Attendu que M. et Mme X font grief à l'arrêt d'avoir déclaré leurs demandes irrecevables, alors, selon le moyen :
1°) que le juge est tenu de respecter en toute circonstance le principe du contradictoire ; que le moyen pris de l'irrecevabilité de la demande par application des articles L. 622-20 et L. 626-25 du code de commerce n'a pas été débattu par les parties, la banque Rhône-Alpes s'étant bornée à arguer que le préjudice né de la perte des sommes versées en compte courant était commune à tous les créanciers, sans viser les autres chefs de préjudice ni en tirer aucune conséquence quant à la recevabilité de la demande ; qu'en omettant d'inviter les parties à présenter leurs observations sur un moyen qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) qu'au titre de l'article 191 de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 relative à la sauvegarde des entreprises, les dispositions de la loi nouvelle ne sont pas applicables aux procédures en cours lors de son entrée en vigueur ; que les articles L. 622-20 et L. 626-25 nouveaux du code de commerce ne figurent pas parmi les dispositions immédiatement applicables par exception à la règle de droit transitoire qui précède ; qu'en se fondant néanmoins sur les articles L. 622-20 et L. 626-25 nouveaux du code de commerce pour déclarer irrecevable l'action personnelle en réparation de M. et Mme X contre la banque Rhône-Alpes, quand la procédure collective en cause, ouverte les 4 et 11 février 2004, était déjà en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, la cour d'appel a violé les articles L. 622-20 et L. 626-25 nouveaux du code de commerce par fausse application, et l'article 191 de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 par refus d'application ;
3°) qu'en tout cas, est recevable l'action individuelle introduite par le créancier d'une société en redressement judiciaire en vue d'obtenir réparation par un tiers d'un préjudice distinct de celui subi par les autres créanciers de la procédure collective ; qu'en l'espèce, M. et Mme X faisaient valoir que les fautes de la banque Rhône-Alpes les avaient privés, non seulement de leurs dividendes et des sommes versées sur leur compte courant d'associé, mais encore d'une partie de leur salaire de dirigeants ; que le préjudice résultant d'une perte de salaire est un préjudice propre à la personne du salarié ; qu'en déclarant cette demande irrecevable pour le tout au motif que M. et Mme X ne démontraient pas en quoi ces préjudices étaient distincts de ceux des autres créanciers à la procédure, la cour d'appel a violé l'article L. 621-39 ancien du code de commerce dans sa rédaction alors applicable, ensemble l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la banque ayant soulevé l'irrecevabilité des demandes de M. et Mme X, faute pour ces derniers de justifier d'un préjudice personnel distinct, la cour d'appel, dès lors que ce moyen était dans le débat, n'avait pas à inviter les parties à présenter leurs observations ;
Attendu, d'autre part, qu'il résulte de l'article L. 621-39 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, applicable en l'espèce, que le représentant des créanciers a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt des créanciers ; que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, l'arrêt se trouve justifié ;
Attendu, enfin, que dès lors qu'aucune faute n'ayant été retenue à l'encontre de la banque, la cour d'appel n'avait pas à rechercher si le préjudice allégué par M. et Mme X au titre d'une perte de salaire était personnel et distinct de celui des autres créanciers ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, ne peut être accueilli pour le surplus ;
Et attendu que le troisième moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.