CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 octobre 2021, n° 20/04952
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Carrière Piscines Evolution (SARL)
Défendeur :
Carré Bleu International (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 4 février 2020 par le tribunal de commerce de Lyon qui a :
- dit que la société Carrière piscine évolution-CPE a rompu brutalement ses relations commerciales en ne s'approvisionnant plus chez son fournisseur de piscines et matériels périphériques, la société Carré bleu international-CBI et en n'exécutant aucun préavis,
- condamné la société Carrière piscine évolution-CPE à payer à la société Carré bleu international-CBI :
la somme de 53.520 euros, à titre de dommages-intérêts, pour la rupture brutale des relations commerciales,
la somme de 12.544,80 euros, à titre de dommages-intérêts, en compensation des sept mois de préavis dont elle a été frustrée,
la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de dommages-intérêts concernant l'utilisation illicite de la marque Carré bleu,
- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,
- condamné la société Carrière piscine évolution-CPE aux entiers dépens ;
Vu l'appel relevé par la société Carrière piscine évolution-CPE et ses dernières conclusions notifiées le 3 juin 2020 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l’article L. 442-6-I du code de commerce ainsi que des articles 1103, 1190 et 1219 du code civil, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
- dire qu'elle a respecté le préavis contractuel de 8 mois,
- dire que cette durée imposée par la société Carré bleu international-CBI est satisfaisante au regard des circonstances de la cause,
- dire que faute d'un avantage tarifaire lui permettant un fonctionnement normal de son activité, elle était fondée à ne plus respecter, pendant le préavis, l'obligation d'approvisionnement exclusif prévue au contrat,
- en conséquence, débouter la société Carré bleu international-CBI de toutes ses demandes,
- condamner la société Carré bleu international-CBI à lui payer la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 31 août 2020 par la société Carré bleu international-CBI qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce, de :
- confirmer le jugement,
- débouter la société Carrière piscine évolution-CPE de toutes ses demandes,
- ajoutant au jugement, condamner la société Carrière piscine évolution-CPE à lui payer en cause d'appel la somme de 7.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens ;
SUR CE LA COUR
La société Carré bleu international-CBI assure la promotion sur le marché de la piscine de la marque Carré bleu dont elle est propriétaire ainsi que la distribution de ses produits et équipement au travers d'un réseau de concessionnaires.
La société Carrière piscine évolution-CPE a été créée en 2003 avec pour objet la construction de piscines et la vente de matériels de piscine ainsi que l'entretien et la maintenance ; le 17 janvier 2007, elle a signé un contrat de concession avec la société Carré bleu international-CBI.
Ce contrat stipulait, notamment :
- qu'il était conclu pour une durée de 3 ans, renouvelable par tacite reconduction pour une durée de 2 ans sauf dénonciation par lettre recommandée avec accusé de réception moyennant un délai de prévenance de 6 mois si la durée du contrat était inférieure à 6 ans et de 8 mois si sa durée était supérieure à 6 ans,
- que le concessionnaire bénéficiait d'une exclusivité territoriale sur une zone incluant le département de la Charente, lui permettant d'y implanter un ou plusieurs points de vente à l'enseigne Carré bleu,
- que le concédant s'obligeait à assurer l'approvisionnement du réseau dans des conditions satisfaisantes, le concessionnaire s'engageant à effectuer ses achats en exclusivité auprès du concédant pour tous les matériels et équipements figurant au catalogue-tarif Carré bleu,
- que le concessionnaire devait s'acquitter chaque année de contributions dédiées pour la promotion de l'enseigne et l'animation du réseau,
- que le concessionnaire bénéficiait de bonifications de fin d'année sous réserve de respecter certaines conditions.
Par lettre recommandée du 22 décembre 2016 avec avis de réception, la société Carrière piscine évolution-CPE a informé la société Carré bleu international-CBI qu'elle avait décidé de quitter le réseau Carré bleu et qu'elle dénonçait le contrat du 17 janvier 2007 dans le respect du délai de prévenance, soit pour la date du 22 août 2017.
La société Carré bleu international-CBI a répondu le 24 janvier 2017 qu'ayant reçu la lettre le 2 janvier 2017, la dénonciation prendrait effet le 2 septembre 2017 ; elle conditionnait son accord en particulier au respect de l'ensemble des engagements contractuels souscrits par le concessionnaire.
Par lettre recommandée du 31 juillet 2017, avec avis de réception, la société Carré bleu international-CBI a reproché à la société Carrière piscine évolution-CPE d'avoir cessé de s'approvisionner auprès d'elle pendant la période de préavis et même dès avant, lui réclamant réparation du préjudice subi.
N'obtenant pas satisfaction, la société Carré bleu international-CBI a assigné la société Carrière piscine évolution-CPE, le 3 avril 2018, devant le tribunal de commerce de Lyon ; par le jugement déféré, le tribunal a estimé que la défenderesse aurait dû respecter un préavis de 15 mois et qu'elle avait cessé tout approvisionnement auprès de la demanderesse pendant le préavis de 8 mois, ce qui le rendait fictif.
1) Sur la rupture des relations commerciales :
La société Carrière piscine évolution-CPE fait valoir en premier lieu :
- que le contrat de concession est un contrat d'adhésion et que c'est la société Carré bleu international-CBI qui a imposé le délai de 8 mois qu'elle-même a accepté,
- que contrairement à ce que prétend la société Carré bleu international-CBI, les relations ne duraient pas depuis 22 ans, le contrat du 1er mars 1995 ayant été signé entre la société Pikit piscines et la snc MC piscine, le contrat signé le 11 octobre 1996 ayant été signé entre la société GIP et M. X en son nom personnel,
- que c'est le contrat du 17 janvier 2007 qui marque le point de départ des relations entre les parties,
- que c'est elle et non la société Carré bleu international-CBI, dont le réseau compte 91 concessionnaires en France, 1 en Suisse et 1 au Portugal, qui se trouve en état de dépendance économique,
- que le délai de 8 mois est suffisant.
La société Carré bleu international-CBI soutient de son côté que les relations commerciales ont duré 22 ans comme ayant débuté le 1er mars 1995 et s'étant poursuivies depuis dans les mêmes conditions ; elle allègue qu'un préavis de 15 mois était nécessaire au regard de l'ancienneté des relations et du temps nécessaire pour retrouver un autre concessionnaire.
Il ressort des pièces versées aux débats :
- que le 1er mars 1995, la société Pikit, titulaire d'une licence en France de la marque Pikit piscines a signé un contrat de concession commerciale avec la société MC piscine (en cours de constitution représentée par M. Y et M. X) lui accordant l'exclusivité de la vente des articles et accessoires de piscines de son catalogue, notamment dans le département de la Charente,
- que le 11 octobre 1996 M. X a signé un contrat d'agent commercial avec la société Pikit piscines qui lui a ainsi conféré mandat de vendre les produits de la marque Pikit piscines, notamment sur le département de la Charente,
- que par la suite M. X a participé au congrès Carré bleu organisé par la société GIP à Marrakech entre le 18 et le 25 novembre 2000,
- que la société Carrière piscine évolution-CPE, dont M. X est le gérant, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Angoulême le 25 septembre 2003, avec pour activité l'installation et la vente de produits et matériels de piscine, étant précisé que le fonds précédemment exploité en location gérance avait été acquis par achat,
- que le 1er mars 2004, un contrat de concession a été régularisé entre la société GIP et la société Carrière piscine évolution-CPE, pour confier à cette dernière l'exclusivité de la vente des articles et accessoires de piscine portés au catalogue Pikit piscine, notamment dans le département de la Charente,
- que dans une lettre d'information Carré bleu d'avril 2004, il est mentionné que M. X a rejoint le groupement dès février 1996 pour développer son activité sur le segment de la piscine en kit avec l'appui du concept et de la marque Pikit.
Il en ressort aussi :
- que la société Pikit a fait l'objet d'une transmission universelle de patrimoine au bénéfice de son actionnaire unique, la société GIP, et que la société GIP a été absorbée par voie de fusion par la société Gifar,
- que la société Gifar, désormais dénommée Carré bleu international-CBI, exerce son activité sous l'enseigne Carré bleu-Pikit-Marque figurative-Poolstar.
En conséquence, les relations commerciales qui se sont nouées en 1995 pour l'exploitation d'une activité de distribution d'articles et accessoires de piscine dans le département de la Charente sous les marques Pikit, puis Carrré bleu, se sont poursuivies depuis 1996 entre, d'une part M. X, agissant à titre personnel, puis avec la société Carrière piscine évolution-CPE dont il est le gérant, d'autre part la société Carré bleu International qui a repris tous les actifs des sociétés Pikit et GIP.
Les relations entre les parties sont certes anciennes, mais un préavis d'une durée de 8 mois se révèle suffisant pour permettre à la société Carré bleu international-CBI, compte tenu de son activité, de se réorganiser et de trouver un autre concessionnaire sur le territoire considéré.
La société Carrière piscine évolution-CPE fait valoir, en second lieu, que la société Carré bleu international-CBI ne satisfaisait pas à son obligation d'assurer l'approvisionnement de son concessionnaire dans des conditions satisfaisantes, les prix pratiqués ne lui permettant pas d'être mieux placée ou à tout le moins aussi bien placée que ses concurrents sur le marché; elle se réfère aux écarts de prix constatés avec des propositions d'autres fournisseurs; elle en déduit qu'elle était bien fondée à ne plus s'approvisionner auprès de la société Carré bleu international-CBI par application de l'article 1219 du code civil .
Mais la société Carré bleu international-CBI réplique à juste raison :
- que les prix varient nécessairement en fonction des volumes d'achats opérés par les concessionnaires,
- que la société Carrière piscine évolution-CPE ne s'est jamais plainte des prix appliqués pendant la durée de la relation, pas plus que dans sa lettre de rupture,
- que la clause d'approvisionnement exclusif aurait dû être respectée pendant toute la durée du préavis,
- que son non-respect est démontré, le chiffre d'affaires de la société Carrière piscine évolution-CPE avec elle étant passé de 137.631 euros au 31 décembre 2016 à 12.270 euros au 30 juin 2017.
La société Carrière piscine évolution-CPE, qui n'a pas poursuivi les relations commerciales établies dans les conditions antérieures sans motif valable, n'a donc pas respecté le préavis de 8 mois ; la rupture brutale ainsi caractérisée ouvre droit à indemnisation.
2) Sur les demandes de dommages-intérêts :
Pour demander la somme de 53.520 euros à titre de dommages-intérêts, la société Carré bleu international-CBI expose que sa marge brute annuelle calculée sur six ans était en moyenne de 42.811 euros par an, soit 3.568 euros par mois qu'elle multiplie par 15 mois.
C'est en vain que la société Carrière piscine évolution-CPE objecte qu'elle était fondée à cesser de s'approvisionner auprès de la société Carré bleu international-CBI de sorte que cette dernière ne pourrait se prévaloir d'aucun préjudice ; mais elle ajoute que si le non-respect de la clause d'approvisionnement exclusif était retenu, le préjudice serait limité à 28.544 euros.
Le préjudice devrait être évalué en principe sur la base de la perte de marge sur coûts variables ; cependant en l'espèce les parties raisonnent toutes deux sur la marge brute ; au regard des éléments d'appréciation soumis à la cour et du préavis de 8 mois qui aurait dû être respecté, le préjudice sera fixé à 28.544 euros (3.568 euros x 8).
La société Carré bleu international-CBI demande en outre la somme de 12.544 euros aux motifs :
- que le préavis fictif n'a été que de 8 mois, alors qu'il aurait dû être de 15 mois,
- qu'elle a été frustrée d'une somme correspondant à 15 mois - 7 mois = 8 mois de contribution dédiée.
Mais la société Carrière piscine évolution-CPE s'oppose justement à cette prétention, puisqu'elle a payé la somme mensuelle de 1.586,10 euros pendant les 8 mois fixés comme durée de préavis.
3) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
La société Carrière piscine évolution-CPE, qui reste débitrice envers la société Carré bleu international-CBI doit supporter les dépens.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 3.000 euros à la société Carré bleu international-CBI et de rejeter la demande de la société Carrière piscine évolution-CPE à ce titre.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Carrière piscine évolution-CPE à payer à la société Carré bleu international-CBI :
- la somme de 53.520 euros, à titre de dommages-intérêts, pour rupture brutale des relations commerciales,
- la somme de 12.544,80 euros, à titre de dommages-intérêts, en compensation des sept mois de préavis dont elle a été frustrée,
Statuant à nouveau :
- condamne la société Carrière piscine évolution-CPE à payer à la société Carré bleu international-CBI la somme de 28.544 euros, à titre de dommages-intérêts, pour rupture brutale de la relation commerciale établie,
- déboute la société Carré bleu international-CBI de sa demande en paiement de la somme de 12.544,80 euros,
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant, condamne la société Carrière piscine évolution-CPE à payer la somme de 3.000 euros à la société Carré bleu international-CBI par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne la société Carrière piscine évolution-CPE aux dépens de première instance et d’appel.