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Décisions

Cass. com., 5 juin 2019, n° 16-10.391

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Versailles, du 10 nov. 2015

10 novembre 2015

Donne acte à M. B K, la société Genesis Invest et la société BRA associés, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan et de mandataire judiciaire de la société Genesis Invest, en remplacement de Mme R, de ce qu'ils se désistent de leur pourvoi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que MM. C et B K étaient dirigeants des sociétés du groupe Grand sud-Soho, comprenant les sociétés Groupe grand sud, Groupe grand sud diffusion, Soho France, Soho concept et Soho diffusion ; que le capital de ces sociétés était détenu à hauteur de 64 % par MM. K, directement ou par l'intermédiaire des sociétés Cinetic et co et Most, devenue Genesis Invest, et à hauteur de 22 % par les sociétés Viveris management, devenue la société ACG Management, BNP Paribas Développement, Sofipaca, Idsud et Altigest ; que par lettre du 15 juin 2007, les actionnaires du groupe Grand sud-Soho ont signé avec la société Kardiani une « Lettre d'Offre Indicative » décrivant les conditions par lesquelles cette société, ou son substitué, envisageait d'acquérir les sociétés du groupe Grand sud-Soho ; que, par actes du 17 octobre 2007, la société Financière Fimega, détenue par la société Kardiani et la société OFI Private Equity, devenue la société Eurazeo, s'est substituée à la société Kardiani et a acquis 98,77 % du capital des sociétés du groupe Grand sud-Soho ; qu'invoquant des manoeuvres dolosives, les sociétés Financière Fimega, Kardiani et Eurazeo ont assigné en paiement de dommages-intérêts MM. K et les sociétés Cinetic et Co et Genesis Invest ; que la société Financière Fimega a été mise en liquidation judiciaire, la société Z, W I, J (la société BTSG) étant désignée liquidateur ; que les sociétés Genesis Invest et Cinetic et Co ont été mises en redressement judiciaire, Mme R et M. D étant respectivement désignés mandataires judiciaires ;

Sur le premier moyen, pris en ses première à sixième branches et ses huitième à quatorzième branches, et le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le premier moyen, pris en sa septième branche, et le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Attendu que M. C K et la société Cinetic et Co font grief à l'arrêt de retenir l'existence de manoeuvres dolosives commises par eux et de les condamner solidairement à payer des dommages-intérêts aux sociétés BTSG, ès qualités, Eurazeo et Kardiani alors, selon le moyen :

1°) que lors d'un rachat d'entreprise, le cessionnaire professionnel averti a l'obligation de se renseigner et de se tenir lui-même informé de toute situation de nature à peser sur son appréciation du prix d'achat ; qu'en imputant à faute aux cédants d'avoir caché des retards et décalages de paiements envers des fournisseurs, des bailleurs et des salariés ainsi que le décalage d'une avance en devises, et en retenant à cet égard que le rapport d'audit comptable et financier du cabinet Constantin, suscité par les cessionnaires, avait arrêté au 30 juin 2007 la dette financière et n'avait pas pris en compte les opérations financières postérieures, sans rechercher, comme l'y avaient invitée les cédants, si les cessionnaires, du reste professionnels de la reprise d'entreprises, ne disposaient pas de toute la logistique comptable et financière leur permettant de mener un examen approfondi de la situation financière du groupe et de s'enquérir d'éventuels décalages ou difficultés de paiement, de sorte que leur prétendue ignorance, à la supposer caractérisée, était imputable à leur seule absence de diligences, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

2°) qu'il appartient à l'acquéreur d'une entreprise de se renseigner avec une diligence particulière et de se tenir informé de la conduite des affaires sociales pendant la période précontractuelle et jusqu'à la finalisation de l'accord de cession, quand il est un professionnel averti disposant de toute la logistique comptable et financière nécessaire au suivi des informations qui lui ont été communiquées ; qu'en se bornant à relever que les cessionnaires n'avaient pas été spécifiquement informés des opérations et mouvements effectués entre la fin de la période couverte par les audits réalisés à leur demande et la date de finalisation de la cession, pour en déduire que les cédants avaient délibérément caché ces opérations et ainsi agi de manière dolosive à l'égard des cessionnaires, sans rechercher, comme l'y avaient invitée les cédants, si les cessionnaires n'avaient pas à leur disposition tous les éléments nécessaires à une complète appréhension de la situation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève que les sociétés Groupe grand sud et Soho France ont accumulé des retards de paiement de factures et de salaires, modifié les échéances de règlement des loyers, prorogé des remboursements d'avances en devises, et qu'elles se sont livrées à d'autres manoeuvres destinées à majorer artificiellement leur trésorerie ; qu'il constate que les cédants n'ont pas informé les cessionnaires de ces opérations, dont la plupart sont postérieures au 30 juin 2007, date à laquelle l'audit comptable et financier effectué par les cessionnaires a arrêté la dette financière ; qu'ayant relevé que dans la lettre d'intention du 15 juin 2007, MM. K s'étaient engagés à ne pas opérer de changement substantiel dans la gestion, à gérer les sociétés en « bon père de famille » et à soumettre à l'agrément préalable de l'acquéreur tout investissement supérieur à 10 000 euros, l'arrêt retient qu'il appartenait aux cédants, sur le fondement de la bonne foi et de la loyauté contractuelle et au titre de cette clause de gestion, d'informer les candidats à l'acquisition des opérations postérieures au 30 juin 2007, sans qu'ils puissent reprocher aux cessionnaires d'avoir limité l'audit à une période antérieure ; qu'il en déduit qu'en manquant à cette obligation, les cédants ont délibérément caché aux cessionnaires ces opérations, par des manoeuvres dolosives destinées à masquer l'insuffisance de trésorerie et la situation financière de la société ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche invoquée par le moyen, que ses constatations et appréciations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, qui est recevable :

Vu les articles 1116 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que pour condamner solidairement M. C K et la société Cinetic et Co à payer à la société BTSG, ès qualités, la somme de 12 056 017 euros, l'arrêt retient que le préjudice subi par cette société, ès qualités, comprend le prix d'achat des titres des sociétés cédées mais également le passif généré depuis l'acquisition qui n'aurait pas eu lieu sans celle-ci ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la société BTSG, ès qualités, ayant fait le choix de ne pas demander l'annulation du contrat à la suite du dol dont elle avait été victime, son préjudice réparable correspondait uniquement à la perte d'une chance d'avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

 

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 622-20 et L. 641-2 du code de commerce ;

Attendu que pour condamner solidairement M. C K et la société Cinetic et Co à payer à la société Kardiani la somme de 1 535 203 euros, l'arrêt retient que, sans les manoeuvres des dirigeants cédants, la société Kardiani n'aurait pas réalisé ses apports en fonds propres à la société Financière Fimega pour que celle-ci acquière les sociétés, et que ce préjudice est personnel et distinct de celui des créanciers de la procédure collective ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice invoqué n'était qu'une fraction du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles L. 622-20 et L. 641-2 du code de commerce ;

Attendu que pour condamner solidairement M. C K et la société Cinetic et Co à payer à la société Eurazeo la somme de 2 250 000 euros, l'arrêt retient que l'apport en compte courant réalisé par la société Eurazeo a été rendu nécessaire par les manoeuvres dolosives et par les difficultés rencontrées à la suite de la réorganisation de la société, et que ce préjudice est personnel et distinct de celui des créanciers de la procédure collective ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice invoqué n'était qu'une fraction du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement M. C K et la société Cinetic et co à payer à la société BTSG, ès qualités, la somme de 12 056 017 euros, à la société Eurazeo la somme de 2 250 000 euros et à la société Kardiani la somme de 1 535 203 euros, outre les intérêts, et en ce qu'il les condamne solidairement aux dépens et au paiement de la somme de 20 000 euros à la société BTSG, ès qualités, et de la même somme aux sociétés Kardiani et Eurazeo au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 10 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.