CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 octobre 2021, n° 19/15779
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Calliope Animations 31 (SARL)
Défendeur :
TFC Développement (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
M. Gilles, Mme Depelley
La société TFC développement a pour activité le développement des activités média du club de football de Toulouse, le Toulouse football club (TFC). Elle succède à la société TFC Média comme suite à la dissolution de celle-ci sans liquidation. La société TFC Média a été ainsi confondue avec la société TFC développement, qui a reçu l'universalité de son patrimoine. La société Calliope animations 31 (ci-après « Calliope ») a pour activité l'animations de manifestations culturelles, commerciales et sportives. Elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Toulouse le 25 octobre 2004 et a pour gérant M. X. Celui-ci a longtemps assuré l'animation de matchs de football joués à domicile par le TFC, se voyant confier la mission de « speaker », jusqu'au mois d'août 2017. Cependant, à compter de cette date, la société TFC développement a cessé de désigner M. X pour ce type de missions, lui annonçant oralement que son activité pour le club serait réduite et cantonnée à d'autres prestations d'animation.
Par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 15 mai 2018, la société Calliope et M. X ont adressé à la société TFC développement une « mise en demeure officielle et tentative de conciliation préalable » à la société TFC développement, réclamant à celle-ci l'indemnisation d'un préavis de 24 mois évalué à 10 000 euros, pour rupture brutale des relations commerciales établies d'une durée de 22 ans, outre 15 000 euros pour chacun à titre de dommages-intérêts. Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 11 juillet 2018, la société TFC développement a annoncé à la société Calliope et à M. X qu'elle rompait toute relation commerciale, à cause de la persistance de celui-ci dans ses demandes indemnitaires selon elle injustifiées.
Par acte extrajudiciaire du 12 juillet 2018, M. X et la société Calliope ont assigné la société TFC développement devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.
C'est dans ces conditions que par jugement du 17 mai 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
Débouté la société Calliope animations 31 SARL et M. X de l'ensemble de leurs demandes,
Condamné la société Calliope animations 31 SARL et M. X à payer solidairement à la société TFC développement SAS la sommes de 3000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société Calliope animations 31 SARL et M. X solidairement aux dépens.
Par dernières conclusions déposées et signifiées le 29 mars 2021, la société Calliope et M. X demandent à la Cour de :
vu les articles 42, 43, 515 et 700 du code de procédure civile,
vu l'article L. 442-6 et D. 442-4 du code de commerce,
vu l'article 1240 du code civil,
Infirmer le jugement entrepris,
Constater que la relation commerciale existante avec la société TFC développement est établie pour une durée de 22 années,
Constater que la rupture brutale de la relation commerciale établie est imputable à la société TFC développement,
Constater que la société concluante a subi un préjudice moral et d'image du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Constater que M. X a subi un préjudice moral distinct du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie,
en conséquence :
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie, à titre principal :
Condamner la société TFC développement au paiement à la société concluante de la somme de 10 800 euros au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
à titre subsidiaire :
Condamner la société TFC développement à payer à la société concluante la somme de 7 560 euros au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
En tout état de cause :
Condamner la société TFC développement à payer à la société concluante la somme de 15 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral et d'image subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Condamner la société TFC développement au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral et d'image subi par la M. X du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Condamner la société TFC développement au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par dernières conclusions déposées et signifiées le 18 mars 2021, la société TFC demande à la Cour de :
vu l'article L442-6 I 5° du code de commerce,
à titre principal,
Confirmer le jugement entrepris,
En conséquence, rejeter l'intégralité des demandes formulées par les sociétés Calliope et M. X à son encontre,
Condamner solidairement la société Calliope et M. X à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
à titre subsidiaire,
Constater que le préavis ne saurait excéder 6 mois,
Limiter le préjudice économique de la société Calliope à la somme de 1 815 euros,
Rejeter toutes les autres demandes formulées par la société Calliope et/ou M. X à son encontre.
SUR CE LA COUR
Il est constant que la société TFC développement a unilatéralement décidé de diminuer sans préavis écrit le chiffre d'affaires réalisé avec la société Calliope à compter du mois d'août 2017, incluant le premier match à domicile du championnat de Ligue 1 de la saison 2017/2018 (12 août), cessant ainsi de confier à M. X le rôle de « speaker », les prestations confiées à celui-ci devant être cantonnées pour l'avenir à des événements institutionnels. Il est constant que depuis de nombreuses années avant cette rupture partielle, M. X avait été le seul à avoir été désigné dans ce rôle de « speaker » pour les compétitions à domicile du TFC.
La société TFC développement admet que le chiffre d'affaires qu'elle a généré dans les comptes de la société Calliope, qui en moyenne était de 5235 euros par an a été diminué des deux tiers au titre de la saison 2017/2018, comparativement à la saison 2016/2017, atteignant seulement 1600 euros pour la saison litigieuse. La société Calliope et M. X retiennent des valeurs presqu'identiques.
La société Calliope et M. X situent la date de la rupture alléguée au 8 août 2017, date de l'annonce orale qui a été faite à celui-ci qu'il ne serait plus désigné comme « speaker ».
- Sur l'existence d'une relation commerciale établie
S'il résulte de ce qui précède qu'une rupture s'est bien produite dans la relation commerciale entre la société Calliope et la société TMC développement, la Cour rappelle que pour l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce antérieur à l'ordonnance du 24 avril 2019, les juges doivent rechercher si, au regard de la nature de la prestation, la société Calliope pouvait légitimement s'attendre à la stabilité de la relation, nonobstant le renouvellement des missions dont elle avait bénéficié.
Or, d'après les explications de M. X et de la société Calliope (leurs conclusions page 4), non contestées par la société TFC développement, les prestations dont les demandeurs soutiennent que celle-ci a brutalement cessé de les confier à M. X consistent précisément dans les missions de « speaker » pour l'animation des matchs de football joués à domicile par le TFC lors des compétitions professionnelles (Ligue 1, Ligue 2, Coupe de France, Coupe de Ligue, Coupe d'Europe') qui se tiennent au Stadium de Toulouse.
Il est précisé par les demandeurs que cela comprenait « l'animation des séances d'avant-match, la présentation au public des équipes et des joueurs, l'annonce des buteurs et des changements, ainsi que les animations des mi-temps et de l'après-match des joueurs au public ».
Les demandeurs font valoir que cette prestation est obligatoire pour les clubs professionnels (Ligue 1 et Ligue 2), en vertu de l'article 532 du Règlement des championnats de France professionnels. Ils soulignent que les animateurs sont désignés par les clubs auprès des instances nationales de football et sont tenus par une charte qui fixe leurs obligations.
Les demandeurs indiquent encore notamment :
« Au vu du calendrier de ces compétitions, les prestations ont lieu quasiment toute l'année, du mois d'août jusqu'à la fin du mois de mai, le samedi ou le dimanche en moyenne deux fois par mois pour les matchs de championnat, auxquels il fait ajouter les matchs de Coupe de France, de Coupe d'Europe et de Coupe de Ligue en semaine. Il est important de préciser que la variation de chiffre d'affaires généré par la relation commerciale est en partie dépendante des résultats du TFC et non de la volonté du TFC ou de la société intimée. En effet, si le TFC connaît des succès lors des compétitions de type « coupe » (Coupe de France, Coupe d'Europe ou Coupe de la Ligue), il jouera davantage de matchs dans cette compétition et entraînera mécaniquement une hausse du chiffre d'affaires pour la société Calliope lors de la saison concernée. »
En outre, pour l'analyse de la rupture partielle de la relation commerciale litigieuse, la Cour observe que les demandeurs raisonnent expressément par saisons.
La Cour relève encore l'exposition au public du « speaker » et sa contribution certaine à l'ambiance du match avant, pendant et après celui-ci. Ce fait est illustré en l'espèce par le fait que les demandeurs soutiennent que les prestations de « speaker », précisément, « étaient essentielles pour la société Calliope en ce qu'elles constituaient sa vitrine d'exposition au vu de la médiatisation des événements et de leur large affluence ». La société Calliope et M. X se prévalent également de la vive émotion de « l'opinion publique » informée de la rupture litigieuse par les journaux locaux. Ils produisent une photographie prise le 12 août 2017, lors d'un match Toulouse-Montpellier, dans laquelle des supporters brandissent une banderole de soutien à M. X, à l'occasion de la rupture litigieuse. C'est ainsi qu'il est établi que la désignation du « speaker » constitue un élément public particulièrement visible de la stratégie de communication du club de football.
Il résulte de ces éléments que l'activité de « speaker » au sens de la présente relation commerciale s'exerce dans le cadre du contexte particulier des exigences du football professionnel, qui est fondamentalement rythmé par la saisonnalité des compétitions et par la nécessaire recherche, match après match, de la meilleure réussite possible pour chaque saison.
Il participe donc de la nature de la prestation de « speaker » que la société Calliope et M. X la société TFC développement a dû pouvoir librement déterminer à la fin de la saison 2016/2017 si elle devait avoir à nouveau recours aux services de M. X, au travers de la société Calliope, pour la saison 2017/2018.
Ces exigences liées à la nature de la prestation de « speaker », particulièrement bien connues de M. X, conduisent à retenir que ni la société Calliope ni lui-même ne pouvaient légitimement s'attendre à une nouvelle désignation pour la saison 2017/2018, nonobstant l'exclusivité de fait observée au cours des nombreuses années précédentes.
Il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris sera confirmé, par substitution de motif s'agissant de la demande fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° précité.
Les demandes de la société Calliope et de M. X en tant qu'elles sont fondées sur ces mêmes dispositions seront donc rejetées.
- Sur la faute alléguée contre la société TMC développement
M. X et la société Calliope demandent la condamnation de la société TMC à leur payer des dommages-intérêts pour préjudice moral et d'image sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Toutefois, alors que ces indemnisations sont réclamées comme la conséquence de la rupture brutale des relations commerciales établies non retenue en l'espèce, le rejet de ces demandes s'impose.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.
- Sur les frais et dépens
Le jugement entrepris ayant exactement statué sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de M. X et de la société Calliope et en ce qu'il a alloué à la société TFC développement une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il a justement évaluée.
En équité, la société TFC développement recevra une indemnité complémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel, dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt et qui sera mise à la charge solidaire des appelants, qui seront également condamnés aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Rejette les demandes de la société Calliope et de M. X,
Les condamne solidairement à payer à la société TFC développement une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,
Condamne solidairement la société Calliope et M. X aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.