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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 7 octobre 2021, n° 18/00235

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Cak Textile BV (Sté)

Défendeur :

Danae (SARL), SAS Les Mandataires (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Avocats :

Me Judels, Me Ceccaldi

T. com. Marseille, du 29 nov. 2017

29 novembre 2017

EXPOSE DE L'AFFAIRE

La société CAK TEXTILE BV (LTB by LITTLE BIG) (ci-après « CAK TEXTIL »), sise à Rotterdam est une société de droit néerlandais, qui commercialise des produits de prêt à porter aux Pays-Bas et en Europe, exploitant notamment les marques "Little Big", et "LTB Jeans".

Elle a signé avec la société de droit français DANAE DISTRIBUTION, pour une durée de cinq ans, un premier contrat d'agent commercial le 17 juin 2007, ce contrat comportant une clause attributive de compétence aux tribunaux français et prévoyant l'application de la loi française.

Un nouveau contrat a été signé par les parties le 7 décembre 2011 pour une durée de trois années à compter du 1er janvier 2012, ce contrat rédigé en anglais prévoyant l'application de la loi néerlandaise.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 septembre 2014, la société CAK TEXTILE a notifié à la société DANAE DISTRIBUTION qu'elle ne renouvellerait pas le contrat à son terme.

La société DANAE DISTRIBUTION a fait valoir son droit à indemnité, et en l'absence de règlement amiable, a fait assigner la société CAK TEXTIL devant le tribunal de commerce de Marseille.

Par jugement du 29 novembre 2017, le tribunal de commerce de Marseille a :

Dit que le droit applicable au litige est le droit néerlandais,

Dit que la société DANAE est en droit de solliciter le paiement d'une indemnité,

Condamné la société CAK TEXTILE BV à payer à la société DANAR la somme de 341.516 euros à titre d'indemnité compensatrice et la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société CAK TEXTILE BV a relevé appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 4 janvier 2018 sous le numéro 18-00150.

La société DANAE DISTRIBUTION a fait l'objet d'une liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 10 octobre 2019. La SAS « Les Mandataires » prise en la personne de Maître X, désignée en qualité de liquidateur, est intervenue volontairement et a repris l'instance.

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 25 mai 2021 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 1er juillet 2021.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 février 2021, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société CAK TEXTILE demande à la cour de :

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le droit applicable au présent litige et au contrat conclu le 7 décembre 2011 est le droit néerlandais ;

-  INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Société CAK TEXTILE à payer à la Société DANAE DISTRIBUTION la somme de 341 516 euros (trois cent quarante et un mille cinq cent seize euros) à titre d'indemnité compensatrice ainsi que la somme de 10 000 euros (dix mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile

Et statuant à nouveau de :

A TITRE PRINCIPAL

- DIRE ET JUGER irrecevables les nouvelles prétentions de la société DANAE tendant au paiement d'une indemnité pour violation de l'exclusivité ;

- DIRE ET JUGER que CAK TEXTILE a valablement dénoncé le contrat d'agent commercial entré en vigueur le 1 er janvier 2012 ;

- DIRE ET JUGER que la société DANAE ne peut en l'état prétendre au paiement d'une indemnité de clientèle ;

A TITRE SUBSIDIAIRE

-  DIRE ET JUGER qu'en application du droit néerlandais, la société DANAE ne peut en tout état de cause prétendre au paiement d'une indemnité de clientèle supérieure à 307.447,35 euros.

- EN TOUT ETAT DE CAUSE CONDAMNER la société DANAE au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société DANAE aux entiers dépens.

A l'appui de son appel, la société CAK DISTRIBUTION soutient principalement que :

-  les intimées ont formé en appel de nouvelles prétentions qui sont irrecevables, en sollicitant des dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct subi à raison d'une violation de la clause d'exclusivité, soit la somme de 337.823 euros au titre des commissions de 15 % HT non perçues sur les ventes directes réalisées en France par sa filiale française, la société CAK TEXTILE SARL, entre 2009 et 2014 à hauteur de 2.252.158 euros,

-  le droit néerlandais est applicable au présent litige conformément au contrat signé le 7 décembre 2011, ce droit résultant d'une transposition de la directive européenne n° 86-653 du 18 décembre 1986, et la loi française n'étant pas une loi de police applicable dans l'ordre international,

-  les deux contrats sont autonomes ; la société DANAE DISTRIBUTION n'ayant pas sollicité d'indemnité de fin de contrat à l'issue du premier contrat dans le délai d'un an, et ne remplissant pas les conditions d'octroi d'une indemnité fixées par le second contrat, ni celles du droit néerlandais pour l'obtention d'une indemnité au titre du deuxième contrat, elle doit être déboutée de sa demande à ce titre,

et à titre subsidiaire, que :

-  le droit néerlandais fixe un plafond limité à une année de commissions quand l'indemnité est due,

-  que les chiffres présentés en première instance sont erronés, que le montant de l'indemnité ne pourra dépasser la somme de 307.447,35 euros.

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 8 juillet 2020, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS « Les Mandataires » prise en la personne de Me X, agissant en qualité de liquidateur de la société DANAE DISTRIBUTION, demande à la cour de :

« I - A TITRE PRINCIPAL : APPEL INCIDENT SUR L'APPLICATION DU DROIT FRANÇAIS

1 - Juger que les dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce ont la nature d'une « loi de police applicable dans l'ordre international » de sorte que les parties au contrat d'agence en litige ne pouvaient y déroger

2 - Si cette qualification devait être écartée, juger en tout état de cause qu'en imposant à son partenaire à l'occasion du renouvellement du contrat d'agence commerciale, jusqu'à alors régi par la loi française, un article VIII soumettant ce dernier à la loi des Pays-Bas, alors que tous les éléments de la situation contractuelle étaient localisés en France au sens de l'article 3-3 du Règlement Rome I et non pas en Hollande, la société Cak Textil BV a délibérément contrevenu à ces dispositions qui interdisent, dans une telle situation, aux parties de se soustraire aux dispositions impératives du droit interne français de l'article L. 134-12 du code de commerce qui régissent le statut des agents commerciaux, nonobstant le fait que la Cour de cassation dénie à ces dernières la nature de lois de police dans l'ordre international;

3 - Juger encore qu'en imposant à son partenaire à l'occasion du renouvellement du contrat d'agence commerciale jusqu'alors régi par la loi française, la soumission de ce dernier à la loi des Pays-Bas alors d'une part, que la mission de l'agent cantonnée au seul territoire français ne mettait pas en jeu les intérêts du commerce international, alors d'autre part que la reconduction du contrat ne s'était accompagnée d'aucune modification de ses conditions matérielles d'exécution, inchangées depuis l'origine de la relation en 2007, alors enfin, qu'à cette occasion, loin de rechercher l'application du droit néerlandais, elle a, au contraire, imposé à son agent au sein de ce dispositif contractuel un article VII qui prive ce dernier de tout droit à indemnité compensatrice sauf en cas de résiliation avant terme dans des termes rigoureusement contraires à l'article 442 du Livre 7 du code civil hollandais, la société Cak Textil qui n'avait d'autre intention que d'éluder une condition de fond de la loi française et de se soustraire ainsi à l'indemnité compensatrice de l'article L. 134-12 du code de commerce français, plus généreuse que celle du code civil hollandais, s'est à nouveau rendue coupable d'une fraude à la loi ;

4 - Infirmer en conséquence le jugement rendu le 29 novembre 2017 par le Tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a jugé que l'article VIII du contrat d'agence commerciale liant les sociétés Cak Textil et Danae Distribution qui stipule que « cet accord sera gouverné par les lois et interprété conformément aux lois des Pays-Bas » ne relève pas d'une fraude à la loi ;

5 - Juger en conséquence que la loi néerlandaise et les stipulations de l'article VII du contrat qui liait les deux parties sont inopposables à Danae Distribution et que le contrat reste assujetti au droit français ;

6 - Annuler par suite l'article VII du contrat d'agence commerciale exclusive signé par les parties le 7 décembre 2011 en ce que cette stipulation prive l'agent de tout droit à indemnité compensatrice sauf en cas de résiliation avant terme et en ce qu'il subordonne ce droit à des conditions cumulatives contraires à l'article L. 134-12 susvisé et à l'article 17 de la Directive n° 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants et leur adjoint un mode de calcul de l'indemnité fantaisiste ;

7 - Juger qu'à la suite de la non-reconduction du contrat d'agent commercial qui liait les deux parties, la Société Danae Distribution est en droit de demander à son commettant Cak Textil BV, le bénéfice de l'indemnité compensatrice prévue par les dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce de deux années de commission calculées sur la base d'un chiffre d'affaires moyen des trois années de commissions brutes perçues au service de Cak Textil ;

8 - Et condamner en conséquence la Société Cak Textil BV à payer à la Société Sas « Les Mandataires » agissant en qualité de Liquidateur de la société Danae Distribution la somme de 647.616' (six cent quarante-sept mil six cent seize euros) à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi à raison de la non-reconduction du contrat qui liait les parties ;

II - A TITRE SUBSIDIAIRE : SUR L'APPLICATION DU DROIT NEERLANDAIS

9 - A titre subsidiaire, si la Cour retenait l'application de la loi néerlandaise, juger que les parties s'accordent sur le fait que la situation de l'agent commercial est régie par le code civil néerlandais et en particulier, par l'article 442 Livre 7 de ce code, dont les dispositions sont identiques à celles de l'article 17 de la Directive UE n° 86-653 du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants dont il n'est que la transposition ;

10 - Juger que ces dispositions sont obligatoires pour les parties en ce que l'article 445-2 Livre 7 du code civil hollandais interdit aux parties d'y déroger ;

11 - En conséquence, annuler l'article VII du contrat d'agence commerciale exclusive signé par les parties le 7 décembre 2011 en ce que cette stipulation prive l'agent de tout droit à indemnité compensatrice, sauf en cas de résiliation avant terme en violation de ces dispositions, et en ce qu'il subordonne ce droit à des conditions cumulatives et à un mode de calcul de l'indemnité fantaisiste contraires à l'article 442 Livre 7 du code civil néerlandais susvisé, et accessoirement, à l'article 17 de la directive n° 86/653,

12 -Juger qu'il résulte des pièces qu'elle verse aux débats que la société Danae Distribution justifie avoir apporté de nouveaux clients à Cak Textile qui n'avait aucune implantation en France avant que Danae n'y développe pour elle un réseau de clients et avoir développé sensiblement les opérations avec les clients existants, ce dont témoigne l'évolution du chiffre d'affaires entre 2007 et 2013, et même en se limitant à la dernière période triennale, de 2012 à 2014,

13 - Constater que le commettant Cak Textil profite encore des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients puisqu'il a continué à travailler avec ces mêmes clients après la terminaison du contrat et a même utilisé certains des sous-agents de Danae qu'il avait contactés avant même le terme du contrat principal ;

14 - Juger enfin que le paiement de l'indemnité sollicitée est « équitable », compte tenu de toutes les circonstances et notamment, de l'absence totale de motifs sérieux justifiant le refus de la société Cak Textil renouveler cette relation d'agence commerciale et des commissions que Danae Distribution a perdues, représentant la totalité du chiffre réalisé avec son commettant ;

15 - Confirmer en conséquence le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Cak Textil BV à payer à la Société Danae Distribution la somme de 341.516,00 euros (trois cent quarante et un mil euros cinq cent seize mil euros) à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi à raison de la non-reconduction du contrat qui liait les parties à proportion d'une année moyenne de commissions brutes mais juger que la condamnation sera prononcée au profit de la Société Sas « Les Mandataires » agissant en qualité de Liquidateur de la société Danae Distribution;

III - APPEL INCIDENT SUR LES DOMMAGES ET INTERETS

16 - Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que l'attitude de la société Cak Textil BV n'était pas à l'origine d'un préjudice distinct de celui que répare l'indemnité compensatrice souffert par Danae Distribution ;

17 - Juger au contraire que la société Cak Textil BV a manqué à son obligation de loyauté en concurrençant, sans son accord exprès, son agent commercial sur le territoire français par des ventes directes via sa filiale française SARL Cak Textile et en privant ce dernier de la possibilité de réaliser un chiffre d'affaires considérable de plus de 2 millions, alors qu'elle avait consenti à son agent une exclusivité territoriale ;

18 - Condamner en conséquence la société Cak Textil BV à payer à la Société Sas « Les Mandataires » agissant en qualité de Liquidateur de la société Danae Distribution la somme de 337.823 euros (trois cent trente-sept mil huit cent vingt-trois euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct subi à raison des commissions de 15 % HT non-perçues sur les ventes directes réalisées en France par sa filiale française, la société Cak Textile SARL, entre 2009 et 2004 à hauteur de 2.252.158 euros ;

19 - Et condamner la société Cak Textil BV à payer à la Société Sas « Les Mandataires» agissant en qualité de Liquidateur de la société Danae Distribution la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct découlant de l'absence de cause sérieuse présidant à la non-reconduction du contrat, de la tentative du commettant de soustraire la convention à l'empire de la législation d'ordre public protectrice des agents commerciaux, et des actions en justice de ses sous-agents auxquelles Danae Distribution doit aujourd'hui faire face et avec lesquels la société Cak Textil BV a entretenu des contacts directs ;

20 - Condamner enfin la Société Cak Textil BV à payer à la Société Sas « Les Mandataires » agissant en qualité de Liquidateur de la société Danae Distribution la somme de 12.000' TTC au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de l'instance qui seront mis à la charge de la partie succombante.

MOTIFS DE LA DECISION

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4,5,31 et 954 du code de procédure civile, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens et arguments soutenus par les parties.

Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de nouvelles prétentions émises par la société DANAE DISTRIBUTION

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

La société CAK DISTRIBUTION soutient que les intimées ont formé en appel de nouvelles prétentions, en sollicitant des dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct subi pour violation de la clause d'exclusivité, à raison des commissions de 15 % HT non perçues sur les ventes directes réalisées en France par sa filiale française, la société CAK TEXTILE SARL, entre 2009 et 2014 pour un chiffre d'affaires de 2.252.158 euros, de sorte que cette demande est irrecevable.

La société DANAE DISTRIBUTION a formé appel incident du chef de la décision du tribunal de commerce rejetant sa demande de dommages et intérêts à hauteur de la somme de 50.000 euros. Dans ce cadre, elle invoque un préjudice distinct de celui que répare l'indemnité compensatrice, et sollicite :

(i) la somme de 337.823 euros, faisant état de ce que la société CAK TEXTIL a manqué à son obligation de loyauté en la concurrençant, sans son accord express, par des ventes directes sur le territoire français via sa filiale française CAK TEXTILE, et par des contacts directs avec ses sous-agents, et en la privant de la possibilité de réaliser un chiffre d'affaires considérable de plus de deux millions alors qu'elle avait consenti une exclusivité territoriale à son agent,

(ii) la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct découlant de l'absence de cause sérieuse présidant à la non-reconduction du contrat.

Force est de constater que la demande présentée au point (i) ci-dessus n'a pas été formulée en première instance et qu'elle est distincte de celle formulée au point (ii), laquelle a bien été formulée en première instance. Cette demande ne rentre pas dans les exceptions visées par l'article 564, de sorte qu'elle sera déclarée irrecevable comme étant nouvelle, faute pour la société DANAE de démontrer que sa demande est née de la révélation d'un fait en cause d'appel.

Sur la loi applicable

La loi du 25 juin 1991 codifiée aux articles L. 134-1 et suivants du code de commerce, qui a transposé en droit français la directive n° 86/653/CEE relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, est une loi d'ordre public interne mais n'est pas une loi de police applicable dans l'ordre international.

En conséquence, c'est à juste titre et par des motifs que la cour adopte, que le premier juge a retenu que la directive susvisée ayant bien été transcrite en droit néerlandais, et que les parties ayant librement conclu le contrat signé par elles le 7 décembre 2011 prévoyant l'application du droit néerlandais, sans que la société DANAE DISTRIBUTION ne justifie par les pièces versées au débat d'une fraude à la loi, le droit applicable au présent litige est le droit néerlandais, étant également observé que le règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux relations contractuelles dit Rome 1 dispose en son article 3 que le contrat est régi par la loi choisie par les parties.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice de fin de contrat

La directive européenne n° 86/653/CEE énonce en son article 17 :

« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer à l'agent commercial, après
cessation du contrat, une indemnité selon le paragraphe 2 ou la réparation du préjudice selon le
paragraphe 3.

2 A - L'agent commercial a droit à une indemnité si et dans la mesure où :

-  il a apporté de nouveaux clients au commettant ou développé sensiblement les opérations avec les
clients existants et le commettant a encore des avantages substantiels résultant des opérations avec
ces clients

et

-  le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment
des commissions que l'agent commercial perd et qui résultent des opérations avec ces clients. Les
États membres peuvent prévoir que ces circonstances comprennent aussi l'application ou non d'une
clause de non-concurrence au sens de l'article 20.

B - Le montant de l'indemnité ne peut excéder un chiffre équivalent à une indemnité annuelle
calculée à partir de la moyenne annuelle des rémunérations touchées par l'agent commercial au
cours des cinq dernières années et, si le contrat remonte à moins de cinq ans, l'indemnité est
calculée sur la moyenne de la période.

C - L'octroi de cette indemnité ne prive pas l'agent commercial de faire valoir des dommages-intérêts.

3. L'agent commercial a droit à la réparation du préjudice que lui cause la cessation de ses
relations avec le commettant.

Ce préjudice découle notamment de l'intervention de la cessation dans des conditions :

-  qui privent l'agent commercial des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait
permis de bénéficier tout en procurant au commettant des avantages substantiels liés à l'activité de
l'agent commercial

-  et/ou qui n'ont pas permis à l'agent commercial d'amortir les frais et dépenses qu'il a engagés pour
l'exécution du contrat sur la recommandation du commettant.

4. Le droit à l'indemnité visé au paragraphe 2 ou la réparation du préjudice visée au paragraphe 3
naît également lorsque la cessation du contrat intervient à la suite du décès de l'agent commercial.

5. L'agent commercial perd le droit à l'indemnité dans les cas visés au paragraphe 2 ou à la
réparation du préjudice dans les cas visés au paragraphe 3 s'il n'a pas notifié au commettant, dans
un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

6. La Commission soumet au Conseil, dans un délai de huit ans à compter de la notification de la
présente directive, un rapport consacré à la mise en œuvre du présent article et lui soumet, le cas
échéant, des propositions de modifications. »

L'article 442 intitulé « Indemnité de clientèle » du Livre 7 du code civil hollandais dispose que :

1. Indépendamment du droit de demander des dommages et intérêts, l'agent commercial a le droit à
la fin du contrat d'agence, à une indemnité, à savoir l'indemnité pour clientèle dans la mesure où :

a) il a recruté de nouveaux clients ou a élargi considérablement le nombre ou la valeur des contrats
avec les clients existants, et dans les deux cas, les contrats avec ses clients continuent à procurer des
avantages substantiels au commettant, et

b) le paiement de cette indemnité est équitable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment
la perte de commission provenant des contrats avec ces clients ».

2. Le montant de l'indemnité ne peut excéder celui de la commission pour une année, calculé selon la
moyenne des cinq dernières années ou, si le contrat a duré moins longtemps, selon la moyenne pour
l'ensemble de sa durée.

3. Le droit à indemnité s'éteint si l'agent n'a pas notifié au commettant, dans l'année qui suit la fin du
contrat, sa demande d'indemnité.

4. L'indemnité n'est pas due lorsque

a) le contrat a été résilié par le commettant pour des motifs graves aux torts de l'agent
conformément à l'article 7.439 paragraphe 3,

b) par l'agent, à moins que cette résiliation soit justifiée par des circonstances imputables au
commettant ou par l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent, en raison desquelles la poursuite de ses activités ne peut plus raisonnablement être exigée de lui,

c) par l'agent qui transfère, avec l'accord du commettant, à un tiers, les droits et obligations qu'il
détient en vertu du contrat.

L'article 445 « Loi impérative » énonce que :

1.Il n'est pas possible pour les parties de déroger aux articles 7.401,7.402,7.403,7.426 paragraphes
3,7.434 et, tant que le contrat commercial n'a pas encore trouvé son terme, à l'article 7.442.

Les certificats de coutume néerlandais produits aux débats reprennent ces mêmes conditions nécessaires au paiement d'une indemnité compensatrice au profit de l'agent commercial.

Sur le principe

En l'espèce, les dispositions de l'article VII « Right to compensation » du contrat signé le 7 décembre 2011 sont réputées nulles pour être contraires aux dispositions de l'article 17 de la directive du Conseil du 18 décembre 1986 et aux dispositions impératives de l'article 442 précité, en ce qu'elles prévoient des conditions cumulatives et non alternatives (« when the Agent has developed new customers and increased substantially the sales of the Principal (...) ») non prévues par le texte et y ajoute une condition (« In the case of premature termination by the Principal »), et ce en application de l'article 3.40 section 2 du code civil hollandais qui énonce qu'un acte juridique qui viole une disposition légale d'une loi impérative est nulle et non avenue.

Il y a donc lieu de faire uniquement application des dispositions de l'article 442 du livre 7 du code civil hollandais précité.

Aux termes de l'article 6.248 du code civil hollandais, un accord n'a pas seulement des effets juridiques sur lesquels les parties se sont accordées, mais également ceux qui, au regard de la nature de l'accord découlent de la loi, de l'usage ou des standards raisonnables ou de l'équité. Une règle qui devrait être observée par les parties comme une conséquence de leur accord contractuel doit être écartée, si, au regard des circonstances, elle serait contraire aux standards de la raison et de l'équité.

En l'espèce, le premier contrat a trouvé son terme sans indemnité compensatrice. La relation contractuelle s'étant poursuivie, il n'y avait alors pas de fondement à une demande en paiement d'une telle indemnité. Considérant que la directive précitée vise à harmoniser le niveau de protection des agents commerciaux dans leurs relations avec leurs commettants dans un objectif de protection de l'agent commercial, ses dispositions et celles des lois ou textes réglementaires nationaux prises conformément à cette directive doivent être interprétées dans cet esprit de protection des agents commerciaux, de sorte qu'en l'espèce, il y a lieu de prendre en compte la totalité de la relation contractuelle ayant existé entre les parties pour examiner le principe du droit à indemnité.

Aux termes de la jurisprudence de la CJCE la notion de « clients nouveaux » visent les personnes qui n'entretenaient aucune relation d'affaires avec le commettant avant l'intervention de l'agent commercial, et également les personnes qui n'avaient acheté jusque-là au commettant aucune des marchandises dont la promotion a été confiée à l'agent commercial, nonobstant les opérations intervenues entre ces personnes et ce commettant s'agissant de marchandises distinctes (CJCE, 4e ch, 7 avril 2016, aff. C-315/14, Marchon Germany).

En l'espèce, après avoir fait appel à la société DANAE pour promouvoir à compter de janvier 2007 ses articles sous la marque « LTB by Little big » en France, la société CAK TEXTILE a poursuivi la relation contractuelle jusque 2015, soit pendant huit années, sans que ne soit formulé aucun grief, y compris lors de la rupture.

Il n'est pas contesté par la société CAK GROUP qu'elle n'avait aucune implantation en France avant que DANAE n'y développe pour elle un réseau de clients. Par mail du 18 avril 2014, la société DANAE adressait à son mandant une analyse complète des ventes et par mail du 21 avril 2014, et Monsieur Y du groupe CAK GROUP indiquait : « Thanks for the analysis.It is good to see the qty is getting better.And also it is good to see that we have more financial guaranteed customers. (...) It is good to add new customers (...) », ce qui contredit les affirmations de la société CAK GROUP selon lesquelles il y a absence de preuve d'apport de nouveaux clients pendant la seconde période des relations contractuelles.

La société DANAE établit également que la société CAK TEXTILE a retiré des avantages substantiels résultant des opérations avec ces clients après avoir mis fin au contrat, cette dernière société ayant continué à exploiter le marché français en commercialisant les produits LTB sur les bases construites par son agent commercial, notamment avec certains sous-agents (cf pièces 17, 19 et 20). Le paiement de l'indemnité est équitable, la relation contractuelle ayant été rompue sans faute de l'agent qui perd toute rémunération.

La société DANAE démontre ainsi satisfaire aux conditions d'octroi de l'indemnité de rupture prévue par les textes susvisés.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le montant

Aux termes de l'article 442 du livre 7 du code civil néerlandais, le montant de l'indemnité ne peut excéder celui de la commission pour une année, calculé selon la moyenne des cinq dernières années ou, si le contrat a duré moins longtemps, selon la moyenne pour l'ensemble de sa durée.

La directive européenne précitée prévoit que le montant de l'indemnité ne peut excéder un chiffre équivalent à une indemnité annuelle calculée à partir de la moyenne annuelle des rémunérations touchées par l'agent commercial au cours des cinq dernières années et, si le contrat remonte à moins de cinq ans, l'indemnité est calculée sur la moyenne de la période.

Les experts comptables respectifs ne font pas état des mêmes chiffres, celui de la société DANAE faisant état du chiffre d'affaires réalisé sur chacune des trois dernières années et celui de la société CAK TEXTILE du montant total des commissions facturées, et rappelle que les commissions doivent être payées après que le débiteur a acquitté la facture émanant de CAK TEXTILE.

Le contrat prévoyant que l'agent acquiert le droit à commission après complet paiement par le client des produits facturés, il y a lieu de retenir les sommes de 339.205,87 pour l'année 2012, 339.720,75 euros pour l'année 2013 et 307.447,35 pour l'année 2014, soit une moyenne de 328 791,32 euros.

Il y a dès lors lieu de confirmer la décision rendue par les premiers juges, sauf à fixer à la somme de 328 791,32 euros le montant de l'indemnité due par la société CAK TEXTILES à la société DANAE.

Sur l'appel incident de la société DANAE visant à voir infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société DANAE en réparation du préjudice accessoire découlant de l'absence de cause sérieuse présidant à la non-reconduction du contrat et à la tentative du commettant de se soustraire la convention à l'empire de la législation d'ordre public protectrice des agents commerciaux

L'article 17 paragraphe 2 c) prévoit que l'octroi de l'indemnité prévue au a) ne prive pas l'agent commercial de faire valoir des dommages et intérêts.

L'article 442 du Livre VII du code civil hollandais dispose que l'octroi de l'indemnité ne prive pas l'agent de solliciter des dommages et intérêts.

En l'espèce, il n'a pas été retenu de fraude à la loi et le contrat a été rompu à son terme. Au surplus, le préjudice invoqué n'est pas certain et actuel, ni distinct de l'indemnité de clientèle allouée.

Le jugement sera dès lors confirmé de ce chef.

Sur les demandes accessoires

La société CAK TEXTILE, partie perdante est condamnée à payer à la société DANAE, prise en la personne de son liquidateur, la SAS « Les Mandataires » une somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

-  DECLARE irrecevable la demande de dommages et intérêts au titre d'un défaut de loyauté de la société CAK TEXTILE,

- CONFIRME le jugement attaqué dans l'intégralité de ses dispositions, sauf à fixer à la somme de 328 791,32 euros l'indemnité due par la société CAK TEXTILE à la société DANAE prise en la personne de son liquidateur, la SAS Les Mandataires,

Y ajoutant,

-  CONDAMNE la société CAK TEXTILE à payer à la société DANAE, prise en la personne de son liquidateur, la SAS « Les Mandataires » une somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-  DEBOUTE les parties de leurs demandes autres ou plus amples,

-  CONDAMNE la société CAK TEXTILE aux dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.