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Décisions

Cass. com., 13 octobre 2021, n° 19-23.597

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Gerstaecker France (SARL)

Défendeur :

R art (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Bessaud

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Thouin-Palat et Boucard

Colmar, du 26 juin 2019

26 juin 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 26 juin 2019), la société Gerstaecker France le géant des beaux-arts (la société Gerstaecker), spécialisée dans la vente à distance de matériels pour artistes, exploite depuis 2005 un site internet à l'adresse « www.geant-beaux-arts.fr ».

2. La société R art, créée le 2 janvier 2004, exploite une boutique depuis 2006 et, depuis le 24 avril 2012, un site internet, qui propose notamment la vente en ligne de produits de beaux-arts, sous le nom de domaine « www.beauxarts.fr », enregistré le 18 mai 2004.

3. Se plaignant d'un risque de confusion entre les deux sites internet et d'un dénigrement dont elle serait victime, la société Gerstaecker a assigné la société R art en indemnisation du préjudice subi du fait d'actes de concurrence déloyale, de parasitisme et de dénigrement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et sur le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. La société Gerstaecker fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que l'action en concurrence déloyale étant ouverte à celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif, le caractère original ou distinctif des éléments dont la reprise est incriminée n'est pas une condition de son bien-fondé, mais un facteur susceptible d'être pertinent pour l'examen d'un risque de confusion ; qu'en énonçant, pour rejeter les demandes de la société Gerstaecker France le géant des beaux-arts, que l'expression "beaux-arts" figurant dans les noms de domaine en présence était banale, usuelle et purement descriptive, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »

6. Après avoir retenu que les noms de domaine litigieux comportent tous deux le terme générique « beaux-arts », qui est totalement dépourvu de distinctivité dans le domaine de la vente de matériel pour artistes, l'arrêt retient que la présence du terme « géant des » avant le terme « beaux-arts » dans le nom de domaine exploité par la société Gerstaecker est de nature à distinguer visuellement les deux noms de domaine lors des visites sur internet.

7. En cet état, la cour d'appel, qui n'a pas subordonné le bien-fondé de l'action en concurrence déloyale au caractère original ou distinctif de l'élément dont la reprise était incriminée mais l'a pris en considération comme un facteur pertinent d'appréciation de l'existence du risque de confusion allégué, a pu statuer comme elle a fait.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. La société Gerstaecker fait le même grief à l'arrêt, alors « que d'une part, la création d'un risque de confusion entre des noms de domaine constitue une faute de concurrence déloyale ; que, d'autre part, un préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, fût-il seulement moral ; qu'ayant admis la réalité du risque de confusion entre les sites internet www.geant-beaux-arts.fr et www.beauxarts.fr et constaté que des clients les avaient effectivement confondus, la cour d'appel, qui a néanmoins retenu, pour rejeter les demandes de la société Gerstaecker France le géant des beaux-arts, qu'elle n'avait pas établi que le risque de confusion ou les confusions effectives lui fussent préjudiciables, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

10. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

11. Pour écarter l'existence d'un risque de confusion entre les deux noms de domaine « www.geant-beaux-arts.fr » et « www.beauxarts.fr » et rejeter, en conséquence, la demande en concurrence déloyale de la société Gerstaecker, après avoir relevé que cette société produisait des échanges de mails démontrant qu'après une visite sur internet, des personnes confondaient les deux sociétés, l'arrêt retient, notamment, que, des mails de félicitations ayant été envoyés à la société Gerstaecker et une personne ayant indiqué être devenue sa cliente depuis qu'elle regardait des vidéos postées sur Youtube par la société R art, ces pièces démontrent que, si une confusion a pu exister, elle n'était pas préjudiciable à la société Gerstaecker.

12. En statuant ainsi, alors qu'il s'infère nécessairement d'actes de concurrence déloyale résultant d'un tel risque de confusion un préjudice, fût-il seulement moral, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

13. La société Gerstaecker fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que la publicité comparative n'est licite que si elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ; qu'en se bornant à retenir, pour affirmer que la société R art n'avait pas commis de faute en se présentant dans des messages publiés sur une page Facebook comme une société française, afin de se démarquer de la société Gerstaecker le géant des beaux-arts, qu'elle n'avait fait qu'affirmer la qualité de ses services en réponse aux interrogations des internautes, sans rechercher si, en alléguant faussement que la société Gerstaecker France le géant des beaux-arts n'était pas une société française, la société R art n'avait pas cherché à induire les consommateurs en erreur sur les services de son concurrent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-1 du code de la consommation et 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 121-8, devenu L. 122-1, du code de la consommation et 1382, devenu 1240, du code civil :

14. Selon le premier de ces textes, toute publicité qui met en comparaison des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur et compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie.

15. Pour dire que la publicité comparative diffusée par la société R art était licite, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, retient qu'en se présentant comme une société française pour se démarquer de la société Gerstaecker tout en offrant à ses clients des frais de livraison identiques sur le continent et en Corse, à la différence de sa concurrente, la société R art s'est limitée à affirmer la qualité de ses services en réponse aux interrogations des internautes et qu'il ne peut lui être imputé de propos dénigrants, cette information objective permettant une publicité comparative sur les coûts de livraison, élément important en matière de vente en ligne.

16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'information suggérée, selon laquelle la société Gerstaecker n'était pas française, n'était pas de nature à induire en erreur les personnes auxquelles elle s'adressait en raison de son caractère trompeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement qui avait rejeté une exception d'incompétence, l'arrêt rendu le 26 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société R art aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société R art et la condamne à payer à la société Gerstaecker France le géant des beaux-arts la somme de 3 000 euros.