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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 14 octobre 2021, n° 18/08742

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Rittal (SAS)

Défendeur :

Transports Distribution Logistique (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Lignières

T. com. Paris, du 26 févr. 2018

26 février 2018

La société Transports Distribution Logistique (ci-après « TDL ») exerce une activité de commissionnaire en transport et messagerie.

La société Rittal est la filiale française du groupe allemand Friedhelm Loh Group, spécialisé dans l'habillage électrique, la distribution de courant, la climatisation, ainsi que les logiciels et services.

Depuis janvier 2011, Rittal confiait de manière non exclusive à la société TDL des prestations de transport de marchandises.

En 2014, un contrat de partenariat a été conclu entre la maison mère de la société Rittal et la maison mère du groupe allemand Kuehne + Nagel, pour centraliser l'entreposage des marchandises de la société Rittal au sein de la société Kuehne + Nagel Logistique à Ferrières en Brie (77164).

Le 3 avril 2015, la société Rittal a adressé un courrier à l'ensemble de ses transporteurs partenaires afin de leur notifier la mise en place d'un appel d'offres à compter du 7 avril 2015.

La société TDL a répondu à l'appel d'offres de la société Rittal, lui accordant une remise sur le prix de ses prestations et lui demandant le bénéfice d'un préavis de 6 mois dans l'hypothèse où les relations commerciales ne se poursuivraient pas.

Par courriel du 1er juin 2015, la société Rittal a informé la société TDL que sa candidature n'avait pas été retenue et de la reprise de l'ensemble des activités de transports par la société Kuehne + Nagel Logistique à compter du 15 juillet 2015.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 juillet 2015, la société TDL a mis en demeure la société Rittal de l'indemniser du caractère brutal de la rupture des relations commerciales.

Par acte d'huissier de justice du 13 octobre 2015 délivré à personne habilitée, la société TDL a assigné la société Rittal devant le tribunal de commerce de Paris en réparation du préjudice subi.

Par ordonnance du 5 juillet 2018, le Président de la cour d'appel a débouté la société Rittal de sa demande tenant à voir consigner les sommes mises à sa charge entre les mains du Bâtonnier séquestre de l'Ordre des avocats de Paris.

Par jugement du 26 février 2018, le tribunal de commerce de Paris a :

Dit que la relation commerciale établie a été rompue par la SAS Rittal de manière brutal au sens de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ;

Condamné la SAS Rittal à payer 28.108 euros à la SAS Transports Distribution Logistique à titre de dommages et intérêts et débouté la SAS Transports Distribution Logistique du surplus de sa demande à ce titre ;

Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au présent jugement et en a débouté respectivement les parties ;

Condamné la SAS Rittal à payer à la SAS Transports Distribution Logistique la somme de 3.500 euros titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonné d'office l'exécution provisoire du présent dispositif ;

Condamné la SAS Rittal aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 81,90 euros dont 13,43 euros de TVA.

Par déclaration du 27 avril 2018, la société Rittal a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

Débouté la société Rittal de ses demandes tendant à :

Dire et juger que l'appel d'offres notifié par la société Rittal à TDL a précarisé le caractère établi de la relation commerciale ; Dire et et juger que le délai de préavis a commencé à courir à compter de la notification du recours à l'appel d'offres, soit le 3 avril 2015 ; Dire et juger que la société TDL a bénéficié d'un préavis suffisant de 3 mois et demi pour réorganiser son activité ; Condamner la société TDL à verser à Rittal une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Dit que la relation commerciale établie a été rompue par la société Rittal de manière brutale au sens de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ;

Dit que la société Rittal devra indemniser TDL à hauteur d'1 mois et demi de préavis supplémentaire sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce et a fixé la durée du préavis supplémentaire à 1 mois et demi ;

Condamné la société Rittal à payer la somme de 28.108 euros à TDL à titre de dommages et intérêts et la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 10 décembre 2018, la société Rittal demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce ;

Vu l'article 8-II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 dite LOTI et l'article 12-IIdu contrat type approuvé par le décret n° 2003- 1295 du 26 décembre 2003 ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le délai de préavis suffisant était de trois mois ;

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Rittal pour rupture brutale des relations commerciales établies ;

Statuant à nouveau :

Dire et juger que le délai de préavis a commencé à courir à compter de la notification du recours à l'appel d'offres, soit le 3 avril 2015 ;

Dire et juger que la société TDL a bénéficié d'un préavis suffisant de 3 mois et demi pour réorganiser son activité ;

Statuant à nouveau :

Dire et juger que le délai de préavis a commencé à courir à compter de la notification du recours à l'appel d'offres, soit le 3 avril 2015 ;

Dire et juger que la société TDL a bénéficié d'un préavis suffisant de 3 mois et demi pour réorganiser son activité ;

En tout état de cause :

Débouter la société TDL de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes, moyens et prétentions

Condamner la société TDL à verser à Rittal, une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société TDL aux entiers dépens, tant de première instance, que d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître François T., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 10 septembre 2018, la société TDL demande à la cour de :

Vu l'article L. 441-6 I 5° du code de commerce ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 26 février 2018 en ce qu'il fixe le point de départ du délai de préavis à la date du 1er juin 2015 ;

A titre principal :

Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 26 février 2018 en ce qu'il fixe la durée du préavis à trois mois et condamne la société Rittal d'avoir à payer à TDL la somme de 18.739 euros HT et par suite :

Fixer la durée du préavis à 12 mois ; Condamner en conséquence la société Rittal d'avoir à payer à la société TDL une somme de 196.759,50 euros HT en raison du préavis non exécuté ;

A titre subsidiaire :

Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 26 février 2018 en ce qu'il fixe la durée du préavis à trois mois et condamne la société Rittal d'avoir à payer à TDL la somme de 18.739 euros HT et par suite :

Fixer la durée du préavis à 6 mois Condamner en conséquence la société Rittal d'avoir à payer à la société TDL une somme de 65.586,50 euros HT en raison du préavis non exécuté ;

A titre extrêmement subsidiaire :

Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 26 février 2018 en ce qu'il fixe la durée du préavis à trois mois et condamner la société Rittal d'avoir à payer à TDL la somme de 18.739 euros HT ;

En tout état de cause :

Condamner la société Rittal d'avoir à payer à la société TDL une somme de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Rittal aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 mai 2021.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, aux prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS :

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Rittal soutient, selon une jurisprudence constante, que la notification du recours à un appel d'offres vaut notification de rupture de la relation commerciale et constitue le point de départ du préavis. Elle relève qu'en notifiant à la société TDL le recours à un appel d'offres le 3 avril 2015, elle a manifesté sans ambiguïté son intention de ne pas poursuivre ses relations commerciales dans les conditions antérieures.

La société TDL répond que le point de départ du préavis doit être fixé au 1er juin 2015, date à laquelle la société Rittal l'a informée de l'arrêt de leurs relations commerciales à compter du 15 juillet 2015 au motif que son offre n'a finalement pas été retenue à l'issue de la procédure.

La société TDL note en effet qu'il n'existait aucun contrat écrit avec la société Rittal et que leurs relations commerciales doivent donc être considérées comme ayant été à durée indéterminée. Elle relève qu'elle ne pouvait pas connaître la date de fin des relations commerciales du seul fait de l'annonce d'une procédure d'appel d'offres faite sans délai.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels... Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

La société qui rompt les relations commerciales doit manifester sans équivoque à son partenaire son intention de ne pas les poursuivre dans les conditions antérieures, que cette manifestation fait courir le délai de préavis.

La société Rittal reconnaît que depuis janvier 2011, elle confiait de manière non exclusive, à la société TDL, société spécialisée dans les services de logistique, de messagerie et d'affrètement, et basée en banlieue parisienne, des prestations de transport de marchandises et ne conteste pas le caractère établi de la relation.

Le 3 avril 2015, la société RITTAL a adressé un courriel à l'ensemble de ses transporteurs partenaires afin de leur notifier la mise en place d'un appel d'offres à compter du 7 avril 2015. Aucune date de fin des relations ni de durée du préavis n'étaient mentionnées dans ce courriel.

Si le courrier de notification de l'appel d'offres constitue le point de départ du délai de préavis, la date de fin des relations ne peut demeurer incertaine en ce que pour réorganiser son activité, celui qui subit la rupture doit être informé de la date de celle-ci et du délai de préavis accordé.

Si la société TDL a pris connaissance de l'existence d'un appel d'offres le 3 avril 2015, elle n'a reçu aucune information sur l'issue des relations. Ce courrier ne peut tenir lieu de notification de fin de relation commerciale, faute d'indiquer précisément la date effective de fin de préavis.

La société TDL n'a été informée que par courriel du 1er juin 2015 que la société Rittal rejetait sa candidature et cessait toute relation commerciale à compter du 15 juillet 2015.

Seul ce courrier a fixé le point de départ et la durée du préavis qui a été d’un mois et demi. La relation commerciale ayant duré quatre ans et demi, le tribunal a justement fixé la durée du préavis à trois mois et a accordé une indemnisation d'une durée d'un mois et demi compte tenu du préavis déjà accordé.

Si le chiffre d'affaires entre les deux sociétés a fortement augmenté au cours de l'année 2015, cet élément relatif à une courte période ne sera pas pris en considération dans la durée du préavis, mais dans la base de calcul de l'indemnisation.

Par courriel du 3 avril 2015, la société Rittal a demandé aux transporteurs auxquels elle avait recours habituellement de présenter avant le 17/4/2015 leur offre par e-mail au contact qu'elle leur transmettait. Il était ajouté que sur les critères énoncés dans l'appel d'offres, les meilleurs dossiers feraient l'objet fin avril 2015 de discussion avec les entreprises.

La société TDL ne peut en conséquence bénéficier d'un doublement du préavis dans la mesure où elle ne rapporte pas la preuve qu'en l'espèce, le recours à l'appel d'offres a procédé d'une mise en concurrence par enchères à distance selon les modalités prévues par la loi.

Le calcul du préjudice subi par la société TDL tel qu'il a été retenu repose sur la production d'un extrait de compte client Rittal et d'une attestation comptable en date du 28 février 2017.

En 2014, la société TDL a réalisé un chiffre d'affaires de 101 961 euros pour une marge brute de 34,25 % et sur les six premiers mois de l'année un chiffre d'affaires de 328 338 euros pour une marge brute de 34,24 % soit 112 438 euros.

L'évaluation retenue par le tribunal de commerce tient compte à juste titre du triplement du chiffre d'affaire en 2015 sur six mois par rapport à l'année entière 2014 ce qui a contraint la société TDL à investir.

En conséquence, le tribunal a évalué le préjudice subi par la société TDL de la manière suivante : 112 438 euros (marge brute sur six mois en 2015 selon attestation comptable) /6 18739 euros X 1,5 (préavis d'un mois et demi) = 28 108 euros

Le jugement sur ce point repose sur des motifs exacts et pertinents que la cour adopte.

Le jugement sera confirmé dans l'intégralité de ses dispositions.

Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de condamner la société Rittal qui succombe en appel à verser à la société TDL la somme de 3500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'appelante sera déboutée de sa demande ce chef.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Rittal à payer à la société Transports Distribution Logistique (TDL)la somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société Rittal aux dépens d'appel.