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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 14 octobre 2021, n° 17/18596

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Abattoirs de Bessines (Sasu)

Défendeur :

Sobevia (SAS), VLSobevia (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Le Cotty

T. com. Bordeaux, du 15 sept. 2017

15 septembre 2017

La société Abattoirs de Bessines exploite un abattoir situé dans la commune de Bessines sur Gartempe qui était antérieurement exploité par ladite commune.

La société Sobevia exploitait un fonds de commerce viande qui maîtrisait l'ensemble de la chaîne commerciale de cette activité allant de l'achat des animaux viande, à la revente d'animaux en négoce et l'abattage et leur revente en carcasse.

Pour procéder à l'abattage des animaux, la société Sobevia travaillait avec la société Abattoirs de Bessines.

Le 24 mai 2014, la société Sobevia a cédé à la société VLSobevia son fonds de commerce correspondant à l'activité viande.

Par courrier du 19 novembre 2015, la société Abattoirs de Bessines a fait part aux sociétés Sobevia et VLSobevia du dommage causé par la rupture des relations et de sa demande d'indemnisation.

Par courrier du 22 février 2016, la société VLSobevia a adressé une fin de non-recevoir aux prétentions d'indemnisation de la société Abattoirs de Bessines aux motifs que l'acquisition d'une partie du fonds de commerce de la société Sobevia ne l'obligeait pas à poursuivre les relations commerciales créées par son vendeur et qu'elle avait clairement annoncé à la société Abattoirs de Bessines qu'elle ne reprendrait pas les activités établies par le vendeur.

Par acte du 22 juin 2016, la société Abattoirs de Bessines a fait assigner les sociétés Sobevia et VLSobevia devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de les voir condamnées solidairement au paiement de la somme de 948.474 euros de dommages-intérêts pour rupture des relations commerciales établies.

Par jugement du 15 septembre 2017, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

Dit que la société Sobevia SAS a rompu le contrat de façon brutale et sans préavis ;

Condamné la société Sobevia SAS à payer la somme de 43 200,00 euros à la société

Abattoirs de Bessines SAS ;

Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamné la société Sobevia SAS à verser à la société Abattoirs de Bessines SAS la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société Sobevia SAS à verser à la société Vlsobevia SAS la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société Sobevia SAS aux entiers dépens.

Par déclaration du 9 octobre 2017, la société Abattoirs de Bessines a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

Jugé qu'il n'y avait jamais eu de lien contractuel entre la société Abattoirs de Bessines et la société tierce Vlsobevia, au motif de l'absence de reprise par cette dernière des relations commerciales entretenues entre la société Abattoirs de Bessines et la société Bétail et Viande (ayant pour sigle « Sobevia ») ;

Jugé que la société Vlsobevia devait être exempte de toute responsabilité dans la rupture des relations commerciales entre elle-même et la société Sobevia, et la société Abattoirs de Bessines ;

Condamné en conséquence la seule société Sobevia et a débouté la société Abattoirs de Bessines de sa demande de condamnation solidaire (in solidum) de la société Sobevia et de la société Vlsobevia et, subsidiairement, de sa demande de condamnation de la seule société Vlsobevia ;

Jugé que les relations commerciales entre les seules sociétés Sobevia et Abattoirs de Bessines avaient duré quatre années de 2010 à 2014, et a rejeté sa demande de voir fixer à quarante années la durée des relations entretenues et poursuivies entre la société Abattoirs de Bessines et la société Sobevia puis la société Vlsobevia ;

Jugé en conséquence que la rupture sans préavis des relations commerciales aurait dû donner lieu à un préavis estimé à trois mois et a débouté la société Abattoirs de Bessines de sa demande de voir fixer le préavis à deux années ;

Jugé que le préjudice subi par la société Abattoirs de Bessines à raison de la rupture des relations commerciales devait être estimé à la somme de 64 800 euros condamnant toutefois la société Sobevia à lui payer une somme de 43 200 euros ;

Débouté en conséquence la société Abatoirs de Bessnes de sa demande à hauteur de 948 474 euros de dommages et intérêts au titre de ce préjudice.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 1er octobre 2019, la société Abattoirs de Bessines demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article L.442-6-5 du code de commerce,

Dire et juger recevable et bien fondée la société Abattoirs de Bessines en son appel et ses demandes ;

Réformer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux ;

Condamner in solidum les SAS Sobevia et VL Sobevia et subsidiairement, la seule société VLS Sobevia, à payer à la SAS Abattoirs de Bessines la somme suivante : 948.474,00 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect d'un délai de préavis après rupture brutale des relations suivies ;

Rejetant les appels incidents, débouter les SAS Sobevi et VL Sobevia de leurs demandes, fins et conclusions.

Condamner les mêmes in solidum à payer à la SAS Abattoirs de Bessines la somme de 6 000,00 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Audrey M. R.-M., avocat au Barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 9 octobre 2019, la société Bétail et Viande (Sobevia) demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article L.442-6-5 du code de commerce,

Vu l'acte de cession de fonds de commerce du 27 mai 2014,

Vu le jugement du 15 septembre 2017,

Vu les dispositions de l'article 1134 du code civil (ancien applicable en l'espèce),

Vu les dispositions de l'article 1372 du code civil (ancien applicable en l'espèce),

Dire et juger recevable la SASU Abattoirs de Bessins en son appel ;

Dire et juger la SAS Sobevia recevable et bien fondé en son appel incident ;

A titre principal :

Réformer le jugement entrepris en ce que les chefs de jugement ont dit que la société Sobevia SAS a rompu le contrat de façon brutale et sans préavis et en ce qu'ils ont condamné la société Sobevia SAS à payer la somme de 43 200 euros à la société Abattoirs de Bessins SAS ;

Dire et juger que la SAS Sobevia n'est pas responsable d'une brusque rupture des relations commerciales établies entre elle-même et la SAS Abattoirs de Bessines ;

Par conséquent,

Débouter purement et simplement la SASU Abattoirs de Bessines de ses demandes formulées à l'encontre de la SAS Sobevia ;

A titre subsidiaire, si la Cour devait statuer sur le principe de la brusque rupture des relations commerciales établies :

Dire et juger que le préavis ne pourra excéder trois mois ;

Dire et juger que le préavis à compter de la cession de fonds de commerce a été respecté ;

Par conséquent,

Dire et juger que la SAS Abattoirs de Bessines ne peut faire valoir aucun préjudice à l'encontre de la SAS Sobevia ;

Débouter la SASU Abattoirs de Bessines de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la SAS Sobevia ;

En tout état de cause :

Constater que le préjudice revendiqué par la SAS Abattoirs de Bessines n'est pas justifié ;

Par conséquent,

Débouter la SASU Abattoirs de Bessines de l'intégralité de ses demandes formulées à ce titre à l'encontre de la SAS Sobevia ;

Si la Cour par extraordinaire devait considérer la rupture comme abusive, elle ne pourra qu'ordonner une expertise judiciaire pour valoriser le prétendu préjudice ;

Débouter la SAS VLS Sobevia de des demandes formulées à l'encontre de la SAS Sobevia ;

Réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la SAS Sobevia au paiement de la somme de 3 000 euros au bénéfice de la SASU Abattoirs de Bessines et en ce qu'elle a condamné la SA Sobevia au paiement de la somme de 3 000 euros au bénéfice de la SAS VLS Sobevia et en ce qu'elle a mis à la charge de la SAS Sobevia les dépens de la première instance ;

Condamner la SASU Abattoirs de Bessins et la SAS VLS Sobevia au paiement chacune de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance ;

Condamner la partie succombant au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamner la même aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 15 septembre 2019, la société VLSobevia demande à la cour de :

Vu l'article L.442-6 I 5° du code de commerce,

Juger que la société VLSOBEVIA et la société Abattoirs de Bessines n'ont jamais été en relations commerciales établies ;

Juger que la société VLSobevia n'a pas manifesté l'intention de reprendre les relations commerciales antérieurement établies entre la société Bétail et Viande (Sobevia) et la société Abattoirs de Bessines, mais a au contraire manifesté l'inverse ;

Juger que la société VLSobevia n'est pas l'auteur d'une rupture brutale de relations commerciales à l'égard de la société Abattoirs de Bessines ;

Débouter la société Abattoirs de Bessines de l'ensemble de ses demandes à son égard ;

Débouter la société Sobevia de l'ensemble de ses demandes à son égard ;

Confirmer en conséquence le jugement de première instance sauf en ce qui concerne la demande d'article 700 du code de procédure civile formulée par la société VLSobevia ;

Juger l'appel incident interjeté par la société VLSobevia bien-fondé ;

Condamner en conséquence la société Abattoirs de Bessines à payer à la société VLSobevia la somme de 7 000 euros à titre de participation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance ;

Condamner la société Abattoirs de Bessines et la société Sobevia à payer chacune à la société VLSobevia la somme de 7 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens au titre de la procédure d'appel, dont distraction pour ceux d'appel au profit de C2J agissant par Me B. dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 octobre 2019.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, aux prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande de la société Abattoirs de Bessines sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Sur les relations commerciales établies

La société Abattoirs de Bessines fait valoir qu'il faut prendre en compte les relations privilégiées et historiques entretenues entre la société Sobevia et l'abattoir sans tenir compte du gérant de celui-ci, de sorte que ces relations ont duré plus de 40 ans, la société Abattoirs de Bessines ayant repris la gestion de l'abattoir à la demande de la société Sobevia pour éviter la rupture de ces relations, que la société Sobevia n'a pas été créée en 1999 mais a seulement changé de forme juridique à cette date pour exploiter le même fonds de commerce avec les mêmes dirigeants, a repris à son compte l'ancienneté des relations conformément à l'acte de cession et l'investissement qu'elle a opéré tient compte du maintien des relations. Elle ajoute que la Société VL SOBEVIA s'est donc bien engagée à poursuivre la relation avec elle après la cession du fonds de commerce, qu'elle a poursuivi l'activité jusqu'en fin d'année 2014 dans des conditions normales, même si elle empruntait le label de la Société SOBEVIA.

La société Sobevia soutient qu'il ressort de l'acte de cession de l'activité « viande » de la société Sobevia, de la poursuite de l'activité et de l'accord de la société Abattoirs de Bessines que la société VL Sobevia a repris les activités de la société Sobevia ainsi que les relations commerciales que cette dernière entretenait avec la société Abattoirs de Bessines.

La société VL Sobevia répond que la cession n'a pas pour effet de substituer de plein droit l'acquéreur au vendeur dans les relations commerciales établies par ce dernier avec ses clients et fournisseurs, de sorte que celui-ci n'a aucune obligation de poursuivre les relations établies par son vendeur ni de respecter le moindre préavis pour ne pas les poursuivre, qu' elle a toujours indiqué aux sociétés Sobevia et Abattoirs de Bessines qu'elle ne reprendrait pas les relations commerciales antérieurement établies entre elles et que l'acte de cession de fonds de commerce indique explicitement que la société VL Sobevia exploitera l'activité viande sur un site différent de celui de Bessines, étant précisé que l'annexe 9, qui précise la liste des contrats avec les fournisseurs par exception repris par la société VL Sobevia, ne mentionne pas celui de la société Abattoirs de Bessines, que la cession de fonds de commerce ne prévoit la reprise d'aucun bail et la société VL Sobevia n'a repris aucun bail au sein de l'abattoir, comme l'ont reconnu les sociétés Sobevia et Abattoirs de Bessines dans leurs courriers respectifs des 26 août et 3 octobre 2014.

La cession d'un fonds de commerce ne substitue pas de plein droit le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que celui-ci entretenait avec les tiers, sauf manifestation expresse de volonté des parties.

En conséquence, il appartient à la société Sobevia de démontrer quelles activités ont été cédées à la société VL Sobevia.

Il résulte de l'acte de cession du fonds de commerce signé le 27 mai 2014 entre la société Sobevia et la société VL devenue VLSobevia les dispositions suivantes :

Il est exposé initialement que la société Sobevia exploite dans les domaines bœufs, veaux et ovins, deux branches d'activité distinctes : le « vivant » et la « viande ».

A l'article premier de l'acte, il est stipulé que le vendeur cède à l'acquéreur la branche d'activité « viande (cheville et découpe sur les familles, bœufs, veaux et agneaux, à destination de l'ensemble des réseaux commerciaux c'est-à-dire bouchers, charcutiers, restauration, petite surface, Gms, industries), du fonds de commerce de production de viande de boucherie et produits d'abattage et notamment la découpe des carcasses et la préparation des abats, le négoce de viande et toutes activités d'abattages d'animaux de boucherie qu'il possède et exploite à Bessines sur Gartempe.

Il résulte de ces dispositions que la société VLSobevia a repris toutes les activités que la société Sobevia exerçait sur le site de l'abattoir de Bessines sur Gartempe avec cependant une réserve.

Il est précisé, en page 2 aux deux derniers paragraphes de l'acte de cession du fonds de commerce que la société Sobevia, malgré la cession de l'activité continuera à exploiter à titre dérogatoire au sein de son atelier de découpe situé dans l'abattoir de Bessines sur Gartempe, une activité de découpe au profit exclusif des éleveurs au motif que des engagements avaient été pris par la société auprès des partenaires privilégiés, en l'espèce les éleveurs quant à ces prestations de découpe et que ces accords ne pouvaient être dénoncés en raison de l'antériorité des liens existants.

Il est ajouté que dans ce cadre, « le droit au bail des locaux d'exploitation de l'atelier de découpe situé à Bessines sur Gartempe n'est pas repris dans la présente session ; ce dernier étant conservé par la société SOBEVIA. La société VLS exploitera l'activité « Viande » sur un site différent ».

Par courrier du 28 mai 2014, la société VLSobevia a informé la société Abattoirs de Bessines de son rachat du fonds de commerce viandes de la société Sobevia et a indiqué que désormais les sites d'exploitation en matière d'abattage, découpe, traitement des abats de la société VL Sobevia étaient fixés à Limoges et qu'était conservée à Bessines sur Gartempe une activité de cheville locale.

Par courrier du 3 octobre 2014, la société Abattoirs de Bessines écrivait à la société Sobevia en lui rappelant qu'elle était un usager historique de l'abattoir de Bessines depuis 1963 mais qu'à ce jour, la société VL Sobevia « ne faisait pas abattre d'animaux à Bessines » et sollicitait que lui soit accordé un préavis de deux ans pour réorganiser son activité si la société Sobevia devait cesser de recourir à ses services. Elle ajoutait que le préavis de trois mois proposés par celle-ci était insuffisant pour réorganiser son activité compte tenu du chiffre d'affaires réalisé.

Par courrier du 16 octobre 2014, la société VLSobevia rappelait à la société Abattoirs de Bessines qu'elle avait repris la totalité de l'activité viande de la société Sobevia depuis le 1er juin 2014 et qu'elle n'avait pas dans le cadre de cette cession repris le bail de l'abattoir de Bessines souhaitant organiser son activité viande sur le site de l'abattoir de Limoges. La société VL Sobevia précisait qu'elle envisageait seulement de développer une activité de cheville locale au sein de l'abattoir de Bessines. Elle ajoutait qu'afin d'accompagner la société Sobevia dans cette période de transition que représentait la fin de son activité viande, les animaux abattus par cette dernière lui étaient ensuite cédés.

L'acte de cession distingue l'activité « vivant » et l'activité « viande », cette dernière étant relative à l'activité cheville c'est-à-dire le commerce, après abattage des animaux, des carcasses ou quartiers de carcasses d'animaux des familles b'ufs, veaux et agneaux et à l'activité de découpe, c'est-à-dire la découpe de la viande des carcasses des animaux des mêmes familles.

La branche d'activité « vivant » concerne le commerce d'animaux vivants.

Pour justifier de la cession de l'activité d'abattage des animaux, la société Sobevia verse aux débats des factures établies à compter du 1er juin 2014 d'abattage d'animaux émises à l'égard de la société VLSobevia. Elle indique être intervenue en qualité de sous-traitant de la société VLSobevia afin que celle-ci puisse conserver le label.

La société Sobevia ne verse aucun élément justifiant de la conservation d'un label en faveur de la société VLSobevia ni davantage qu'elle aurait bénéficié de son numéro d'abatteur ce qui n'est pas confirmé par la société Abattoirs de Bessines.

La société VLSobevia verse des factures démontrant qu'elle a acheté des carcasses d'animaux auprès de la société Sobevia postérieurement à la cession du fonds de commerce sans cependant se soucier de l'abattage des animaux qui relevait du domaine de cette dernière société. L'émission de ces factures est corroborée par une attestation de l'expert-comptable de la société Sobevia.

Les factures produites concernent la période du 30 juin 2014 au 31 mars 2015. Il sera fait observer que les factures sont émises par la société Abattoirs de Bessines à l'égard de Sobevia VLS ou AF Sobevia à l'adresse « La Croix du Breuil » 87 250 Bessines sur Gartempe ce qui n'est pas l'adresse de la société VLSobevia ni sa dénomination exacte. Contrairement à ce qu'il est soutenu, il n'est pas justifié de la location de locaux par cette dernière société au sein des abattoirs de Bessines.

De plus, il résulte de l'acte de cession du fonds de commerce que la société Sobevia a conservé à titre dérogatoire une activité de découpe au sein de l'abattoir en faveur de certains éleveurs ce qui justifie l'existence de ces factures pour l'abattage d'animaux.

S'il est mentionné dans l'acte de cession que celui-ci inclut la reprise des lignes téléphoniques et de fax de la société Abattoirs de Bessines, la société VLSobevia justifie cette reprise pour les besoins de ses relations avec la clientèle qui fait partie du fonds de commerce acheté et qui utilise ces lignes.

En tout état de cause, la reprise de ces seules lignes téléphoniques, est insuffisante à établir la volonté de la société VLSobevia de demeurer dans les locaux alors même que le bail en cours a été conservé par la société Sobevia et que le contrat liant celle-ci à la société Abattoirs de Bessines n'est pas mentionné à l'acte de cession. Il est en outre expressément stipulé que la société VLSobevia exploitera l'activité « viande » soit l'intégralité du fonds de commerce acquis sur un site différent.

Au vu de ces éléments, la société Sobevia et la société Abattoirs de Bessines échouent à démontrer que postérieurement à la cession du fonds de commerce, la société VLSobevia s'est substituée à la société Sobevia dans les relations que celle-ci entretenait avec la société Abattoirs de Bessines.

En conséquence, la société VLSobevia n'ayant pas repris le contrat liant la société Abattoirs de Bessines et la société Sobevia, seule cette société peut être actionnée sur le fondement de l'article L442-6 1, 5° du code de commerce.

Sur la rupture brutale des relations commerciales

La société Abattoirs de Bessines expose qu'elle n'a été informée de la rupture qu'en août 2014 pour la société Sobevia et en octobre 2014 pour la société VL Sobevia, de sorte qu'il s'agit d'une rupture brutale, soudaine et imprévisible qui n'est justifiée par aucun manquement susceptible de lui être reproché, que les relations entre les parties ont duré plus de 40 ans puisqu'en devenant propriétaire de l'abattoir, la société Abattoirs de Bessines a repris les relations commerciales avec la société Sobevia, et que, compte tenu de cette durée, elle est en droit de solliciter un préavis de deux ans, aucun préavis n'ayant été donné par écrit.

La société Sobevia réplique qu'elle a cédé son activité, de sorte qu'elle n'est tenue à aucun préavis et ne peut donc être tenue pour responsable fautive de cette baisse d'activité, que la durée du préavis sollicitée par la société Abattoirs de Bessines, à savoir deux ans, est trop importante dans la mesure où, si le tonnage facturé à la société Sobevia puis à la société VL Sobevia était important, le principal partenaire des abattoirs était la société Somafer, que dans la mesure où les abattoirs de Bessines ont été créés en 2010, que la société VL Sobevia a été créée en 1996, et que la société Sobevia a été créée en 1999, les relations commerciales n'ont pas excédé quatre années, que le délai de préavis applicable ne pourrait excéder six mois en application d'une jurisprudence constante, que s'il n'a été question que d'un préavis de trois mois en l'espèce, la facturation s'est poursuivie pour le compte de la société VL Sobevia pour un volume important pendant une période manifestement suffisante.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Pour démontrer l'existence d'une relation commerciale de 40 ans, la société Abattoirs de Bessines, verse aux débats

- un compte-rendu de réunion des usagers de l'abattoir de Bessines dont le représentant de la société Sodebia et des représentants de l'abattoir en date du 18/11/1980 afin de tendre à une meilleure organisation du travail

-un courrier du 11 avril 1990 adressé au directeur régional de l'agriculture et de la forêt et aux termes duquel les trois usagers de l'abattoir de Bessines, dont la société Sobevia acceptaient de souscrire un engagement global d'apport à hauteur de 8 000 tonnes de carcasses représentant 80% des 10 000 tonnes de tonnage abattu, retenu pour l'agrément de l'abattoir.

Il est également justifié que par acte du 7 mai 2010, la commune de Bessines sur Gartempe a cédé à la société Abattoirs de Bessines l'abattoir communal avec l'engagement pour le cessionnaire de maintenir notamment l'abattage des animaux des usagers historiquement présents à l'abattoir de Bessines sur Gartempe (Sobevia et Christian D. & fils) sur la base des tonnages traités en 2009 avec une augmentation de 30 % maximum.

Il sera précisé que la société VLSobevia n'ayant pas repris le contrat d'abattage des animaux avec la société Abattoirs de Bessines, il appartenait à la société Sobevia d'aviser cette dernière de la fin des relations et de lui accorder un préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale.

Si l'extrait Kbis de la société Sobevia révèle qu'elle a été immatriculée le 09/11/1999, les éléments susvisés démontrent qu'une société Sobevia préexistait et était usager de l'abattoir de Bessines. Sur le compte-rendu de réunion des usagers de l'abattoir de Bessines en date du 18/11/1980, le représentant de la société Sodebia était M. Bernard D., aujourd'hui président de la société Sodebia.

Il y a lieu de retenir que les relations existaient déjà en novembre 1980 et qu'au vu des éléments comptables produits aux débats, elles ont cessé lorsque la société Sobevia a avisé par courrier du 26 août 2014 la société Abattoirs de Bessines, qu'elle cédait son activité « viande » sans notifier de préavis.

Au moment de la rupture des relations commerciales, la durée des relations était de 34 ans avec un chiffre d'affaires de 578 443 euros en 2013 et de 469 677 euros en 2014. En 2015, le chiffre d'affaires s'est élevé à 132 674 euros. Il est également précisé que la société Abattoirs de Bessines a réalisé en 2014 un chiffre d'affaires global de 3 223 055 euros.

La durée du courant d'affaires et son flux justifiaient que soit accordé à la société Abattoirs de Bessines, un préavis de 18 mois.

Les éléments financiers produits sont suffisants pour évaluer le préjudice subi sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise.

La société Abattoirs de Bessines pouvait espérer en 2015 réaliser le même chiffre d'affaires qu'en 2013, l'année 2014 correspondant à la rupture.

Il sera pris en compte la seule année 2013 complète pour calculer le montant du préjudice subi soit la somme de 578 443 euros de chiffre d'affaires à laquelle il sera appliqué un taux de marge brute de 30% compte tenu de la nature de l'activité exercée.

578 443 euros : 12 mois = 48 203,58 euros X 18 mois (durée du préavis) = 867 664 euros. De cette somme sera déduit le chiffre d'affaires réalisé en 2015 soit la somme de 132 674 euros ce qui donne un solde de 734 990 euros auquel il sera appliqué une marge brute de 30 %.

734 990 euros X 30 % = 220 497euros

La société Sobevia devra verser à la société Abattoirs de Bessines la somme de 220 497 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture brutale des relations commerciales.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens seront confirmés.

La société Sobevia sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et à verser à la société Abattoirs de Bessines la somme de 6000 et à la société VLSobevia la somme de 6 000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement sur le montant de la somme allouée à la société Abattoirs de Bessines au titre de la rupture brutale des relations commerciales,

Le confirme pour le surplus

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la société Sobevia a rompu brutalement les relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Abattoirs de Bessines,

Dit que la société de Bessines aurait dû bénéficier d'un délai de préavis de 18 mois,

Condamne la société Sobevia à verser à société Abattoirs de Bessines la somme de 220 497 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du délai de préavis lors de la rupture des relations commerciales,

Dit que la société Vlsobevia et la société Abattoirs de Bessines n'ont jamais été en relation commerciale,

Rejette la demande de la société Abattoirs de Bessines à l'égard de la société VLSobevia en paiement de dommages-intérêts,

Condamne la société Sobevia à verser à la société Abattoirs de Bessines la somme de 6 000 euros et à la société VLSobevia la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Sobevia aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Selas C2J agissant par Me B. et au profit de Maître Audrey M. R.-M., Avocats au Barreau de Paris.