Cass. 1re civ., 12 juillet 2011, n° 09-16.188
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charruault
Avocats :
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Roger et Sevaux
LA COUR : - Attendu que M. Alberto X..., auteur de la photographie représentant Che Guevara, intitulée " Guerillero heroico " et connue comme la photographie du Che au béret et à l'étoile, en a cédé les droits d'exploitation, par contrat du 25 mai 1995, pour une durée de dix ans, à Patrick A... qui a lui-même accordé à la société Legende Llc une licence d'exploitation de cette photographie, par contrat du 14 avril 2002 ; que M. A... a également déposé la photographie à titre de marque communautaire, le 18 janvier 2002, pour désigner des produits et services en classes 16, 25 et 41 ; qu'ayant découvert que la société XIII Bis Records commercialisait, via les réseaux de distribution classiques et via son site internet, le DVD d'un concert du groupe de rock Trust, montrant en fond de scène un cliché représentant un portrait de Che Guevara, Mme B..., fille et légataire universelle de X..., Patrick A..., décédé, aux droits duquel se trouvent ses héritiers, les consorts A..., et la société Legende Llc l'ont assignée en contrefaçon sur le fondement de l'atteinte portée à leurs droits moraux et patrimoniaux d'auteur et en contrefaçon de marque, sollicitant la réparation de leurs préjudices et l'interdiction de l'usage de la photographie ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que Mme B..., les consorts A... et la société Legende Llc font grief à l'arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2008) d'avoir débouté Mme B... et Patrick A... de leur demande formée au titre de la contrefaçon de la photographie de X... dite du « Che au béret et à l'étoile » et en réparation de l'atteinte ainsi portée à leurs droits patrimoniaux sur cette oeuvre et de leur demande d'expertise graphique subsidiaire et d'avoir dit que la société Legende LLC n'était pas recevable à agir en contrefaçon au titre des droits patrimoniaux sur ce cliché, alors, selon le moyen :
1°/ que la notion de carence étant indissociable de la notion de faute, l'article 146, alinéa 2, du code de procédure civile, relatif à l'impossibilité pour le juge de suppléer la carence probatoire, n'est applicable qu'en cas d'abstention délibérée ou de refus d'une partie de concourir à l'administration de la preuve, et ne peut trouver application en cas d'impossibilité de fournir les éléments de preuve nécessaires ; qu'en refusant d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée, sans rechercher si les exposants n'étaient pas dans l'impossibilité de fournir les éléments de preuve nécessaires pour établir que la reproduction de Che Guevara utilisée en fond de scène par le groupe Trust reprenait effectivement les caractéristiques originales du cliché X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 146 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en se bornant, pour dire que la société Legende Llc était irrecevable à agir en contrefaçon, à énoncer qu'aux termes du contrat du 14 avril 2002 liant la société Legende Llc à M. A..., la première ne jouissait que d'une licence d'exploitation non exclusive et non cessible d'utilisation du cliché en cause, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si au-delà des termes employés dans le contrat litigieux, les parties n'avaient pas eu l'intention de conférer à la société Legende Llc l'exploitation complète du cliché litigieux lui ouvrant la faculté d'agir en contrefaçon, dans la mesure où ce contrat transférait à cette dernière société les droits d'exploitation dont M. A... se trouvait lui-même cessionnaire exclusif en vertu d'un contrat du 25 mai 1995 conclu avec X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1156 du code civil ;
Mais attendu que, d'abord, les juges du fond, qui ont, au demeurant, écarté que le personnage de Che Guevara illustrant le DVD diffusé par la société XIII Bis Records soit la reproduction de la photo de X..., ont souverainement apprécié la carence des consorts A... et de Mme B... dans l'administration de la preuve du caractère contrefaisant de l'image litigieuse, dont ils n'invoquaient pas l'impossibilité et qu'aurait permise la simple production des éléments propres à effectuer la comparaison des caractéristiques originales de l'oeuvre première avec le décor de fond de scène illustrant le DVD ; qu'ensuite, la cour d'appel, à laquelle il n'est pas reproché d'avoir dénaturé le contrat conclu entre Patrick A... et la société Legende Llc, a, par motifs propres et adoptés, fait application des termes littéraux de ce contrat selon lequel " le concédant de licence octroyait au licencié une licence non exclusive et non cessible d'utilisation de la photographie ", sans avoir à se livrer à la recherche de la prétendue intention des parties de réaliser une cession des droits d'exploitation, que cette stipulation clairement contraire rendait inutile ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen, après avis de la chambre commerciale :
Attendu que les consorts A..., Mme B... et la société Legende Llc font grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé l'annulation, pour défaut de caractère distinctif, de la marque communautaire n° 002550036, alors, selon le moyen :
1°/ que pour prononcer l'annulation de la marque communautaire n° 002 550 036 pour défaut de caractère distinctif, la cour d'appel s'est bornée à retenir que le signe constitué par la photo de X..., qui avait reçu une large diffusion mondiale, était emblématique d'un personnage historique et d'une époque de l'histoire contemporaine et dès lors très évocateur ; qu'en se déterminant ainsi, alors que le caractère distinctif de la marque signifie que le signe choisi, qui peut être indifféremment banal ou au contraire très original et évocateur, doit permettre au consommateur des produits pour lesquels l'enregistrement est sollicité de distinguer ces produits de ceux d'autres entreprises, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 4 et 7 du règlement n° 40/ 94/ CE du 20 décembre 1993 ;
2°/ que le signe est distinctif s'il permet au public ciblé d'individualiser les produits ou services du demandeur de la marque par rapport à ceux ayant une autre origine commerciale et de croire que tous les produits ou services désignés par la marque ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle du titulaire de la marque ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la marque en cause, enregistrée pour permettre aux ayants droit de distinguer les produits officiels sous licence des produits non autorisés des contrefacteurs, et qui estampillait les étiquettes et l'emballage des produits officiels et sous licence, ne constituait pas, pour le consommateur desdits produits, un signe distinctif garantissant l'origine des produits et servant à distinguer les produits officiels de ceux qui étaient contrefaisants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 4 et 7 du règlement n° 40/ 94/ CE du 20 décembre 1993 ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la marque en cause, constituée de la seule photographie dont X... est l'auteur, a été déposée pour désigner " les produits de l'imprimerie, photographie, matériel d'instruction ou d'enseignement, vêtements, les services d'éducation, de divertissements, activités culturelles, édition de livres, production de spectacles, de films, organisation d'expositions à but culturel ou éducatif " ; que, relevant la puissance d'évocation que revêt cette oeuvre aux yeux de tous, compte tenu de sa diffusion mondiale et de l'écho qu'elle a reçu, l'arrêt en déduit que le consommateur concerné par les produits et services visés à l'enregistrement, notamment les vêtements, les produits de l'édition, les activités culturelles, percevra la marque communautaire litigieuse non pas comme un signe lui désignant l'origine des produits ou services auxquels il s'intéresse, mais comme une référence faite, à des fins politiques ou artistiques à l'oeuvre de X... qui magnifie Che Guevara ; qu'il ajoute que la perception de cette photographie par le consommateur est exclusive de son utilisation pour désigner à ses yeux l'origine des produits et services pour lesquels elle a été enregistrée ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur le seul fait que le signe en cause était emblématique d'un personnage historique et d'une époque de l'histoire contemporaine mais a examiné la marque tant par rapport à la perception qu'en avait le public pertinent que par rapport aux produits et services pour lesquels elle était enregistrée, pour en déduire qu'elle était dépourvue de tout caractère distinctif et qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt.