CA Rennes, 2e ch., 8 octobre 2021, n° 18/05119
RENNES
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Christien
Conseillers :
Mme Barthe Nari, Mme Gelot Barbier
Avocats :
Me Briec, Me Pailler
EXPOSE DU LITIGE
Le 28 février 2015, à la suite d'une annonce Internet sur le site « Leboncoin. Fr », M. G F I a, moyennant le prix de 8 000 euros, acquis auprès de M. J D un bateau semi rigide de marque Valiant équipé d'un moteur Honda de 50 CV, construit en 2006.
M. D avait acquis précédemment ce bateau de M. A le 8 avril 2012.
Invoquant une panne du moteur ayant provoqué l'immobilisation du bateau, et se prévalant d'une expertise extrajudiciaire du 2 mai 2016 concluant à une usure prématurée du moteur dont le millésime était de l'année 2000 et non 2006, M. F I a, par acte du 9 août 2016, fait assigner M. D devant le tribunal d'instance de Brest en paiement du coût des réparations, sur le fondement de la garantie des vices cachés.
M. D ayant appelé à la cause son propre vendeur, M. A, les deux instances ont été jointes.
Estimant qu'aucune déclaration mensongère n'avait été faite concernant l'année du moteur et que l'acheteur avait accepté d'acheter le bateau dans l'état, renonçant ainsi aux dispositions sur les vices cachés, le premier juge a, par jugement du 10 avril 2018 : débouté M. F I de l'ensemble de ses demandes, débouté les parties du surplus de leurs demandes, condamné M. F I à verser à M. D la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire, condamné M. F I aux dépens.
M. F I a relevé appel de ce jugement le 25 juillet 2018, en intimant seulement M. E
Puis, M. D a, par acte du 21 janvier 2019, assigné en appel provoqué, M. B
Aux termes de ses dernières conclusions du 13 avril 2021, M. F I demande à la cour de :
Vu les articles 1641 et suivants du code civil, infirmer le jugement attaqué, le dire recevable et bien fondé en son action, condamner M. D à lui payer les sommes de :
- 4 000 euros,
- 414,53 euros,
- 57,36 euros,
- 461,18 euros, condamner le même à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
à titre subsidiaire, ordonner une expertise.
Aux termes de ses dernières conclusions du 9 avril 2021, M. D conclut à titre principal à la confirmation du jugement attaqué.
Il demande à la cour, à titre infiniment subsidiaire, de condamner M. A à le garantir de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre, tant en principal, frais irrépétibles et dépens, et, en tout état de cause, de condamner M. F I, ou à défaut M. A, à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
M. A n'a quant à lui pas constitué avocat devant la cour.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 22 avril 2021.
EXPOSE DES MOTIFS
Sur les demandes de M. F I à l'égard de M. D
M. F I fait grief au jugement d'avoir estimé qu'en signant l'acte de vente mentionnant que « l'acheteur déclare bien connaître le navire, l'avoir visité et (accepté) dans l'état où il se trouve », il avait accepté de renoncer aux dispositions sur les vices cachés, alors que la renonciation à une garantie légale ne peut se présumer, et qu'il n'a pas expressément renoncé à se prévaloir de la garantie légale des vices cachés.
Il est exact qu'une clause d'exclusion de garantie doit être appliquée restrictivement, qu'en l'espèce la clause ne vise pas les vices cachés et que la formule « l'acheteur déclare bien connaître le navire, l'avoir visité et (accepté) dans l'état où il se trouve » ne concerne que les vices apparents du bateau et n'exonère nullement M. D de la garantie des vices cachés qu'il doit en sa qualité de vendeur.
Il s'ensuit que M. F I, qui exerce l'action en garantie des vices cachés régie par les articles 1641 et suivants du code civil, doit démontrer que le navire était atteint, lors de la vente, d'un défaut caché le rendant impropre à l'usage auquel il était destiné ou qui en diminue tellement cet usage qu'il ne l'aurait pas acquis ou en aurait donné un moindre prix s'il l'avait connu.
A cet égard, le navire litigieux a été examiné par l'expert K, mandaté par l'assureur de M. F I, hors la présence de M. D qui, bien qu'invité par lettre recommandée à assister aux opérations, ne s'est pas présenté, ni personne pour lui, ce dont il résulte qu'il ne saurait être regardé comme ayant participé volontairement aux opérations d'expertise et accepté celui-ci comme expert.
Ce rapport d'expertise extrajudiciaire n'est certes pas dépourvu de toute force probante, mais il est cependant de principe que le juge ne peut fonder exclusivement sa décision sur celui ci que pour autant qu'il est corroboré par d'autres éléments probatoires.
A cet égard, le rapport fait ressortir l'existence de plusieurs défauts concernant le fonctionnement du moteur, « qui présente une usure avancée au niveau de la poulie magnétique, les vis du carburateur ont été remplacées par des modèles non d'origine, l'huile de l'embase est contaminée par de l'eau, le support du moteur présente un jeu important », l'expert concluant que 'le moteur présente une usure prématurée au niveau de plusieurs pièces qui rendent celui-ci inutilisable dans des conditions normales (et que) compte de tenu de l'usure, les dommages ne pouvaient qu'être présents avant la vente ».
D'autre part, M. D produit un diagnostic du moteur du 30 septembre 2015 établi par l'entreprise Y H mentionnant : « volant hs, jeu important dans pivot, présence d'eau dans embase, trop de frais en attente. »
M. D produit également le procès verbal d'expertise contradictoire établi le 24 février 2016 en présence de l'expert K, de M. X mécanicien de l'entreprise Y H et de son gérant, mentionnant, après contrôle du moteur par M. X, l'existence d'un problème volant magnétique moteur, un jeu important direction, une présence d'eau importante dans l'embase, le garage constatant en outre que le moteur est de l'année 2000 et non 2006, et mentionnant l'accord des parties présentes sur l'existence de ces défauts, et que le coût de remise en état était supérieur à la valeur du moteur.
Les observations de l'expert extrajudiciaire sont donc techniquement étayées et sont corroborées par le procès verbal d'expertise contradictoire du 24 février 2016, par la facture du garagiste et les observations y figurant datées du 30 septembre 2015.
Il résulte ainsi suffisamment de l'ensemble de ces éléments de preuve que les vices affectant le moteur préexistaient à la vente et étaient cachés pour l'acquéreur, les défauts relatifs au volant moteur et à la présence d'eau dans l'embase ne pouvant être décelés que lors de l'examen du moteur par un professionnel.
M. D soutient cependant que le vice était apparent pour l'acquéreur dans la mesure où l'âge du moteur était aisément décelable puisque le millésime du moteur (année 2000) apparaissait sur sa plaque et que, s'il avait examiné celui ci, il aurait pu s'apercevoir qu'il existait une discordance entre la plaque moteur et l'étiquette autocollante figurant sur le capot mentionnant l'année 2006.
Cependant, M. D, qui affirme lui même dans ses écritures qu'il a « toujours cru que le moteur était de 2006 », ne peut reprocher à son acquéreur de n'avoir pu déceler lui même le millésime du moteur, étant en outre rappelé que les défauts du moteur ne pouvaient être décelés dans toute leur ampleur et leur gravité que lors de son examen par un professionnel.
M. D est donc, en application de l'article 1641 du code civil, tenu de garantir ces vices cachés sans pouvoir reprocher à M. F I, acquéreur non professionnel, une prétendue négligence dans l'examen du navire mis en vente.
Toutefois, conformément aux dispositions des articles 1644 et 1645 du code civil, le vendeur qui ignorait lui-même l'existence du vice dans toute son ampleur ne peut être tenu, envers l'acquéreur qui veut garder le bien vendu, qu'à la restitution partielle du prix telle qu'arbitrée par expert, à l'exclusion de dommages intérêts.
En effet, si l'action en réparation du préjudice subi peut être engagée indépendamment des actions rédhibitoire ou estimatoire, c'est à la condition que l'acquéreur démontre l'existence d'une faute contractuelle du vendeur qui, lorsqu'il s'agit d'un vendeur occasionnel de bonne foi, ne peut résulter de la seule délivrance d'un bien affecté d'un vice.
En l'occurrence, rien ne démontre que M. D avait connaissance de la défectuosité des vices affectant le moteur, ayant lui-même fait procéder à l'entretien de son bateau, et notamment, par facture du 11 avril 2014, à la révision du moteur par un professionnel.
Il s'ensuit que la demande de M. F I en remboursement du coût de la réparation qu'il évalue à 4 933,07 euros, incluant le coût d'acquisition du moteur d'occasion (4 000 euros) et de son remplacement (414,53 euros), le coût du diagnostic (57,36 euros) et de son entretien (461,18 euros) selon facture du 2 mai 2017, étant rappelé que le navire a été vendu moyennant un prix de 8 000 euros et que l'acquéreur ne peut obtenir le paiement de dommages intérêts du vendeur occasionnel sans établir l'existence d'une faute de celui-ci, ne peut s'analyser que comme une demande de réduction du prix.
L'expert, sans arbitrer la restitution du prix, avait estimé que le moteur n'était pas réparable économiquement et que sa valeur était de 4 000 euros, et sachant que pour ce type de navire le moteur représente environ 40 à 50 % de la valeur du bateau, la réduction du prix sera exactement fixée à 50 % du coût de la réparation soit à la somme de 2 207,26 euros (4 000 + 414,53 : 2).
Il s'ensuit que la demande subsidiaire de M. F I de désignation d'un expert est devenue sans objet.
Sur la demande en garantie de M. D à l'égard de M. A
Pour fonder sa demande en garantie à l'égard de son vendeur, M. D soutient que le bateau qui lui a été vendu par M. A était déjà équipé du moteur litigieux, et qu'il pensait que ce moteur datait de 2006.
Cependant, M. D n'apporte pas la preuve qui lui incombe, de ce que l'âge du moteur, au jour de la vente du 8 avril 2012, ait été de nature à rendre celui ci impropre à son usage, ni que les défauts constatés pour la première fois le 30 septembre 2015 par l'entreprise Y H, fussent imputables à des défauts antérieurs à la vente du 8 avril 2012, M. D soutenant au contraire qu'il a vendu à M. F I un moteur qui fonctionnait bien et qui a été entretenu.
Il convient donc de débouter M. D de sa demande en garantie à l'encontre de M. B
Sur les demandes accessoires
M. D, qui succombe, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de M. F I l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de la procédure de première instance et d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 10 avril 2018 par le tribunal d'instance de Brest en l'ensemble de ses dispositions ;
Dit que bateau vendu le 28 février 2015 par M. D à M. F I est affecté d'un vice caché ;
Condamne M. D à restituer à M. F I une partie du prix de vente fixé à 2 207,26 euros ;
Déboute M. D de ses demandes à l'égard de M. A ;
Condamne M. D à payer à M. F I la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. D aux dépens de première instance et d'appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.