CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 octobre 2021, n° 21/06054
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Carrefour Proximité France (SAS)
Défendeur :
Carbaz (SARL), CSF (SAS), Amidis et Compagnie (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Wilhelm, Me Guerre, Me Demeyere, Me Cosse
La société Carbaz est une société exploitante d'un magasin Carrefour Contact à Blainville-sur-l'Eau.
M. X est le gérant de la société Carbaz.
La société CSF est la centrale d'approvisionnement de la société CPF.
La société d'exploitation Amidis et compagnie (ci-après « Amidis ») est propriétaire d'un fonds de commerce de supermarché alimentaire à Blainville-sur-l'Eau, exploité sous l'enseigne Carrefour Contact.
M. X a constitué la société Carbaz afin d'exploiter un fonds de commerce d'alimentation générale de type supermarché.
Le 17 novembre 2014, la société Carbaz a signé un contrat de franchise avec la société CPF, un contrat d'approvisionnement avec la société CSF et un contrat de location-gérance avec la société Amidis.
Le contrat de franchise et le contrat d'approvisionnement comprennent une clause compromissoire prévoyant le recours à l'arbitrage
Au vu de ses résultats, M. X a pris la décision de dénoncer son contrat de location-gérance, dénonciation qui a entraîné la résiliation consécutive des contrats de franchise et d'approvisionnement.
Par acte d'huissier en date du 23 juin 2020, la société Carbaz et M. X ont assigné les sociétés Carrefour, CSF et Amidis aux visas des articles L. 420-1 (ententes), L. 420-2 (abus de dépendance économique), L. 442-6 (déséquilibre significatif), L. 420-7 et D. 442-3 du code de commerce et des annexes 4-2 et 4-2-1 du livre IV du même code.
Par jugement du 23 mars 2021, le tribunal de commerce de Rennes a rejeté l'exception de nullité pour vice de forme formulée par CPF, rejeté l'exception de compétence formulée par CSF et CPF, s'est déclaré compétent, réservé le jugement sur le fond de I'affaire, y compris concernant AMIDIS, enjoint la société CARBAZ, Monsieur X, Carrefour Proximité France, CSF et la société AMIDIS à conclure ou fond pour plaider le dossier au Tribunal de commerce de Rennes le jeudi 27 mai 2021 à 14 heures, à défaut d'appel dans le délai prescrit par I’article 80 du CPC, condamné la société Carrefour Proximité France et la société CSF, chacune à verser à CARBAZ ainsi qu'à Monsieur X la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens, les déboutant du surplus de leur demande, et condamné la société Carrefour Proximité France et la société CSF aux entiers dépens.
La société CSF a interjeté appel de ce jugement le 6 avril 2021.
La société CPF a également interjeté appel de ce jugement le 6 avril 2021.
Par ordonnance présidentielle du 13 avril 2021, la société CPF a été autorisée à assigner à jour fixe les sociétés CSF, Cabaz, Amidis et M. X. Cette affaire a été enrôlée sous le RG n° 21/06054.
Par ordonnance présidentielle du 13 avril 2021, la société CSF a été de même autorisée à assigner à jour fixe les sociétés CPF, Cabaz, Amidis et M. X ;
Cette affaire a été enrôlée sous le RG n° 21/06073.
Vu les dernières conclusions de la société CPF déposées et notifiées le 6 septembre 2021 dans la procédure enrôlée sous le RG n° 21/06054 et celles d'intimée et d'appel incident déposées et notifiées le 6 septembre 2021 dans la procédure enrôlée sous le RG n° 21/06073 par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
Vu les articles 56, 74, 83 et suivants, 1443, 1448, 1465 du code de procédure civile,
Vu les articles L. 420-7, R. 420-3, R. 420-5, L. 442-4, III et D. 442-3 du code de commerce,
Vu l'article 2061 du code civil,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 26 janvier 2021,
Vu la jurisprudence précitée,
Vu les pièces versées aux débats,
Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 23 mars 2021 en ce qu'il a débouté CPF de son exception de nullité et son exception d'incompétence et s'est déclaré compétent pour connaître du litige en cause et a condamné la société CPF à verser à la société Carbaz ainsi qu'à Monsieur X la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;
Recevoir la société CPF en son exception de nullité et d'incompétence ;
Déclarer le tribunal de commerce de Rennes incompétent pour connaître du litige en cause ;
En conséquence :
Renvoyer la société Carbaz et Monsieur X à mieux se pourvoir en application de la clause compromissoire stipulée au contrat de franchise signé avec la société CPF ;
En toutes hypothèses :
Rejeter l'ensemble des prétentions et moyens de la société Carbaz et de Monsieur X ;
Condamner solidairement la société Carbaz et Monsieur X à payer à la société CPF la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
Vu les conclusions de la société CSF déposées et notifiées le 6 septembre 2021 dans la procédure enrôlée sous le RG n° 21/06054 par lesquelles il est demandé à la cour de réformer le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 23 mars 2021 en ce qu'il a :
- rejeté son exception d'incompétence,
- s'est déclaré compétent,
Statuant à nouveau :
In limine litis :
Se déclarer incompétent au profit du tribunal arbitral convenu à l'article 8 du contrat d'approvisionnement,
Condamner la société Carbaz et M. X à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens avec droit de recouvrement direct ;
Vu les conclusions de la société CSF déposées et notifiées le 6 septembre 2021 dans la procédure enrôlée sous le RG n° 21/06073 par lesquelles il est demandé à la cour, notamment de dire et juger que le tribunal de commerce de Rennes dans jugement du 23 mars 2021 a contrevenu aux dispositions des articles 1448 et 1465 du code de procédure civile et au principe compétence-compétence, en jugeant la clause compromissoire manifestement inapplicable à raison de l'indivisibilité des contrats en cause, dont l'un ne comporte pas de clause compromissoire, d'infirmer en conséquence le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 23 mars 2021 en ce qu'il a :
- rejeté son exception d'incompétence,
- s'est déclaré compétent,
Statuant à nouveau :
In limine litis :
Se déclarer incompétent au profit du tribunal arbitral convenu à l'article 8 du contrat d'approvisionnement,
Renvoyer la société Ccarbaz et M. X à mieux se pourvoir devant la juridiction arbitrale convenue,
En toutes hypothèses,
Débouter la société Carbaz et M. X de l'intégralité de leurs demandes, et les condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens ;
Vu les dernières conclusions de la société Carbaz et de M. X déposées et notifiées le 8 septembre 2021, dans la procédure enrôlée sous le RG n° 21/06054, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu l'article 1448 du code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article L. 442-4-III, du code de commerce,
Vu les dispositions de l'article D. 442-3 du code de commerce,
Vu les dispositions des articles 1147 (ancien) et 1231 (nouveau) du code civil.
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en date du 23 mars 2021 dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejeter les conclusions d'Amidis pour violation du principe du contradictoire, subsidiairement, dire et juger irrecevables et en toput état de cause mal fondées ses demandes,
Dire n'y avoir lieu à évocation, à supposer que la Cour en soit saisie,
Condamner la société Amidis à payer à la société Carbaz et à M. X la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société CSF, à payer à la société Carbaz la somme de 2.500 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Débouter la société CSF de sa demande de condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société CSF, aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Y ;
Vu les dernières conclusions de la société Carbaz et de M. X déposées et notifiées le 8 septembre 2021, dans la procédure enrôlée sous le RG n° 21/06073 par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu l'article 1448 du code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article L. 442-4-III, du code de commerce,
Vu les dispositions de l'article D. 442-3 du code de commerce,
Vu les dispositions des articles 1147 (ancien) et 1231 (nouveau) du code civil.
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en date du 23 mars 2021 dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejeter les conclusions d'Amidis pour violation du principe du contradictoire, subsidiairement, dire et juger irrecevables et en tout état de cause mal fondées ses demandes,
Dire n'y avoir lieu à évocation, à supposer que la Cour en soit saisie,
Condamner la société Amidis à payer à la société Carbaz et à M. X la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société CSF, à payer à la société Carbaz la somme de 2.500 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Débouter la société CSF de sa demande de condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société CSF, aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Y ;
Vu les dernières conclusions de la société Amidis déposées et notifiées le 6 septembre 2021, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Débouter la société Carbaz et Monsieur X de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société Amidis & cie.
SUR CE, LA COUR
Sur la jonction,
Il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous le numéro 21/06073 avec la procédure enrôlée sous le numéro 21/06054, s'agissant d'appels du même jugement.
Sur la nullité de l'assignation
La société CPF invoque l'article 54, alinéa 3, 6° du code de procédure civile dans sa version en vigueur à la date de délivrance de l'assignation ainsi que l'article 853 du code de procédure civile à l'appui de ses prétentions. Elle soutient que l'assignation doit être déclarée nulle pour nullité de forme, faute d'indiquer que la constitution d'avocat devant le tribunal de commerce est obligatoire, ce qui lui a causé un grief.
La société Carbaz rétorque que la société CPF est la filiale du groupe Carrefour et dispose d'un service juridique et d'avocats, de sorte qu'elle ne comparaît jamais en justice sans être assistée et représentée. Elle ajoute que la société CPF a constitué avocat aussitôt l'assignation délivrée, de sorte qu'il n'est justifié d'aucun grief.
Sur ce, la Cour retient que si l'assignation délivrée le 23 juin 2020 par la société Cazbaz et M. X omet d'indiquer que les parties sont tenues de constituer avocat devant le tribunal de commerce, indiquant au contraire que le défendeur peut se présenter seul à l'audience, il s'agit d'une nullité de forme soumise à la démonstration d'un grief par la partie qui s'en prévaut, conformément à l'article 114 du code de procédure civile.
Or, force est de constater que CPF, qui a constitué avocat devant le tribunal de commerce, ne justifie d'aucun grief que lui cause cette irrégularité.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté cette exception de nullité.
Sur l'exception d'incompétence
La circonstance alléguée que le litige concerne la validité et les conséquences des pratiques anticoncurrentielles des sociétés CPF, CSF et Amidis relevant de la compétence exclusive et d'ordre public du tribunal de commerce statuant dans sa formation spécialisée, conformément aux articles L. 420-7 et D. 442-3 du code de commerce, ne peut faire obstacle lorsqu'un litige entre dans le champ d'application matériel d'une clause d'arbitrage liant les parties, au principe compétence-compétence qui investit les seuls arbitres du pouvoir de statuer sur leur compétence, en vertu de la combinaison des articles 1448 et 1465 du code de procédure civile,
Également, si par exception au principe compétence-compétence, le juge étatique peut se reconnaître compétent en présence d'une clause compromissoire, c'est à la condition en vertu des dispositions de l'article 1448 du code de procédure civile, que le tribunal arbitral ne soit pas encore saisi et que la convention d'arbitrage soit manifestement nulle ou manifestement inapplicable.
Or, seule une nullité ou une inapplicabilité s'imposant avec la force de l'évidence, sans nécessité pour le juge de procéder à un examen factuel autre que superficiel, est susceptible de satisfaire ce caractère manifeste.
Ainsi, la circonstance alléguée de l'existence d'un ensemble contractuel indivisible comportant des contrats pourvus de clause d'arbitrage, en l'espèce le contrat de franchise et le contrat d'approvisionnement, et d'un autre n'en contenant pas, en l'espèce, le contrat de location-gérance, est impropre à caractériser l'inapplicabilité manifeste des clauses d'arbitrage. La primauté de la compétence arbitrale prévaut dans de telles situations.
Il s'ensuit que la juridiction étatique est incompétente à cet égard
Enfin, s'agissant de l'atteinte au droit d'accès au juge, le coût prohibitif d'une procédure d'arbitrage et l'impécuniosité des parties ne sont pas de nature à faire obstacle au principe compétence-compétence. Outre qu'il s'agit d'un arbitrage volontaire, il revient aux acteurs de l'arbitrage d'écarter tout risque de déni de justice en permettant l'accès du justiciable au tribunal arbitral quelque soient ses moyens financiers. Il sera observé à cet égard qu'en l'espèce la constitution du tribunal arbitral ne fait pas du paiement des honoraires des arbitres une condition de sa mise en œuvre. Dès lors le moyen pris de la violation de l'article 6§1 de de la Convention européenne des droits de l'homme est rejeté.
Il y a lieu, infirmant le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré compétent, d'accueillir l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés CPF et CSF et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.
Sur les autres demandes
La demande tendant à voir écarter les conclusions de la société Amidis est rejetée, s'agissant d'une procédure à jour fixe et aucune violation du principe de la contradiction n'étant démontrée.
La société Carbaz et M. X, parties perdantes, sont condamnés aux dépens de première instance et d'appel, déboutés de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés à payer in solidum aux sociétés CPF et CSF, chacune la somme de 2 500 euros sur ce dernier fondement.
PAR CES MOTIFS
Prononce la jonction de la procédure enrôlée sous le numéro 21/06073 avec la procédure enrôlée sous le numéro 21/06054 ;
Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'assignation ;
L'infirme en ce qu'il :
- a rejeté l'exception d'incompétence,
- s'est déclaré compétent,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Déclare le tribunal de commerce de Rennes incompétent ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Dit n'y avoir lieu à rejeter les conclusions de la société d'exploitation Amidis et Compagnie ;
Condamne la société Carbaz et M X aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer in solidum aux sociétés CPF et CSF, chacune la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.