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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 7 septembre 2021, n° 20/18226

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Memo (SARL), Librairie des Orgues (SARL), Le 108 (SARL)

Défendeur :

Selarl Actis mandataires judiciaires (ès qual.), 108 Café (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Ngounou, Me Caussin, Me Mangel

TGI Paris, du 26 nov. 2020

26 novembre 2020

FAITS ET PROCÉDURE:

Mme H a constitué un ensemble de quatre sociétés dont elle est la dirigeante: la SARL Memo, qui a une activité de holding, détient 100% du capital de la SARL108 Café qui exerce une activité de restauration sur place ou à emporter, 100% de la SARL Librairie des orgues, qui exploite une activité de librairie papeterie, presse, vente de boissons, et la SARLU Le 108 qui a pour activité la fourniture au comptoir d'aliments et de boissons à consommer sur place et à emporter, salon et librairie.

Par jugement du 15 mars 2017, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société le 108 Café, fixé la date de cessation des paiements au 15 septembre 2015 et désigné la SELARL Actis en qualité de liquidateur judicaire.

Le 20 mai 2019, la SELARL Actis, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL 108 Café, a fait assigner en extension de la liquidation judiciaire les sociétés Memo, Librairie des orgues et Le 108.

La société Librairie des orgues ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire et son immatriculation ayant été radiée le 6 février 2014 à la suite d'une transmission universelle de son patrimoine à la société Discentia Services, la SELARL Actis s'est désistée de sa demande d'extension à son égard.

Par jugement du 26 novembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a étendu à la SARL le 108 et à la SARL Memo la procédure de liquidation judiciaire ouverte le 15 mars 2017 à l'égard de la société Le 108 Café, dit que la procédure se poursuivra sous patrimoine commun, débouté la SARL Memo et la SARL Le 108 de toutes leurs demandes autres, plus amples et contraires et fixé comme date de cessation des paiements le 15 septembre 2020 correspondant à la date fixée dans le jugement de liquidation judiciaire de la SARL le 108 Café, la SELARL Actis, en la personne de Maître B, étant maintenue liquidateur judiciaire.

Les sociétés Memo, Librairie des orgues et Le 108 ont relevé appel de ce jugement, selon déclaration du 14 décembre 2020, en intimant le liquidateur judiciaire, ainsi que le juge-commissaire.

Dans leurs conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique en dernier lieu le 22 février 2021, les sociétés Mémo, 108 Café et Le 108 demandent à la cour' de juger leur appel recevable et bien-fondé, d'annuler le jugement entrepris sous toutes ses dispositions, dire qu'il n'existe aucun flux financier anormal entre la société Le 108 d'une part, la société Le 108 Café et la société le Memo d'autre part, juger qu'il n'y a pas lieu à étendre la liquidation de la société Le 108 Café à ces deux autres sociétés et condamner le liquidateur au paiement de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 mars 2021, la société Librairie des orgues qui concluait avec les sociétés Memo et Le 108, demande à la cour de juger l'appel recevable et bien-fondé, d'annuler le jugement entrepris sous toutes ses dispositions, dire qu'il n'existe aucun flux financier anormal entre la société Librairie des Orgues d'une part, la société Le 108 Café et la société le Memo d'autre part, juger qu'il n'y a pas lieu d'étendre la liquidation de la société Le 108 Café à ces deux autres sociétés et condamner le liquidateur à la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 1er mars 2021, la SELARL Actis, ès qualités de liquidateur de la société 108 Café, demande à la cour de débouter les appelantes de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions, confirmer la décision en son entier et de réserver les dépens en frais privilégiés de procédure.

M. A, ès qualités de juge-commissaire, auquel la déclaration d'appel a été signifiée le 29 décembre 2020, par remise de l'acte à tiers présent au domicile, n'a pas constitué avocat.

Le dossier a été visé sans observation par le ministère public le 23 décembre 2020.

SUR CE

L'article L. 621-2, alinéa 2, du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L.  641-1 du même code, dispose que « la procédure ouverte peut être étendue à une ou  plusieurs personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ».

Il est admis en jurisprudence que la confusion des patrimoines se caractérise par la confusion des comptes et les relations financières anormales.

Ne sont susceptibles de fonder une extension que les faits antérieurs au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de la société 108 Café, soit le 15 mars 2017.

Il sera liminairement relevé que la SELARL Actis s'étant désistée de sa demande d'extension à l'égard de la société Librairie des orgues, le jugement entrepris ne s'est pas prononcé sur cette demande. Le liquidateur ne reprend pas cette demande à hauteur d'appel, de sorte que la cour n'est saisie d'aucune demande d'extension à l'égard de la société Librairie des Orgues.

Au soutien de sa demande d'extension de la liquidation aux sociétés Memo et Le 108 le liquidateur n'invoque pas la fictivité de ces sociétés, mais la confusion des patrimoines, caractérisée selon lui par l'anormalité des relations commerciales et financières au titre de l'occupation des lieux, 4, impasse Joinville à Paris 19ème, l'existence de flux financiers inexpliqués entre l'ensemble des parties et l'impossibilité de déterminer la consistance des patrimoines de chacune des sociétés.

Le moyen pris de l'existence de relations financières anormales ou plus exactement d'une absence de relation financière entre les sociétés 108 Café et Librairie de l'orgue, alors que la société Café 108 occupait des locaux pris à bail par La Librairie des orgues, sans qu'il soit justifié d'une convention de sous-location et du paiement d'une redevance, est inopérant, l'extension n'étant pas sollicitée à l'égard de la Librairie des orgues.

- Sur la demande d'extension à l'égard de la société Memo

La SARL Memo, qui a pour dénomination sociale « 108 Café », a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 9 septembre 2013. Elle dispose du même siège social, 4, impasse joinville 75019 Paris, et de la même dirigeante, Mme H, que la SARLU 108 Café, qui a été immatriculée le 25 septembre 2013 ( n° 797 467 735).

Le liquidateur invoque l'existence de flux anormaux, en ce que la société Café 108 a effectué des paiements récurrents injustifiés au profit de Memo pour un total de 3.720 euros en 2014 et de 7.444 euros en 2015, en ce qu'aucune explication n'a été donnée par 108 Café sur l'affectation de cinq chèques débités de son compte qui ont été rejetés par l'administration fiscale lors de la vérification de comptabilité et en ce que la société Memo a encaissé le CICE 2014 devant revenir à la société Café 108. Il se prévaut inversement de l'absence de flux financier à l'occasion de la cession de la licence de débit de boissons de quatrième catégorie de la société Café 108 au profit de Memo.

Pour contester l'extension sollicitée, les appelantes font valoir que l'identité de dirigeant, de sièges sociaux ne suffit pas à caractériser la confusion de patrimoine, que les seuls actes allégués par le liquidateur concernant les relations entre les sociétés 108 Café et Memo se trouvent justifiés par l'existence d'une convention de trésorerie.

Il ressort d'un courrier de la préfecture de police de Paris (pièce 7 du liquidateur) que la licence de débit de boissons qui était attachée à la SARL 108 Café est devenue la propriété de la société Memo suite à l'enregistrement d'une déclaration de mutation le 21 mars 2017. Cependant, cette mutation, dont le liquidateur soutient qu'elle n'a pas donné lieu à paiement, est postérieure au jugement d'ouverture et n'est en conséquence pas de nature à fonder la demande d'extension.

L'allégation selon laquelle la société Memo s'est approprié le crédit CICE 2014 revenant à la société 108 Café n'est pas démontrée par les pièces au débat.

Il est en revanche établi que la société 108 Café a fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 (pièces 14 et 15 du liquidateur). Dans le cadre de cette procédure, l'administration fiscale a dressé un procés-verbal de rejet de comptabilité dès lors qu'aucun justificatif de comptabilité n'avait été présenté, a exercé son droit de communication afin d'obtenir les relevés bancaires de la société et après avoir reconstitué le chiffre d'affaires, a notifié à la société 108 Café, le 22 mai 2017, une proposition de rectification.

Les relevés bancaires de la société 108 Café dans les livres du Crédit Mutuel mentionnent des paiements récurrents au profit de la société Memo, représentant sur l'année 2014 un total de 5.720 euros et sur l'année 2015 un total de 17.090 euros, ces montants ne prenant pas en compte les chèques signalés par le liquidateur, dès lors que l'identité de leurs bénéficiaires n'est pas connue.

Les débits du compte courant ainsi effectués au profit de la société Memo résultent principalement de virements ( « OVP » = ordre de virement permanent) de 930 euros avec la mention « remboursement Memo » ou « vir prêt Memo » et plus ponctuellement de virements plus importants.

Pour expliquer ces virements, les intimées versent au débat une convention de gestion de trésorerie établie entre la société Memo, d'une part, et les sociétés Librairie des orgues et 108 Café, d'autre part, portant la date du 27 décembre 2013, par laquelle les parties s'engagent à mettre à la disposition de chacune des signataires leurs excédents de trésorerie sous forme d'avances en compte courant rémunérées en fonction des besoins et disponibilités de chacune d'elles, la convention étant conclue pour une durée de deux ans dans le cadre de la gestion des excédents de trésorerie de la société Memo et de ses filiales (le groupe Memo).

Le liquidateur soutient que cette convention a été établie pour les besoins de la cause, n'ayant été communiquée, sans l'original, que la veille de l'ordonnance de clôture alors qu'il l'avait réclamée dès l'ouverture de la procédure collective en 2017.

La convention de trésorerie est pour chacune des trois sociétés signée par Mme H. Elle n'a pas date certaine et son existence à la période des virements litigieux n'est corroborée par aucun élément. Sa communication est par ailleurs très tardive dans le cadre de la procédure d'extension. La convention laisse en outre en blanc le montant maximum des avances susceptibles d'être mises à disposition (article 2), ainsi que le taux de rémunération des sommes prêtées (article 3). Au regard de cet ensemble d'éléments et du fait que la société 108 Café n'a présenté aucune comptabilité lors du contrôle fiscal, la cour dira que ce document ne permet pas de justifier que les virements litigieux sont intervenus dans le cadre d'une convention de trésorerie.

Il s'ensuit que les paiements récurrents au profit de la société Memo, non justifiés, caractérisent des flux financiers anormaux entre les sociétés 108 Café et Memo.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a étendu la liquidation judiciaire de la société 108 Café à la société Memo.

- Sur la demande d'extension à l'égard de la société Le 108

La société Le 108 ayant été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris (n° 828687087) le 28 mars 2017, soit après le jugement d’ouverture, aucune confusion de patrimoine n'a pu intervenir avant la liquidation judiciaire de la société 108 Café.

Les conditions d'une extension n'étant pas réunies, le jugement sera infirmé en ce qu'il a étendu la liquidation à la société Le 108 (R.C.Sn° 828687087), la cour statuant à nouveau dira n'y avoir lieu à extension de la liquidation judiciaire à l'égard de la société Le 108.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a étendu la procédure de liquidation judiciaire de la société 108 Café à la société Le 108,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Déboute la SELARL Actis, ès qualités, de sa demande d'extension de la liquidation judiciaire de la société 108 Café à la société Le 108,

Déboute les sociétés 108 Café, Le 108 et la Librairie des orgues de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.