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Décisions

Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-23.785

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Avocats :

SCP Bernard Hémery, Me Thomas-Raquin, Me Le Guerer, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Paris, du 20 juin 2017

20 juin 2017

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société E. Guigal, propriétaire de la marque verbale n° 98 738 009 « La Mouline » afin de désigner un vin d'appellation d'origine contrôlée Côte-Rôtie a, en 2009, assigné la société coopérative agricole de vinification Les Vins de Roquebrun (la société Les Vins de Roquebrun) en contrefaçon de cette marque, pour avoir apposé sur des bouteilles de vin le signe « Terrasses de la Mouline » ; qu'un jugement définitif a accueilli cette action et interdit à la société Les Vins de Roquebrun de poursuivre ces agissements ; que, soutenant que, malgré cette décision, la société Les Vins de Roquebrun continuait à produire sous le nom « Terrasses de La Mouline » du vin d'appellation Saint-Chinian destiné à l'exportation au Canada, la société E. Guigal l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ; qu'elle a, en outre, agi en contrefaçon de marque à raison du dépôt, par cette société, de deux marques françaises complexes « Terrasses de Mayline Cave de Roquebrun » n° 3 777 012 et n° 14 4 123 819 afin de désigner des vins ; que la cour d'appel a accueilli la demande en contrefaçon par apposition, depuis le mois de décembre 2012, de la dénomination « Terrasses de la Mouline » sur des bouteilles de vin de l'appellation « Saint-Chinian » destinées à l'exportation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société E. Guigal fait grief à l'arrêt de rejeter son action en contrefaçon de la marque n° 98 738 009 en raison du dépôt par la société Les Vins de Roquebrun de la marque française complexe « Terrasses de Mayline » déposée le 22 octobre 2010 sous le n° 3 777 012 et de la marque française complexe « Terrasses de Mayline » déposée le 7 octobre 2014 sous le n° 14 4 123 819, de rejeter le surplus de ses demandes indemnitaires, tendant notamment à l'annulation et à la radiation des marques françaises « Terrasses de Mayline Cave de Roquebrun » n° 3 777 012 et 14 4 123 819 ainsi qu'à la publication judiciaire de l'arrêt, et de rejeter sa demande d'expertise tendant à déterminer l'exacte quantité de bouteilles étiquetées en France « Terrasses de Mayline » alors, selon le moyen :

1°) que l'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants ; qu'en se bornant à affirmer, par motif propre, que « les marques en présence ne présentent aucune similitude, tant visuelle qu'auditive, ce d'autant plus que les termes Terrasses de Mayline sont insérés au sein d'éléments figuratifs renforçant l'impression globale de différence » et, par motif adopté, « qu'il n'existe aucune similitude, tant visuelle qu'auditive, entre la marque verbale "La Mouline" et les termes Terrasses de Mayline insérés dans les marques au surplus non pas verbales mais complexes déposées par la défenderesse, ce qui renforce l'impression de différence », sans se livrer à une analyse comparative de l'impression d'ensemble produite sur le public pertinent par chacun des signes en litige, sur les plans visuel et auditif, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) qu'en affirmant ainsi que les signes ne présenteraient aucune similitude visuelle et auditive, sans procéder à une analyse comparative des signes en présence sur les plans visuel et auditif, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motivation, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) qu'afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, la juridiction nationale doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés ; qu'en s'abstenant d'apprécier le degré de similitude conceptuelle entre les signes en présence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant souverainement retenu qu'il n'existait aucune similitude visuelle et auditive entre la marque verbale « La Mouline » et les termes « Terrasses de Mayline » et que l'insertion de ces derniers au sein d'éléments figuratifs renforçait l'impression globale de différence, la cour d'appel, qui s'est ainsi livrée à une analyse comparative de l'impression produite sur le public pertinent, défini comme étant le consommateur final de vin, par les signes en présence, considérés chacun dans son ensemble, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, d'autre part, que la deuxième branche du moyen ne tend, sous le couvert d'une absence de motivation, qu'à remettre en cause cette appréciation souveraine ;

Et attendu, enfin, que l'arrêt se livre à l'appréciation prétendument omise, en retenant que si, conceptuellement, un faible degré de similitude entre les signes peut être compensé par un degré de similitude élevé entre les produits ou les services désignés, encore faut-il qu'il puisse exister un risque de confusion entre les signes et qu'en l'espèce, l'absence totale de similarité entre les signes en cause exclut tout risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne, qui ne peut être amené à attribuer aux produits concernés une origine commune ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa dernière branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article L. 716-14, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu, selon ce texte, que la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages-intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ;

Attendu que pour condamner la société Les Vins de Roquebrun à payer à la société E. Guigal la somme de 10 000 euros, l'arrêt constate que les marques n° 3 777 012 et n° 14 4 123 819 n'ont pas été jugées contrefaisantes, et que pour ce qui est des actes de contrefaçon qui ont été retenus, le préjudice ne résulte pas de la commercialisation régulière au Canada de bouteilles de vin portant l'étiquette « Terrasses de la Mouline », mais de l'atteinte portée en France à la marque verbale française « La Mouline » par l'apposition d'étiquettes reproduisant la dénomination « Terrasses de la Mouline » ; qu'il en déduit qu'il n'est pas nécessaire de déterminer la quantité de bouteilles en cause et qu'il y a lieu, au vu des éléments produits, d'évaluer le préjudice subi du fait de l'atteinte à la marque « La Mouline » à la somme de 10 000 euros ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors que la société E. Guigal demandait le paiement, à titre de dommages-intérêts, d'une somme forfaitaire, telle que prévue par le texte précité, la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur le montant des redevances que cette société, au vu notamment du procès-verbal de constat qu'elle produisait, aurait été en droit d'exiger pour autoriser la société Les Vins de Roquebrun à apposer le signe litigieux en France, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société coopérative agricole de vinification Les Vins de Roquebrun à payer à la société E. Guigal la somme 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon commis par apposition, en France, de la dénomination « Terrasses de La Mouline » sur des bouteilles de vins destinées à l'exportation, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 20 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.