CA Versailles, ch. com., 27 septembre 2005, n° 04/01720
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires Irex (SA)
Défendeur :
Roche (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fedou
Conseillers :
M. Coupin, Mme Brylinski
Avoués :
SP Fievet-Lafont, SCP Jupin
Avocats :
Me Azema, Me Fajgenbaun
FAITS ET PROCEDURE :
La Société ROCHE, anciennement PRODUITS ROCHE, commercialise depuis 1981 un médicament dénommé LEXOMIL, dont le principe actif est le bromazépam, cet anxiolytique est présenté sous la forme d’un bâtonnet de couleur blanche, aux extrémités arrondies, comportant des subdivisions, permettant de le scinder en quatre parties égales. Le 11 décembre 1985, la Société PRODUITS ROCHE a déposé à l’I.N.P.I. la marque figurative BAGUETTE pour désigner des médicaments sous forme de comprimés, produits de la classe 5, cette marque, enregistrée sous le numéro 1.334.563, a été renouvelée le 06 décembre 1995. Elle a aussi déposé à l’I.N.P.I., le 11 décembre 1985, une marque figurative consistant dans la forme du produit, pour désigner des médicaments sous forme de comprimés, produits de la classe 5. La forme revendiquée est caractérisée comme suit : la baguette a 16 mm de long, 5 mm de large, se termine par deux demi-cercles et comporte trois encoches profondes . Cette marque, enregistrée sous le numéro 1.334.564, a été renouvelée le 06 décembre 1995. Le brevet protégeant le bromazépam, principe actif du LEXOMIL, étant expiré, la Société LABORATOIRES IREX a obtenu la mise sur le marché d’une spécialité générique à base de bromazépam, qu’elle vend sous la marque ANXYREX, présentée sous la forme d’un comprimé baguette.
Par lettre du 13 octobre 1997, la Société PRODUITS ROCHE est intervenue auprès de la Société SYNTHELABO, société mère de la Société LABORATOIRES IREX, lui rappelant ses droits tant sur la dénomination baguette que sur la forme du comprimé, et lui demandant de cesser toute atteinte à ses marques. Par courrier du 29 octobre 1997, la Société SYNTHELABO s’est 1.334.564, de dire mal fondée l’action en contrefaçon, de mettre fin à la mesure d’interdiction prononcée en référé, de débouter la Société PRODUITS ROCHE de sa demande de dommages-intérêts, et d’ordonner la restitution par cette dernière de la somme de 500.000 F, soit 76.224 , payée par elle en exécution de la décision de première instance. Elle sollicite reconventionnellement la condamnation de la Société PRODUITS ROCHE à lui verser la somme de 258.356 , en réparation du préjudice matériel et moral généré par l’interruption intempestive de la commercialisation de l’ANXIREX. Elle demande également que soit ordonnée la publication de l’arrêt à intervenir dans trois journaux aux frais de la partie adverse, sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser la somme de 3.000 . Elle réclame en outre une indemnité de 10.000 par application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. La Société ROCHE, anciennement PRODUITS ROCHE, conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a reconnu la validité de sa marque tri-dimensionnelle constituée par la forme du LEXOMIL et l’existence des actes de contrefaçon de marque commis par la Société LABORATOIRES IREX, et en ce qu’il a prononcé les mesures d’interdiction sous astreinte et de publication. Elle conteste le grief qui lui est fait d’avoir détourné le droit des marques, dans la mesure où la forme galénique (ou pharmaceutique) d’un médicament ne doit pas être confondue avec sa forme géométrique, laquelle, étant hors de la sphère du brevet, ne tombe pas dans le domaine public et ne peut être reprise librement dès lors qu’elle est protégée par un droit de propriété intellectuelle. Elle soutient que l’arrêt de la Cour de Cassation, en écartant le critère de la multiplicité des formes, et en exigeant l’application du critère de la forme attribuable à l’obtention d’un résultat technique , méconnaît en l’espèce les dispositions de l’article 2 du Code civil énonçant le principe de la que celle d’un comprimé rond ou carré, d’un rectangle plat ou d’un triangle; Considérant qu’au regard de ce qui précède, le Tribunal a à bon droit énoncé que la forme du comprimé LEXOMIL déposée à titre de marque, en tant qu’elle n’est pas imposée par la fonction du médicament auquel elle est susceptible de s’appliquer, ne constitue pas la désignation nécessaire du produit au sens des articles 1 et 3 de la loi du 31 décembre 1964; Considérant qu’en deuxième lieu, si l’originalité ne constitue pas un critère de validité de la marque, du moins celle-ci doitelle revêtir un caractère distinctif, ce qui suppose que le signe déposé à titre de marque ne revête pas un caractère usuel, c’est-à-dire qu’il ne soit pas généralement et communément utilisé pour désigner le produit en cause;
Considérant que c’est à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque, soit en l’occurrence en décembre 1985, qu’il convient d’apprécier l’existence ou non de ce caractère usuel; Or considérant qu’il résulte des documents produits aux débats qu’à l’époque de ce dépôt, seul un comprimé, le NORDAZ , mis sur le marché quatre ans après la commercialisation du comprimé LEXOMIL, avait une ressemblance certaine avec ce dernier ;
Considérant que, ainsi que le relève exactement la société intimée, la présence de ce seul médicament sur le marché français n’est pas de nature à rendre usuelle la forme déposée par elle à titre de marque;
Considérant que la comparaison avec d’autres comprimés (tels que NOVAZAM, ATARAX, TEMESTA, LOPRESSOR) ne saurait prospérer, dans la mesure où il s’agit, au moins pour les trois derniers, de médicaments qui ne présentent ni la forme ni l’aspect caractéristique du comprimé LEXOMIL, et alors qu’il n’est pas démontré qu’ils étaient déjà présents sur le marché en 1985; Considérant qu’au demeurant, le caractère distinctif de la marque se trouve corroboré par la notoriété acquise par le produit en cause, et mise en évidence par engagée à ne plus utiliser le vocable baguette; le 13 novembre suivant, elle a précisé ne pas accéder à la demande de la Société PRODUITS ROCHE relativement à la forme du comprimé, au motif que la marque invoquée n’avait pas de caractère distinctif dans la mesure où elle était rendue nécessaire par sa fonction technique. C’est dans ces circonstances que la Société PRODUITS ROCHE a, par acte du 12 janvier 1998, assigné la Société LABORATOIRES IREX en contrefaçon de ses marques n° 1.334.563 et 1.334.564 que constitue le comprimé en forme de bâtonnet vendu sous le nom ANXYREX ainsi qu’en dommages-intérêts pour concurrence déloyale. Parallèlement, la Société PRODUITS ROCHE a, par acte du 30 janvier 1998, saisi le Président du Tribunal de Grande Instance de PARIS d’une demande d’interdiction provisoire, sur le fondement de l’article L 716-6 du Code de la propriété intellectuelle;
par ordonnance du 13 février 1998, confirmée en appel, il a été fait interdiction sous astreinte à la Société LABORATOIRES IREX d’utiliser les marques n° 1.334.563 et 1.334.564. Dans le cadre de la procédure sur le fond, la Société LABORATOIRES IREX s’est opposée à ces demandes et a sollicité le prononcé de la nullité de la marque n° 1.334.564, sur le fondement de l’article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, en raison du caractère fonctionnel et de la banalité de la forme déposée à titre de marque; toutefois, elle n’a pas contesté la validité de la marque BAGUETTE, enregistrée sous le n° 1.334.563. Par jugement du 2 mars 1999, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a :–déclaré valable la marque n° 1.334.564;–dit que la Société LABORATOIRES IREX, en reproduisant dans sa documentation commerciale la mention comprimé baguette , a commis des actes de contrefaçon de la marque BAGUETTE n° 1.334.563 dont est titulaire la Société PRODUITS ROCHE;
dit que la Société LABORATOIRES IREX, en reproduisant un comprimé de couleur blanche en forme de bâtonnet aux bouts arrondis, aux côtés nonrétroactivité des lois. Elle relève que, la marque litigieuse ayant été déposée en 1985, sous l’empire de la loi du 31 décembre 1964, la validité de cette marque doit être appréciée au regard de ce texte et des règles d’interprétation dégagées par la Jurisprudence à partir de celui-ci, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de principes jurisprudentiels récemment posés par les juridictions communautaires et reprises par les tribunaux nationaux à partir de textes postérieurs ayant modifié la loi de 1964. Elle observe que la Cour de Cassation ajoute, d’une manière illégitime, une condition à la validité des marques tri-dimensionnelles prévue par la loi du 31 décembre 1964, contrairement à la lettre et à l’esprit de cette législation, laquelle n’édictait nullement une condition liée à la recherche d’un résultat technique. Elle expose que la marque déposée par la partie adverse n’est pas la désignation nécessaire du produit au sens des dispositions de la loi du 31décembre 1964, dès lors, notamment, que la forme oblongue du comprimé n’est pas la seule permettant une sécabilité aisée du comprimé en deux, trois ou quatre portions. Elle souligne que cette marque, qui n’était pas usuelle à la date du dépôt, et qui revêt un caractère notoire, est parfaitement distinctive et arbitraire à défaut d’être imposée par la destination du médicament auquel elle est susceptible de s’appliquer, de telle sorte que sa validité doit être reconnue sur le fondement des dispositions susvisées. Elle allègue que, même si le critère de la multiplicité des formes devait être écarté, conformément à la jurisprudence communautaire et nationale actuelle, les caractéristiques essentielles de la forme du LEXOMIL ne sont pas toutes uniquement attribuables à la recherche d’un résultat technique, et, de plus, leur combinaison est parfaitement arbitraire et distinctive. Elle précise que la marque tri-dimensionnelle revendiquée respecte parfaitement la fonction essentielle du droit les résultats du sondage réalisé auprès de plus de deuxcent cinquante médecins généralistes, lesquels, sur présentation de sa forme bâtonnet, ont, à 94 %, reconnu le LEXOMIL;
Considérant que, dès lors, conformément à ce qu’ont retenu les premiers juges, la marque constituée par la forme du comprimé LEXOMIL, en tant qu’elle n’était ni nécessaire, ni usuelle à la date de son dépôt, répond aux exigences légales en vigueur à l’époque où la Société PRODUITS ROCHE a présenté sa demande d’enregistrement;
Considérant qu’en troisième lieu, il importe de déterminer si les caractéristiques essentielles de la forme du LEXOMIL constituant la marque contestée sont ou non attribuables exclusivement au résultat technique recherché;
Or considérant que ce comprimé ne se réduit pas à sa forme simplement oblongue, dont il vient d’être indiqué qu’elle n’est pas à elle seule la désignation nécessaire du produit en cause;
Considérant qu’il a une forme plus complexe, puisqu’il est le résultat d’un assemblage d’éléments constituant ensemble un bâtonnet de couleur blanche, dont les extrémités sont arrondies, les faces supérieure et inférieure sont bombées, les côtés sont chanfreinés et les flancs sont ouverts d’encoches en formes de gorges;
Considérant que, tout particulièrement, les faces bombées de cette forme oblongue contribuent à lui donner une esthétique spécifique, mise en évidence par le choix de la dénomination baguette, qui n’existait pas auparavant, et qui évoque, notamment en France, un aliment de consommation courante dont les qualités sont reconnues et appréciées;
Considérant que la mise en oeuvre de faces bombées et d’extrémités arrondies confirme que la Société PRODUITS ROCHE s’est employée à travailler la forme oblongue de son comprimé afin de lui donner une physionomie spécifique, hors de toute recherche d’un résultat technique;
Considérant que la Société LABORATOIRES IREX soutient vainement que la forme arrondie donnée aux deux bouts du comprimé, et chanfreinés et comportant trois encoches pour commercialiser son produit ANXYREX, produit qui a fait l’objet de la mesure d’interdiction d’usage par ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de PARIS du 13 février 1998 confirmée par la Cour d’Appel de PARIS le 8 juin 1998, a commis des actes de contrefaçon de la marque figurative n° 1.334.564 dont est titulaire la Société PRODUITS ROCHE;
fait interdiction, en tant que de besoin, à la Société LABORATOIRES IREX de poursuivre ces agissements de contrefaçon, ce sous astreinte de 300 F (45,73 ) par produit commercialisé contrefaisant à compter de la signification du jugement;
- dit que le Tribunal se réserve la liquidation de l’astreinte;
- condamné la Société LABORATOIRES IREX à payer à la Société PRODUITS ROCHE la somme de 500.000 F (76.224,51), à titre de dommages-intérêts;
- autorisé la Société PRODUITS ROCHE à faire publier en entier ou par extraits le dispositif du jugement dans trois revues ou journaux aux frais de la Société LABORATOIRES IREX, sans que le coût total d’insertion dépasse la somme de 60.000 F (9.146,94) HT;
- débouté la Société PRODUITS ROCHE de sa demande au titre de la concurrence déloyale;
- débouté la Société LABORATOIRES IREX de sa demande reconventionnelle;
- rejeté toute demande des parties, plus ample ou contraire;
- condamné la Société LABORATOIRES IREX à verser à la Société PRODUITS ROCHE la somme de 25.000 F (3.811,23) sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- condamné la Société LABORATOIRES IREX aux dépens.
Saisie d’un recours formé par la Société LABORATOIRES IREX, la Cour d’Appel de PARIS, statuant par arrêt du 26 octobre 2001, a confirmé le jugement entrepris, et a
condamné la partie appelante au Kersement d’une indemnité complémentaire de 75.000 F (11.433,68) sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Sur pourvoi de la Société LABORATOIRES IREX, la Cour de des marques qui est de garantir la provenance du produit, dans la mesure où la forme du comprimé LEXOMIL permet au public pertinent de reconnaître immédiatement le produit et de déterminer son origine. Elle conclut que la marque constituée par la forme de ce comprimé doit être déclarée valable, comme n’étant ni la désignation nécessaire du produit en cause au sens de la loi du 31 décembre 1964, ni imposée par la nature ou la fonction du produit au sens de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle issu de la loi du 4 janvier 1991, ni nécessaire à l’obtention d’un résultat technique au sens de l’article 3 de la directive du 21 décembre 1988. Se portant incidemment appelante sur le montant des dommages-intérêts, elle demande à la Cour de condamner la Société LABORATOIRES IREX à lui payer la somme de 228.673,53 (1.500.000 F), au titre de la réparation des préjudices résultant des actes de contrefaçon de la marque tridimensionnelle n° 1.334.564 dont elle est titulaire.
A titre subsidiaire, la Société ROCHE considère que la reproduction servile de la forme du comprimé LEXOMIL pour commercialiser un médicament identique est
constitutive de concurrence déloyale et parasitaire. A titre préalable, elle fait valoir que son action en concurrence déloyale est parfaitement recevable, dès lors d’une part que cette action survit à la disparition de l’action en contrefaçon lorsque celle-ci a échoué pour une raison de droit, et dès lors d’autre part que la Cour d’Appel de PARIS n’a pas eu à se prononcer sur la question de savoir si la reproduction servile de la forme du comprimé LEXOMIL constituait, en l’absence de droit de marque sur cette forme, un acte de concurrence déloyale et parasitaire.
Sur le fond, elle relève qu’en adoptant délibérément, pour un médicament générique du LEXOMIL, la même forme, de surcroît caractéristique et notoire, la même couleur et le même dosage que le médicament princeps qu’il est destiné à concurrencer, la présence d’un chanfrein sur son pourtour, faciliteraient son injection lors de sa fabrication et rendraient plus aisé son conditionnement, sans émission de particules susceptibles de provenir d’arêtes aigus;
Considérant qu’en effet, le caractère plus ou moins fonctionnel d’une forme doit s’apprécier essentiellement au regard des résultats techniques du produit, tels qu’il sont recherchés par les utilisateurs de celui-ci;
Or considérant que les appréciations relatives à la qualité de l’injection et du conditionnement, en tant qu’elles sont liées à la fabrication du produit, sont étrangères aux objectifs recherchés par les médecins et patients, respectivement prescripteurs et consommateurs d’anxiolytiques;
Considérant qu’en toute hypothèse, même si certaines caractéristiques de la forme revendiquée par la Société ROCHE revêtent, en particulier en ce qui concerne les encoches, un caractère essentiellement fonctionnel, la combinaison des éléments constituant cette forme, en tant qu’elle procède au moins en partie de choix d’ordre arbitraire ou esthétique, n’est pas uniquement attribuable à la recherche d’un résultat technique;
Considérant que le caractère distinctif de la marque déposée par la Société ROCHE se trouve corroboré par la notoriété acquise par la forme du comprimé LEXOMIL auprès de la clientèle
intéressée par le produit, en particulier celle des médecins, à laquelle est ainsi garantie l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance;
Considérant que, dans la mesure où la forme du médicament choisie par la société intimée constitue l’instrument d’identification de son produit, propre à le différencier de celui des entreprises concurrentes, il y a lieu de conclure que les caractéristiques essentielles de cette forme ne sont pas toutes exclusivement fonctionnelles;
Considérant que, par voie de Cassation, Chambre Commerciale, Financière et Economique, statuant par décision du 21 janvier 2004, a cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande de la Société LABORATOIRES IREX en annulation de la marque n° 1.334.564, l’arrêt rendu le 26 octobre 2001 par la Cour d’Appel de PARIS, et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d’Appel de VERSAILLES. La Cour de Cassation énonce que, si la forme caractéristique du produit est considérée comme marque de fabrique, ne peuvent être considérées comme telles celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire du produit ou du service. Elle relève que la Cour d’appel, qui n’a pas recherché si la forme constituant la marque contestée n’était attribuable qu’au résultat technique recherché, peu important l’existence d’autres formes propres à permettre l’obtention de ce même résultat, n’a pas donné de base légale à sa décision. La Société LABORATOIRES IREX a saisi la Cour de renvoi par déclaration en date du 08 mars 2004. Elle fait valoir que la Société PRODUITS ROCHE a été définitivement déboutée de son action en concurrence déloyale par l’arrêt de la Cour d’Appel de PARIS ayant confirmé la décision des premiers juges, aucune cassation n’étant intervenue de ce chef, ce qui interdit à la Cour de renvoi de se prononcer à nouveau sur ce grief, même au regard de la prétendue reproduction servile du comprimé LEXOMIL, quelle que soit la position adoptée par elle en ce qui concerne la demande de nullité de la marque. Elle indique ne pas critiquer le jugement déféré en ce qu’il a retenu la contrefaçon de la marque BAGUETTE n° 1.334.563, de telle sorte que le litige est désormais circonscrit à la demande en annulation de la marque figurative n° 1.334.564. Elle soutient que la Société ROCHE a attendu le 11 décembre 1985 pour déposer cette marque, dans le seul but de chercher à s’approprier de façon illégitime la forme d’une spécialité dont la protection par brevet était expirée depuis trois années. Elle voire à remplacer, la Société LABORATOIRES IREX a manifestement recherché l’identification la plus complète possible de son produit avec celui de la Société ROCHE, dans le but de créer la confusion et de bénéficier de l’exceptionnelle notoriété du produit LEXOMIL depuis 1981. Dans cette hypothèse, elle demande à la Cour de condamner la Société LABORATOIRES IREX à lui verser la somme de 228.673,53 , au titre de la réparation des préjudices résultant des actes de concurrence déloyale et parasitaire ainsi commis, et de faire interdiction, en tant que de besoin, à la société appelante de poursuivre ses agissements de concurrence déloyale, et ce sous astreinte de 45,73 par produit ANXYREX commercialisé à compter de la signification de la décision à intervenir. Elle réclame en outre la somme complémentaire de 15.000 sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. L’ordonnance de clôture a été prononcée le 19 avril 2005.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la validité de la marque figurative n° 1334 564 :
Considérant que la marque figurative n° 1334 564, dont la Société ROCHE revendique le caractère protégeable, a fait l’objet d’une demande d’enregistrement à l’Institut National de la
Propriété Industrielle le 11 décembre 1985;
Considérant que, dès lors, la validité de cette marque doit être appréciée au regard des dispositions de la loi du 31 décembre 1964, en vigueur à la date de son dépôt, et sur la base des règles d’interprétation dégagées par la jurisprudence à partir de ce texte;
Considérant qu’aux termes des articles 1er et 3 de la loi du 31 décembre 1964, est réputée marque de fabrique : la forme caractéristique du produit ou de son conditionnement, sous réserve qu’elle ne soit pas constituée exclusivement de la désignation nécessaire ou générique du produit et du service qui est l’objet du dépôt;
Considérant qu’à cet égard, même sous l’empire de la législation antérieure au 28 décembre 1991, date d’entrée en vigueur conséquence, il convient, en confirmant par substitution partielle de motifs le jugement déféré, de déclarer valable la marque enregistrée sous le numéro 1334 564.
Sur la demande de dommages-intérêts du chef de contrefaçon :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont interdites, sauf autorisation du propriétaire :
a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque même avec adjonction de mots tels que : formule, façon, système, imitation, genre, méthode, ainsi que l’usage de marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement…;
Considérant que, de l’examen du comprimé ANXYREX initialement commercialisé par la Société LABORATOIRES IREX, et placé sous scellés par Maître CABOUR, huissier de justice, lors du constat dressé par lui le 8 janvier 1998, il ressort que ce comprimé se présente en baguette de forme oblongue, se terminant par deux demi-cercles, comportant trois encoches et entouré d’un chanfrein;
Considérant qu’il apparaît que ce médicament a la même taille et apparemment le même poids que le LEXOMIL, qu’il est également de couleur blanche, et qu’il figure sur les plaquettes destinées aux professionnels susceptibles de le prescrire;
Considérant qu’au surplus, il résulte des précédents développements que la forme du comprimé n’est pas rendue nécessaire par le caractère générique du produit litigieux;
Considérant que, dès lors que ce comprimé a la même forme que celui déposé dans l’enregistrement de la marque de la Société ROCHE, et ce pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans cet enregistrement, il convient, en confirmant le jugement déféré, de dire que la contrefaçon de la marque n° 1334 564 est établie, et de faire interdiction, en tant que de besoin, à la Société LABORATOIRES IREX de poursuivre ses agissements, à peine d’une astreinte de 300 F (45,73 ) par produit commercialisé contrefaisant à compter de la de la loi du 04 janvier 1991 (dont les dispositions sont actuellement contenues dans l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle), il était admis que, lorsqu’il consiste dans la forme du produit ou de son emballage, le signe n’est distinctif qu’à la condition que cette forme ne remplisse pas une fonction exclusivement technique ou pratique;
Considérant qu’en effet, dès l’instant où une forme remplit une fonction pratique ou technique, elle appartient à tous les objets exerçant la même fonction et revêt un caractère nécessaire au sens de la loi susvisée;
Considérant que, dans la mesure où le droit des marques est un droit d’occupation conférant un monopole d’une durée déterminée par la seule volonté du déposant, le dépôt à titre de marque d’une forme purement fonctionnelle, donc nécessaire, ne saurait être admis, au risque d’empêcher la concurrence d’exploiter un objet se trouvant dans le domaine public;
Considérant qu’au regard des dispositions légales en vigueur à la date du dépôt de la forme géométrique du comprimé LEXOMIL, il importe donc d’examiner si les caractéristiques fonctionnelles essentielles de cette forme sont ou non attribuables uniquement au résultat technique recherché, la circonstance que d’autres formes permettent d’atteindre le même résultat technique étant par ailleurs inopérante;
Considérant que, dès lors qu’une telle démonstration ne procède nullement d’une condition supplémentaire qui serait imposée à la validité des marques figuratives prévue par la loi du 31 décembre 1964, le grief soulevé par la Société ROCHE, tiré d’une prétendue violation du principe de non rétroactivité de la loi nouvelle, doit être écarté;
Considérant qu’il s’ensuit que, pour pouvoir se prononcer sur la validité de la marque litigieuse, il convient de déterminer si la forme caractéristique du LEXOMIL constitue la désignation nécessaire de ce produit, si elle revêtait un caractère usuel à la date de son dépôt, et enfin si ses caractéristiques signification de la décision de première instance;
Considérant que, dans l’appréciation du préjudice subi par la société intimée, il y a lieu de relever que la contrefaçon de la marque BAGUETTE et celle constituée par la forme du LEXOMIL ont permis à la Société LABORATOIRES IREX, en se plaçant dans le sillage de la réussite commerciale de ce médicament, de tirer bénéfice de la mise sur le marché d’un anxiolytique qui lui est directement concurrent;
Considérant que ce préjudice est mis en évidence par les documents comptables produits aux débats, établissant que le montant des ventes du produit ANXYREX réalisées entre septembre 1997, époque de la mise sur le marché de ce produit, et mars 1998, a été largement supérieur au montant des ventes d’un autre générique du LEXOMIL, le BROMAZEPAM RPG,
enregistrées durant les huit mois ayant suivi le lancement de ce médicament;
Considérant que, toutefois, la réclamation formulée par la Société ROCHE repose sur des éléments de comparaison insuffisamment pertinents, les périodes de référence n’étant pas les mêmes pour ces deux produits, dont le lancement est intervenu au mois de juin 1996 en ce qui concerne le BROMAZEPAM RPG, et seulement en août 1997 pour ce qui est de l’ANXYREX;
Considérant que c’est donc à juste titre que, tenant compte tout à la fois du manque à gagner subi par elle, de la banalisation de son comprimé LEXOMIL et de l’atteinte à l’image de marque qui ont résulté de la reproduction à l’identique de ce médicament, le Tribunal a fixé à 500.000 F (76.224,51), toutes causes confondues, le montant des dommages-intérêts auquel peut prétendre la Société ROCHE en réparation du préjudice qui lui a été
causé par ces agissements de contrefaçon;
Considérant que, par voie de conséquence, il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la Société LABORATOIRES IREX au versement de la somme de
76.224,51 , et de débouter la Société ROCHE de son appel incident de ce chef.
Sur les demandes complémentaires et annexes :
Considérant qu’en raison du caractère seulement partiel de la cassation intervenue, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la demande du chef de concurrence déloyale et parasitaire, présentée à titre subsidiaire par la Société ROCHE, et dont cette dernière a été définitivement déboutée par le jugement du Tribunal de Grande Instance de PARIS, confirmé par arrêt de la Cour d’Appel de PARIS en date du 26 octobre 2001 ;
Considérant que, dès lors que la marque n° 1334 564, objet de la saisine de la Cour de renvoi, est jugée valable, et que la condamnation prononcée par le Tribunal pour contrefaçon est confirmée en appel, il convient, comme l’ont fait les premiers juges, de débouter la Société
LABORATOIRES IREX de sa demande reconventionnelle en dommages- intérêts du chef d’interruption brutale de la commercialisation de son médicament contrefaisant ANXYREX consécutivement aux mesures d’interdiction prononcées d’abord en référé, puis sur le fond;
Considérant que le jugement déféré doit être confirmé également en ce qu’il a autorisé la Société PRODUITS ROCHE, désormais dénommée Société ROCHE, à faire publier le dispositif de la décision de première instance dans trois revues ou journaux à son choix et aux frais de la société appelante, sans que le coût total d’insertion dépasse la somme de 60.000 F (9.146,94) HT;
Considérant que le Tribunal a à juste titre octroyé à la Société PRODUITS ROCHE la somme de 25.000 F (3.811,23) en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés par elle en première instance;
Considérant que l’équité commande d’allouer à la société intimée, sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité complémentaire de 5.000, en remboursement des frais non compris dans les dépens qu’elle a engagés devant la Cour de renvoi;
Considérant qu’il n’est cependant pas inéquitable que la société appelante conserve la charge des frais non compris dans les dépens exposés par elle dans le cadre de la présente procédure;
Considérant que les premiers juges ont à bon droit condamné la Société exposés par elle
dans le cadre de la présente procédure;
Considérant que les premiers juges ont à bon droit condamné la Société LABORATOIRES IREX aux dépens de première instance;
Considérant que cette dernière, qui succombe en son recours, doit être condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, et sur renvoi après
cassation partielle d’une décision de la Cour d’Appel de PARIS en date du 26 octobre 2001 par arrêt de la Cour de Cassation en date du 21 janvier 2004;
Confirme par substitution partielle de motifs le jugement déféré;
Y ajoutant :
Condamne la Société LABORATOIRES IREX, devenue WINTHROP MEDICAMENTS, à verser à la Société ROCHE la somme complémentaire de 5.000 sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Déboute la Société ROCHE du surplus de sa demande de dommages-intérêts;
Déboute la Société LABORATOIRES IREX, devenue WINTHROP MEDICAMENTS, de l’intégralité de ses demandes;
Condamne la Société LABORATOIRES IREX, devenue WINTHROP MEDICAMENTS, aux dépens exposés devant la Cour de renvoi, et autorise la SCP JUPIN & ALGRIN, Société d’Avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l’article 699 du nouveau Code de procédure civile.