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Décisions

Cass. com., 20 octobre 2021, n° 19-22.546

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Passebosc (SAS)

Défendeur :

Deltalab-Smt (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Kass-Danno

Avocat :

SCP Boullez

Montpellier, 2e ch., du 25 juin 2019

25 juin 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 25 juin 2019), la société Deltalab/Cosimi, aux droits de laquelle vient la société Passebosc, a cédé à M. Tagliante, le 18 décembre 2013, sous conditions suspensives, un fonds de commerce de conception et fabrication de matériel pour l'enseignement technique. La cession a été réitérée le 6 février 2014, la société Deltalab-SMT se substituant à M. Tagliante.

2. S'opposant sur l'exécution de leurs obligations contractuelles, les parties ont signé, le 18 juillet 2014, un protocole d'accord transactionnel afin de remédier à des problèmes d'interprétation de l'acte de cession et de solder les comptes entre elles.

3. La société Deltalab-SMT a assigné la société Passebosc en paiement de diverses sommes en exécution de l'acte de cession et de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième, quatrième, cinquième, sixième moyens et sur le troisième moyen pris en sa cinquième branche, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

5. La société Passebosc fait grief à l'arrêt de dire que la clause inscrite au deuxième paragraphe de l'article 10 de la convention du 6 février 2014 était réputée non écrite et en conséquence de la condamner à payer une indemnité de 7 500 euros à la société Deltalab-SMT, alors :

« 1°) qu'une clause de non-sollicitation de clientèle, stipulée entre deux partenaires commerciaux dans le but de protéger leurs intérêts, est par principe valable ; qu'en jugeant la clause litigieuse invalide comme portant une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie, quand elle avait été stipulée entre deux partenaires commerciaux et visait à préserver les intérêts judiciaires de l'exposante, et était restreinte à la non-sollicitation qui pouvait d'ailleurs être levée par Mme Cosimi – d'anciens partenaires commerciaux qui s'étaient rendus coupables de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

2°) qu'une clause de non-sollicitation, limitée à trente-six mois et à trois anciens partenaires contractuels est limitée et proportionnée ; qu'en jugeant disproportionnée la clause de non-sollicitation stipulée à l'article 10 § 2 de la cession, quand elle était tout à la fois limitée dans le temps et à trois anciens partenaires commerciaux et deux salariés de l'exposante (la société Prodidac ayant été créée par d'anciens salariés de la société Deltalab/Cosimi) et n'empêchait pas la société Deltalab-SMT de développer son chiffre d'affaires avec d'autres clients, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

3°) qu'une clause de non-sollicitation est valable lorsqu'elle est proportionnée à l'intérêt de la partie au profit de laquelle elle a été souscrite ; qu'en ayant jugé la clause litigieuse disproportionnée, au simple motif qu'elle obligeait la société Deltalab-SMT à ne conclure aucune affaire avec les sociétés Tecquipment, Hilton et Elletronica Veneta, sans rechercher si la société Passebosc disposait d'un autre moyen lui permettant de favoriser la solution transactionnelle qu'elle envisageait avec ses anciens partenaires, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1134 ancien du code civil et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

4°) que si le devoir de loyauté s'impose à des partenaires contractuels, il  n'empêche que le respect de celui-ci peut être garanti par une clause de non-sollicitation ; qu'en ayant jugé que la clause de non-sollicitation en cause ne s'imposait pas pour garantir les intérêts de la société Passebosc, car l'article 10 de la cession rappelait, en son article 10, l'obligation de loyauté qui pesait sur la société Deltalab-SMT, quand celui-ci ne mettait pas obstacle à la possibilité, pour cette dernière, de contracter avec les anciens partenaires et salariés de l'exposante, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir relevé que la clause litigieuse intitulée « Obligation de loyauté » stipulait, en son paragraphe 2, que « le cessionnaire s'engage tout particulièrement jusqu'à l'issue des contentieux en cours et pendant une durée qui ne pourra excéder trente-six mois à compter de la date de réitération des présentes à ne traiter aucune opération soit directement soit indirectement, sauf accord exprès de Mme Cosimi, avec la société Tecquipment, la société Hilton, la société Electronica Vendetta, la société Prodidac, M. Edy et M. Cazenavette compte tenu des relations conflictuelles et des procédures judiciaires que le cédant poursuit avec ces derniers sauf accord exprès de Mme Cosimi », l'arrêt énonce exactement que la validité de cette clause est subordonnée à la réunion de plusieurs conditions, à savoir sa limitation dans le temps, la protection d'un intérêt légitime et le caractère proportionné entre l'interdiction posée et l'intérêt protégé. Il retient que l'engagement stipulé était contraignant en ce que, limité dans le temps, il imposait cependant au cessionnaire de ne traiter « aucune opération » avec les personnes et sociétés désignées, aboutissant, par la généralité des termes employés, à une impossibilité pour le cessionnaire de nouer une quelconque relation, commerciale, de travail ou de collaboration, avec les anciens partenaires de la société Passebosc sauf accord exprès de Mme Cosimi. Il constate que cette dernière a ainsi refusé son accord quand la société Deltalab-Smt a souhaité assurer le service après vente relatif aux produits de négoce des sociétés Tecquipment, Hilton, Electronica Vendetta.

7. Il retient encore que la société Passebosc ne justifie pas cette clause par la nécessité de préserver son secteur d'activité économique d'une quelconque concurrence à venir mais par celle d'éviter toute interférence dans le déroulement des procédures l'opposant à ses anciens partenaires. Il retient, en outre, que, la société Passebosc ayant indiqué que les partenaires visés lui avaient permis de réaliser un important chiffre d'affaires qui avait chuté après la rupture de leurs relations, la restriction qu'elle imposait à la société Deltalab-Smt revenait à lui faire subir le même sort, au mépris du principe de la liberté du commerce et de l'industrie que la vente du fonds à moindre prix ou que le dessein de contraindre ses anciens partenaires à « s'asseoir à la table des négociations » ne pouvaient justifier.

8. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la troisième branche, qui ne lui était pas demandée, a pu, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième, déduire que cette clause n'était pas proportionnée à l'intérêt ainsi explicité.

9. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.