CA Paris, Pôle 4 ch. 10, 21 octobre 2021, n° 16/15032
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cook France (SARL)
Défendeur :
Office national d'indemnisation des accidents médicaux des infections iatrogènes et des accidents médicaux, Caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines, Mutuelle GMC
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Papin
Conseillers :
M. Chazalette, Mme Lefevre
M. Roch T. de M., âgé de 86 ans, était porteur d'un anévrisme de l'aorte abdominale sous-rénal évolutif.
Le 18 juin 2010, à l'hôpital européen Georges Pompidou, le Professeur J. est intervenu pour mettre en place une endoprothèse Cook Zenith Flex.
L'endoprothèse est un dispositif visant à prévenir les ruptures d'anévrisme en excluant la poche anévrismale du flux circulant et de la pression artérielle et en renforçant la paroi artérielle.
Elle est fixée aux parois artérielles du patient à l'aide de structures métalliques, les stents.
L'intervention s'est compliquée, l'endoprothèse ayant migré au-dessus des artères rénales. Une conversion chirurgicale a été décidée, mais M. Roch T. de M. est décédé le soir même des suites de cette intervention.
Au début de l'année 2011, les héritiers de M. Roch T. de M. ont saisi la CRCI d'Ile-de-France d'une demande d'indemnisation.
La CRCI a alors désigné le Docteur Claude V., chirurgien cardio-vasculaire et thoracique, aux fins de procéder à une expertise visant à décrire les conditions de la prise en charge de M. Roch T. de M..
L'expert a déposé son rapport le 19 février 2012.
La CRCI a, par avis du 22 mars 2012, considéré que le système de largage de l'endoprothèse fabriquée par la société Cook Medical n'avait pas fonctionné correctement et qu'il existe donc un lien de causalité direct et certain entre ce dysfonctionnement et le décès du patient. Elle en a conclu que la réparation des préjudices des consorts T. de M. incombait à la société Cook France, producteur du matériel défectueux et responsable des dommages en application des dispositions de l'article 1386-1 du code civil.
La société Cook France n'ayant formulé aucune offre d'indemnisation, les héritiers de M. Roch T. de M. ont sollicité en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique la substitution de l'ONIAM à la société Cook France.
L'ONIAM a alors régularisé quatorze protocoles d'indemnisation transactionnelle avec les ayants droit de M. Roch T. de M. pour un montant total de 66.531,21 euros.
Par acte d'huissier en date du 12 septembre 2014, l'ONIAM a fait assigner la société Cook France, la CPAM des Yvelines et la Mutuelle GMC aux fins de recouvrer le montant des indemnisations dont il a dû faire l'avance, ainsi que la pénalité de 15% prévue aux articles L. 1142-14 et L. 1142-15 du code de la santé publique.
Par jugement du 17 juin 2016, le tribunal de grande instance de Créteil a :
- Dit que la société Cook France est responsable d'avoir fourni une endoprothèse défectueuse, à l'origine du décès de M. Roch T. de M.,
- Condamné la société Cook France à verser à l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux la somme de 66 531,21 euros au titre des protocoles d'accord, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- Condamné la société Cook France à verser à l'ONIAM la somme de 9 979,68 euros au titre de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- Condamné la société Cook France à verser à l'ONIAM la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Cook France au paiement des dépens qui pourront être recouvrés directement par Maître S., en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 8 juillet 2016, la société Cook France a interjeté appel de ce jugement en visant la totalité des chefs du jugement critiqués.
Par arrêt réputé contradictoire en date du 6 septembre 2018, une mesure d'expertise a été confiée au docteur P., au motif notamment de conclusions dubitatives du docteur V.
Le docteur P. a déposé son rapport le 15 novembre 2018.Il conclut que bien que ne disposant pas d'imagerie préopératoire, il apparaît un défaut de manipulation très probable lors de la pose de l'endoprothèse par le Docteur J.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 18 juin 2021, la société Cook France demande à la cour de :
- Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Cook France ;
- Déclarer la société Cook France recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Déclarer l'ONIAM mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, et l'en débouter intégralement ;
Y faisant droit,
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Créteil en date du 17 juin 2016, sauf en ce qu'il a laissé les frais d'expertise à la charge de la solidarité nationale ;
En conséquence,
- Acter des conclusions tirées par le Docteur P. dans son rapport d'expertise du 30 novembre 2018 ;
- Dire et juger que l'endoprothèse de la société Cook France utilisée lors de l'intervention, qui présentait toutes les garanties nécessaires, a parfaitement fonctionné et n'est en rien défectueuse
- Dire et juger que les conditions requises à l'article 1386-1 du code civil ne sont pas réunies, et que la responsabilité de la société Cook France ne saurait en aucun cas être engagée à quelque titre que ce soit ;
- Ecarter des débats le rapport rendu par le Docteur Claude V. compte tenu du conflit d'intérêt manifeste et des trop nombreuses erreurs et contradictions qui le caractérisent ;
- Constater que l'ONIAM n'apporte pas la moindre preuve au soutien de ses prétentions ;
En tout état de cause,
- Condamner l'ONIAM à verser à COOK la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner l'ONIAM aux entiers dépens.
Elle soutient que :
- Le rapport du docteur V. est non judiciaire, intervenu près de deux années après la date des faits,
- ce médecin est en conflit d'intérêts en tant qu' investigateur principal pour une société belge qui fabrique un dispositif ayant vocation à concurrencer directement les endoprothèses Cook,
L'AFSSAPS a pour sa part écarté sans la moindre équivoque la responsabilité de la société Cook à la suite d'investigations menées à l'époque des faits et notamment à partir de l'endoprothèse extraite,
les années d'utilisation des endoprothèses Cook ont démontré la fiabilité de ce produit et celle visée au cas d'espèce présente toutes les garanties de sécurité attendues et il est avéré que les dysfonctionnements allégués ressortent d'une mauvaise utilisation du produit,
la Haute autorité de santé a conclu dans des avis des 14 septembre 2010 et 17 mai 2011 que le rapport effet thérapeutique/ effets indésirable des endoprothèses aortiques zénith et zénith flex est favorable à leur utilisation dans le traitement des anévrismes de l'aorte abdominale,
les résultats d'une utilisation répandue dans le temps et à travers le monde démontrent un très faible pourcentage de difficultés dont aucune tenant à défaut du produit,
elle s'est appliquée à fournir une information la plus claire et complète possible en délivrant correctement et directement aux professionnels de santé le mode d'emploi décrivant les complications susceptibles de survenir et en indiquant les manoeuvres de rattrapage,
elle démontre l'absence de causalité entre l'endoprothèse et le décès du patient, et que ce sont les conditions de cette chirurgie, rendue nécessaire du fait de l'utilisation incorrecte de l'endoprothèse, qui ont entraîné le décès du patient,
elle doit être mise hors de cause en l'absence de quelque défectuosité que ce soit de son matériel conformément aux conclusions de l'expert judiciaire, l'ONIAM ne rapportant pas la preuve de ses prétentions,
le 26 octobre 2018 puis dans son pré-rapport page 20, l'expert judiciaire a expressément indiqué à l'ONIAM qu'il conviendrait d'attraire l'APHP à la cause, ce qu'il n'a pas fait et qu'il ne peut lui reprocher ses choix procéduraux,
- l'ONIAM ne justifie toujours pas de la saisine de la juridiction administrative à l'encontre de l'APHP.
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 24 août 2021, l'ONIAM demande à la cour de :
- Infirmer le jugement n°14/09682 rendu par le tribunal de grande instance de Créteil le 17 juin 2016 en ce que le tribunal a laissé les frais d'expertise à la charge de la solidarité nationale ;
- Confirmer le jugement n°14/09682 rendu par le tribunal de grande instance de Créteil le 17 juin 2016 pour le surplus ;
En conséquence :
- Condamner la société Cook France à payer à l'ONIAM la somme totale de 66 531,21 euros en remboursement des sommes versées suite aux protocoles d'accord conclus avec les ayants droit de M. Roch T. de M., portant intérêts à taux légal à compter de la délivrance de la présente assignation ;
- Condamner la société Cook France à payer à l'ONIAM la somme de 9 979,68 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, portant intérêts à taux légal à compter de la délivrance de la présente assignation ;
- Condamner la société Cook France à payer à l'ONIAM la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise engagés pour examiner le cas de M. T. de M., portant intérêts à taux légal à compter de la délivrance de la présente assignation ;
- Rejeter l'intégralité des demandes, fins et conclusions de la société Cook France ;
- Condamner la société Cook France à payer à l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Cook France aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
L'ONIAM sollicite la confirmation du jugement déféré.
Il fait valoir en se fondant sur l'expertise diligentée par la CCI Île-de-France:
- qu'un certain nombre d'éléments (éraflures hautes du stent, avec une soudure au niveau de l'éraflure, partie supra rénale de la prothèse tordue, une griffe est retournée) démontrent que l'endoprothèse utilisée dans le cadre de l'intervention de Monsieur T. de M. était défectueuse,
- que ces problèmes de déploiement sont connus,
- qu'au Canada, ces problèmes de déploiement ont forcé les autorités à retirer ce type de matériel de même qu'aux États-Unis des alertes ont été adressées sur le déploiement anormal de l'endoprothèse,
- que le fait d'avoir obtenu l'autorisation administrative de mise sur le marché, délivrée au vu du respect des normes, est insuffisant pour dégager la responsabilité du producteur,
- que la Cour de cassation a considéré que le défaut d'un produit de santé pouvait résulter de présomptions graves précises et concordantes à défaut de preuves scientifiques certaines,
- que le lien de causalité a été clairement mis en exergue par Monsieur V. : la survenue du décès est monofactorielle due à une ouverture trop haute de la prothèse,
- que le parti pris du docteur V., éminent chirurgien cardio-vasculaire, expert, n'est pas démontré, du seul fait qu'il ait été coinvestigateur pour la société Cardiatis dont il n'est pas démontré qu'elle ait vocation à concurrencer les endoprothèses Cook,
- que la procédure d'expertise du docteur P. n'a pas été réalisée au contradictoire de l'APHP contrairement à celle du docteur V.,
-que dans tous les cas, rien ne justifie que l'indemnisation du préjudice des ayants droit incombe à l'ONIAM; que seul le tribunal administratif aurait été compétent pour la mise en cause de l'AP HP, et qu'elle est de bonne foi ayant déposé en parallèle une requête devant le TA dans l'hypothèse où des manquements seraient retenus à l'encontre du docteur J..
Par ordonnance sur incident en date du 9 septembre 2020, le conseiller de la mise en état a débouté l'ONIAM de sa demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue des opérations d'expertise ordonnées par le tribunal administratif de Paris, dont la preuve de la saisine n'était pas rapportée.
A ce jour, ni la Mutuelle GMC, ni la CPAM des Yvelines n'ont notifié de conclusions par le RPVA. La présente décision est réputée contradictoire, les déclarations d'appel leur ayant été signifiées à personne les 14 et 19 octobre 2016.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 septembre 2021.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé pour les faits, prétentions et arguments des parties aux conclusions récapitulatives déposées.
SUR CE, LA COUR,
En application de l'article 1386-1 du code civil devenu l'article 1245 du code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit.
Les produits de santé tels qu'ils sont définis par l'article L5 1311 ' 1 du code de la santé publique ainsi que les appareils utilisés en santé constituent des produits au sens de l'article 1386-1 et suivants du code civil devenu l'article 1245 et suivants du code civil.
Selon l'article 1386-4 du code civil devenu l'article 1245-3 du code civil : Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Le produit défectueux doit présenter un défaut interne, un défaut de fabrication ou de conception, auquel est assimilé le défaut d'information.
La responsabilité de plein droit du producteur est engagée à la triple condition de l'existence du défaut du produit, de la mise en circulation de ce produit et de l'existence d'un lien causal entre la défectuosité et le dommage.
En application des dispositions de l'article 1386-9 devenu 1245-8 du code civil: il appartient au demandeur en réparation du dommage causé par un produit qu'il estime défectueux de prouver le dommage, le défaut invoqué et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
Si la preuve du lien de causalité peut résulter de présomptions de fait, elles doivent être précises, graves et concordantes.
Au regard des risques inhérents aux produits de santé, la preuve d'un défaut de l'endoprothèse Zenith Flex ne peut être considérée comme rapportée par le seul constat:
- d'une implication du produit dans la réalisation du dommage, celle-ci constituant seulement une preuve préalable ne suffisant pas à établir son défaut,
-de la dangerosité du produit.
L'article 1245-3 du code civil fait de la présentation du produit un critère d'appréciation de sa sécurité ce qui inclut l'information donnée aux utilisateurs sur les conditions d'utilisation du produit et les risques encourus.
Sur la présentation du produit, il résulte des pièces produites que la société COOK a, via les IFU « Instructions for Use » disponibles en plusieurs langues dont le français, décrit les procédures d'implantation et les complications susceptibles de survenir à l'occasion du traitement endovasculaire d'un anévrisme de l'aorte abdominale et de la pose de l'endoprothèse, en fournissant aux destinataires une information complète.
L'endoprothèse concernée et plus précisément son système de largage, sont explicités et aussi représentés grâce à plusieurs schémas.
Paragraphe 14 est décrite en détail la procédure de dépannage du mécanisme de largage des fils de sécurité.
Le producteur a satisfait à son devoir d'information.
Les endoprothèses litigieuses ont été mises en circulation sur le marché français après approbation de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé par décision en date du 15 octobre 2001.
Il résulte des avis de la Haute Autorité de Santé en date des 14 septembre 2010 et 17 mai 2011 que « les données cliniques confirment la sécurité des endoprothèses aortiques abdominales Zenith et Zenith Flex et leur intérêt dans le traitement de l'anévrisme de l'aorte abdominale ».
Dans le cadre de notre espèce, le 23 août 2010, l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé a clos le dossier.
Elle fait état dans son compte rendu de 10 incidents similaires dans le monde dont un en France sans conséquence clinique pour 22752 unités vendues en Europe ( dont 2072 en France) entre le 1/10/2007 et le 5/7/2010 et que le décès de M.Roch T. de M. n'était pas dû au dysfonctionnement de l'endoprothèse mais aux risques liés à une intervention chirurgicale et que l'expertise réalisée sur la prothèse n'avait pas permis de déceler de défaut de fabrication (« le dispositif répondait aux spécifications du fabriquant »).
Elle indique aussi que l'incident décrit semble être similaire au problème qui a fait l'objet d'une action corrective en février 2009, dans laquelle le fabricant proposait aux utilisateurs une procédure de dépannage du mécanisme de largage, et la cour note que la prothèse concernée a été fabriquée postérieurement le 17 mars 2010 (pièce 19 page 3 de l'appelant), l'ONIAM n'alléguant pas pour sa part d'une fabrication antérieure.
La commission régionale de conciliation et d'admission des accidents médicaux d'Île-de-France, informée par courrier en date du 27 février 2012 que le docteur V. serait en conflit d'intérêts avec la société Cook France, a conclu sur le fondement de son rapport, que le dysfonctionnement de la prothèse a été à l'origine du décès du patient.
Le fait que le docteur V. ait été, selon les termes d'un rapport rendu en février 2011, co investigateur principal d'une évaluation du ' modulateur de flux multicouches dans le traitement des anévrismes et dissections de l'aorte' fabriqué par une entreprise concurrente à la société Cook, la société Cardiatis, est de nature à faire naitre un doute sur son impartialité.
Mais surtout le docteur V., se contredit avec sa conclusion faisant état d'une difficulté d'ouverture de la prothèse, page 31 de son rapport, daté du 19 février 2012, lorsqu'il indique, en réponse à un dire, qu'il était impossible de trancher entre l'hypothèse d'un dysfonctionnement et celle du non respect du mode d'emploi en l'absence d'enregistrement complet des événements.
L'ONIAM reprend dans ses écritures les arguments d'un retrait du marché canadien en 2009 et d'une alerte aux USA mentionnés par le docteur V. dans son rapport sans produire aucune autre pièce, les passages dudit rapport à ce sujet étant des extraits copiés/collés et surtout une action corrective avec proposition aux utilisateurs d'une procédure de dépannage ayant été réalisée par le fabriquant en février 2009 donc ultérieurement.
L'ONIAM se fonde également sur la présence d'éraflures sur l'endoprothèse et sur le fait que l'un des crochets était abimé. Ces éléments sont à eux seuls insuffisants pour caractériser un défaut intrinsèque de l'endoprothèse alors que ces traces peuvent tout aussi bien résulter de l'ablation de l'endoprothèse et de sa décontamination comme soutenu par la société COOK dans le cadre du rapport V.
L'ONIAM ne peut critiquer l'expertise judiciaire au seul motif qu'elle n'a pas été réalisée au contradictoire du Docteur J. et de l'APHP alors qu'il lui appartenait, ayant la charge de la preuve, de les mettre en cause devant la juridiction administrative ce dont elle ne justifie pas.
Le docteur P., chirurgien vasculaire et thoracique désigné par arrêt avant dire droit, de la cour d'appel de Paris, qui s'est adjoint les compétences d'un sapiteur en la personne du Docteur de C., radiologue vasculaire interventionnel, a conclu, dans son rapport en date du 15 novembre 2018, que :
l'indication du traitement de l'anévrisme de ce patient, M. Roch T. de M., était justifiée compte tenu du caractère évolutif,
le choix de l'endoprothèse était pertinent, plutôt que la chirurgie, en raison de son âge, d'autant qu'il n'y avait pas sur l'imagerie préopératoire d'éléments faisant craindre une difficulté de pose,
l'information du patient était conforme aux règles de l'art avec plusieurs consultations assorties d'un délai de réflexion suffisamment long,
la préparation préopératoire a été conforme aux règles de l'art avec un bilan cardiologique complet qui a permis de traiter une lésion coronaire menaçante,
bien que ne disposant pas d'imagerie préopératoire, il apparaît un défaut de manipulation très probable lors de la pose de l'endoprothèse par le Docteur J. ,
les manoeuvres préconisées de rattrapage n'ont pas été tentées,
l'échec de la pose de l'endoprothèse a conduit à une opération chirurgicale immédiate pour extraire le matériel qui risquait d'entraîner une thrombose de l'aorte et une occlusion des artères viscérales par son ascension vers le haut,
la cause du décès, survenu très rapidement au décours de l'intervention, est probablement multifactorielle chez un sujet âgé au coeur fragile ; l'état antérieur de cardiopathie a très certainement contribué au décès du patient mais n'a pas contribué à la survenue de l'incident de pose.
Il précise dans son rapport:
que la pose d'une endoprothèse aortique (qui consiste à placer dans l'aorte par voie vasculaire une prothèse étanche) demande un savoir-faire et doit strictement respecter les modalités de pose que l'on retrouve dans la notice d'emploi fournie par le fabricant avec chaque prothèse,
que les séquences de déverrouillage doivent être strictement respectées sous peine de difficultés :
d'abord déverrouillage du nez, prothèse maintenue par immobilisation de la gaine et maintien de la prothèse dans celle-ci par le fil de sécurité de la partie distale,
libération et largage premier de la partie proximale de l'endoprothèse par poussées sur la tige, prothèse fixée immobilisée par le bas,
et seulement ensuite, une fois la partie proximale de la prothèse amarrée sur la paroi aortique,
largage de la partie distale après libération du deuxième fil,
que le maintien en position fixe de l'ensemble de la prothèse est donc capital au moment de dégager la partie haute du nez faute de quoi l'ensemble va être emmené vers le haut par le nez qui n'a pu être dégagé,
la mobilisation vers le haut de l'ensemble de la prothèse emmenée par le nez hors de la gaine porteuse dans la lumière aortique lors de la tentative de libération de la partie haute du nez est le fait de n'avoir pu la maintenir fixe par le bas,
ceci est très certainement dû au déverrouillage prématuré du système permettant de maintenir fixée la branche iliaque par retrait de la deuxième bobine de sécurité avant largage de la partie haute de l'endoprothèse,
il existe des solutions de rattrapage dont la réalisation n'est pas rapportée dans le compte rendu du Docteur J.,
l'hypothèse la plus plausible est celle d'un retrait prématuré de la deuxième bobine libérant ainsi la prothèse qui a migré lors de la poussée sur la canule quand il a voulu larguer le stent proximal du nez,
il y a eu erreur de manipulation probablement par largage simultané des deux systèmes de verrouillage par traction des deux fils de sécurité avec l'absence de mise en route des manoeuvres de rattrapage préconisées,
- il n'y a pas eu de défaillance du système de pose.
L'expert ajoute, page 20, qu'il n'a pas eu d'informations sur l'expérience du professeur J. spécifique à la pose endoprothèse de marque Zenith, et qu'il n'y avait pas de proctor de la société Cook pour l'accompagner étant admis que, pour réaliser de façon autonome la pose d'une endoprothèse pour anévrisme aortique, il faut avoir bénéficié d'une formation spécifique et avoir été accompagné, pour au moins les 10 premières interventions, par un proctor, qui est un médecin rompu à ces techniques ou un technicien spécialisé du fournisseur.
Dès lors, il résulte des éléments ci-dessus que l'ONIAM, qui en a la charge, ne rapporte pas la preuve, d'une dangerosité anormale de l'endoprothèse à laquelle on ne pouvait s'attendre, donc de l'existence d'un défaut du produit au sens de l'article sus visé, et d'un lien causal entre la défectuosité et le dommage, le décès du patient.
Les éléments de fait qui nous sont soumis, l'expert judiciaire, le docteur P., retenant une erreur de manipulation de l'endoprothèse par le docteur J., puis l'absence de mise en oeuvre des manoeuvres de rattrapage pourtant explicitées dans les IFU fournies par le fabricant, ne constituent pas des présomptions graves, précises et concordantes d'un défaut du produit à l'origine de l'incident ayant conduit au décès.
Les conditions requises à l'article 1386-1 du code civil devenu l'article 1245 du code civil n'étaient donc pas réunies.
Il convient par conséquent de débouter l'ONIAM de ses demandes et d'infirmer la décision déférée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
L'ONIAM est condamnée aux dépens et à payer à la société Cook France la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est débouté de sa demande au titre des frais d'expertise.
PAR CES MOTIFS
Infirme la décision déférée,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute l'ONIAM de ses demandes ;
Condamne l'ONIAM à verser à la société Cook France une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'ONIAM aux dépens ;
Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.