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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 19 octobre 2021, n° 19/03603

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Domoti (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Conseillers :

M. Orsini, Mme Verrier

TGI Poitiers, 30 avr. 2019

30 avril 2019

EXPOSÉ :

Monique A. épouse D. a reçu de la société Domoti, qui exerce son activité de vente à distance sous l'enseigne « Temps L », des correspondances faisant état de l'organisation d'une loterie dotée d'une somme de 7.500 euros.

Estimant qu'elle était le bénéficiaire de la somme, Mme D. l'a réclamée en vain à la société Domoti, qu'elle a fait assigner, après vaine mise en demeure, devant le tribunal d'instance de Poitiers pour l'entendre condamner à lui payer 7.500 euros outre 700 euros d'indemnité de procédure, fondant son action sur l'ancien article 1382 du code civil en reprochant à la défenderesse d'avoir engagé sa responsabilité en lui annonçant le gain sans mettre clairement en évidence l'existence de l'aléa auquel il était subordonné.

La société Domoti a invoqué à titre principal l'irrecevabilité de la demande pour défaut d'intérêt né et actuel à agir au motif que l'action était prématurée puisque l'opération se clôturant par l'attribution du lot était toujours en cours, et subsidiairement son rejet en affirmant que l'existence d'un aléa était clairement compréhensible à première lecture des courriers litigieux.

Par jugement du 30 avril 2019, le tribunal d'instance de Poitiers a déclaré l'action recevable au motif que l'intérêt à agir de Mme D. n'était pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de son action, et il l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes en la condamnant aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 800 euros, en retenant que l'existence d'un aléa ressortait clairement des mentions portées en caractères très visibles et lisibles sur le document querellé.

Mme D. a relevé appel le 8 novembre 2019.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique

le 27 août 2020 par madame D.

le 27 avril 2020 par la SARL Domoti.

Monique A. épouse D. demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la société Domoti à lui verser 7.500 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts « de droit » à compter du 12 septembre 2018 ainsi que 1.500 euros d'indemnité de procédure.

Elle indique que la question de sa recevabilité à agir ne se pose plus, la date du 30 juin 2019 étant passée.

Reprochant au premier juge une motivation générale ne citant pas les termes qu'il déclare clairs et précis, elle maintient que l'existence de l'aléa affectant l'attribution du prix n'était pas mise clairement en évidence à première lecture dans le courrier d'annonce du gain qu'elle a reçu. Elle répond à l'argument adverse tiré de ce qu'elle serait habituée des loteries qu'il se retourne contre son auteur puisque l'article 121-1 du code de la consommation interdisant comme déloyales les pratiques vise des consommateurs vulnérables, ce qu'elle est vu son âge et sa santé fragile.

La SARL Domoti sollicite la confirmation du jugement et 2.000 euros d'indemnité de procédure.

Elle rappelle la législation et l'état de la jurisprudence sur les loteries.

Elle soutient que l'opération était dûment pourvue d'un aléa, perceptible à première lecture des documents, dont l'un énonce qu'elle recherche activement la grande gagnante, et que Mme D. dispose du statut garanti par la « nomination pour la super prime annuelle », ce qui exprime bien qu'il ne s'agit là que d'une première étape et donc l'aléa, et dont l'autre est tout aussi clair puisqu'il contient une « attestation de sélection » et énonce : « les 7.500 euros sont pour vous si vous êtes bien la personne que nous recherchons ».

Elle soutient que Mme D. est, comme son mari qui a déjà initié deux procès du même type, particulièrement friande de loteries, et très aguerrie à en lire les documents.

L'ordonnance de clôture est en date du 9 août 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Contrairement à ce qu'écrit Mme D. dans ses conclusions, le tribunal ne l'a nullement déboutée au motif que le règlement du jeu précisait que la date limite du jeu n'était pas échue à la date à laquelle il statuait, alors qu'il a rejeté la fin de non-recevoir opposée de ce chef pour défaut prétendu d'intérêt à agir par Domoti, en disant que l'existence d'un terme non encore échu ne rendait pas la demanderesse irrecevable à agir.

La société Domoti ne discute pas ce chef de décision devant la cour.

La question ne se pose plus en cause d'appel, la date du 30 juin 2019 étant entre-temps échue.

Il ressort des productions (pièces n°1 de l'appelante et pièce n°1 de l'intimée) que la première page du document 'DERNIER AVIS' que la société Domoti a adressé à Mme D. indique en très gros caractères détachés, fort visibles et lisibles :

« Super Prime Annuelle : les 7.500 euros sont pour vous si vous êtes bien la personne que nous recherchons*... »

l'astérisque renvoyant à la mention en bas de page : « * voir conditions sur le bon de commande et le règlement ci-joint ».

L'emploi de la conjonction « si » traduit dès l'abord et sans la moindre équivoque pour un lecteur normalement attentif le caractère conditionnel ou hypothétique de l'attribution du gain au destinataire de cet avis.

La page « Rappel Important » du document qui suit cette en-tête s'ouvre par la mention en gros caractères très visibles et lisibles :

« Nous recherchons activement la GRANDE GAGNANTE

bénéficiaire de la Super Prime Annuelle de 7.500 euros.

Madame D.

Nom : Madame D.

Date : 09/07/2018

statut du destinataire :

Nomination pour la Super Prime Annuelle

Droit certifié : x OUI

100% garanti

Préféreriez-vous :

1 La rente pendant 1 an soit 7.500 euros selon l'échéancier..

Versements : 12 mensualités de 625 euros au nom de Madame D.

2 Le versement en une seule fois soit 7.500 euros

sous forme de chèque qui pourra être établi conformément au spécimen ci-dessus après confirmation *

avec l'image d'un chèque intitulé « chèque de super prime annuelle » de 7.500 euros libellé au nom de Mme D. et barré de la mention en gros caractères détachés « SPÉCIMEN ».

L'indication liminaire que l'organisatrice de la loterie recherche activement la grande gagnante exprime avec évidence pour un consommateur normalement attentif et avisé que celle-ci n'est pas Mme D., à laquelle la société Domoti a précisément écrit, et qu'elle n'en serait donc pas à rechercher encore si celle-ci était la gagnante.

Le fait que Mme D. est désignée sous le statut 'nomination pour la Super Prime' exprime d'emblée, de même, pour un esprit normalement attentif et avisé, qu'elle n'est pas la gagnante mais l'une des participantes en lice pour l'être.

L'interrogation suivante faite à Mme D. pour savoir si elle préférerait un versement de la Super Prime en douze mensualités émises à son nom ou en un unique versement sous forme d'un chèque à son nom n'accrédite pas sa qualité de gagnante, d'autant qu'elle est formulée au mode conditionnel ('préféreriez-vous') et que le chèque figuré, certes libellé à son nom, est qualifié en très gros caractères le barrant de « SPÉCIMEN » et présenté comme le simple modèle de celui qui serait établi en cas de gain, ainsi que l'exprime nettement la formulation « sous forme de chèque qui pourra être établi conformément au spécimen ci-dessous après confirmation* », laquelle contient à elle seule en peu de mots quatre termes excluant un gain d'ores-et-déjà acquis (« qui pourra », ce qui relève d'une éventualité ; « conformément au spécimen ci-dessous », ce dont il résulte que le chèque représenté n'est qu'un spécimen et non la formule dévolue au gagnant ; « après confirmation », qui exprime clairement que le gain n'est pas acquis ; et l'astérisque, qui renvoie à nouveau aux conditions et au règlement).

Le document suivant intitulé « ATTESTATION de SÉLECTION », qui s'ouvre par l'indication : « Une triple GARANTIE pour vous, Madame D. », permet à première lecture à un lecteur normalement attentif et avisé de comprendre que le destinataire de l'envoi n'a pas la qualité de gagnant, puisqu'il énonce d'emblée que son destinataire est sélectionné, ce qui relève clairement d'un statut de compétiteur ou participant et non de gagnant, et qu'il se poursuit ainsi :

« 1 La présente attestation confirme votre nomination, votre statut et la possibilité de vous

verser 7.500 euros en douze mensualités ou en une seule fois

Dès lors que votre nom apparaît dans la liste ci-dessus:

Mme R. ................. Pas sélectionnée

M. L. .....................Dossier en attente

M. F....................Dossier à létude

Mme L...................Pas sélectionnée

Madame D....................Sélectionnée Confirmation »

les termes « nomination » et « sélectionnée » renvoyant au statut de participant éligible au gain et non à celui de gagnant.

Ce document est aussi constitué en bas à gauche d'une vignette de format carré intitulée é2 GARANTIE DE PAIEMENT » dans laquelle une personne présentée comme le directeur financier certifie que 'la somme suivante sera bien versée sur le compte de la personne confirmée GRANDE GAGNANTE après retour et validation de son bordereau d'acceptation revêtu de sa Vignette « Super Prime Annuelle », ce qui rend compréhensible à un lecteur moyennement attentif et avisé que la somme en question de 7.500 euros ne sera versée qu'à la personne confirmée « grande gagnante », statut ou qualité que le document n'attribue pas à Mme D..

Nulle part ce document adressé à Mme D. ne la désigne de façon affirmative comme la gagnante effective.

Il ressort de ces éléments et considérations que dès l'annonce du gain, l'aléa était mis en évidence à première lecture dans ce document.

Le jugement, qui a débouté Mme D. de ses prétentions, sera donc confirmé.

Mme D. succombe devant la cour et supportera les dépens d'appel.

Elle versera une indemnité de procédure à l'intimée.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

CONFIRME le jugement déféré

ajoutant :

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires

CONDAMNE Monique A. épouse D. aux dépens d'appel

LA CONDAMNE à verser 1.000 euros à la SARL Domoti en application de l'article 700 du code de procédure civile.