Cass. com., 20 octobre 2021, n° 20-13.829
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Eurobarrère (SAS), Selarl AJ Associés (ès qual.), Acibois (SA), Frisquet (SA), Mutuelle des architectes français
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Barbot
Avocat général :
M. Lecaroz
Avocats :
SCP Boulloche, SCP Jean-Philippe Caston, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. et Mme [L] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société AJ associés, en qualité d'administrateur judiciaire de la société Eurobarrère.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2019), statuant sur renvoi après cassation (3e chambre civile, 13 juin 2014, pourvoi n° 14-23.393), M. et Mme [L] ont fait rénover, sous la maîtrise d'oeuvre de [D] [V], assuré par la Mutuelle des architectes français, trois appartements. La société Eurobarrère a réalisé ces travaux selon des devis et ordres de service des 28 novembre, 7 et 14 décembre 2000.
3. Le 18 février 2002, M. et Mme [L] ont pris possession des lieux, sans qu'il soit procédé à la réception de l'ouvrage, ni au paiement du solde du prix des travaux.
4. Se plaignant de malfaçons et non-finitions, M. et Mme [L] ont assigné la société Eurobarrère en indemnisation de leurs préjudices. Reconventionnellement, cette société a demandé la condamnation de M. et Mme [L] à lui payer le solde du prix des travaux.
5. Le 8 juillet 2015, la société Eurobarrère a été mise en redressement judiciaire, la société AJ associés étant nommée en qualité d'administrateur judiciaire et M. [S] de mandataire judiciaire.
6. Après la saisine de la cour de renvoi, consécutive à la cassation de l'arrêt du 13 juin 2014 qui avait condamné M. et Mme [L] à payer le solde du prix des travaux et rejeté leurs demandes indemnitaires, la société Eurobarrère a bénéficié d'un plan de redressement, M. [S] étant désigné commissaire à l'exécution du plan. M. et Mme [L] ont appelé ce dernier en intervention forcée.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens du pourvoi principal, ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d'office
8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 622-22, alinéa 1er, du code de commerce, rendu applicable à la procédure de redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code :
9. Aux termes de ce texte, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance.
10. L'arrêt déclare irrecevables les demandes en paiement formées par M. et Mme [L] contre la société Eurobarrère, ainsi que leurs demandes de fixation de créance au passif de la procédure collective de cette société, après avoir énoncé, d'un côté, qu'en application des articles L. 622-21 et L. 631-14 précités, le jugement de redressement judiciaire de la société Eurobarrère, rendu le 8 juillet 2015, a interrompu et interdit toute action en justice de la part de M. et Mme [L] tendant à la condamnation de l'entreprise au paiement d'une somme d'argent, de l'autre, qu'en vertu de l'article L. 622-22 du code de commerce, l'instance engagée contre la société Eurobarrère a été interrompue dans l'attente de la déclaration de créance de M. et Mme [L] au passif de l'entreprise, et constaté qu'il n'est cependant pas justifié d'une telle déclaration.
11. En statuant ainsi, alors qu'ayant retenu, à bon droit, que les conditions de la reprise devant elle de l'instance en cours en vue de la constatation de la créance des maîtres d'ouvrage et de la fixation de son montant n'étaient pas réunies en l'absence de déclaration de créance, elle devait se borner à constater l'interruption de l'instance l'empêchant de statuer, sans pouvoir, par conséquent, déclarer les demandes irrecevables, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
12. La société Eurobarrère, son administrateur judiciaire et le commissaire à l'exécution de son plan font grief à l'arrêt, après avoir dit que la créance de M. et Mme [L] s'élevait à concurrence des sommes de 60 343,99 euros au titre de malfaçons, 45 000 euros au titre du préjudice de jouissance et 11 793,65 euros au titre des pénalités de retard, d'ordonner la compensation des sommes dues de part et d'autre, alors « que la compensation pour dettes connexes ne peut être prononcée dès lors que le créancier n'a pas déclaré sa créance ; qu'en ordonnant la compensation entre la créance de solde de travaux de la société Eurobarrère et celle résultant de désordres et malfaçons, inachèvements, préjudice de jouissance et pénalités de retard des époux [L], après avoir constaté que ces derniers n'avaient pas déclaré leur créance, la cour d'appel a violé l'article L. 622-7, I, ensemble les articles L. 622-24 et L. 622-26 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 622-7, I, du code de commerce :
13. Il résulte de ce texte que lorsqu'un contractant défaillant a été mis en procédure collective, la créance née, avant le jugement d'ouverture, de l'exécution défectueuse ou tardive de prestations convenues ne peut se compenser avec le prix des prestations dû par son cocontractant qu'à la condition que ce dernier ait déclaré cette créance de dommages-intérêts au passif de la procédure collective.
14. Pour ordonner la compensation entre, d'un côté, la créance détenue par M. et Mme [L] à l'égard de la société Eurobarrère au titre des désordres, malfaçons, inachèvement, préjudice de jouissance et pénalités de retard, représentant la somme totale de 120 327,96 euros, et, de l'autre, la créance de la société Eurobarrère à l'égard de M. et Mme [L] au titre du solde du marché, d'un montant de 100 430,59 euros, l'arrêt retient que, faute de déclaration de créance, aucune condamnation ne peut être prononcée contre la société Eurobarrère, sous redressement judiciaire, mais que la compensation des sommes dues de part et d'autre sera ordonnée, ce qui réduit la créance de M. et Mme [L] à l'égard de la société Eurobarrère à la somme totale 19 897,37 euros.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que M. et Mme [L] n'avaient pas justifié de leur déclaration de créance, ce qui rendait impossible la compensation des dettes pour connexité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
16. En application l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le moyen relevé d'office entraîne, par voie de conséquence, celle de l'ensemble des chefs de dispositif de l'arrêt statuant sur la responsabilité encourue par la société Eurobarrère à l'égard de M. et Mme [L], qu'ils la retiennent ou qu'ils l'écartent, ainsi que ceux déterminant le montant des sommes dues par la société Eurobarrère à M. et Mme [L], rejetant leur demande de remboursement d'une facture d'un ingénieur, rejetant les recours en garantie formés par la société Eurobarrère à l'égard de sociétés tierces et statuant sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, ces chefs étant dans un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit éteinte l'action engagée contre [D] [V], en ce qu'il dit la société Eurobarrère irrecevable en ses demandes formées contre la Mutuelle des architectes français (MAF), en ce qu'il reçoit l'intervention de M. [S], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Eurobarrère, en ce qu'il met hors de cause la société AJ associés, en qualité d'administrateur judiciaire de cette société, en ce qu'il prend acte de l'abandon de toute demande relative à la nullité du rapport d'expertise judiciaire, et en ce qu'il condamne M. et Mme [L] à payer à la société Eurobarrère la somme de 100 430,59 euros au titre du solde du marché, l'arrêt rendu le 18 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.