Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch., 28 mars 1997

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comtesse du Barry (SA)

TGI Paris, du 23 mars 1994

23 mars 1994

FAITS ET PROCEDURE

COMTESSE du BARRY est titulaire de la marque complexe COMTESSE DU BARRY enregistrée sous le n l 331946 et déposée le 22 novembre 1985 en renouvellement de précédents dépôts (depuis 1926) pour désigner des produits des classes 29, 30, 31, 32, 33 et notamment les «viande, poisson, volaille et gibier, extraits de viande, fruits et légumes conservés (à l’exception de petits pois) séchés et cuits, gelées, confitures, oeufs, lait et autres produits laitiers, huiles et graisses comestibles, conserves, pickles, plats cuisinés». Cette marque a fait l’objet d’une déclaration de renouvellement en cours de procédure le 3 août 1995. COMTESSE DU BARRY commercialise ses produits par correspondance et dans des boutiques implantées en diverses villes.

Mme de VIENNE, épouse S, a déposé la marque purement nominale COMTESSE DE MONCEAUX n 92437 472 le 14 octobre 1992 en classe 29 pour désigner les produits suivants : viande, notamment foies gras frais ou conservés et en particulier de canards ou d’oies, poisson, volaille et gibier; extraits de viande ; fruits et légumes conservés, séchés et cuits ; gelées, confitures, compotes; oeufs, lait et produits laitiers; huiles et graisses comestibles. Elle exploite sous l’enseigne COMTESSE DE MONCEAUX, à SARLAT, une activité de négoce de produits régionaux par vente par correspondance (V.P.C) et à TOULOUSE, un magasin de gastronomie périgourdine et de produits fins; elle a, lors

de l’inauguration de ce magasin, en novembre 1993, envoyé des invitations comportant l’expression « LES CAPRICES DE LA COMTESSE». Prétendant que ce dépôt de marque et l’usage de ces appellations portaient atteinte à ses droits sur sa marque, sa dénomination sociale et son nom commercial – COMTESSE DU BARRY, « dénomination notoire » – et que le terme COMTESSE était à lui seul protégeable, COMTESSE DU BARRY a assigné Mme S pour obtenir la nullité de la marque « COMTESSE DE MONCEAUX », le paiement de dommages intérêts pour ces agissements fautifs et des mesures d’interdiction et de publication. Le jugement entrepris l’a déboutée de toutes ses demandes, le Tribunal retenant qu’il n’existait aucune confusion entre les signes COMTESSE DU BARRY et COMTESSE DE MONCEAUX et que le terme COMTESSE n’était pas à lui seul protégeable. COMTESSE DU BARRY a été condamnée au paiement de la somme de 10.000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile. COMTESSE DU BARRY poursuit la réformation du jugement entrepris et prie la COUR :

- de dire que le dépôt de la marque «COMTESSE DE MONCEAUX », l’enseigne « COMTESSE DE MONCEAUX » pour une activité de négoce de produits régionaux par VPC et l’accroche publicitaire «LES CAPRICES DE LA COMTESSE », pour promouvoir un magasin de gastronomie périgourdine et de produits fins sélectionnés, constituent la contrefaçon de la marque « COMTESSE DU BARRY » et une atteinte à son nom commercial et à sa dénomination sociale,

- de prononcer la nullité de la marque COMTESSE DE MONCEAUX,
- d’ordonner l’inscription de l’arrêt sur le registre national des marques,

- d’ordonner l’interdiction sous astreinte de la dénomination COMTESSE et la publication de l’arrêt,
- de condamner Mme S à lui payer la somme de 300.000 francs à titre de dommages intérêts. L’intimée conclut à la confirmation du jugement et sollicite, outre des mesures de publication, la condamnation de COMTESSE DU BARRY au paiement de la somme de 250.000 francs à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi en raison de cette procédure. chacune des parties sollicite une indemnité en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

DECISION

Considérant que l’appelante oppose à Mme S la partie dénominative de sa marque complexe;

Qu’elle soutient que, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, le terme COMTESSE assure à lui seul la fonction distinctive de la marque; qu’elle reproche aux premiers juges d’avoir tout à la fois reconnu le caractère essentiel du terme COMTESSE résultant d’un usage à titre de marque révélé par les articles de presse mis aux débats, et d’avoir néanmoins estimé : «qu’il n’était pas démontré que ce terme pris isolément était susceptible d’exercer à lui seul sur l’ensemble du public par rapport aux produits désignés, une part suffisamment appréciable de la fonction distinctive de la marque COMTESSE DU BARRY » ;

qu’elle leur fait également grief d’avoir qualifié le terme de COMTESSE de «vocable banal » ; Qu’elle ajoute qu’elle est au surplus en droit d’opposer le terme COMTESSE à titre de nom commercial, ce nom étant celui sous lequel son entreprise est connue des clients;

Considérant que, reprenant l’argumentation développée en première instance, l’intimée soutient que le terme COMTESSE ne peut lui être opposé de manière isolée dès lors que l’appelante ne démontre pas que ce terme est perçu par le consommateur comme désignant et identifiant les produits visés au dépôt;

qu’elle expose que ce terme a un caractère banal pour les classes revendiquées où «l’on trouve les marques »Comtesse des prés« , »Comtesse de Ségur« , »Comtesse d’Angélique« , »Comtesse du Gatinais",

« Comtesse du Périgord », sans parler des nombreuses comtesses prises isolément... les fabricants et vendeurs de produits gastronomiques ou prétendus tels ayant toujours cru à l’attachement des consommateurs à quelque valeur de l’ancien régime et notamment à son raffinement supposé" ;

Considérant cela exposé que l’enregistrement d’une marque complexe protège non seulement la marque dans son ensemble mais encore un ou plusieurs éléments isolés de celle-ci à condition que cet élément soit matériellement détachable de l’ensemble de la marque, qu’il soit protégeable en lui-même et soit essentiel, c’est à dire possède la capacité d’exercer, à lui seul, tout ou partie de la fonction distinctive de la marque;

Considérant que le terme COMTESSE est détachable de la marque antérieure et arbitraire pour désigner les produits visés au dépôt, ce qui n’est pas sérieusement discuté par l’intimée ;

que cependant il n’est pas démontré que dans la marque COMTESSE DU BARRY, le terme « COMTESSE » pris isolément soit essentiel, caractéristique, apte à exercer à lui seul la fonction distinctive de la marque et, par conséquent, protégeable en lui-même;

Considérant en effet que les articles de presse mis aux débats n’attestent nullement, contrairement à ce que soutient l’appelante, d’un usage de la marque sous une forme amputée qui établirait, selon elle, le caractère essentiel du terme COMTESSE;

Considérant que les articles en cause, qui visent en réalité l’entreprise et non pas ses produits, n’établissent pas davantage que l’appelante serait couramment désignée sous le terme de « COMTESSE » ;

qu’ainsi que le relève exactement l’intimée, si l’expression apparait dans des articles antérieurs à la date du dépôt de la marque de Mme S (Le Figaro du 14 janvier 1991, La Dépêche du 16 décembre 1991, Le Sud-Ouest du 13 décembre 1991, Gault-Millau de décembre 1991, La Vie Economique de février 1992), cette utilisation est généralement ponctuelle (faite dans le corps d’un article pour éviter la répétition de la dénomination complète), effectuée le plus souvent de manière humoristique dans des titres tels que « La comtesse sur le pied de guerre », La Comtesse, les Ducs et le roturier« , »Le préfet visite la comtesse", ou encore dans des publi- informations payées par COMTESSE DU BARRY (Le Figaro, Gault-Millau), et enfin, de manière résiduelle, dans la presse locale en se référant à la désignation familière de l’entreprise dans la commune où elle est implantée;

Que, d’ailleurs, dans les sondages mis aux débats pour démontrer la notoriété de l’expression COMTESSE DU BARRY, le terme COMTESSE n’est jamais utilisé seul ;

Que l’usage du terme COMTESSE seul, en tant que nom commercial, n’est donc pas établi; Que le jugement entrepris sera confirmé en ce que, dans les circonstances de l’espèce, il a retenu que le terme COMTESSE, seul, n’était pas protégeable à titre de marque ou de nom commercial et débouté COMTESSE DU BARRY de ses prétentions de ces chefs, visant tant la marque incriminée que l’accroche commerciale « Les caprices de la comtesse » ;

Considérant qu’en réponse aux écritures des parties sur ce point, il sera ajouté que la marque COMTESSE DU BARRY, prise dans son ensemble, n’est pas contrefaite ou illicitement imitée par COMTESSE DE MONCEAUX, dès lors que les deux dénominations comportent, mis à part le terme COMTESSE qu’elles ont en commun, non protégé isolément, des patronymes ne présentant phonétiquement et visuellement aucune ressemblance, et que par ailleurs elles ne suscitent aucun risque de confusion pour un acheteur d’attention moyenne n’ayant pas en même temps les deux marques sous les yeux; que pour les même motifs, les demandes fondées sur l’atteinte au nom commercial ou à la dénomination sociale COMTESSE DU BARRY ne sauraient prospérer;

Considérant que l’intimée forme une demande de dommages intérêts sans justifier de l’existence d’un préjudice qui lui aurait été causé par la procédure diligentée contre elle ; qu’elle sera déboutée ; Considérant que la mesure de publication sollicitée par l’intimée n’apparait pas nécessaire ; Considérant que l’équité commande d’allouer à l’intimée la somme de 5 000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS et ceux non contraires des premiers Juges :

Confirme le jugement entrepris;

Y ajoutant;

Condamne la société COMTESSE DU BARRY à payer à Mme S la somme de 5 000 francs au titre des frais d’appel non compris dans les dépens;

Rejette toutes autres demandes;

Condamne l’appelante aux entiers dépens d’appel qui seront recouvrés par Maître B, avoué, selon les dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.