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Décisions

CA, Pôle 5 ch. 1, 30 novembre 2011, n° 09/25107

COUR D'APPEL

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

HPP (SARL)

Défendeur :

Zara (SARL), Inditex (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avoués :

SCP Monin et d'Auriac de Brons, SCP Arnaudy et Baechlin

TGI Paris, du 30 oct. 2009

30 octobre 2009

Vu l’appel interjeté le 11 décembre 2009 par la société HPP (SARL), du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 30 octobre 2009 dans le litige l’opposant à la société ZARA FRANCE (SARL) et à la société de droit espagnol INDITEX (SA) ;

Vu les dernières conclusions de la société WIS (SARL), venant aux droits de la société HPP, appelante, signifiées le 7 septembre 2011 ;

Vu les dernières conclusions des sociétés ZARA FRANCE et INDITEX, intimées, signifiées le 13 septembre 2011 ;

Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 27 septembre 2011 ;

SUR CE, LA COUR :

Considérant qu’il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures des parties ;

Qu’il suffit de rappeler que la société HPP, aux droits de laquelle vient la société WIS, ayant pour activité la commercialisation en gros, demi-gros, détail de tous articles d’habillement et titulaire de la marque communautaire verbale 'I LOVE MY T’s', déposée le 29 juin 2007, enregistrée le 30 avril 2008 et publiée le 13 mai 2008 sous le n° 00 60 82846 pour désigner notamment en classe 25 des vêtements et autres produits destinés à l’habillement, a découvert en mai 2008 l’offre en vente par l’enseigne ZARA de tee-shirts revêtus du signe 'I ♥ MY Basic Tee’ constituant selon elle une imitation de sa marque ; qu’elle a, dans ces circonstances, après avoir fait procéder à un constat d’achat par huissier de justice le 23 juin 2008, puis, dûment autorisée, à des opérations de saisie- contrefaçon le 1er juillet 2008 au siège de la société ZARA FRANCE, assigné suivant actes du 23 juillet et du 4 août 2008 la société ZARA FRANCE, et la société INDITEX, fournisseur des articles incriminés, en contrefaçon de ses droits de marque communautaire et en concurrence déloyale; que le tribunal, par le jugement

dont appel, a, entre autres dispositions, déclaré nulle la marque communautaire revendiquée, débouté la société HPP de toutes ses prétentions et rejeté enfin la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive formée à titre reconventionnel par les sociétés défenderesses ;

Sur la validité des droits de marque,

Considérant que les sociétés ZARA FRANCE et INDITEX soulèvent en premier lieu, pour combattre la demande en contrefaçon formée à leur encontre par la société HPP, la nullité, pour défaut de caractère distinctif, de la marque communautaire verbale 'I LOVE MY T’s' au fondement de laquelle est soutenue une telle demande ;

Considérant que la nullité de la marque communautaire est déclarée, selon vertu de l’article 51 du règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993 sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon (...) Lorsque la marque communautaire a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 5 ou de l’article 7;

Que, l’article 7, précédemment visé, de ce même règlement, dispose en §1-b), que Sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif ;

Considérant que le caractère distinctif d’un signe est établi dès lors qu’il est apte à exercer la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance ;

Qu’il s’en infère que l’enregistrement d’une marque composée de signes qui sont par ailleurs utilisés en tant que slogans publicitaires ou expressions laudatives incitant à acheter les produits ou les services visés par cette marque n’est pas interdit si de tels signes sont d’emblée perçus comme des indicateurs de l’origine commerciale des produits ou services visés ;

Considérant, en l’espèce, que le consommateur français de vêtements normalement informé et raisonnablement avisé n’ignore pas que le signe 'T’s' est couramment utilisé comme abréviation du mot 'tee-shirt’ et comprend immédiatement la signification de l’ensemble verbal 'I L MY T’s' qu’il traduira aisément dans la langue française par l’expression 'j’aime mon tee-shirt';

Considérant que les pièces versées en nombre par les sociétés intimées montrent par ailleurs, que la proclamation 'I L’ en attaque de signe, était dès avant le dépôt de la marque attaquée en 2007, utilisée de façon intensive, à des fins publicitaires ou promotionnelles pour toutes catégories de produits ou de services, par imitation du célèbre slogan 'I L NEW YORK’ créé en 1975;

Considérant qu’il suit de ces observations que l’utilisateur final, acheteur de vêtements, percevra d’emblée l’expression 'I L MY T’s' comme destinée à susciter en lui un sentiment d’affection à l’égard des produits désignés et par là même à l’inciter à acheter ces produits ce qui revient à dire qu’il appréhendera la marque

constituée d’une telle expression comme une formule laudative à visée promotionnelle et non pas comme un indicateur de l’origine commerciale des produits ;

Que l’inaptitude de la marque contestée à remplir la fonction essentielle de la marque qui est de permettre l’identification de l’origine commerciale des produits ou services qu’elle désigne, établit le défaut de caractère distinctif de la marque au sens des dispositions précitées de l’article 7 §1-b) du règlement (CE) n°40/94 du 20 décembre 1993 et justifie en conséquence son annulation par application des dispositions de l’article 51 de ce même règlement ;

Considérant que la demande en contrefaçon formée au fondement de la marque communautaire annulée ne peut qu’être rejetée ;

Que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;

Sur la demande en concurrence déloyale,

Considérant que la société appelante justifie faire usage du signe 'I LOVE MY T’s' pour la commercialisation de ses produits d’habillement en symbolisant le terme 'LOVE’ par un dessin en forme de coeur et en utilisant des caractères stylisés ;

Qu’elle fait grief à aux sociétés intimées de s’être livrée à une concurrence déloyale en copiant, de manière à introduire une confusion dans l’esprit du consommateur, les caractéristiques de son signe c’est-à-dire en substituant au signe verbal 'LOVE’ le même signe figuratif en forme de coeur et en reproduisant la même police de caractères ;

Considérant en droit, que le principe de la liberté du commerce implique qu’un signe qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant, notamment, à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, préjudiciable à l’exercice paisible et loyal du commerce ;

Considérant que l’appréciation de la faute au regard du risque de confusion, doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, outre le caractère plus ou moins servile de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté, l’originalité et la notoriété du signe copié;

Or, considérant que l’utilisation d’un dessin en forme de cœur en lieu et place du signe verbal LOVE se rencontre très couramment, ainsi qu’en justifient les pièces versées aux débats par les sociétés intimées, dans le secteur de l’activité économique concernée, que ce soit dans les expressions laudatives à caractère promotionnel ou dans les motifs décoratifs ;

Qu’il s’en infère que la reprise par les sociétés intimées d’un tel élément figuratif, galvaudé et dénué de toute originalité, n’est pas à elle seule susceptible de générer dans l’esprit du public un risque de confusion sur l’origine des produits qui en seraient revêtus ;

Que l’examen d’ensemble de l’étiquette intérieure sur laquelle apparaît le signe incriminé 'I ♥ MY Basic Tee’ fait apparaître d’emblée, par comparaison avec l’étiquette apposée sur les vêtements commercialisés par la société HPP, des différences immédiatement perceptibles, exclusives de tout risque de confusion, la première étant constituée d’un rectangle blanc, positionné à la verticale, à l’intérieur duquel les éléments 'I', 'MY', 'Basic', 'tee', s’échelonnent en étage, de bas en haut, et sont, à l’exception du cœur de couleur rouge, de couleur noire, la seconde étant constituée d’un rectangle à l’horizontale, au fond noir, à l’intérieur duquel le signe 'I 'my T’s', évolue linéairement dans les couleurs orange, bleu, jaune, violet, vert, rouge ou rose, suivi de deux petits de couleur rouge ;

Que, de plus fort, l’étiquette utilisée par les sociétés intimées donne à lire au centre du dessin en forme de cœur les mentions 'ZARA basic’ qui permettent au consommateur d’identifier d’emblée l’origine commerciale du produit ;

Considérant qu’il suit de ces observations que le risque de confusion n’est pas avéré et qu’aucun agissement fautif n’est caractérisé à la charge des sociétés intimées ;

Que le jugement sera de ce chef confirmé ;

Sur la demande en procédure abusive,

Considérant que les sociétés intimées maintient sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive en faisant valoir que la société appelante, qui ne pouvait ignorer que le signe qu’elle revendiquait à titre de marque était d’une grande banalité a engagé cette procédure à la légère et manifesté un acharnement coupable en relevant appel ;

Mais considérant que le droit d’ester en justice qui comprend le droit de se pourvoir en appel, n’est susceptible de dégénérer en abus ouvrant droit à réparation que s’il est exercé de mauvaise foi, par intention de nuire ou par légèreté blâmable équipollente au dol, toutes circonstances qui ne sont pas établies à la charge de la société HPP qui a pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits ;

Que le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande en dommages- intérêts formée de ce chef ;

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Condamne la société WIS venant aux droits de la société HPP aux dépens de la procédure d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile et à verser aux sociétés ZARA FRANCE et INDITEX, ensemble, une indemnité complémentaire de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles.