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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ., 8 décembre 2011, n° 10/02910

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SM Style Création (SARL)

Défendeur :

Framboise (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaget

Conseillers :

M. Martin, M. Semeriva

TGI Saint-Etienne, du 24 avr. 2010

24 avril 2010

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme M, propriétaire d’une marque composée notamment du signe verbal 'ba da boum’ enregistrée en 1995 pour désigner les 'vêtements, chaussures et chapellerie’ et la société SM Style Création, exploitante de cette marque, ont assigné la société Framboise en contrefaçon et concurrence déloyale en lui reprochant la réservation du nom de domaine badaboum-st-etienne.com pour son site internet, qui propose à la vente des vêtements et accessoires pour femmes et enfants.

Le jugement entrepris a rejeté leurs demandes et les a condamnées au paiement d’une indemnité de 1 500 euros, aux motifs essentiellement :

- que la marque arguée de contrefaçon est semi- figurative, dans la mesure où l’élément verbal est assorti de deux dessins, et que les dessins employés sur le site litigieux sont très différents,

— que l’expression badaboum ne peut constituer un signe distinctif, car il s’agit d’une onomatopée usuelle,

—que l’action en concurrence déloyale, fondée sur l’existence d’un risque de confusion et de détournement de clientèle, ne repose pas sur des faits distincts de ceux de la contrefaçon.

Au soutien de leur appel, Mme M et la société SM Création font valoir :

- que la distinctivité du signe s’apprécie, non dans l’absolu, mais au regard des produits ou services couverts par l’enregistrement,

—que la société Framboise ne justifie pas d’une antériorité d’usage du signe à titre d’enseigne,

—que les faits constatés caractérisent une imitation du signe pour des produits identiques ou similaires, de nature à créer un risque de confusion.

Elles demandent de constater la contrefaçon, de prononcer diverses interdictions à l’encontre de la société Framboise et de la condamner à leur payer une somme de 20000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Framboise fait valoir l’absence de distinctivité de l’élément verbal de la marque, notamment au regard des exigences en matière de marques sonores et soutient que l’article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle lui confère le droit de poursuivre l’exploitation de l’enseigne Badaboum qu’elle utilise depuis 27 ans; elle demande de condamner les appelantes à lui payer 5 000 euros à titre de

dommages-intérêts pour procédure abusive et 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION
La marque sur laquelle se fonde l’action en contrefaçon

est :

Le mot badaboum est décomposé en syllabes dont la dernière est décrochée vers le bas, mais il reste immédiatement lisible; l’autre élément verbal, écrit en lettres plus petites est une indication très peu distinctive.

Ce mot badaboum est l’élément dominant parmi les éléments verbaux.

Il l’est aussi dans le signe pris en son ensemble, malgré l’espace important qu’occupe l’ours en peluche et le centrage du dessin du ballon, dans la mesure où ces deux éléments renforcent le caractère ludique et enfantin du signe pris en son ensemble, mais ne constituent que des éléments secondaires pour sa mémorisation.

Cet élément verbal, comme l’autre mot, paris, revendique un élément figuratif résultant de l’emploi d’une police particulière.

Mais si ces diverses autres composantes de la marque ne sont pas négligeables, l’élément verbal badaboum est l’élément dominant du signe.

Le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés; en l’espèce, prise en son ensemble, la marque n’est aucunement, dans le langage courant ou professionnel, la désignation nécessaire, générique ou usuelle de vêtements, chaussures ou produits de chapellerie ; elle n’en désigne pas plus une caractéristique et il n’est pas prétendu qu’elle est exclusivement constituée par une forme imposée.

Il en va d’ailleurs de même du seul élément verbal badaboum, qui n’est pas en lui- même dépourvu de distinctivité au regard des produits cités dans l’enregistrement ; le caractère usuel du mot est inopérant, puisqu’il n’est pas question de monopoliser son utilisation dans ce sens usuel; ce mot est arbitraire pour désigner de tels produits.

Cette onomatopée existe en langue française, elle est connue et comprise et peut s’écrire, se lire et se prononcer en tant que telle; en conséquence, peu importe que le mot ait été créé bien avant le dépôt du signe contesté, au prix d’une imitation arbitraire de sons, il n’est pas, en tant qu’élément de la marque, le fruit d’une tentative de traduction verbale d’un élément sonore; la contestation prise d’une prétendue impossibilité de représentation graphique est inopérante.

Cette marque est valable pour les produits qu’elle désigne.

La société Framboise justifie amplement d’une utilisation de l’enseigne Badaboum ou Big Badaboum durant de nombreuses années, notamment entre 1987 et 1999 ;

elle produit à ce propos de nombreuses coupures de presse et extraits publicitaires qui démontrent son activité sous cette enseigne dans la ville de Saint-Etienne.

Elle fournit une photographie de son magasin, qui prouve la continuité de cet usage jusqu’à présent.

Il est ainsi établi qu’afin de rallier la clientèle, elle utilise à titre d’enseigne pour les besoins de son activité commerciale à Saint-Etienne, depuis une date antérieure à l’enregistrement de la marque et même à son dépôt, un signe susceptible de constituer une imitation de celle-ci par reproduction de son élément dominant.

Dès lors, elle revendique exactement la protection de l’article L. 713-6 a) du code de la propriété intellectuelle dont il résulte, selon l’interprétation qu’en impose l’article 6 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988, recodifiée dans la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, d’un droit antérieur de portée locale, dès lors que ce droit est reconnu par la loi française.

L’ensemble des conditions propres à cette protection sont en effet réunies, sans qu’il importe :

- qu’il soit ou non démontré que cette enseigne constitue pour le public l’identification de l’origine commerciale des produits; cette exigence ne résulte ni des textes ni de la nature même d’une enseigne, qui n’a pour fonction que d’identifier un fonds de commerce,

—que les mots litigieux ne figurent pas au registre du commerce, l’objection n’étant pas fondée sur une dénomination sociale ou un nom commercial.

Pour autant, le titulaire de la marque est fondé à soutenir que l’utilisation de ce signe à titre de nom de domaine est susceptible de porter atteinte à ses droits.

L’enregistrement de ce nom de domaine est en effet intervenu en 2002, après celui de la marque.

Cet usage nouveau ne constitue pas la poursuite de l’utilisation locale antérieure, ni même la seule modernisation de l’outil promotionnel que constitue l’enseigne, puisqu’il permet d’attirer, non plus seulement la clientèle de Saint-Etienne et ses environs, mais toute clientèle potentielle dans le monde entier et notamment sur l’ensemble du territoire français où le signe est protégé en tant que marque.

Une telle extension caractérise un changement dans la nature et la portée de l’usage du signe antérieur; elle excède les contours de l’exception définie à l’article L. 713- 6 a) et ne répond pas aux préoccupations qui l’inspirent, de sorte qu’elle ne peut bénéficier de l’immunité prévue par ce texte; en conséquence, la société SM Création et Mme M sont en droit d’agir en contrefaçon de ce chef.

Sur le fond de l’action en contrefaçon :

 Similitude des signes :

Le nom de domaine badaboum-saint-etienne n’est pas la reproduction à l’identique de la marque.

Phonétiquement, il ne caractérise que l’imitation de l’un de ses éléments, pris en son seul aspect verbal ou sonore, puisqu’il ne copie pas la séquence en syllabes ni évidemment, compte tenu des contraintes techniques sur internet, la police de caractères utilisée dans l’enregistrement.

Pour autant, cet élément verbal est dominant dans la marque et, compte tenu de ces contraintes techniques, il possède, sur internet, une force distinctive plus grande encore que dans le monde réel, puisque les éléments figuratifs ne sont pas susceptibles d’être enregistrés en tant que nom de domaine, de sorte que toute la communication s’effectue par des requêtes contenant exclusivement des signes écrits.

Visuellement, l’imitation est certes très éloignée de la marque très complexe sur laquelle se fonde l’action.

Mais conceptuellement, le mot badaboum renvoie au même univers.

Au regard de la comparaison global des signes, le degré de similitude n’est pas très élevé, car les éléments non verbaux ne sont pas négligeables, mais il suffit à retenir une imitation d’une intensité suffisante dans le contexte d’internet pour justifier la poursuite de l’examen d’un risque de confusion, même si les autres composantes de la marque ne sont reprises ou imitées, ni de près ni de loin.

Similitude des produits :

La société Framboise conteste proposer sur son site des produits similaires ou identiques à ceux couverts par l’enregistrement.

Mais ces produits sont bien des vêtements; du point de vue de la protection due à la marque, il est inopérant que les uns ou les autres soient de meilleure qualité.

Par leur nature même, et de surcroît par, leur finalité, leur destination, leur mode de commercialisation – en l’occurrence sur internet–et leur caractère concurrent, il s’agit de produits identiques, destinés au grand public, si même ils n’ont pas le même prix.

Interdépendance des facteurs :

L’imitation du signe est d’intensité moyenne, mais cette circonstance peut être compensée par un degré élevé de similitude des produits ou services désignés, et cette interdépendance des facteurs est en l’espèce décisive.

En effet, les produits proposés par les parties étant identiques, l’imitation de la marque ne crée pas une simple équivoque aisée à dissiper, mais correspond à la désignation directe sous le signe imité, pour un consommateur moyen, normalement informé, raisonnablement attentif et avisé, et qui n’a pas en même les deux signes

sous les yeux, de produits que ce dernier s’attend à trouver présentés sous la marque, et qu’il trouve effectivement en ouvrant le site incriminé.

Il est encore à souligner que, s’agissant de produits courants et qui ne sont point de grand luxe, l’attention de ce consommateur n’est pas d’une intensité telle qu’elle puisse exclure en pareil cas un risque de confusion.

D’ailleurs, l’indication badaboum-saint-etienne fait pendant à la mention paris figurant dans la marque et induit pour ce consommateur d’attention moyenne l’idée d’une entreprise économiquement liée à son titulaire ou exploitant.

Enfin, à l’ouverture du site, ce consommateur internaute, qui ne peut que se fier à l’image non parfaite de la marque qu’il a gardée en mémoire, se trouve confronté, non seulement aux produits mêmes qu’il attend de sa recherche, mais à leur présentation sous le signe Badaboum, dans un environnement ludique et enfantin, peu important que les dessins soient différents de ceux figurant dans la marque, dès lors qu’il renvoient au même univers conceptuel.

Pour un consommateur d’attention moyenne, le risque de confusion est avéré.

déclarations de clientes (Mme C : 'je suis tombée sur le site d’une boutique en ligne qui porte le même nom; je suis sûre que toutes les clientes potentielles n’ont pas ma persévérance’; Mme de Saint-Basile : 'je ne comprends pas la politique commerciale que vous poursuivez sur votre site internet badaboum’ ; Mme H : 'je me suis rendue sur le site internet Badaboum et les articles ne correspondaient pas du tout à ce que j’attendais, j’ai préféré laisser tomber mes recherches').

La contrefaçon par usage de signe imitant la marque est caractérisée; il n’importe pas que d’autres intervenants sur le marché utilisent des signes proches, aucune déchéance ou dégénérescence du droit de marque n’étant prétendue.

Un préjudice s’infère nécessairement de cette contrefaçon.

Quant aux mesures réparatrices, Mme M et la société SM Création sont fondées à obtenir la cessation de l’usage du signe badaboum sur internet, mais point tout usage, puisqu’il existe une antériorité d’enseigne au bénéfice de la société Framboise.

Le montant des dommages-intérêts doit tenir compte ici de la réalité d’un manque à gagner, puisqu’il résulte des documents analysés que certains consommateurs potentiels ont été découragés par leur vaine recherche sur le site incriminé, de l’atteinte aux fonctions de la marque, sous laquelle sont commercialisés des produits qualifiés de 'haut de gamme', dès lors que l’internaute est orienté vers un site proposant des produits moins luxueux, d’autant que l’usage du nom de domaine a persisté malgré une mise en demeure remontant à 2005.

Par ailleurs, il n’est pas prétendu que la marque soit d’une notoriété particulière et il faut également prendre en considération le montant du chiffre d’affaires de la société SM Création (environ 50000 euros par an) qui, certes, semble avoir stagné ces

dernières années, mais sans que cette circonstance puisse être directement et complètement imputée aux faits donnant lieu au litige.

L’ensemble de ces circonstances conduit à fixer les dommages-intérêts à la somme de 6 000 euros.

Le chef de jugement rejetant l’action en concurrence déloyale n’est pas critiqué en appel.

La demande reconventionnelle tendant au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive est dépourvue de fondement.

Cette société succombe essentiellement ; les dépens seront à sa charge.

Aucune circonstance ne conduit à écarter l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

— Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Framboise de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive,

— Le réforme pour le surplus,

—Dit qu’en exploitant le site internet badaboum-st- etienne.com pour le commerce de produits désignés dans l’enregistrement de la marque française n°95556 809, la société Framboise a commis des actes de contrefaçon de cette marque,

—Dit que la société Framboise est titulaire du droit d’exploiter l’enseigne Badaboum pour désigner son fonds de commerce à Saint-Etienne,

—Lui interdit d’exploiter le nom de domaine et le site internet badaboum-st- etienne.com pour désigner des produits ou services désignés dans l’enregistrement de marque précitée, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt et dit que cette astreinte courra pendant un délai de trois mois, passé lequel il pourrait être de nouveau statué sur son principe et son montant,

— Condamne la société Framboise à payer à Mme M et à la société SM Style Création la somme de globale de 6 000 euros à titre de dommages- intérêts,

— Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Framboise à payer à Mme M et à la société SM Style Création la somme de globale de 2 000 euros,

—Condamne la société Framboise aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Barriquand, avoué.