CA Rennes, 3e ch. com., 26 octobre 2021, n° 18/07423
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cooperl Arc Atlantique (Sté)
Défendeur :
Trioplast France (SAS), If Assurances France Iard (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Jeorger Le Gac, M. Garet
Avocats :
Me Barbier, Me Beauchene, Me Beaumont, Me Verrando
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 8 décembre 2014, la société coopérative agricole Cooperl Arc Atlantique (la société Arc Atlantique) a commandé à la société Trioplast France (la société Trioplast), assurée auprès de la société IF Assurances France IARD (la société IF Assurances) plusieurs lots de films de paillage en plastique destinés à la culture de maïs. Ces produits sont destinés à favoriser la germination des graines et le développement des plants en créant un effet de serre sur les semis de maïs. Ces films sont oxo dégradables mais il est nécessaire qu'ils se maintiennent un temps suffisant pour permettre aux plants d'atteindre un état végétatif suffisant.
Les films plastique ont été livrés de janvier à février 2015, puis revendus à certains agriculteurs membres de la coopérative en vue des travaux de semis de maïs devant être réalisés au printemps 2015.
En juin 2015, certains clients se sont plaints d'une dégradation trop rapide des films plastique.
Se prévalant d'un vice caché affectant les produits en question, la société Arc Atlantique a assigné la société Trioplast et son assureur en paiement de dommages intérêts au titre des préjudices de pertes de rendement subis par ses clients, qu'elle a indemnisés, et en reprise des stocks non encore vendus.
Par jugement du 9 octobre 2018, le tribunal de commerce de Saint Malo a :
- Débouté la société Arc Atlantique de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, formulées à l'encontre de la société Trioplast,
- Dit qu'il y a lieu de mettre la société IF Assurances hors de cause,
- Débouté la société Arc Atlantique de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions formulées à l'encontre de la société IF Assurances,
- Condamné la société Arc Atlantique à payer à la société Trioplast la somme de 1.500 euros sur le fondement de 1'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société Arc Atlantique à payer à la société IF Assurances la somme de 1.500 euros sur le même fondement,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement,
- Condamné la société Arc Atlantique aux entiers dépens.
La société Arc Atlantique a interjeté appel le 15 novembre 2018.
Les dernières conclusions de la société Arc Atlantique sont en date du 19 juillet 2019. Les dernières conclusions des sociétés Trioplast et IF Assurances sont en date du 28 juin 2021.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 septembre 2021.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
La société Arc Atlantique demande à la cour de :
- Infirmer le jugement,
Statuant à nouveau :
- Condamner in solidum la société Trioplast et la société IF Assurances, ou l'une à défaut de l'autre, à payer à la société Arc Atlantique une somme de 116.012,11 euros HT,
- Dire que cette somme sera majorée de la TVA au taux en vigueur à la date du paiement pour les prestations en cause, ainsi que d'intérêts au taux légal à compter du 26 août 2016,
- Ordonner la capitalisation annuelle des intérêts échus et dire que les intérêts ainsi capitalisés produiront eux-mêmes intérêts au même taux que le principal, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil (ex-1154),
- Condamner la société Trioplast à procéder ou faire procéder à ses frais exclusifs à la reprise des marchandises défectueuses encore détenues par la société Arc Atlantique, et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte définitive de 100 euros par jour de retard,
- Débouter la société Trioplast et la société IF Assurances de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- Condamner in solidum la société Trioplast et la société IF Assurances, ou l'une à défaut de l'autre, à payer à la société Arc Atlantique une somme de 6.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner in solidum la société Trioplast et la société IF Assurances, ou l'une à défaut de l'autre, aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Les sociétés Trioplast et IF Assurances demandent à la cour de :
- Dire l'appel mal fondé et le rejeter,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Arc Atlantique de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de la société Trioplast et de la société IF Assurances,
- Y ajoutant :
- Condamner, la société Arc Atlantique à verser à la société Trioplast et à la société IF Assurances une somme de 2.000 euros pour chacune d'elle au titre de l'article 700 du code de procédure civile, venant s'ajouter aux 1.500 euros d'article 700 auxquels l'appelant a déjà été condamné dans le cadre du jugement,
- La condamner aux entiers dépens dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire :
- Dire et juger que les défauts de pose constatés ont majoritairement concourus au défaut de rendement allégué,
En conséquence :
- Dire et juger qu'il sera laissé la plus large part des préjudices allégués à la charge de la société Arc Atlantique,
Sous ce nécessaire partage de responsabilité :
- Débouter purement et simplement la société Arc Atlantique de ses demandes formulées au titre des indemnités versées à ses clients qui devront à défaut être réduites dans de substantielles proportions qui ne sauraient excéder 18.143,78 euros dont la plus large part sera laissée à la charge de la société Arc Atlantique,
- Subordonner tout remboursement du prix d'achat des rouleaux de film restant en stock à la restitution préalable de ces stocks à la société Trioplast,
- Débouter la société Arc Atlantique du surplus de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Trioplast.
En tout état de cause :
- Débouter la société Arc Atlantique de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société IF Assurances,
- Condamner la société Arc Atlantique à verser à la société IF Assurances la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner l'appelant aux entiers dépens, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur les vices cachés :
Les vices cachés sont ceux qui affectent l'usage de la chose auquel elle est destinée :
Article 1641 du code civil :
Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Le film fourni par la société Trioplast est oxo dégradable. Il est donc utilisé pour protéger les cultures un certain temps avant de se dégrader, cette dégradation devant à la fin être totale.
La société Arc Atlantique fait valoir que les films livrés par la société Trioplast en 2015 se seraient dégradés précocement, soit au bout de 2 à 3 semaines au lieu des 11 à 12 semaines attendus. Cette dégradation précoce n'aurait pas permis d'assurer aux cultures de maïs le couvert et la protection que ce type de produit est censé procurer afin de favoriser la germination des graines et le développement végétatif des plants.
Une expertise contradictoire amiable a été organisée entre les parties, les opérations se déroulant courant juin et juillet 2015 dans trois exploitations agricoles clientes de la société Arc Atlantique.
Cet expert a pu constater que le film fourni par la société Trioplast en 2015 s'était dégradé plus rapidement que le film fourni par cette même société en 2014, et que le film fourni par une société concurrente.
L'expert a noté que les dommages allégués avait pu être observés avec des films fourni en 2015 mais issus de lots de fabrication différents. Une anomalie de fabrication d'un seul lot des films fournis en 2015 était donc selon lui exclu.
Il a cependant également constaté que le film mis en cause avait tout de même joué un rôle dans le développement du maïs, les plants n'ayant pas du tout bénéficié de ce film ayant moins poussé que ceux pour lesquels il avait été utilisé.
Il apparaît ainsi que le film en question s'est bien dégradé dans le temps comme prévu et a eu eu un effet bénéfique sur les cultures. Il n'était donc pas impropre à son usage.
Un constat d'huissier réalisé en présence des parties le 5 novembre 2015 a permis le prélèvement de maïs sur trois parcelles, l'une ayant été dotée du film Trioplast incriminé, l'une d'un film plastique d'un concurrent et la dernière semée sans film plastique.
Ces échantillons ont été analysés par le cabinet d'expertise Lenoir Mear. Il en résulte que le rendement de l'échantillon de la parcelle sous film Trioplast était de 74,95 q/ha, celui de la parcelle sous film concurrent de 111,56 q/ha et celui de la parcelle sans film de 108,08 euros.
Il apparaît ainsi que, sur ces échantillons, l'apport du film concurrent par rapport à une absence totale de film est très réduit. Ces résultats sont donc peu pertinents et il ne peut qu'en être déduit que les rendements dépendent de facteurs multiples. De ce fait, le faible rendement de l'échantillon provenant d'une parcelle sous film Trioplast ne peut conduire à retenir un défaut de ce film. Les résultats de ces prélèvements ne permettent pas de remettre en cause les constatations contradictoires de juin et juillet 2015 selon lesquelles les cultures des rangs ayant bénéficié d'un film Trioplast avaient eu un développement supérieur à celles des rangs n'en ayant pas bénéficié. Ces constatations ont en effet été réalisées sur des rangs contigus, et donc soumis à des conditions similaires sinon identiques alors que les constatations de novembre 2015 ont été réalisées sur des parcelles distinctes.
La société Arc Atlantique fait valoir que la dégradation prématurée aurait conduit ce produit à ne pas lui apporter l'utilité qu'elle en attendait en réduisant les rendements qui auraient été escomptés si le film s'était dégradé plus tard.
La société Arc Atlantique justifie que la dégradation d'un film est optimale lorsqu'elle survient au bout de 11 à 12 semaines.
Il apparaît cependant que cette durée de dégradation n'est pas garantie et qu'elle dépend tout particulièrement des conditions climatiques, de mise en place et d'environnement. La notice d'utilisation de ce produit joint par la société Trioplast souligne d'ailleurs cet aléa et l'absence de garantie de la durée de dégradation. La notice produite devant la cour d'un produit fourni par un concurrent va d'ailleurs dans le même sens.
Il n'est pas justifié que la société Arc Atlantique attendait spécifiquement de ce produit une dégradation qui ne puisse pas être inférieure à une durée donnée. Elle ne pouvait ignorer que l'utilité attachée au recours au paillage avec une matière plastique oxo dégradable était, dans une certaine mesure, aléatoire.
Il apparaît en outre que les conditions de mise en oeuvre du film Trioplast 2015 telles que constatées n'ont pas toujours été optimales. Ce facteur a pu contribuer, outre les facteurs climatiques, à une dégradation du film plus rapide.
Il n'est pas produit d'analyse du produit lui-même permettant d'attester d'un vice qui lui soit inhérent, comme par exemple un défaut de composition chimique ou de fabrication qui aurait conduit à une dégradation accélérée.
L'existence d'un vice caché n'est pas établie. Il y a lieu de rejeter les demandes de la société Arc Atlantique et de confirmer le jugement.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Arc Atlantique aux dépens d'appel et de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Confirme le jugement,
Y ajoutant :
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne la société coopérative agricole Cooperl Arc Atlantique aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.