CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 1 juillet 2021, n° 19/09512
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Centragroup-Fareva (Sasu), Le Laboratoire du Bain (SAS), Servipac (SAS), Société de Production Pharmaceutique et d'Hygiène (SAS), Aerochim (SAS), Ardepharm (SAS), Condivex Conditionnement du Vexin (SAS), Cosmopar (SAS), Fabrication Chimique Ardechoise (SAS), Farevabio (SAS), Interspray (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Lignières
FAITS ET PROCÉDURE :
Le groupe Fareva, qui comprend plusieurs filiales, est un sous-traitant industriel qui fabrique des produits ménagers, cosmétiques et pharmaceutiques. Dans le secteur pharmaceutique, le groupe Fareva est un façonnier mondial qui fabrique des médicaments pour des laboratoires.
La société Centragroup-Fareva, créée en 2006, est la centrale d'achat de l'ensemble des sociétés du groupe Fareva.
La société X est une société familiale créée en 1894 qui a pour activité la fabrication d'étiquettes adhésives qui se retrouvent sur une grande variété de produits, notamment dans les secteurs pharmaceutiques, cosmétiques et de la grande distribution.
Depuis de nombreuses années, la société X fabrique et vend des étiquettes aux sociétés du groupe Fareva.
En 2012, la société Centragroup-Fareva a sollicité de la société X qu'elle effectue le recensement de toutes les références produits et de leurs tarifs selon ses propres modalités.
Le 13 février 2012, des « Conditions Particulières d'Achat » ont été régularisées entre les parties, en vertu desquelles la société X devait désormais facturer aux filiales un prix augmenté d'une commission de courtage laquelle était inconnue des filiales et lui serait facturée à son tour par la société Centragroup-Fareva, au profit de celle-ci.
Lors d'une demande de règlement en application des « Conditions Particulières d'Achat », la société X a fait valoir qu'outre la baisse de ses prix de vente obtenue par la société Centragroup-Fareva pour les filiales du groupe, elle avait subi de la part de ces dernières une diminution significative des volumes habituellement commandés.
La société X a sollicité la désignation d'un mandataire ad hoc auprès du Président du tribunal de commerce de Lyon, avec pour mission notamment de l'assister dans les négociations à intervenir avec le groupe Fareva, ayant pour objet d'examiner les Conditions Particulières d'Achat en vigueur et d'envisager les modalités de poursuite des relations commerciales existantes entre elle et le groupe Fareva.
Ce mandat ad hoc n'a pas permis de trouver une issue amiable entre les parties.
Par actes des 2, 5, 6 et 7 février 2018, la société X a fait assigner la société Centragroup-Fareva et ses filiales devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des évolutions qu'elle prétend brutales et imposées par la société Centragroup-Fareva dans leur relation commerciale.
La société Centragroup-Fareva a formé une demande reconventionnelle afin de solliciter le paiement de ses factures impayées.
Par jugement du 5 mars 2019, le tribunal de commerce de Paris a :
- mis hors de cause les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, FCA, Interspray, Servipac et SPPH ;
- condamné la SAS Centragroup-Fareva à payer à la SA X la somme de 269.337 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
- condamné la SA X à payer à la SAS Centragroup-Fareva la somme de 173.521,22 euros TTC au titre de ses factures impayées ;
- ordonné la compensation judiciaire entre ces deux condamnations ;
- condamné la SAS Centragroup-Fareva à payer à la SA X la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;
- condamné la SAS Centragroup-Fareva aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 300,20 euros dont 49,82 euros de TVA.
Par déclaration du 30 avril 2019, la société X a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :
- mis hors de cause les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, FCA, Interspray, Servipac et SPPH ;
Débouté la SA X de ses demandes à leur encontre ;
- limité la condamnation de la SAS Centragroup-Fareva à payer à la SA X à la somme de 269.337 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
- condamné la SA X à payer à la SAS Centragroup-Fareva la somme de 173.521,22 euros TTC au titre de ses factures impayées ;
- ordonné la compensation judiciaire entre ces deux condamnations ;
- débouté la SA X de ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires ;
Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 20 janvier 2021, la société X demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 1°, 2°, 3° et 5° du code de commerce,
Vu le nouvel article 1343-2 du code civil,
Vu la jurisprudence citée,
Vu la lettre officielle du Conseil de la société Centragroup-Fareva du 26 juillet 2017,
Recevoir la société X en son appel et l'y déclarer bien fondée ;
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
* mis hors de cause les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, FCA, Interspray, Servipac et SPPH ;
* débouté la SA X de ses demandes à leur encontre ;
* limité la condamnation de la SAS Centragroup-Fareva à payer à la SA X la somme de 269.337 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
* condamné la SA X à payer à la SAS Centragroup-Fareva la somme de 173.521,22 euros TTC au titre de ses factures impayées ;
* ordonné la compensation judiciaire entre ces deux condamnations ;
* rejeté les demandes plus amples de la SA X ;
Plus généralement, de tous chefs de jugement faisant grief à la SA X.
Et statuant à nouveau,
- dire et juger que la société Centragroup-Fareva a soumis la société X à un avantage sans contrepartie au sens de l'article L. 442-6, I, 1° du code de commerce ;
- dire et juger que la société Centragroup-Fareva a soumis la société X à un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
- dire et juger que la société Centragroup-Fareva a obtenu de la société X un avantage, condition préalable à la commande, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportion au sens de l'article L. 442-6, I, 3° du code de commerce ;
- dire et juger que la société Centragroup-Fareva a rompu brutalement et sans préavis écrit la relation commerciale établie avec la société X sans lui octroyer un préavis raisonnable et suffisant eu égard à l'ancienneté de leur relation commerciale et à la dépendance économique de cette dernière, en lui imposant brutalement une baisse significative des prix en 2014 en violation de l'article L 442-6-I 5° du code de commerce ;
- dire et juger que les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, Fabrication Chimique Ardéchoise - FCA, Interspray, Servipac et Société de Production Pharmaceutique et d'Hygiène (SPPH) ont rompu brutalement et sans préavis écrit les relations commerciales établies avec la société X sans lui octroyer un préavis raisonnable et suffisant eu égard à l'ancienneté de leur relation commerciale et à la dépendance économique de cette dernière en baissant significativement les volumes de commandes en 2015 puis en 2016 en violation de l'article L 442-6-I 5° du Code de commerce ;
- dire et juger que la société X aurait dû bénéficier d'un préavis raisonnable :
* d'une durée de 12 mois de la part de CentraGroup Fareva au titre de la modification brutale des tarifs imposée en 2014 ;
* d'une durée de 12 mois de la part des Filiales au titre de la baisse de volumes subie en 2015 puis en 2016.
- dire et juger que la société Centragroup-Fareva et les filiales du groupe Fareva ont engagé leur responsabilité envers la société X ;
En conséquence,
- dire et juger que les Conditions Particulières d'Achat et plus généralement l'ensemble des conditions commerciales imposées par la société Centragroup-Fareva à la société X sont nulles, et en toute hypothèse, réputées non écrites ;
- condamner la société Centragroup-Fareva à restituer à la société X la somme de 572.956,51 euros TTC au titre des sommes indument réglées par cette dernière en application des Conditions Particulières d'Achat et des conditions commerciales imposées par la société Centragroup-Fareva, avec intérêts au taux légal à compter de la date à laquelle les sommes ont été versées par la société X à la société Centragroup-Fareva ;
- condamner in solidum la société Centragroup-Fareva et les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, Fabrication Chimique Ardéchoise - FCA, Interspray, Servipac et Société de Production Pharmaceutique et d'Hygiène (SPPH) à payer à la société X une indemnisation de 268.911 euros en réparation du préjudice complémentaire subi du fait des pratiques restrictives de concurrence imposées par Centragroup-Fareva et les Filiales du groupe Fareva à X ;
- condamner la société Centragroup-Fareva à payer à la société X la somme de 690.000 euros correspondant à la perte de marge nette pendant la durée du préavis raisonnable dont elle aurait dû bénéficier ;
- condamner in solidum les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, Fabrication Chimique Ardéchoise - FCA, Interspray, Servipac et Société de Production Pharmaceutique et d'Hygiène (SPPH) à payer à la société X une indemnisation de 523.000 euros correspondant à la perte de marge nette pendant la durée du préavis raisonnable dont elle aurait dû bénéficier ;
- ordonner la capitalisation des intérêts échus pour plus d'une année entière dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;
Sur la demande reconventionnelle de la société Centragroup-Fareva :
A titre principal,
- dire et juger que la société Centragroup-Fareva doit être déboutée de sa demande fondée sur des Conditions Particulières d'Achat nulles et de nul effet car violant l'article L. 442-6, I, du code de commerce ;
Subsidiairement,
- dire et juger que la société Centragroup-Fareva a irrévocablement renoncé au paiement des factures représentant la somme de 173.521,22 euros TTC par la lettre officielle de son Conseil du 26 juillet 2017 ;
- dire et juger la société Centragroup-Fareva irrecevable en sa demande au titre de factures représentant un montant de 173.521,22 euros TTC est irrecevable compte tenu de la lettre officielle de son Conseil du 26 juillet 2017 ;
Subsidiairement,
- débouter la société Centragroup-Fareva de sa demande de paiement de la somme de 173.521,22 euros TTC au titre des factures ;
En toute hypothèse,
- débouter la société Centragroup-Fareva de son appel à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 mars 2019 ;
- condamner in solidum la société Centragroup-Fareva et les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, Fabrication Chimique Ardéchoise - FCA, Interspray, Servipac et Société de Production Pharmaceutique et d'Hygiène (SPPH) à payer à la société X la somme de 50.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner in solidum la société Centragroup-Fareva et les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, Fabrication Chimique Ardéchoise - FCA, Interspray, Servipac et Société de Production Pharmaceutique et d'Hygiène (SPPH) aux entiers dépens d'appel dont recouvrement au profit de la SCP AFG, Avocat au Barreau de Paris.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par le RPVA le 27 janvier 2021, les sociétés Centragroup-Fareva, Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Fabrication Chimique Ardéchoise (FCA), Farevabio, Interspray, Le Laboratoire du Bain, Servipac, Société de Production Pharmaceutique et d'Hygiène (SPPH) demandent à la cour de :
Vu l'article L. 442-2 I du code de commerce,
Vu les pièces versées au débat,
Vu le jugement du 5 mars 2019,
Sur l'appel interjeté par la société Centragroup-Fareva :
- réformer partiellement le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 5 mars 2019 en ce qu'il a :
* condamné la société Centragroup-Fareva à payer à la société X la somme de 269.337 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ;
* condamné la société Centragroup-Fareva à payer à la société X la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, et plus généralement de tous chefs de jugement faisant grief à la société Centragroup-Fareva et aux dépens.
Et statuant à nouveau,
* juger qu'il n'y a pas de rupture brutale dans les relations commerciales entre la société Centragroup-Fareva, ses filiales : Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, FCA, Interspray, Servipac et SPPH, et la société X ;
En conséquence,
* débouter la société X de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Sur l'appel interjeté par la société X :
- juger que les conditions du déséquilibre significatif ne sont pas réunies ;
- juger qu'il n'existe pas de déséquilibre significatif dans les relations commerciales existantes entre la société Centragroup-Fareva, ses filiales et la société X ;
- juger qu'il n'y a pas de ruptures brutales dans les relations commerciales entre la société Centragroup-Fareva, ses filiales : Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, FCA, Interspray, Servipac et SPPH, et la société X ;
- juger que les préjudices sollicités ne sont fondés ni dans leur principe ni dans leur quantum.
En conséquence,
- débouter la société X de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire, si le principe de la rupture brutale des relations commerciales était confirmé, les dommages et intérêts devront être calculés conformément à la jurisprudence et à la nouvelle rédaction de l'article L. 442-1 du code de commerce soit en prenant en considération la notion de marge brute et les délais en la matière.
En tout état de cause :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 5 mars 2019 en ce qu'il a :
* condamné la société X à régler la somme de 173 521,22 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2016, date de mise en demeure ;
* mis hors de cause les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, FCA, Interspray, Servipac et SPPH ;
Y ajoutant,
- condamner la société X à régler aux sociétés Centragroup-Fareva, Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, FCA, Farevabio, Interspray, Le Laboratoire du Bain, Servipac, SPPH, chacune, la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens tant pour la procédure de première instance que pour la procédure d'appel ;
- juger que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par la SELARL Lexavoué Paris-Versailles, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 janvier 2021.
MOTIFS
Sur la mise en cause des filiales du groupe Fareva
La société X soutient que la création de la centrale d'achat en 2006 n'a pas eu d'impact sur la réalité de la relation commerciale, c'est-à-dire les relations d'achat-vente, qui se sont maintenues entre X et les filiales du groupe Fareva, et que ces dernières sont responsables de la rupture partielle de la relation commerciale en ce qu'elles ont significativement réduit leurs commandes ; dès lors, les filiales doivent nécessairement être mises en cause.
La société Centragroup-Fareva répond qu'aucune faute en lien direct avec le préjudice revendiqué par la société X ne peut être imputée aux filiales et qu'une baisse du volume des commandes n'est pas démontrée, au contraire, une stagnation voire augmentation des commandes sont parfois constatées ;
Sur ce,
Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En vertu de l'article 31 du même code, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.
Il sera rappelé que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.
La société Centragroup-Fareva ne conteste pas que la société X entretient des relations commerciales avec ses filiales ce qui est corroboré par le justificatif de la réalisation d'un chiffre d'affaires entre la société X et les filiales de la société Centragroup-Fareva dont il est demandé la mise hors de cause.
Aux termes du dispositif de ses conclusions, la société X forme une demande envers chacune des filiales au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ; l'existence d'une relation commerciale entre la société X et les filiales de la société Centragroup-Fareva et d'une demande au titre de la rupture des relations commerciales démontrent que la société X à un intérêt à agir à leur égard sans qu'il y ait lieu de préjuger à ce stade du bien-fondé ou non de la demande.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a mis hors de cause les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, Le Laboratoire du Bain, Farevabio, FCA, Interspray, Servipac et SPPH.
Sur les pratiques restrictives de concurrence
Sur la demande au titre de l'avantage sans contrepartie (article L. 442-6-I, 1°)
La société X fait valoir que les commissions CPA (« Conditions Particulières d'Achat ») et RFA (« Remise de Fin d'Année ») dont elle est débitrice ne correspondent à aucun service d'entremise fourni par la société Centragroup-Fareva, ni aucune prestation de gestion ou de suivi des références et des produits pour les filiales, que par ailleurs, le montant de la commission CPA dépend du seul volume de produits commandés par les filiales et est sans lien avec un quelconque service qui serait rendu par Centragroup Fareva, que cette dernière s'appuie sur une globalisation artificielle des chiffres d'affaires des filiales du groupe dans le seul but d'imposer à ses fournisseurs, dont la société X, des tarifs bas sur la base de ce chiffre d'affaires globalisé.
La société Centragroup-Fareva réplique que les factures établies portent sur des prestations réelles, qu'elle a le rôle d'une centrale d'achat et en cela, offre divers avantages et services aux fournisseurs, permettant notamment à ces derniers de se maintenir sur le marché concurrentiel international via la négociation des prix et d'avoir une trésorerie par le biais de commissions.
L'article L. 442-6, I, 1° du code de commerce dans sa version applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur le fait : « d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation ou de promotion commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins, du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat ou de la rémunération de services rendus par une centrale internationale regroupant des distributeurs. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires, en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ou en une demande supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité ».
La société Centragroup-Fareva verse aux débats la convention suivante avec prise d'effet au 13 février 2012 intitulée "conditions particulières d'achat" stipulant que "la société Centragroup-Fareva, dans le cadre de son rôle de service négocie notamment avec les fournisseurs les conditions d'achat de certains produits pour toutes les sociétés du Groupe Centragroup-Fareva permet ainsi au fournisseur de réaliser la vente de ses produits aux sociétés du Groupe. La gestion des opérations d'achat auprès des fournisseurs par les sociétés du Groupe FAREVA qui est assurée par la société Centragroup-Fareva (centrale d'achat) est génératrice de coûts de fonctionnement.
Les prestations de Centragroup-Fareva donneront lieu, en conséquence, à une facturation directe de ces coûts (CPA) au fournisseur par Centragroup-Fareva, dont le montant sera calculé comme suit : Ecart entre le prix brut et le prix net précisé dans le tableau en annexe, et ce sur les sommes effectivement facturées aux sociétés du Groupe par le Fournisseur.
Le fournisseur et les sociétés filiales du Groupe Fareva prennent acte que les prix des fournitures négociés entre eux prennent en compte les facturations par Centragroup Fareva au fournisseur.
Il est précisé qu'à la fin de chaque trimestre, la société Centragroup-Fareva établira une facture faisant apparaître le montant de sa commission".
Il est également produit les conditions particulières d'achat en application au 1er janvier 2014 y ajoutant que la rémunération de ces prestations fera l'objet d'une facturation complémentaire en fin d'exercice (RFA) dont le montant sera égal à un pourcentage de chiffre d'affaires selon ce qui est indiqué en annexe 1. En annexe 1, il est prévu que le pourcentage de la remise de fin d'année est proportionnelle de 1,5 % à 3,5 % du chiffre d'affaires selon son montant.
La société Centragroup-Fareva expose apporter les avantages et services suivants à la société X :
- Création d'une liste de fournisseurs préférentiels par catégorie d'achats (ex: Etiquettes, cartons, Ethanol, Silicones) permettant au fournisseur de se positionner,
- En fonction des besoins du développement, gestion de cette liste de fournisseurs préférentiels avec service R&D. Interface unique et communication plus rapide,
- Sourcing fournisseur local et international pour les filiales,
- Sourcing de matières 1res, articles d'emballage et de prestations de services,
- Responsable pour les Appels d'offres permettant la sélection des fournisseurs,
- Veille réglementaire conjointement avec le service R&D et les fournisseurs,
- Négociation de l'offre en accord avec notre cahier des charges et mise en place du contrat de référencement avec le fournisseur,
- Création des fournisseurs dans notre système d'informations et gestion de ces données,
- Evaluation des fournisseurs et suivi des audits.
Cependant, il n'est justifié d'aucune relation suivie entre la société Centragroup-Fareva et la société X établissant l'exécution des services que la centrale d'achat revendique apporter.
Les factures émises à l'égard de la société X portent la mention « commissions de courtage sur les ventes aux sociétés du groupe Fareva pour le... trimestre .... », puis à compter de décembre 2013 « conditions particulières d'achat sur les ventes aux sociétés du groupe Fareva pour le.. trimestre.. ».
Aucune autre mention n'y figure notamment les prestations réalisées par la société Centragroup-Fareva.
Par courriel du 24 juillet 2015, M. Y précisait à la société Centragroup-Fareva « Comme nous vous l'avions précisé, les prix appliqués, ont subi une forte baisse au 01 septembre 2014 et ne nous apportent pas la rentabilité nécessaire Nous vous remercions de nous accompagner pour le règlement de la CPA 2015. »
Par courriel du 15 juillet 2016, M. Y indiquait à la société Centragroup-Fareva : « nous vous avons alerté à plusieurs reprises sur les prix trop bas que vous nous imposez ; ces prix ne nous permettent en aucune façon de dégager une marge suffisante. Les prix appliqués ont subi une forte baisse au 01 septembre 2014 et ne nous apportent pas la rentabilité nécessaire. Ces prix déjà fortement révisés à la baisse, vous avez mis en place ce système de rétro commissions (CPA) de 35 % ce qui a pour conséquence un effet ciseau négatif pour nous. Nous avons demandé le 22 juin 2015 une hausse tarifaire de 15 % qui nous a été refusée...À cela s'ajoute des volumes en baisse significative face à ces prix figés (mis en place au 1er septembre 2014) sur une base de volume nettement supérieure »
Ces courriels démontrent les difficultés financières pour la société X résultant de la facturation de ces commissions.
La société Centragroup-Fareva allègue que son activité détaillée montre son rôle précis notamment au niveau des différents fournisseurs et clients, sa mission étant d'optimiser les coûts, d'améliorer la base de ses fournisseurs et leurs qualités.
Les courriels échangés entre les parties établissent l'intervention de la société Centragroup-Fareva pour amener la société X à diminuer ses prix, les échanges ne portant que sur les conditions tarifaires et les délais de livraison à optimiser.
La preuve de la réalité des missions de la société Centragroup-Fareva exposées dans les « conditions particulières d'achat » n'est pas rapportée.
La société Centragroup-Fareva est intervenue comme intermédiaire dans une relation déjà établie entre la société X et les filiales du groupe Fareva et échoue à établir l'existence de l'apport en faveur de la société X d'une contrepartie proportionnée aux commissions qu'elle facture.
Depuis la mise en place de ces conditions générales d'achat par la société Centragroup-Fareva, la société X a connu une diminution régulière de son chiffre d'affaires dans ses relations avec les filiales du groupe Fareva ainsi qu'une baisse du volume des commandes.
En agissant ainsi, la société Centragroup-Fareva a engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6 I 1°du code de commerce.
Cette convention étant dépourvue de cause, les conditions générales d'achat seront annulées et du fait de l'anéantissement rétroactif de la convention, la société Centragroup-Fareva doit restituer à la société X le montant des commissions versées sous forme de commissions de courtage ou commissions conditions particulières d'achat (CPA) et remise de fin d'année (RFA) dont le montant est justifié par la production des factures :
- 51.337,89 € TTC au titre des commissions de courtage et des RFA relatives à l'année 2012 ;
- 43.100,12 € TTC au titre des commissions de courtage et des RFA relatives à l'année 2013 ;
- 149.035,50 € TTC au titre des commissions dites CPA et des RFA relatives à l'année 2014 ;
- 289.483 € TTC au titre des commissions dites CPA et des RFA relatives à l'année 2015 ;
- 40.000 € TTC au titre des commissions dites CPA et des RFA relatives à l'année 2016
Soit un total de 572 956,51 euros ;
Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 2 février 2018, date de l'assignation.
La capitalisation des intérêts échus dans les termes de l'article 1343-2 du code civil sera ordonnée.
Sur la demande au titre de L. 442-6 I 3° du code de commerce
La société X soutient également que la société Centragroup-Fareva lui a imposé des baisses de prix en indiquant des volumes de commandes prévisionnels qui ne constituent pas des engagements d'achat sur les volumes indiqués, ce qui est sanctionné par l'article L. 442-6-I, 3° du code de commerce. La société Centragroup-Fareva conteste cette pratique.
L'article L. 442-6 I 3° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige énonce que " I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1° d'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ".
La société X produit un tableau intitulé « tarifs boitiers aérosols Fareva » que lui a transmis le 30 juillet 2014 la société Centragroup-Fareva. Ce tableau ne peut à lui seul constituer un engagement de volumes de commandes de la part de la société Centragroup-Fareva ; il ne peut donc être reproché à celle-ci le non-respect d'un volume de commandes prévisionnel en contrepartie d'une baisse de prix.
Sur la demande au titre du déséquilibre significatif (article L. 442-6-I 2°)
La société X prétend que la société Centragroup - Fareva a créé à son encontre une situation de déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6-I 2° du code de commerce, résultant d'une part, de la réduction imposée des prix à hauteur de 50 %, et d'autre part, du paiement des commissions CPA et RFA pour des montants disproportionnés eu égard au chiffre d'affaires réalisé entre X et Centragroup-Fareva, et ce, alors même que ces sommes n'avaient aucune contrepartie, cette situation ayant été aggravée par la diminution constante et significative du chiffre d'affaires réalisé avec les filiales du groupe Fareva.
La société Centragroup - Fareva souligne que l'existence de contreparties réciproques est établie, que les clauses ont été débattues et négociées librement entre les parties, que la société X n'établit ni l'état ou la tentative de soumission, ni l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 442-6-I 2° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, « I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont en premier lieu la soumission ou la tentative de soumission et en second lieu l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif.
L'existence d'un contrat d'adhésion ne suffit pas à caractériser la preuve de l'absence de pouvoir réel de négociation de celui qui se prétend victime d'une soumission ou d'une tentative de soumission à un déséquilibre significatif mais il doit le prouver, par exemple en démontrant l'exclusion de toute possibilité de négociation.
Le déséquilibre significatif, doit être examiné au regard de l'analyse des clauses imposées dans la convention en tenant compte des contreparties accordées, et de l'équilibre économique de l'opération.
Le déséquilibre significatif est le plus souvent caractérisé par une absence de réciprocité des prérogatives contractuelles ou par une disproportion entre les droits et obligations des parties.
Les conditions générales d'achat sur la base desquelles la société Centragroup-Fareva a facturé des commissions à la société X ont été annulées comme constituant une pratique restrictive de concurrence prohibée.
La société X dénonce également les pratiques de la société Centragroup-Fareva en matière de fixation de prix à compter de l'année 2014.
Cependant, dès 2012, la société Centragroup-Fareva a adopté à l'égard de la société X une politique tarifaire plus agressive en ayant recours à la concurrence.
Par courriel du 24 janvier 2012, la société Centragroup-Fareva demandait à la société X : « Nous vous transmettons en pièces jointes un fichier regroupant par site Fareva les volumes 2011 par articles pour que vous puissiez regrouper les formats et décors et nous transmettre une proposition de grille tarifaire plus avantageuse, objectif : mi-février 2012 ».
S'il est évoqué le recours à l'appel d'offres à compter de l'année 2014, en revanche, il résulte des courriels échangés entre les parties qu'au cours d'une réunion du 18 mars 2014, la société Centragroup-Fareva a demandé à la société X de lui soumettre des propositions tarifaires compétitives devant être appliquées le 1er septembre 2014.
Il est mentionné dans le compte rendu interne à la société X de la réunion du 18 mars 2014 avec la société Centragroup-Fareva que « le taux de dépendance retenue entre la société Centragroup-Fareva et X est de + 25 %, que la société Centragroup-Fareva ne souhaite pas maintenir ce taux trop haut, et va donc nous enlever une part du marché étiquettes produits. M. Z fait entrer un autre fournisseur en numérique.Il a transmis un appel d'offres sur le marché que nous détenons actuellement à nos confrères. La société X doit donc transmettre une offre tarifaire au plus juste sur les marchés qu'elle souhaite conserver : prix unique/ format/ produit à envisager. Nous devons transmettre notre offre tarifaire et nos choix de production pour les étiquettes produites le 30 mars 14 ».
Cependant, les discussions se poursuivaient au mois d'avril 2014 et le 14 mai 2014, la société Centragroup-Fareva demandait à la société X si elle remettait ses prix ce jour et le 16 mai 2014 la société Centragroup-Fareva indiquait qu'elle était toujours dans l'attente de son offre, la société X répondant qu'elle travaillait toujours sur le dossier, la société Centragroup-Fareva lui indiquait « nos échanges ont suffisamment duré sur ce sujet ; si je n'ai pas vos prix aujourd'hui, je serai contraint de vous sortir de l'appel d'offre, vous ne me laissez pas d'autre choix. »
Il résulte que les courriels échangés entre les parties démontrent l'existence de négociations portant sur les prix avec un délai suffisant accordé en fait au profit de la société X pour se positionner. Celle-ci a été confrontée à la concurrence dans son domaine d'activité et aux choix commerciaux de la société Centragroup-Fareva sans que ne soit démontrée la volonté de celle-ci de la soumettre à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
La société X a été avisée des nouvelles conditions instaurées par la société Centragroup-Fareva et les relations se sont poursuivies selon ces nouvelles modalités.
En conséquence, l'existence d'une pratique restrictive de concurrence sur le fondement de l'article L. 442-6-I 2°) n'est pas démontrée.
Sur les demandes indemnitaires de la société X au titre des pratiques restrictives de concurrence
Au titre des pratiques restrictives de concurrence, la responsabilité de la société Centragroup-Fareva a été engagée sur le fondement de l'article L. 442-6-I 1°.
La société X sollicite la somme de 118.911 euros HT au titre des investissements gelés, 50.000 euros en réparation de la désorganisation de l'entreprise résultant du déséquilibre significatif ; cependant, cette pratique restrictive de concurrence n'ayant pas été retenue à l'égard de la société Centragroup-Fareva, la société X sera déboutée des demandes d'indemnisation de ce chef.
La société X réclame également la somme de 100.000 euros correspondant à la perte de capitaux propres subis par elle du fait qu'elle s'est retrouvée totalement asphyxiée au fil du temps par l'effet de ciseaux négatif créé par Fareva et le siphonnage de sa trésorerie par les CPA à reverser.
Au titre de l'avantage sans contrepartie, il a été ordonné la restitution à la société X de la somme de 572.956,51 euros au titre de commissions indûment perçues lui permettant ainsi de reconstituer sa trésorerie perdue. Elle sera en conséquence déboutée de cette demande supplémentaire.
La demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies
La société X énonce qu'alors même que la relation commerciale entre les parties est établie depuis le début des années 1980, la société Centragroup-Fareva a imposé un appel d'offres puis une baisse drastique de prix sans préavis écrit d'une durée raisonnable, caractérisant une première rupture brutale, puis les filiales du groupe Fareva, en baissant significativement les volumes de commandes sans l'avertir avec un préavis écrit, a commis une seconde rupture brutale, ces deux pratiques réprimées par l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce ayant été aggravées par l'état de dépendance économique dans lequel elle se trouvait.
La société Centragroup - Fareva répond qu'une diminution du chiffre d'affaires à lui-seul ne peut être assimilée à une rupture brutale des relations commerciales, d'autant plus lorsque celle-ci est très progressive, que la société X n'apporte pas la preuve d'une quelconque faute ni l'existence d'un préjudice en lien avec celle-ci, et qu'il ne peut être soutenu qu'une incidence tant sur le chiffre d'affaires que sur la marge brute ait existé ; dès lors, la demande indemnitaire doit être rejetée.
Sur ce,
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
La société X allègue, sans être contredite, l'existence d'une relation commerciale avec les sociétés du groupe Fareva depuis les années 1980. Elle justifie de la réalisation d'un chiffre d'affaires avec le groupe Fareva depuis les années 2008, à hauteur de 42 % en 2012.
La société X justifie par la production de courriels qu'à compter de l'année 2014, le groupe Fareva a souhaité diminuer ses fournisseurs de 13 à 3 ou 4 en ayant recours à la procédure d'appel d'offres. Aux termes du compte-rendu de la réunion ayant eu lieu le 18/03/2014, il est indiqué que « M. Y doit remettre une offfre le 20/03 impérativement qui tient compte du potentiel global et des fourchettes de prix déjà remises par nos confrères. »
La société X produit un tableau récapitulant le chiffre d'affaires qu'elle a réalisé avec les filiales du groupe Fareva arrêté au mois de juin de chaque année :
CA avec Fareva CA global pourcentage de CA avec Fareva
2011 : 1 264 516 euros 3 713 778 euros 34 %
2012 : 1 190 591 euros 2 825 400 euros 42 %
2013 : 1 082 101 euros 2 860 670 euros 38 %
2014 : 992 443 euros 2 951 856 euros 34 %
2015 : 935 054 euros 3 462 696 euros 27 %
2016 : 657 396 euros 3 223 150 euros 20 %
Le volume de produits commandés a diminué de 14 289 750 entre 2014 et 2016 soit de 22,50 % :
2014 : 63 516 230
2015 : 58 147 214
2016 : 49 226 480
La diminution progressive du chiffre d'affaires durant cette période est constatée de la même manière dans les relations avec chacune des filiales.
Si la société X réalise un tiers de son chiffre d'affaires avec les sociétés du groupe Fareva ce qui est important avec un pic à 42 % en 2012, elle n'a jamais été en état de dépendance.
Il ne peut être constaté une rupture brutale des relations commerciales puisque si le chiffre d'affaires a diminué de moitié entre 2011 et 2016 de manière progressive, il ne s'est pas réduit de manière significative de 2014 à 2015 et s'il a diminué de 300 000 euros entre 2015 et 2016, la société X a dans le même temps retrouvé de nouveaux clients puisque son chiffre d'affaires global a augmenté régulièrement entre 2013 et 2016. La société X a été avisée dès 2012 et de nouveau en 2014, que la société Centragroup-Fareva allait pratiquer une politique commerciale plus concurrentielle tout en réduisant le nombre de ses fournisseurs, les relations se poursuivant dans le même temps entre les parties.
Il ne peut davantage être retenu que la mise en concurrence de la société X avec d'autres sociétés en 2014 par le biais de la communication de nouveaux tarifs dont il n'est pas démontré qu'ils aient été imposés, ait entraîné une rupture brutale des relations commerciales.
Le jugement sera réformé et la société X sera déboutée de sa demande de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle en paiement des factures
La société X allègue que, si toutefois les Conditions Particulières d'Achat n'étaient pas frappées de nullité, la demande de Fareva serait irrecevable car cette dernière a déjà irrévocablement renoncé au paiement des factures non réglées, sans aucune condition, par lettre officielle de son conseil du 26 juillet 2017.
La société Centragroup - Fareva rétorque que suite au refus, par la société X, de la proposition de médiation qui accompagnait l'engagement de renoncer au paiement des factures, son conseil a précisé, par lettre officielle du 22 août 2017, que cet engagement n'était plus d'actualité.
La demande de la société X au titre de l'article L. 442-6 I 1° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, ayant été admise et la responsabilité de la société Centragroup-Fareva engagée pour avoir obtenu de la société X le versement de commissions ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, le paiement d'aucune facture de commission ne peut être réclamé par la société Centragroup-Fareva à ce titre, la convention ayant été annulée.
Le jugement sera infirmé de ce chef et la société Centragroup-Fareva sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 173.521,22 euros TTC .
Sur les demandes accessoires
La société Centragroup-Fareva sera condamnée à payer à la société X la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel.
Les sociétés intimées conserveront la charge de leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement sauf sur les frais irrépétibles et les dépens,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
DIT que la société Centragroup-Fareva a soumis la société X à un avantage sans contrepartie au sens de l'article L. 442-6, I, 1° du code de commerce,
DÉBOUTE la société X de ses demandes indemnitaires au titre du déséquilibre significatif sur le fondement l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce,
DÉBOUTE la société X de sa demande sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 3° du code de commerce,
DIT que la société Centragroup-Fareva n'a pas rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société X,
DIT que les sociétés Aerochim, Ardepharm, Condivex Conditionnement du Vexin, Cosmopar, le Laboratoire du Bain, Farevabio, Fabrication Chimique Ardéchoise - FCA, Interspray, Servipac et société de Production Pharmaceutique et d'Hygiène (SPPH) n'ont pas rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société X,
DÉBOUTE la société X de ses demandes indemnitaires sur le fondement de l'article L 442-6-I 5° du code de commerce,
ANNULE les Conditions Particulières d'Achat de la société Centragroup-Fareva,
CONDAMNE la société Centragroup-Fareva à restituer à la société X la somme de 572.956,51 euros au titre des sommes indument réglées par cette dernière en application des Conditions Particulières d'Achat, avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2018,
ORDONNE la capitalisation des intérêts échus pour plus d'une année entière dans les termes de l'article 1343-2 du code civil,
DÉBOUTE la société Centragroup-Fareva de sa demande de paiement de la somme de 173.521,22 euros TTC au titre des factures,
CONDAMNE la société Centragroup-Fareva in solidum à payer à la société X la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande,
CONDAMNE la société Centragroup-Fareva aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés au profit de la SCP AFG, avocat au barreau de Paris conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.