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Décisions

Cass. com., 17 mars 2021, n° 18-26.388

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Société Julien Poilâne (SAS), Société civile d'exploitation de la marque Max Poilâne

Défendeur :

Société Poilâne (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Darbois

Lyon, 1re ch. civ. A, du 29 nov. 2018

29 novembre 2018

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° E 18-26.388 et n° H 19-16.688 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 29 novembre 2018), la société Poilâne  est titulaire de la marque « Poilâne » n° 1 290 999, déposée à l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) le 4 décembre 1974 et  régulièrement renouvelée depuis lors, pour désigner les pains, biscuits, gâteaux, pâtisseries et confiseries.

3. La société Julien Poilâne, qui exerce l'activité de boulangerie, viennoiserie, pâtisserie, confiserie à Lyon et a pour président M. Julien P, exploite la marque « Max Poilâne » n° 93 454 998, déposée à l'INPI le 12 février 1993 par M. Max P et régulièrement renouvelée depuis lors, en vertu d'un contrat de licence conclu le 24 novembre 2009 par la société Max Poilâne avec la société civile d'exploitation de la marque Max Poilâne (la SCEMMP), actuellement propriétaire de cette marque, contrat de licence qui a été publié au registre de l'INPI le 19 mai 2010.

4. À l'occasion d'un litige qui avait opposé Pierre P et la société Poilâne à M. Max P et à la société Max Poilâne, ayant pour objet d'interdire à ces derniers l'usage du patronyme « P » et d'obtenir l'annulation de la marque « Poilâne Max » n° 1 196 178, déposée le 2 février 1982, dans le commerce du pain et de l'activité de boulangerie, un arrêt du 9 décembre 1992, devenu irrévocable, a rejeté la demande d'annulation de cette marque et réglementé l'usage du patronyme et de la marque en ces termes : « Dit que M. Max P et la Sarl Max Poilâne ne pourront employer pour un usage commercial le patronyme P à titre de marque, dénomination sociale, nom commercial ou enseigne et dans leurs papiers d'affaires et publicités et emballages, qu'en le faisant précéder immédiatement sur la même ligne du prénom Max dans les mêmes caractères de mêmes dimensions de même couleur et de même tonalité, et en y ajoutant immédiatement en dessous en caractères lisibles l'adresse ou les adresses de leurs établissements ».

5. Soutenant que l'usage, par la société Julien Poilâne, de sa dénomination sociale et de son enseigne constituait une contrefaçon de la marque « Poilâne » et reprochant à cette société de faire un usage de la marque « Max Poilâne » non conforme à la réglementation prévue par l'arrêt du 9 décembre 1992, la société Poilâne l'a assignée, en demandant l'interdiction de toute exploitation de la dénomination « Poilâne », notamment sous les formes « Julien Poilâne » ou « Max Poilâne », la condamnation de cette société au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, ainsi que des mesures de publication et de dépose et destruction de tous éléments des devantures des boutiques et des supports de marketing et de communication de la société Julien Poilâne.

6. M. Max P et la SCEMMP sont intervenus volontairement à cette instance.

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° E 18-26.388 et le troisième moyen du pourvoi n° H 19-16.688, ci-après annexés :

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° H 19-16.688 :

Enoncé du moyen

8. La société Poilâne fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts pour contrefaçon par usage de la dénomination « Julien Poilâne », alors :

« 1°) que dans ses conclusions d'appel, la société Poilâne faisait valoir que le caractère notoire antérieur de la marque "Poilâne" était nécessairement exclusif de la bonne foi invoquée par la société Julien Poilâne ; qu'en affirmant que la bonne foi de la société Julien Poilâne dans l'emploi du patronyme de son dirigeant était établie, de sorte qu'elle était fondée à invoquer l'exception d'homonymie prévue par l'article L. 713-6, a) du code de la propriété intellectuelle, sans répondre aux écritures de la société Poilâne soulignant le caractère notoire de la marque « Poilâne », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) que pour que l'exception prévue par l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle joue au profit d'une personne morale, il est nécessaire que le titulaire du patronyme identique ou similaire à la marque exerce, à l'intérieur de la personne morale, de réelles fonctions de contrôle et de direction ; qu'en se bornant à affirmer que "Julien P exerce réellement au sein de la société Julien Poilâne des fonctions de contrôle et de direction" sans expliciter le contenu de ces fonctions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. »

Réponse de la Cour

9. Après avoir relevé qu'il ressort des statuts de la société Julien Poilâne et de l'extrait K bis de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés que M. Julien P est l'actionnaire majoritaire et le président de cette société, l'arrêt retient que les propres pièces de la société Poilâne, tels les extraits d'articles de journaux, établissent que M. Julien P exerce réellement des fonctions de contrôle et de direction au sein de la société Julien Poilâne et que rien ne permet d'affirmer qu'il a agi comme prête-nom en vue de permettre à celle-ci d'utiliser frauduleusement le patronyme "P" dans sa dénomination sociale. Par ces seuls motifs, dont elle a déduit que la société Julien Poilâne avait, de bonne foi, utilisé le patronyme de son dirigeant, de sorte qu'elle était fondée à invoquer l'exception d'homonymie prévue par l'article L. 713-6 a) du code de la propriété intellectuelle, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux écritures de la société Poilâne soulignant le caractère notoire de la marque "Poilâne", dans la mesure où, contrairement au postulat de la première branche, cette notoriété n'était pas nécessairement exclusive de la bonne foi invoquée par la société Julien Poilâne, ni d'expliciter le contenu des fonctions de contrôle et de direction dont elle avait vérifié la réalité, a légalement justifié sa décision.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° E 18-26.388, pris en sa seconde branche :

Enoncé du moyen

11. La société Julien Poilâne, M. Max P et la SCEMMP font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'utilisation de la dénomination « Julien Poilâne » à titre de dénomination sociale par la société Julien Poilâne SAS ne portait pas atteinte aux droits de la société Poilâne SAS sur la marque « Poilâne » dont elle est titulaire, alors « qu'en s'abstenant de rechercher si, en raison de la notoriété de la dénomination "Poilâne", l'adjonction en mêmes caractères du prénom "Julien" n'était pas par elle-même de nature à dissiper toute confusion dans l'esprit du consommateur, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale, au regard de l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

12. Après avoir constaté que les produits fabriqués et commercialisés par la société Julien Poilâne sont identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement de la marque « Poilâne », l'arrêt retient qu'il ressort de la comparaison des signes en présence, pris dans leur globalité, qu'ils ont en commun la dénomination, identique, « Poilâne », laquelle constitue le seul élément de la marque antérieure et l'un des deux éléments verbaux du signe contesté, et que la différence tenant à l'ajout du terme « Julien » n'est pas de nature à atténuer les ressemblances visuelles et phonétiques ainsi mises en évidence, dans la mesure où la dénomination « Poilâne » est distinctive au regard des produits et services en cause et a un caractère dominant au sein du signe contesté, dans lequel le terme « Julien » apparaît comme un prénom se rapportant au nom de la famille P. Il en déduit qu'il existe un risque de confusion entre les deux signes pour un consommateur d'attention moyenne. En l'état de ces constatations et appréciations, rendant inopérante la recherche invoquée, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° E 18-26.388

Enoncé du moyen

14. La société Julien Poilâne, M. Max P et la SCEMMP font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'appel incident formé par M. Max P et la SCEMMP et de déclarer leur demande reconventionnelle irrecevable, alors « que l'appel incident peut émaner, sur l'appel principal ou incident qui le provoque, de toute personne, même non intimée, ayant été partie en première instance ; que cet appel peut être formé en tout état de cause ; qu'en déclarant irrecevable l'appel incident de M. Max P et la SCEMMP, après avoir constaté qu'ils avaient été parties en première instance, ce dont il s'inférait qu'ils pouvaient en tout état de cause former un appel provoqué contre la société Poilâne, peu important que celle-ci ne les ait pas intimés dans son appel principal formé contre la société Julien Poilâne, la cour d'appel a violé les articles 549 et 550 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 549 et 550 du code de procédure civile :

15. Il résulte de la combinaison de ces textes que toute personne ayant été partie en première instance peut, en tout état de cause, et sous réserve des dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, former un appel incident provoqué par l'appel principal.

16. Pour déclarer irrecevable l'appel incident formé par M. Max P et la SCEMMP et, par voie de conséquence, leur demande reconventionnelle, l'arrêt retient qu'ils n'ont été intimés ni par la société Poilâne ni par la société Julien Poilâne et qu'ils n'ont pas interjeté appel du jugement.

17. En statuant ainsi, en faisant dépendre la recevabilité de l'appel provoqué de la qualité d'intimé de la partie qui l'a interjeté, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

18. La cassation des chefs de dispositif déclarant irrecevables l'appel incident formé par M. Max P et la SCEMMP et leur demande reconventionnelle entraîne, par voie de conséquence, celle des chefs de dispositif condamnant la société Julien Poilâne pour actes de contrefaçon de la marque « Poilâne » par un usage de la marque « Max Poilâne » non conforme à la réglementation définie par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 juin 1992, dans la mesure où les prétentions de M. Max P et de la SCEMMP relatives à cette réglementation n'ont pas été examinées.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il infirme le jugement qui avait dit que l'utilisation de la dénomination « Julien Poilâne » à titre de dénomination sociale par la société Julien Poilâne SAS ne portait pas atteinte aux droits de la société Poilâne SAS sur la marque « Poilâne » dont elle est titulaire et en ce qu'il déboute la société Poilâne de sa demande de dommages-intérêts pour contrefaçon par usage de la dénomination « Julien Poilâne » et de sa demande tendant à interdire à la société Julien Poilâne toute exploitation de la dénomination « Poilâne », ainsi que toute utilisation de la dénomination « Poilâne » en tant qu'élément de sa dénomination sociale, l'arrêt rendu le 29 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.