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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 2 novembre 2021, n° 19/02143

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pharma Med Ingenierie (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Prouzat

Conseillers :

Mme Bourdon, Mme Rochette

Avocats :

Me Apollis, Me Argellies, Me Thomas Combres

T. com. Montpellier, du 20 mars 2019, n°…

20 mars 2019

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

La SARL Pharma Med Ingénierie, immatriculée le 9 mai 2001 au registre du commerce et des sociétés, est spécialisée dans la réalisation d'études techniques, notamment pour la conception et l'installation d'équipements médicaux de cliniques, hôpitaux, centres de réadaptation fonctionnelle et unités de production pharmaceutiques.

Pour développer son activité en Algérie, la société Pharma Med Ingénierie s'est adjoint les services d'X, résident algérien, auquel elle a ainsi délivré plusieurs attestations (entre le 21 octobre 2009 et le 19 janvier 2015) certifiant que celui-ci était son représentant commercial et technique auprès de ses clients en Algérie, qu'il était habilité pour toutes démarches administratives et commerciales dans ce pays, qu'il s'occupait des installations, de la mise en route, de la formation et du service après-vente et qu'il bénéficiait de son assistance dans les différentes réalisations des projets privés ou publics exécutés par la société depuis 2002.

Exposant qu'en 2012, en raison du développement croissant du chiffre d'affaires réalisé par la société sur le territoire algérien, il avait obtenu une augmentation du montant de ses commissions, dont le taux variant entre 5 et 6 % avait été rehaussé à un taux de 10 et 11 %, mais qu'en dépit de cet accord, le taux de commissionnement était resté inchangé, M. X a, par exploit du 24 mai 2018, fait assigner la société Pharma Med Ingénierie devant le tribunal de commerce de Montpellier en vue d'obtenir le paiement de la somme de 125 170 euros à titre de rappel de commissions.

Devant le tribunal, la société Pharma Med Ingénierie a contesté le statut d'agent commercial revendiqué par M. X et l'existence de l'accord de commissionnement invoqué par celui-ci ; elle a également prétendu que l'action en paiement était prescrite.

Par jugement du 20 mars 2019, le tribunal a notamment :

- confirmé le statut d'agent commercial de M. X,

- fixé le taux de commissionnement de celui-ci à 10 % du chiffre d'affaires réalisé à compter du mois de janvier 2012,

- débouté M. X de sa demande de dommages et intérêts pour son préjudice financier,

- confirmé que les actions menées sur les opérations réalisées avant le 24 mai 2013 sont prescrites,

- condamné la société Pharma Med Ingénierie à verser à M. X la somme de 54 830,90 euros en règlement des commissions sur les opérations réalisées après le 24 mai 2013 sur la base d'un taux de commissionnement à 10 %,

- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire,

- condamné la société Pharma Med Ingénierie à payer la somme de 2000 euros à M. X au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue le 28 mars 2019 au greffe, la société Pharma Med Ingénierie a régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation.

Dans les conclusions, qu'elle a déposées le 23 novembre 2020 via le RPVA, elle demande à la cour de: (...)

A titre principal,

Vu l'article L. 134-1 du code de commerce et l'article 12 du code de procédure civile,

- dire et juger que M. X ne démontre pas avoir été chargé, de façon permanente, de négocier et éventuellement conclure des contrats pour son compte,

- dire et juger que M. X ne démontre pas l'applicabilité du statut des agents commerciaux,

- dire et juger que les demandes de M. X ne reposent sur aucun fondement juridique,

- rejeter les entières demandes, fins et conclusions de M. X,

À titre subsidiaire,

Vu l'article L. 134-5 du code de commerce,

- dire et juger que M. X ne démontre aucun accord contractuel relativement à sa prétendue commission,

- dire et juger que M. X n'apporte aucun élément relativement aux usages pratiqués,

- dire et juger que les sommes déjà reçues par M. X constituent une rémunération raisonnable,

- rejeter les entières demandes, fins et conclusions de M. X,

Plus subsidiairement encore,

Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, l'article 1162 (ancien) et 1190 du code civil et l'article 122 du code de procédure civile,

- dire et juger que, si accord il y a eu concernant la rémunération de M. X à hauteur de 10%, ce ne pouvait être que relativement au contrat de la clinique Bellevue Elysa, objet du mail du 12 janvier 2012,

- dire et juger que le droit commission de M. X, relativement à la clinique Bellevue Elysa, est né le 9 janvier 2012,

- dire et juger que l'action en paiement, intentée suivant assignation du 24 mai 2018, soit postérieurement au 9 janvier 2017, est irrecevable comme prescrite,

- déclarer M. X irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir tenant la prescription de son action en paiement,

- condamner M. X au paiement de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l'essentiel que :

- M. X, qui exerçait une simple activité d'assistance technique et de conseil ne démontre pas avoir négocié ou conclu des contrats pour son compte, le fait qu'il ait été habilité en vue d'effectuer toutes démarches administratives et commerciales en Algérie ne permettant pas de présumer un statut d'agent commercial,

- l'échange de courriels du 12 janvier 2012 avec le gérant de la société, M. Y, qui concerne seulement l'opération de la clinique « Bellevue- Elysa », s'il établit tout au plus l'existence de pourparlers sur un taux de commissionnement de 10 /11 %, ne permet pas de faire la preuve d'un accord ayant valeur contractuelle,

- la preuve n'est pas davantage rapportée d'un taux de commissionnement fixé en fonction des usages pratiqués dans le secteur d'activité couvert par le mandat,

- en toute hypothèse, l'action en paiement de la commission relative à la réalisation de la clinique Bellevue Elysa, dont la facture est en date du 9 janvier 2012, est atteinte par la prescription.

Formant appel incident, M. X sollicite, dans ses conclusions déposées le 15 septembre 2020 par voie électronique, la condamnation de la société Pharma Med Ingénierie à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts compensatoires de son préjudice financier ; il conclut à la confirmation du jugement pour le surplus et à l'allocation de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il expose en substance que :

- outre une mission de prospection, il négociait et concluait au nom de la société Pharma Med Ingénierie des contrats de vente et de prestations de services avec les clients, et assurait l'installation et le service après-vente du matériel fourni,

- aucune limite ne lui était fixée dans le cadre de l'exécution de sa mission d'agent commercial, le caractère permanent et continu d'une telle mission découlant des attestations qui lui étaient délivrées tous les trois ans par son mandant et qui étaient déposées auprès de la chambre de commerce et d'industrie de Montpellier,

- il a donc le statut d'agent commercial au sens de l'article L. 134-1 du code de commerce et de la directive européenne n° 86/653 CEE du Conseil en date du 18 décembre 1986, dont ce texte est la transposition en droit français, peu important l'absence d'un contrat écrit et d'une inscription au registre du commerce d'Alger,

- en janvier 2012, les parties sont convenues d'augmenter le taux de commissionnement à 10/11%, les termes de cet accord ne se limitant pas à certaines opérations comme le prétend la société Pharma Med Ingénierie,

- il peut ainsi prétendre, sur la base d'un taux de 10 %, comme l'a justement retenu le tribunal, au paiement d'une commission de 7130,90 euros sur la facture du 15 juin 2013 au nom de la clinique Ibn Nafis Annaba et d'une commission de 47 500 euros sur la facture du 20 septembre 2009 au nom de la clinique Akhrouf Bordj bou Arreridj,

- il a subi un préjudice financier consécutif au défaut de règlement complet des commissions dues et qui constituaient son unique source de revenus, sachant en outre qu'il a été victime en 2014 d'un accident de la circulation ayant entraîné des séquelles et que les dépenses de santé auxquelles il doit faire face ont accru ses difficultés financières.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 7 septembre 2021.

MOTIFS de la DECISION :

Aux termes de l'article L. 134-1 du code de commerce : « L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargée, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçant ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale. Ne relèvent pas des dispositions du présent chapitre les agents dont la mission de représentation s'exerce dans le cadre d'activités économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de dispositions législatives particulières. »

Il est de principe que l'application du statut d'agent commercial dépend des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée et que pour bénéficier du statut, celui qui le revendique doit établir qu'il exerce son activité de manière indépendante et qu'il a le pouvoir de négocier, voire de contracter, au nom et pour le compte d'un mandant, des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestations de services ; le pouvoir de négocier de l'agent commercial est suffisamment caractérisé lorsque celui-ci démarche la clientèle en vue de lui présenter les produits commercialisés par son mandant et les prix pratiqués et d'orienter son choix en fonction de ses besoins, sans pour autant qu'il soit également exigé de lui qu'il soit en mesure de discuter avec la clientèle les conditions essentielles des contrats à conclure.

Dans le cas présent, la preuve du statut d'agent commercial revendiqué par M. X est suffisamment rapportée par les attestations, que la société Pharma Med Ingénierie lui a délivrées régulièrement entre 2009 et 2015 pour être déposées à la chambre de commerce et d'industrie de Montpellier, dont il résulte qu'il était habilité pour toutes démarches administratives et commerciales en Algérie pour le compte de la société, dont il était le représentant technico-commercial exclusif, et qu'il avait pour rôle de s'occuper des installations, de la mise en service, de la formation et du service après-vente ; les attestations de directeurs de clinique, produites aux débats, confirment que l'intéressé, qui n'était pas toujours accompagné dans ses visites du dirigeant de la société Pharma Med Ingénierie (M. Y), était doté de larges pouvoirs dans la commercialisation et l'installation des équipements médicaux faisant l'objet des contrats, même s'il n'avait pas le pouvoir de représenter la société lors de la conclusion desdits contrats ; il n'est, en effet, communiqué qu'un seul contrat de maintenance signé par lui avec le dirigeant de la société exploitant la clinique Bellevue Elysa à Annaba.

Il se déduit donc des attestations délivrées par la société Pharma Med Ingénierie elle-même que M. X, habilité à effectuer toutes démarches commerciales pour le compte de la société, avait nécessairement un pouvoir de négociation au sens de l'article L. 134-1 susvisé incluant le démarchage de la clientèle, pouvoir qu'il a mis en oeuvre durant la relation contractuelle, de 2002 à 2015, eu égard notamment à l'expérience professionnelle de panseur-instrumentiste acquise par l'intéressé, qui avait occupé, en dernier lieu, les fonctions de chef du service matériel technique de l'hôpital militaire de rééducation de Staoueli en Algérie.

M. X sollicite le paiement de commissions sur une facture en date du 15 juin 2013 concernant la clinique Ibn Nafis Annaba et sur une facture du 20 septembre 2013 concernant la clinique Akhrouf Bordj bou Arreridj, soit les sommes respectives de 7 330,90 euros et de 47 500 euros sur la base d'un taux de commissionnement égal à 10 % ; il admet que les autres commissions réclamées au titre de factures éditées entre le 9 janvier 2012 et le 11 janvier 2013 sont atteintes par la prescription quinquennale de l'article L. 110-4 I du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, puisque l'assignation introductive d'instance a été délivrée, le 24 mai 2018, plus de cinq ans après l'établissement des factures.

Pour prétendre un taux de commissionnement de 10 %, M. X se fonde exclusivement sur un échange de courriels en date du 12 janvier 2012 ; le dirigeant de la société Pharma Med Ingénierie lui transmet l'autorisation Elysa, qui concerne la clinique Bellevue Elysa située à Annaba pour laquelle ont été réalisés des équipements facturés le 9 janvier 2012 (à hauteur de 647 394 euros) ; M. X évoque alors sa cote qui pourrait être à 10 (sic) et en réponse, le dirigeant de la société (M. Y) lui indique ce qui suit : pour ta cote 11/10.

Il résulte de l'article 1162 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation ; en l'occurrence, s'il peut être admis que la société Pharma Med Ingénierie a accepté de rémunérer M. X sur la base d'un taux de 10/11%, il s'avère que ce taux de commissionnement ne peut être appliqué qu'au contrat relatif aux travaux réalisés pour le compte de la clinique Bellevue Elysa, seul concerné par l'échange de courriels du 12 janvier 2012, cette interprétation l'étant en faveur de la société Pharma Med Ingénierie, qui a ainsi contracté l'obligation de paiement d'une commission majorée ; d'ailleurs, sur les factures émises par la société entre le 10 juillet 2012 et le 11 janvier 2013, il n'a pas été appliqué un taux de 10 % pour le calcul de la commission revenant à M. X, qui ne peut dès lors soutenir que le taux ainsi convenu concerne toutes les opérations commerciales conclues à compter du mois de janvier 2012 et non pas seulement celle relative à la clinique Bellevue Elysa.

En revanche, sur le montant des factures des 15 juin 2013 et 20 septembre 2013, M. X, qui indique n'avoir reçu aucun règlement, est fondé à obtenir le paiement, sur la base d'un taux de 5 % non contesté, de la somme de 27 415,45 euros (73 309 euros + 475 000 euros x 5%) au titre des commissions dues.

Les commissions versées à M. X en exécution de son contrat d'agent commercial constituaient la source unique de ses revenus et celui-ci se trouve privé, depuis maintenant huit ans, d'une somme de 27 415,45 euros lui revenant incontestablement ; le préjudice d'ordre financier subi par l'intéressé doit ainsi être indemnisé par l'allocation de la somme de 3500 euros à titre de dommages et intérêts.

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, chacune des parties conservera à sa charge les dépens personnellement exposés en cause d’appel ; il y a lieu, dans ces conditions, de rejeter les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Réforme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 20 mars 2019, mais seulement en ce qu'il a :

- fixé le taux de commissionnement de M. X à 10 % du chiffre d'affaires réalisé à compter du mois de janvier 2012,

- débouté M. X de sa demande de dommages et intérêts pour son préjudice financier,

- condamné la société Pharma Med Ingénierie à verser à M. X la somme de 54 830,90 euros en règlement des commissions sur les opérations réalisées après le 24 mai 2013 sur la base d'un taux de commissionnement à 10 %,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit que le taux de commissionnement de 10 % revendiqué par M. X n'est applicable qu'au contrat relatif aux travaux réalisés pour le compte de la clinique Bellevue Elysa facturés le 9 janvier 2012,

Condamne la SARL Pharma Med Ingénierie à payer à X, sur la base d'un taux de 5 %, la somme de 27 415,45 euros au titre des commissions dues sur les factures des 15 juin 2013 et 20 septembre 2013,

Condamne la société Pharma Med Ingénierie à payer à M. X la somme de 3500 euros à titre de dommages et intérêts compensatoires de son préjudice financier,

Rejette toutes autres demandes,

Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du même code,

Dit que chacune des parties conservera à sa charge les dépens personnellement exposés en cause d'appel.