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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 novembre 2021, n° 18/27259

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Davimar (SAS)

Défendeur :

Modz (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

M. Gilles, Mme Depelley

Avocats :

Me Cycman, Me Sexer, Me Lanciaux

T. com. Paris, du 19 nov. 2018, n° 20170…

19 novembre 2018

La société Davimar, exerçant sous l'enseigne " Bérénice '', est spécialisée dans la création et la commercialisation de vêtements de prêt-à-porter haut de gamme. La société Davimar fait l'objet d'une procédure de sauvegarde depuis le 23 novembre 2015.

La société Modz a pour objet la commercialisation, via son site internet, de produits invendus que lui confient des détaillants désireux de procéder à des liquidations de stocks à destination des consommateurs.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 16 juin 2016, la société Davimar met en demeure la société Modz de cesser la commercialisation des produits de la marque « Bérénice » sur son site internet, en raison de l'existence d'un réseau de distribution sélective, du fait que la société Modz n'est pas un distributeur agréé et que les prix proposés sur Modz.fr sont inférieurs à ceux appliqués par les membres dudit réseau.

Elle demande également à Modz de justifier de la provenance des vêtements.

Par acte du 22 février 2017 la société Davimar saisit le tribunal de commerce de Paris.

Par un jugement du 19 novembre 2018, ce tribunal:

- Rejette l'exception de nullité ;

- Se dit compétent;

- Dit les demandes de la SAS Davimar Enseigne "Bérénice" recevables ;

- Déboute la SAS DAVlMAR Enseigne "Bérénice" de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamne la SAS Davimar Enseigne "Bérénice" à payer à la SARL Modz la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- Condamne la SAS Davimar Enseigne "Bérénice" aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 77.84 € dont 12,76 € de TVA.

Par acte du 4 décembre 2018 la société Davimar interjette appel de cette décision.

Vu les dernières conclusions de la société Davimar, déposées et notifiées le 28 février 2019 par lesquelles elle prie la Cour de :

Vu l'article 46 du Code de procédure civile, Vu les articles L. 442-6-I-6 du Code de commerce

Vu les articles 1240 et suivants du Code civil,

Vu les pièces,

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité soulevée par la société Modz et jugé l'action de la société Davimar recevable,

ET STATUANT A NOUVEAU :

- Dire et Juger que la société Modz s'est approvisionnée illicitement en articles Bérénice,

- Dire et Juger que la société Modz a commis une faute délictuelle nécessitant réparation,

- Dire et Juger que la société Davimar a subi un préjudice en relation, directe, de cause à effet avec la faute commise par la société Modz,

En conséquence,

- Faire interdiction à la Société Modz de commercialiser tout modèle, quel qu'il soit, de la marque « Bérénice », sur le site Internet « Modz.Fr», sous astreinte comminatoire et définitive de 1 000 € par infraction constatée, à compter de la décision à intervenir,

- Condamner la Société Modz à réparer le préjudice subi par Davimar, en relation de cause à effet avec la faute qu'elle a commise, en allouant à la Société Davimar la somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts,

- Condamner la Société Modz à payer à la Société Davimar la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- La Condamner aux entiers dépens

Vu les dernières conclusions de la société Modz, notifiées et déposées le 27 mai 2019, par lesquelles elle demande à la Cour de :

A TITRE PRINCIPAL

Dire et Juger que les produits objets du présent litige ne sont pas identifiés ;

En conséquence :

Infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité et jugé l'action de la société Davimar recevable et, statuant à nouveau,

Prononcer la nullité de l'assignation.

A TITRE SUBSIDIAIRE

Dire et Juger que les produits objets du présent litige ne sont pas identifiés ;

En conséquence :

Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a dit les demandes de la société Davimar recevables et, statuant à nouveau,

Juger que les demandes de la société Davimar sont irrecevables

A TITRE ENCORE PLUS SUBSIDIAIRE

Dire et Juger que les courriers rappelés par la société Davimar dans son assignation ne sauraient être considérées comme étant des « diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige »

En conséquence :

Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en ce qu'il a dit les demandes de la société Davimar recevables et, statuant à nouveau,

Juger que les demandes de la société Davimar sont irrecevables

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE

Dire et Juger que la société Davimar n'apporte pas la preuve ni de l'existence ni de la licéité de l'accord de distribution sélective qu'elle invoque ;

Dire et Juger que le réseau invoqué n'est pas étanche ;

DIRE en conséquence qu'aucune faute ne peut être reprochée à la société Modz sur le terrain de l'article L. 442-6-I-6 du Code de commerce ;

DIRE que les griefs de concurrence déloyale et de parasitisme sont injustifiés et sans fondement ;

En conséquence

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Davimar de l'intégralité de ses demandes

EN TOUTES HYPOTHESES

Débouter la société Davimar de toutes ses demandes fins et conclusions ;

Condamner la société Davimar au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens en cause d’appel ;

SUR CE, LA COUR

Sur la nullité de l'assignation et la recevabilité des demandes

Modz soutient en premier lieu que l'assignation introductive d'instance n'est pas motivée, en fait.

Elle invoque à ce titre l'article 56 du Code de Procédure civile qui dispose que : « L'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice (...) L'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit ».

Elle fait valoir à cet égard que la cour d'appel de Versailles, par arrêt du 19 décembre 2002 a déclaré nulle l'assignation engagée par le titulaire de la marque, au motif que ce dernier n'avait apporté aucune indication quant aux modèles argués de contrefaçon, que le tribunal de grande instance de Paris a de même rejeté les demandes d'Hugo Boss sur le terrain à la fois de la contrefaçon et de la concurrence déloyale dans une affaire opposant Hugo Boss à Modz pour non identification précise des références (pièce n° 17 - Modz).

En l'espèce, elle dit que Davimar n'a jamais délivré la liste des références des articles litigieux et que le procès-verbal de constat d'huissier ne comportent que des captures d'écran avec des mentions superposées et illisibles.

Elle soutient qu'en n'identifiant pas précisément les produits dont la vente aurait été faite en violation du réseau, Modz n'est pas en mesure de remonter vers les détaillants concernés peut-être autorisés par Davimar à vendre ses produits sur internet et de se défendre.

Mais, la demande présentée par Davimar aux termes de son assignation, vise l'ensemble des modèles de la marque « Bérénice » vendus sur le site modz.fr au jour de l'assignation et il est produit un procès-verbal de contat d'huissier du 17 juin 2016 constatant la mise en vente de produits Bérénice sur le site Modz.fr. Les articles en cause sont donc identifiables, étant observé que le fondement de la demande n'est pas une action en contrefaçon, mais une action en violation d'un réseau de distribution sélective ainsi qu'une action en concurrence déloyale et parasitisme.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'assignation.

Modz soutient en second lieu que Davimar a manqué à son obligation de tenter de régler le litige à l'amiable, avant de saisir la justice.

Elle fait valoir à cet égard que concernant sa demande de transmission des produits dont Davimar entend s'assurer de l'origine licite ainsi que sa demande de preuve de la licétité du réseau (sa pièce n° 4), Davimar a uniquement fait parvenir ses CGV et ses contrats-types et que sa nouvelle demande (sa pièce n° 6) est restée sans réponse.

Mais, ainsi que l'a justement retenu le tribunal, il résulte à suffisance de la mise en demeure que Davimar a adressé à Modz et des échanges entre les parties, une tentative de résoudre aimablement le litige.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté cette fin de non-recevoir.

Sur l'approvisionnement illicite en produits Bérénice auprès de revendeurs mulimarques Davimar soutient que :

- le revendeur qui s'approvisionne, en pleine connaissance de cause, auprès d'un distributeur agréé, contractuellement tenu par une interdiction de vente à un autre professionnel hors réseau, participe à la violation de cette obligation, violation dont il se rend ainsi complice (Cass.com., 4 juillet 2006),

- les juridictions compétentes ont retenu, à plusieurs reprises, une présomption de condition illicite d'approvisionnement, à l'encontre de revendeurs, faisant partie d'un « système parallèle », dès lors qu'ils n'appartiennent pas au réseau officiel,

- Modz a refusé de lui communiquer la provenance des articles mis en vente sur son site internet, afin selon elle, que les détaillants qui lui confient la marchandise ne soient pas sanctionnés de façon illégitime,

- par ce refus, Modz a avoué, expressément, être co-auteur de l'infraction alléguée, infraction à laquelle elle apporte son concours actif et décisif,

- la responsabilité de la société Modz ne peut être écartée dès lors qu'elle met à la disposition de revendeurs un site internet dont l'objet est d'écouler de la marchandise pour laquelle ses mandants ne justifient d'aucune autorisation de vente et qu'elle tire des profits de cette activité illicite.

Mais, ainsi que l'a retenu le tribunal, l'approvisionnement de Modz ne revêt pas un caractère illicite au regard de son rôle de mandataire pour le compte des détaillants, n'acquérant pour son compte aucun produit auprès de ces derniers ainsi qu'il résulte de l'article 3.2 de ses conditions générales de vente selon lequel « Modz » n'est en aucun cas revendeur des articles et assure simplement la mise en relation des acheteurs et « vendeurs » (sa pièce 9).

La circonstance que Modz ait fait part de son souci que « les détaillants qui lui confient la marchandise ne soit pas sanctionnés de façon illégitime » ne saurait valoir en aucune manière reconnaissance par l'intéressée de sa qualité de co-auteur de l'infraction.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la violation de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce

- Sur le réseau de distribution de la société Davimar

L'article L. 442-6, I, 6° du code de commerce dispose dans sa rédaction applicable à la cause, que :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

(...) De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ».

Davimar soutient que son réseau est composé de magasins en propre, en franchise et en affiliation comme en attestent les contrats passés avec ses distributeurs, paraphés et signés par ces derniers avant 2016, de sorte qu'elle établit la mise en place d'un réseau de distribution sélective.

Modz rétorque que l'article L. 442-6, I, 6° du code de commerce s'applique lorsque 4 conditions cumulatives sont remplies :

- il existe un accord de distribution

- cet accord de distribution est exempté (il est donc licite)

- cet accord interdit la revente hors réseau (il est donc étanche)

- une revente hors réseau a été faite par un tiers, non membre du réseau

Elle dit que Davimar ne rapporte pas la preuve de l'existence de son réseau, faisant valoir que les documents produits sont antérieurs aux faits, vierges de signature ou non à jour. Elle ajoute qu'en tout état de cause le réseau de Davimar n'est pas étanche et que la preuve du caractère licite de son réseau n'est pas rapportée par Davimar.

Sur ce, la Cour observe que Davimar produit devant elle, outre des contrats-types non datés de franchise, distribution, commission et franchise internationale (ses pièces 10 à 13), un contrat de commission du 13 décembre 2016, un contrat international de franchise en anglais du 23 novembre 2014, un contrat de distribution du 29 décembre 2016, un contrat de franchise à Caen daté du 25 novembre 2009, un contrat de distribution exclusive non daté avec une société libanaise sur le territoire du Liban, enfin un contrat-cadre annuel d'achat de marchandises 2017 avec la société La Redoute.

C'est justement que le tribunal a retenu que les contrats de distribution exclusive conclus pour des territoires à l'étranger n'étaient pas utiles à la démonstration de l'existence d'un réseau de distribution sélective en France, lieu d'exécution des faits allégués.

Or, parmi les contrats conclus en France, seul le contrat de franchise conclu à Caen est antérieur à la date de la mise en demeure adressée par Davimar à Modz le 16 juin 2016.

Ce seul contrat ne peut suffire à établir l'existence d'un réseau de distribution sélective de Davimar au moment des faits litigieux.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu que la preuve d'une violation de l'article L. 442-6, I, 6° du code de commerce n'était pas rapportée. Il n'y a dès lors pas lieu de rechercher l'existence d'une étanchéité du réseau.

Sur les autres demandes

La société Davimar qui échoue à démontrer que les agissements de la société Modz à son égard sont fautifs et condamnables, ne démontre pas davantage les actes de concurrence déloyale et de parasitisme qu'elle impute à la société Modz.

Elle est en conséquence déboutée de ses demandes de dommages-intérêts et d'interdiction de commercialiser les produits de la marque Bérénice.

La société Davimar, partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel, déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer la somme de 8 000 € à la société Modz sur ce dernier fondement.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- rejeté l'exception de nullité ;

- dit les demandes de la SAS Davimar Enseigne "Bérénice" recevables ;

- débouté la SAS Davimar Enseigne "Bérénice" de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la SAS Davimar Enseigne "Bérénice" à payer à la SARL Modz la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; ;

- Condamne la SAS Davimar Enseigne "Bérénice" aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquides à la somme de 77.84 € dont 12,76 € de TVA ;

Y ajoutant

Déboute la société Davimar de ses demandes, notamment celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens d'appel et à payer à la société Modz la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.