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Décisions

CA Angers, 1re ch., 17 février 1992, n° 1755/90

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Alexandre Turpault (SA)

Défendeur :

Société nouvelle Maret

CA Angers n° 1755/90

17 février 1992

La société anonyme Alexandre TURPAULT a interjeté appel d'un jugement du Tribunal de grande instance d'ANGERS du 21 mai 1990 qui a rejeté les demandes qu'elle avait formées contre la société NOUVELLE M1REf et l'a condamnée à payer à celle-ci la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 4 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle demande à la Cour

-  de prononcer l'annulation de la marque "CREATIQJ MMREF CHOLET FRANCE" déposée le 22 mars 1983 par la société MARE Fils, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société NOU­VELLE MMREr, et ce en vertu des dispositions de l'article 3 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1964;

-  d'interdire à la société NOUVELLE MAREr toute uti­lisation de quelque nature qu'elle soit de l'appellation d'ori­gine CHOLET, ou toute appellation de nature à créer avec celle-ci une confusion, pour des articles ne répondant pas aux cri­tères de cette appellation, et ce sous astreinte définitive de 1 000 F par jour de retard et par infraction constatée à compter de la date de signification de l'arrêt à intervenir;

-  de condamner la société NOUVELLE MAREI à lui payer

à titre de dommages-intérêts la somme de 200 000 F avec intérêts

au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir,

-  d'ordonner la publication du dispositif de l'arrêt

à intervenir dans trois journaux au choix de la société Alexandr

TURPAULT et aux frais de la Société NOUVELLE M4REf, le montant

de chaque insertion ne pouvant toutefois excéder la somme de

5 000 F;

-  de condamner la société NOUVELLE M1REf à lui payer la somme de 10 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle fait valoir au soutien de son appel :

-   que l'appellation "Mouchoirs, toiles ou tissus de CHOLET" est une appellation d'origine, reconnue au plan judi­ciaire depuis un arrêt de la Cour d'appel d'ANGERS du 17 novembre 1936 ; qu'elle a été confirmée depuis lors sur le plan réglementaire puisqu'elle figure notamment dans le texte d'un accord franco-allemand du 8 mars 1960 (décret n° 61-547 du 26 mai 1961);

-  que la société TURPAULT est recevable à agir en vertu des. dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964, en vertu desquelles ne peuvent être considérées comme marques celles "... qui comportent des indications propres à tromper le public" • que ces marques dites déceptives sont ainsi ent&chées de nullité absolue ; que la société TURPAULT est éga­lement recevable à agir en vertu des dispositions de l'article ter de le loi du 6 mai 1919, modifiée par la loi du 6 juillet 1966, en Vertu desquelles "toute personne qui prétendra qu'une appellation d'origine est appliquée à son préjudice direct ou indirect Ot contre son droit à un produit naturel ou fabriqué, et contrairement à l'origine de ce produit ou à des usages locaux loyaux et constants, aura une action en justice pour fair interdire, l'usage de cette appellation" ; que la société TURPAUL justifie flue les tissus qu'elle fabrique répondent aux exigences de l'appellation d'origine CHOLET ; qu'elle a intérêt à faire interdire toute usurpation et est recevable à agir en justice à cette fin:

-   que les articles commercialisés par la Société NOUVELLE MARET ne répondent pas aux exigences de l'appellation d'origine "CFDLET"t

-  que l'intégration dans une marque de l'indication de lieu "CHOLET" est de nature à laisser penser au public, non pas seulement que la société MARET a son siège à CiOLET, mais surtout que ses fabrications méritent l'appellation d'origine "CHOLET":

qu'en agissant à l'encontre de la Société NOUVELLE MARET, la:société TURPAULT n'a fait qu'exercer légitimement le droit quLest le sien du fait qu'elle respecte les exigences de l'appellation d'origine abusivement utilisée par la société NOUVELLE MARErt

La société NOUVELLE MARET fait valoir pour sa part :

que l'action de la société TURPAULT ne repose pas sur un intérêt légitime juridiquement protégé, celle-ci se ven­geant, par sa procédure, pour n'avoir pas été agréée par le tribunal de commerce d'ANGERS carre repreneur de la société MARE qui avait déposé son bilan, et n'ayant eu,cesse de "torpiller" la reprise de la société NOUVELLE MARET:

que la marque utilisée, "CREATION MARET CFDLET FRANC. ne se réfère en rien aux "MOUCHOIRS" ou "TISSUS DE CFDLET

-   que la société TURPAULT n'invoque aucune marque quelconque au soutien de son action qui tend à interdire à autr d'utiliser l'ensemble constituant une marque régulièrement dé­posée "CREATION MARET CHOLET FRANCE", au prétexte qu'on peut y lire "CHALET ;

-   que l'appellation d'origine "MOUCHOIRS DE CHALET" en tant que telle n'est pas susceptible d'appropriation par un particulier ; que la société TURPAULT est irrecevable à s'en emparer pour les besoins de sa procédure dès lors qu'elle ne peut pas en être propriétaire ;

-  que la société NOUVELLE MARET n'a jamais utilisé l'appellation d'origine MOUCHOIRS DE CHALET";

-   que la marque qu'elle exploite, pour l'avoir acquis dans la liquidation judiciaire de la société MARET, et dénommée "CREATION MARET CHALET FRANCE", n'est ni concurrentielle de l'appellation "MOUCHOIRS DE CHALET", ni déceptive pour le consommateur ; qu'il n'y a ni erreur ni tromperie à utiliser cette marque, qui recouvre sa fabrication, sa création origi­nale, le siège local et le pays de son établissement qui abrite aussi les 95 % de la valeur ajoutée du produit, et que s'il y avait eu tromperie ou infraction à la loi des marques, l'on pourrait s'étonner qu'aucune poursuite pénale ou administrative n'ait été engagée ou suggérée par la société TURPAULT au titre de la loi du 1er août 1905;

-  à titre subsidiaire, qu'il ne peut y avoir aucune confusion entre l'appellation d'origine 'MOUCHOIRS DE CHALET" et la marque commerciale dont elle est propriétaire ; qu'il n'a nullement prétendu auprès de sa clientèle qu'il s'agirait de "MOUCHOIRS DE CHALET", alors au surplus que la présentation mémo de l'emballage ne permet aucun amalgame ni confusion à ce sujet:

-  qu'au surplus, la plus grande partie de ce produit est réalisée dans la région choletaise;

-  que la société TURPAULT affirme que tout le proces­sus de sa fabrication se fait à CHALET, mais qu'elle a comm nigi un article de presse qui signale deux opérations ayant lieu à l'extérieur, le blanchiment des pièces tissées qui s'effectue à la Godinière et les broderies qui se font à Saint Michel Mont Mercure.

En conséquence la Société NOUVELLE MARET demande à la Cour de confirmer le jugement déféré et de condamner la société TURPAULT à lui payer la somme de 8 000 F de dommages et intérêt: pour appel abusif et à dessein de nuire et celle de 12 000 F pour frais irrépétibles en appel.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il n'est pas contesté par la Société NOUVELLE MARET que l'appellation 'Tbuchoirs, toiles, tissus de CHOLET" soit une appellation d'origine reconue au plan judiciaire par l'arrêt de la Cour d'appel d'ANGERS du 17 novembre 1936.

Le jugement du Tribunal de CHOLET, en date du 8 janvie 1936, confirmé per l'arrêt du 17 novembre 1936, a justifié cette appellation d'origine par le fait que les produits textiles fabriqués par les industriels de la région de CHOLET et qui jouissaient d'une renommée remontant au XVIIÔ siècle devaient leurs qualités aux conditions dans lesquelles était effectué le blanchiment, étape indispensable dans la fabrication des toiles et tissus, le blanc de CHOLET devant ses qualités à l'eau em­ployée, qui constitue un produit direct du sol, est de première qualité pour le blanchissage et n'a pas son équivalent dans une autre région, et au système de séchage sur le pré dans des conditions de sol, de climat et d'humidité spéciales.

La société TURPAULT justifie qu'elle effectue à CFDLEI le tissage des produits textiles qu'elle utilise pour la fabri­cation de, ses produits et que son usine de blanchiment des tissus, située é CHOLET, au lieudit "La Godiniére",est alimen­tée par l'eau d'un étang se trouvant à quelques centaines de mètres des bâtiments de l'usine.

Elle remplit donc les conditions définies par l'arrêt susvisé peur se prévaloir de l'appellation d'origine TOILES Er TISSUS DE CHOLET.

Elle a ainsi un intérêt légitime juridiquement protégé à faire interdire, par une action en justice, l'usage de l'ap­pellation d'origine qu'elle prétend appliquée â son préjudice direct ou indirect et contre son droit, action qui lui est reconnue par l'article Ter de la loi du 6 mai 1919 modifié par l'article, ler de la loi n° 66-482 du 6 juillet 1966.

De même prétendant que la marque "CRÉATION MARET CHOLET FRSNCE" ne peut être considérée comme marque en tant que comportant des indications propres â tromper le public, et ce en vertu des dispositions de l'article 3 de la loi n° 64-1360 du 31 déc re 1964, elle est recevable, came y ayant un inté­rêt, à faire déclarer la nullité de la marque, s'agissant d'une nullité absolue pouvant être invoquée par toute personne y ayant intérêt.

La société NOUVELLE MARET indique dans ses conclusions que la plus grande partie de son produit est réalisée dans la région choletaise, c'est â dire :

1) la teinture du coton écru é Saint Laurent sur Sevre par la société -SUC TOILE DE CHOLET,

2) l'impression à Saint Léger Sous Cholet aux établis­sements RICHIER,

3) la finition, la coupe et l'ourlage par des ouvrière à domicile de CHOLET,

4) enfin, la manutention, soit le repassage, le pliage et l'emboitage par des ouvrières é domicile de CHOLET.

Il ressort de ces indications que la phase principale de la fabrication, qui confère aux produits le droit é l'appel­lation "TISSUS DE CHOLET", à savoir le blanchiment des produits tissés, n'est pas effectué dans la région de CHOLET.

La société TURPAULT a fait pratiquer, le 20 mars 1969# un constat qui a mis en évidence qu'il n'y avait aucune activité de tissage dans les locaux de la société MARET et que l'activitÉ de cette société était constituée d'opérations d'import-export d'articles tels que mouchoirs,. serviettes, torchons, nappes, services de table, tabliers, de création des modèles et d'opé­rations de finition et de conditionnement.

Les produits de la Société NOUVELLE MARET ne répondent donc pas aux conditions fixées par l'arrêt susvisé pour béné­ficier de l'appellation d'origine "TISSUS DE CHOLET".

Ladite société fait valoir que la marque qu'elle uti­lise ne se réfère pas aux "MOUCHOIRS" ou aux "TISSUS DE CHOLET", appellations qu'elle n'a Jamais utilisées, et qu'elle n'est pas déceptive.

Cependant, dès lors que les produits commercialisés par la société NOUVELLE HARET ne sont pas susceptibles de béné­ficier de l'appellation d'origine 'MOUCHOIRS, TOILES, TISSUS DE CHOLET", l'incorporation dans la marque du nom géographique "CHOLET", indicatif d'une provenance, crée une confusion trom­peuse dans l'esprit du public.

La marque "CREATIOV HARET CHOLET FRANCE" est ainsi entâchée d'un vice de déceptivité qui ne peut être couvert par aucun usage.

Cette marque ne peut être utilisée pour désigner ou pour commercialiser un produit n'ayant pas droit à l'appellation d'origine 'MOUCHOIRS, TOILES, TISSUS DE CHOLET".

Il convient donc la déclarer nulle.

Il y a lieu également d'interdire à la société NOU­VELLE MARET toute utilisation de quelque nature quelle soit de l'appellation d'origine "CHJLET" ou de toute appellation de nature à créer avec celle-ci une confusion, pour des articles ne répondant pas aux critères de cette appellation, et ce sous astreinte provisoire de 1 000 F par infraction constatée à compter de la date de signification du présent arrêt.

L'utilisation par la société NOUVELLE MARET de la marque déclarée nulle a engendré pour la société TURPAULT un principe de préjudice.

Cependant cette dernière société ne fournit aucun élément permettant d'en chiffrer la réparation.

Il convient donc de la débouter en l'état de sa demande de dommages-intérêts.

Il sera par contre fait droit à sa demande tendant à ce que soit ordonnée la publication du dispositif du présent arrêt dans trois journaux à son choix et aux frais de la société NOUVELLE MARET, le coût de chaque insertion ne pouvant excéder la somme de 5 000 F.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société TURPAULT les frais non inclus dans les dépens qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits. En conséquence, la société NOUVELLE MARET sera condamnée à lui payer la somme de 10 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société NOUVELLE MARET sera déboutée de toutes ses demandes.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, Et infirmant le jugement déféré,

Annule la marque "CREATION MARET CFOLET FRANCE" dépo­sée le 22 mars 1983 par la société MARET Fils, aux droits de laquelle se trouve la société NOUVELLE MARET, et ce en vertu des dispositions de l'article 3 alinéa 2 de la lai du 31 décembre 1964

Interdit à la Société NOUVELLE MARET toute utilisation de quelque nature qu'elle soit de l'appellation d'origine "CIOLET" ou de toute appellation de nature à créer avec celle-ci une confusion, pour des articles ne répondant pas aux critère de cette appellation, et ce sous astreinte provisoire de 1 000F par infraction constatée à compter de la date de signification du présent arrêt ;

Déboute en l'état, la société Alexandre TURPAULT de sa demande en paiement de 200 000 F de dommages-intérêts ;

Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt dans trois journaux au choix de la société Alexandre TURPAULT et aux frais de la Société NOUVELLE MARET, le montant de chaque insertion ne pouvant excéder la somme de 5 000 F ;

Condamne la société NOUVELLE MARET à payer à la so­ciété Alexandre TURPAULT la somme de 10 000 F en vertu des dis­positions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Déboute la société NOUVELLE MARET de toutes ses demandes ;

Condamne la société NOUVELLE MARET aux dépens de première instance et d'appel ; autorise la SCP CHATTEL.EYN et GEORGE, avoués, à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.