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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 2 novembre 2021, n° 20/00411

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Socobois (SAS), Dumaplast Nv (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mehl-Jungbluth

Conseillers :

Mme Maussire, Mme Mathieu

T. com. Troyes, du 24 janv. 2020

24 janvier 2020

Au cours du mois de mai 2012, l'EURL C. D. a réalisé des travaux de pose d'une terrasse en lames composites au domicile de M. et Mme G..

Ceux-ci ont constaté une déformation des extrémités des lames entraînant l'arrachage des fixations.

Ces lames avaient été fournies par la SAS Socobois et fabriquées par la société Dumaplast, société de droit belge.

Par acte d'huissier du 6 avril 2016, l'EURL C. D. a saisi le tribunal de commerce de Troyes aux fins avant dire droit de voir réaliser une expertise judiciaire et au fond, à titre principal, de juger que la SAS Socobois et la société Dumaplast ont manqué à leur obligation de délivrance conforme et à titre subsidiaire de juger que les lames vendues par la SAS Socobois et fabriquées par la société Dumaplast présentent un vice caché les rendant impropres à leur destination.

Par jugement du 30 janvier 2017, il a été fait droit à la demande d'expertise et M. B. a été désigné pour y procéder.

Il a été remplacé par M. A..

Celui-ci a déposé son rapport le 27 avril 2019.

Par jugement du 24 janvier 2020, le tribunal a débouté l'EURL C. D. de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.

Par déclaration reçue le 2 mars 2020, l'EURL C. D. a formé appel de ce jugement.

M. et Mme G. ont été assignés en intervention forcée à l'initiative de l'appelante.

Par ordonnance du 23 mars 2021, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables l'intervention forcée de M. et Mme G. ainsi que la demande de sursis à statuer formée par l'EURL C. D..

Par conclusions notifiées le 11 août 2021, l'appelante demande à la cour :

- de la déclarer recevable en son appel,

- de la juger bien fondée en ses demandes,

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il l'a déclarée recevable en ses demandes,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- de juger que la SAS Socobois et la société Dumaplast ont manqué à leur obligation de délivrance conforme,

A titre subsidiaire,

- de juger que les lames composites vendues par la SAS Socobois et fabriquées par la société Dumaplast présentent un vice caché les rendant impropres à leur destination,

En tout état de cause,

- de condamner solidairement la SAS Socobois et la société Dumaplast à réparer les dommages subis par l'EURL C. D. du fait des désordres qui s'établissent comme suit :

 préjudice matériel :

- mise en sécurité : 360 euros ttc

- reprise intégrale des désordres : 14 441,59 euros ttc

 préjudice de jouissance : 8 000,00 euros

 préjudice moral : 10 000,00 euros

soit un total de : 32 801,59 euros

- de condamner solidairement la SAS Socobois et la société Dumaplast à verser à l'EURL C. D. la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance et la somme de 2 500 euros au titre de la procédure d'appel,

- de les condamner solidairement aux dépens en ce compris les frais d'expertise, avec recouvrement direct.

Par conclusions notifiées le 3 février 2021, la SAS Socobois demande à la cour :

A titre principal,

- de juger irrecevable l'intervention forcée des époux G. et subsidiairement de juger irrecevables les demandes formées par les époux G. contre la société Socobois,

- de déclarer la société C.D. mal fondée en son appel et l'en débouter,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement,

- de condamner la société C.D. au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

Subsidiairement,

- de condamner la société Dumaplast à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre,

- de débouter les parties du surplus de leurs demandes,

- de condamner la société Dumaplast au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions notifiées le 21 juin 2021, la société Dumaplast demande à la cour :

A titre principal :

- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire :

- de déclarer irrecevables car prescrites sur le fondement de la garantie des vices cachés les demandes des sociétés C. et Socobois à l'encontre de la société Dumaplast,

A titre très subsidiaire :

- de débouter les sociétés C. et Socobois de leurs demandes à l'encontre de la société Dumaplast,

A titre infiniment subsidiaire :

- d'évaluer à de plus justes proportions le préjudice de la société Dumaplast,

- de limiter la condamnation de la société Dumaplast à la somme de 23 727,76 euros en tenant compte des sommes allouées dans le cadre du litige mené par la société Solution Bois,

En tout état de cause :

- de condamner in solidum les parties succombantes à payer à la société Dumaplast la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner in solidum les parties succombantes aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

L'intervention forcée des époux G. :

L'incident a été tranché par ordonnance du 23 mars 2021 rendue par le conseiller de la mise en état qui a déclaré cette intervention irrecevable.

Il n'y a donc plus lieu pour la cour de statuer sur ce point.

La non-conformité des lames composites :

L'article 1604 du code civil dispose que la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.

Dans ce cadre, le poseur d'un élément qui ne remplit pas l'usage que ce professionnel est en droit d'en attendre peut agir contre le vendeur et contre le fabricant pour voir consacrer leur manquement à l'obligation de délivrance, la notion de conformité ou de non-conformité étant inhérente à cette obligation.

La conformité peut être matérielle ou fonctionnelle.

Dans le cas où elle est fonctionnelle, elle s'entend de l'aptitude de la chose vendue à remplir l'usage auquel on la destine.

La non-conformité s'apprécie par référence aux spécifications contractuelles et le bien vendu doit présenter les qualités et les caractéristiques que l'acquéreur est en droit d'attendre, de sorte qu'il y a lieu de s'attacher à l'usage qu'il recherche.

En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise judiciaire dressé par M. A. que les lames livrées par la société Socobois sur le chantier réalisé par l'EURL C. D. pour constituer une terrasse dans la propriété de M. et Mme G. étaient de deux types différents ; qu'après analyse du montage des lames, l'expert a constaté qu'un profil (le profil 1) ne provoquait pas de déformations et que l'autre profil (le profil 2) était en revanche à l'origine des déformations des lames composites ayant servi à la construction de la terrasse.

M. A. a exclu toute responsabilité de l'EURL C. D., la pose des lames n'étant pas en cause.

L'expert a précisé que l'origine des désordres, dont la responsabilité incombe exclusivement à la société Dumaplast, provient de la mauvaise qualité des lames de profil 2 qui, avant d'être commercialisées, n'ont pas été testées pour résister aux aléas climatiques et aux variations de température nécessaires et ainsi s'assurer que le produit fabriqué serait stable dans le temps.

Il n'est pas davantage contestable que l'EURL C. D. se fournissait régulièrement auprès de la société Socobois, elle-même se fournissant auprès de son fabricant, la société Dumaplast, et qu'elle était en droit d'attendre que les lames remplissent l'usage auquel il était destiné.

Il s'en est suivi une diminution, voire une impossibilité d'usage (l'utilisation de la terrasse est devenue dangereuse) qui n'a été révélée qu'en novembre 2012, soit plusieurs mois après la pose.

Les conditions pour se prévaloir de la non-conformité fonctionnelle des lames étant réunies, l'EURL C. D. est légitime à agir à titre principal sur le fondement de la non-conformité du produit qu'elle a acquis à la fois contre son fournisseur, la société Socobois, et contre le fabricant, la société Dumaplast, à l'encontre de laquelle elle dispose d'une action directe qui se transmet avec la chose.

A cet égard et contrairement à ce que soutient la société Socobois, l'EURL C. D., même en étant professionnelle, ne pouvait détecter à l'oeil nu la différence entre les deux profils de lames puisque celle-ci ne s'est révélée qu'avec l'apparition des désordres.

Enfin, c'est à tort que la société Dumaplast entend voir imposer à l'appelante d'agir sur le fondement de la garantie des vices cachés pour laquelle elle invoque la prescription alors que les conditions posées pour agir sur le fondement de la non-conformité fonctionnelle du produit sont réalisées et que l'EURL C. D. peut ainsi s'en prévaloir à titre principal.

Le tribunal de commerce ne s'étant pas prononcé sur ce point, il convient de dire que les lames composites posées par l'EURL C. D. composant la terrasse de M. et Mme G. ne sont pas conformes et que ni la société Socobois ni la société Dumaplast n'ont respecté l'obligation de délivrance qui leur incombait.

Les préjudices :

Aux termes de l'article 1611 du code civil, dans tous les cas, le vendeur doit être condamné aux dommages et intérêts, s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur, du défaut de délivrance au terme convenu.

Le préjudice doit être personnel pour celui qui en demande l'indemnisation et nul ne peut porter une demande indemnitaire pour le compte d'autrui.

Le préjudice matériel (mise en sécurité et reprise intégrale des désordres) et le préjudice de jouissance :

La situation dans laquelle se trouve l'EURL C. D. pour agir est singulièrement atypique dans la mesure où ce ne sont pas les propriétaires de la terrasse objet des désordres qui agissent contre le poseur, le fournisseur et le fabricant des lames mais le poseur qui agit contre le fournisseur et le fabricant pour solliciter l'indemnisation de préjudices qui sont subis non par l'appelante mais par M. et Mme G..

En effet, tant le préjudice matériel constitué par la reprise intégrale des désordres (360 euros + 14 441,59 euros ttc) que le préjudice de jouissance demandé à hauteur de 8 000 euros pour une privation de l'usage de l'intégralité de la terrasse (sic) sont des préjudices qui ne sont pas personnels à l'EURL C. D..

En réalité, il ressort de la lettre d'intention versée aux débats par l'appelante (sa pièce n° 11) que le poseur, qui comptait être indemnisé dans le cadre de cette procédure, s'engageait ensuite à remettre les sommes obtenues à M. et Mme G. et qu'à défaut d'indemnisation, ceux-ci conservaient la liberté de saisir la juridiction compétente afin d'obtenir des dommages et intérêts.

Ni cette lettre d'intention du 17 octobre 2019 ni le fait qu'ils aient finalement décidé d'agir récemment pour leur compte devant le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne ne permettent d'échapper à la règle intangible suivant laquelle un préjudice, pour pouvoir être indemnisé, doit être personnel à celui qui le réclame et que nul ne peut solliciter la réparation d'un préjudice qui a été en réalité subi par un tiers, sauf cas de représentation légale et de subrogation qui sont étrangères au litige.

C'est par conséquent à juste titre que la société Socobois et la société Dumaplast opposent à l'EURL C. D., qui ne peut pas davantage justifier avoir indemnisé ses clients, le fait que les préjudices ayant été subis par les propriétaires de la terrasse, elle ne peut en solliciter la réparation à leur place ; la décision sera par conséquent confirmée en ce qu'elle a été déboutée de ses demandes à ce titre.

Le préjudice moral :

L'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Comme en première instance, l'EURL C. D. sollicite l'indemnisation du préjudice moral qu'elle dit avoir subi en raison de la mauvaise publicité que ce litige lui a faite et des désagréments liés à la procédure.

Bien qu'elle ait été déboutée de cette demande pour absence de justificatifs, elle ne produit aucune pièce à hauteur d'appel susceptible de démontrer que le sinistre né de l'apparition de désordres dont elle n'est au demeurant pas responsable lui ait causé un quelconque préjudice en terme d'image de son entreprise.

S'agissant des désagréments liés à la procédure, le préjudice est indemnisé le cas échéant au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

C'est par conséquent à juste titre que le tribunal a débouté l'EURL C. D. de sa demande indemnitaire à ce titre et la décision sera également confirmée sur ce point.

La société Socobois n'étant pas condamnée, la garantie de la société Dumaplast est sans objet.

L'article 700 du code de procédure civile :

La décision sera confirmée.

Succombant en son appel, l'EURL C. D. ne peut prétendre à une indemnité à ce titre.

L'équité commande en revanche qu'il soit alloué à chacune des intimées la somme de 1 000 euros au paiement de laquelle l'EURL C. D. sera condamnée.

Les autres demandes seront rejetées.

Les dépens :

La décision sera confirmée.

L'EURL C. D. sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés directement au profit de Maître V., avocat de la société Dumaplast, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;

Dit que les lames composites posées par l'EURL C. D. sur la terrasse de M. et Mme G. ne sont pas conformes et que ni la société Socobois ni la société Dumaplast n'ont respecté l'obligation de délivrance qui leur incombait.

Pour le surplus, confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Troyes.

Y ajoutant ;

Déboute l'EURL C. D. de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne l'EURL C. D. à payer à chacune des intimées, la société Socobois et la société Dumaplast, la somme de 1 000 euros à ce titre.

Condamne l'EURL C. D. aux dépens avec recouvrement direct au profit de Maître V., avocat de la société Dumaplast, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.