CA Angers, ch. civ. a, 2 novembre 2021, n° 17/00806
ANGERS
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Thouzeau
Conseillers :
Mme Muller, Mme Reuflet
Exposé du litige
Le 18 juillet 2013, M. Patrick N. a passé commande d'un véhicule Triumph Dolomite auprès de la société A2v vintage motors classic, pour la somme de 8 000 euros. Le 7 août 2013, une déclaration de cession de véhicule a été signée entre le vendeur M. Patrice W. et l'acheteur M. Patrick N..
Après avoir parcouru environ 200 km, le véhicule a dégagé de la fumée et a été immobilisé.
Une expertise amiable a été organisée les 18 décembre 2013 et 7 avril 2014, sans la présence de la société A2v vintage motors classic et de M. Patrice W.. Le rapport d'expertise déposé le 10 avril 2014 mentionne divers désordres.
Suivant lettre recommandée datée du 2 juin 2014, M. Patrick N. a proposé à M. W. la résolution de la vente.
En l'absence de réponse à sa proposition, par acte d'huissier du 26 novembre 2014, M. Patrick N. a saisi le juge des référés et, par ordonnance du 15 avril 2015, une expertise judiciaire a été confiée à M. V..
Le rapport d'expertise déposé le 16 octobre 2015 a confirmé l'existence des désordres relevés par l'expertise amiable.
Suivant acte d'huissier du 17 mars 2016, M. Patrick N. a assigné M. Patrice W. devant le tribunal de grande instance du Mans, aux fins de voir prononcer la résolution du contrat et condamner M. W. à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de la restitution du prix, outre celle de 3 000 euros en réparation de ses préjudices.
Par jugement du 15 février 2017, le tribunal a :
- débouté M. Patrick N. de sa demande de résolution de vente conclue entre lui et M. Patrice W. le 7 août 2013,
- débouté M. Patrick N. de l'ensemble de ses demandes accessoires,
- condamné M. Patrick N. aux entiers dépens de l'instance qui comprendront les frais de référé et d'expertise judiciaire.
Pour se déterminer ainsi, le tribunal a relevé que selon le rapport d'expertise judiciaire, le véhicule présente des critères d'extrême dangerosité à l'utilisation et met en danger ses occupants comme les autres usagers de la route et que les désordres constatés sont antérieurs à la cession du véhicule. Il en déduit que le véhicule présentait des défauts au moment de la vente, rendant celui-ci impropre à l'usage auquel il est destiné.
Il ajoute qu'en ce qui concerne le caractère caché des désordres, le contrôle technique mentionnait expressément des éléments inquiétants s'agissant de l'état du véhicule que M. Patrick N. s'apprêtait à acquérir et qu'un acheteur, même non professionnel, ne pouvait ignorer qu'il faisait l'acquisition d'un véhicule en très mauvais état et dont certains éléments présentaient un caractère dangereux.
S'agissant des difficultés relatives au modèle du véhicule, il a considéré qu'elles constituaient des non-conformités contractuelles sanctionnées au titre de l'article 1604 du code civil, et non des vices cachés.
Il a décidé en conséquence que le caractère caché des désordres au moment de la vente n'était pas rapporté.
Par déclaration du 14 avril 2017, M. Patrick N. a interjeté appel total de la décision précitée.
Suivant acte d'huissier du 17 juillet 2017, M. Patrick N. a donné assignation à M. W. de comparaître devant la cour d'appel d'Angers.
L'appelant a régulièrement conclu.
L'intimé, assigné en l'étude de l'huissier par acte en date du 17 juillet 2017 contenant dénonce de la déclaration d'appel et des conclusions de l'appelant suite à l'avis reçu du greffe par ce dernier le 10 juillet 2017 d'avoir à procéder par voie de signification en application de l'article 902 du code de procédure civile, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 septembre 2019.
L'affaire a été retenue à l'audience du 14 septembre 2020.
Par arrêt du 12 janvier 2021, la cour d'appel d'Angers a ordonné la réouverture des débats, la cour n'ayant pas été en mesure de délibérer dans la composition qui était la sienne lors des débats de l'audience du 14 septembre 2020, et a renvoyé l'affaire à l'audience du 10 mai 2021.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile aux dernières conclusions du 10 juillet 2017 pour M. Patrick N. qui peuvent se résumer comme suit.
M. Patrick N., appelant, demande à la cour, sur le fondement des articles 1641 et suivants et 1604 et suivants du code civil, de :
- le dire recevable et fondé en son appel du jugement du tribunal de grande instance du Mans en date du 15 février 2017,
- infirmer cette décision en toutes ses dispositions,
Vu le rapport d'expertise judiciaire du 16 octobre 2015,
- le juger recevable et fondé en son action en garantie des vices cachés à l'encontre de M. Patrice W.,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que M. Patrice W. n'a pas respecté son obligation de délivrance conforme à son égard,
En tout état de cause,
- prononcer la résolution de la vente par M. Patrice W. du véhicule Triumph immatriculé AM 556 TY ;
- condamner M. Patrice W. à lui verser :
au titre de la restitution du prix de vente : 8 000 euros,
en réparation de ses préjudices : 5 000 euros,
soit un total de : 13 000 euros,
- condamner M. Patrice W. à lui verser une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. Patrice W. aux dépens de première instance et d'appel, lesquels incluront les frais de référé et d'expertise judiciaire, le tout avec le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP P. C. M..
Il soutient que certains désordres n'avaient pu être décelés par lui et que l'implant de réservoir dont le juge reconnaît que ce vice était caché suffisait à établir la dangerosité du véhicule, le plancher de malle ayant été découpé pour positionner un réservoir de carburant sous lequel passe la tuyauterie d'échappement, sans la moindre barrière thermique.
Il ajoute que l'expert judiciaire note qu'en raison d'un état trop dégradé, le véhicule n'est pas économiquement réparable et qu'il ne l'aurait pas acquis s'il en avait connu les vices compromettant son usage et le rendant dangereux.
Il conclut à l'existence de vices cachés au sens de l'article 1641 et suivants du code civil et en conséquence à l'infirmation du jugement.
A titre subsidiaire, il explique qu'étant profane, il n'a pas eu connaissance du défaut de conformité résidant dans le fait que le véhicule est un modèle Toledo alors qu'il pensait acquérir un modèle Dolomite, comme le mentionnent la déclaration de cession, le certificat d'immatriculation et le contrôle technique, et que M. W., qui avait connaissance de cette non-conformité, s'est abstenu de l'en informer. Il précise que la voiture a été présentée comme étant un véhicule VHC avec passeport FFSA alors qu'en réalité il ne peut pas emprunter le réseau routier.
Il conclut à la responsabilité de M. Patrice W. pour l'absence de délivrance conforme du bien vendu.
Enfin, arguant être propriétaire, depuis le 6 août 2013, d'un véhicule dangereux, inutilisable et irréparable, il sollicite, outre la restitution du prix, l'allocation d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices tant sur un plan financier qu'au titre d'une privation de jouissance du véhicule.
Motifs de la décision
Il est rappelé qu'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, M. W., partie intimée qui n'a pas conclu, est réputé s'approprier les motifs du jugement
Sur la garantie des vices cachés
En droit, l'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
L'article 1642 du même code dispose que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.
En l'espèce, il est établi que le véhicule acquis par M. N. présentait des défauts au moment de la vente le rendant impropre à sa destination, l'expert judiciaire ayant relevé le très mauvais état général du véhicule, des modifications et interventions contraires aux règles de l'art, et en définitive « des critères de dangerosité à l'utilisation tant pour les occupants que pour les autres usagers de la route ».
Le litige se concentre sur le caractère caché des désordres.
Comme l'a déjà relevé le premier juge, il convient de constater que M. N. a acquis le véhicule litigieux le 7 août 2013 et que le contrôle technique réalisé le 30 juillet 2013, dont il a pris connaissance lors de la vente, mentionnait dans la rubrique « défauts à corriger sans obligation d'une contre visite » : une détérioration de la plaque constructeur, un jeu anormal du boîtier de direction, un bruit anormal du roulement des deux roues arrières, de la corrosion perforante et/ou fissure/cassure du longeron avant-droit, une déformation importante du longeron avant-gauche, une déformation mineure du berceau avant, un mauvais fonctionnement des deux portes latérales, un défaut d'étanchéité du moteur et un défaut d'étanchéité de la boîte de vitesse (pièce n°2).
A la question de la connaissance que pouvait avoir l'acquéreur non professionnel des désordres antérieurs à la vente, l'expert judiciaire répond que le rapport de contrôle technique permettait à l'acquéreur, même non professionnel, de s'enquérir de l'état réel du véhicule. Il indique également que le seul vice non décelable était l'implant d'un réservoir de carburant au-dessus de la canalisation d'échappement sans protection thermique, qui ne pouvait être repéré que lors d'un examen sur pont élévateur.
Si ce désordre suffit à établir la dangerosité du véhicule comme l'indique justement M. N. dans ses écritures, il ne constitue pas le seul vice rendant le véhicule impropre à sa destination, mais seulement un élément de dangerosité du véhicule parmi de nombreux autres, dans leur majorité apparents et mentionnés sur le contrôle technique, et qui n'ont pas dissuadé l'acquéreur de poursuivre l'achat. Il s'en déduit que M. N. a acquis ce véhicule en connaissant son état et ne peut en conséquence solliciter la garantie du vendeur sur le fondement du vice caché.
Sur la non-conformité du véhicule
En droit, l'article 1604 du code civil dispose que la délivrance et le transport de la chose vendue en la puissance et la possession de l'acheteur. L'acquéreur ne peut être tenu d'accepter une chose différente de celle qu'il a achetée, mais la réception sans réserve de la chose vendue couvre ses défauts apparents de conformité.
Il convient de rechercher si, en l'espèce, le vendeur a manqué de délivrer un véhicule conforme aux caractéristiques convenues entre les parties pour déterminer si le manquement allégué par M. N. est opposable à M. W. et justifie la résolution de la vente.
M. N. a acquis, selon le bon de commande établi par le concessionnaire A2Vintage Motors Classic un véhicule Triumph Dolomite (pièce n°1). Les documents administratifs remis à M. N. mentionnent tous un véhicule de marque Triumph Toledo (pièces n°2 à 5).
L'expertise amiable relève que certains documents fournis avec le véhicule tels que le passeport technique FFSA et la fiche Rallye mentionnent un véhicule Triumph Dolomite, en contradiction avec les documents administratifs. Il indique que les deux voitures sont totalement différentes sur le plan technique et que des modifications de puissance du moteur sont présentes entre les documents administratifs de la Triumph Toledo et le véhicule vendu.
L'expert judiciaire confirme que le véhicule acquis par M. N. est un modèle Dolomite, précisant qu'un acquéreur averti pouvait voir la supercherie mais qu'il semble que cela n'ait pas été le cas pour M. N. qui acquérait un tel modèle pour la première fois. Il relève encore que le modèle Dolomite Sprint vendu à M. N. n'a pas pu être mis en circulation le 1er janvier 1971 comme l'indique le certificat d'immatriculation, car il n'a été produit par le constructeur qu'à partir de l'année 1973. Le numéro de série indiqué sur la plaque amovible du constructeur ADG13447DL n'est pas le même que celui du certificat d'immatriculation ADG1344DL. Il ajoute qu'il est évident que l'on s'est servi d'un certificat d'immatriculation de marque Triumph modèle Toledo pour immatriculer un véhicule de la marque Triumph modèle Dolomite et considère, dans ces conditions, qu'il y a non-conformité de la chose vendue.
Dans ses dires au pré-rapport de l'expert judiciaire, M. W. indique que le véhicule était un modèle Toledo avec un moteur Dolomite et qu'il était évident lors de la vente que ce véhicule de plus de 40 ans avait fait l'objet de nombreuses transformations qu'il n'a jamais dissimulées à M. N. qui a souhaité malgré cela en poursuivre l'acquisition.
Toutefois, ces affirmations ne ressortent d'aucun des documents remis à M. N., le mauvais état du véhicule tel qu'il ressort du contrôle technique et dont M. N. a effectivement eu connaissance ne se confondant pas avec les transformations ayant conduit à ce que le véhicule acheté ne corresponde pas au certificat d'immatriculation.
Si les termes précis de l'annonce publiée sur le site Le Bon coin ne peuvent être vérifiés car d'une part l'offre de vente du véhicule Triumph n'a pu être communiquée à M. N. par le Bon coin au regard du délai écoulé depuis la vente (cf. courriel joint à l'expertise judiciaire), d'autre part la société A2V Vintage rédactrice de l'annonce n'a pas participé aux opérations d'expertise et a été liquidée judiciairement, il est cependant établi par les éléments produits par M. N. que le véhicule qui lui a été délivré n'est pas conforme à celui qu'il pensait acquérir, la correspondance entre le modèle du véhicule détenu et celui indiqué sur les documents administratifs afférents constituant une caractéristique essentielle qui permet d'identifier administrativement le véhicule. En acquérant ce véhicule par l'intermédiaire d'un professionnel de la vente de véhicules anciens, M. N., bien qu'ayant accepté d'acheter le véhicule en mauvais état, n'a pu accepter d'acquérir un véhicule dont il est avéré qu'il n'est pas celui qui correspond au certificat d'immatriculation remis et dont il n'est, en définitive, pas possible de connaître la provenance.
Par conséquent, le défaut de conformité est établi. Compte-tenu de sa nature, il ne peut qu'entraîner la résolution de la vente demandée par M. N., dont l'effet est de remettre les parties dans la situation où elles se trouvaient antérieurement au contrat, en conséquence de quoi le prix payé par M. N. devra lui être restitué par M. W., lequel devra se voir restituer, à ses frais, le véhicule Triumph AM-556-TY.
Sur la demande de dommages et intérêts
M. N. allègue des préjudices qu'il évalue à un total de 5 000 euros comprenant un préjudice financier ainsi qu'une privation de jouissance du véhicule dangereux, inutilisable et irréparable dont il est propriétaire depuis le 6 août 2013. Toutefois, M. N. ne rapporte aucune preuve du préjudice financier allégué, laissant la cour dans la méconnaissance de ce que lui a coûté ce véhicule outre le prix de vente qui lui sera restitué. Par conséquent, seul le préjudice de jouissance tenant à l'impossibilité d'utiliser un véhicule qu'il avait acquis pour la pratique du rallye de loisir est établi et sera indemnisé à hauteur de 2 000 euros au regard du délai écoulé depuis la vente.
Sur les demandes accessoires
Après infirmation des dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens, M. W., succombant en appel, sera condamné à payer à M. N. la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile, qui seront recouvrés directement par le conseil de M. N. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant par défaut et par mise à disposition au greffe
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau et y ajoutant,
PRONONCE la résolution de la vente du véhicule Triumph Dolomite AM-556-TY conclue le 7 août 2013 entre M. Patrick N. et M. Patrice W.,
CONDAMNE M. Patrice W. à payer à M. Patrick N. la somme de 8 000 euros en restitution du prix de vente,
ORDONNE la restitution par M. Patrick N. du véhicule Triumph Dolomite AM-556-TY aux frais de M. Patrice W. en quelque lieu où il se trouve,
CONDAMNE M. Patrice W. à payer à M. Patrick N. la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance,
DÉBOUTE M. Patrick N. de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice financier,
CONDAMNE M. Patrice W. à payer à M. Patrick N. la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. Patrice W. aux dépens de première instance et d'appel recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile par le conseil de M. N..