CA Rennes, 2e ch. com., 12 février 2008, n° 06/00384
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Caisse nationale du régime social des indépendants
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
Mme Cocchiello, Mme Boisselet
EXPOSE DU LITIGE.
Par arrêt en date du 17 avril 2007, auquel il convient de se reporter pour l'exposé de la procédure, la Cour a, avant dire droit, ordonné la réouverture des débats afin d'inviter la caisse appelante à faire valoir ses observations sur l'application à la cause des dispositions de l'article L. 621-5 du Code de Commerce devenu l'article L. 621-2 (extension de la procédure collective ouverte contre l'Association à la personne de l'intimé débiteur, président de ladite association) ;
La Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants RSI demande à la Cour de :
- dire et juger recevable et bien fondé l’appel interjeté par la concluante,
- réformer en conséquence le jugement du Tribunal de Commerce de MORLAIX en date du 28 novembre 2005,
- constater l'état de cessation des paiements de Monsieur Hugues S.,
- prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire,
- nommer un Juge commissaire et un représentant des créanciers,
- condamner Monsieur Hugues S. à verser à la concluante la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du NCPC,
- condamner Monsieur Hugues S. aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile par la SCP BAZILLE GENICON, avoués associés.
Assigné et réassigné, Monsieur S. n'a pas constitué avoué ; il sera statué par défaut à son encontre ;
Le dossier de la procédure a été transmis au Ministère Public, qui en a donné visa ;
Pour un plus ample exposé du litige, il est fait référence à la décision attaquée, à l'arrêt du 17 avril 2007 et aux écritures de l'appelante en date du 6 septembre 2007.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant que le Tribunal de Commerce de MORLAIX a déclaré l'action de la CANCAVA (RSI) irrecevable au motif que Monsieur S. n'est ni commerçant ni artisan mais que seule l'association SOCIETE ARMORICAINE DE COUVERTURE ET D'ISOLATION dont il assure la présidence a présenté des déclarations d'affiliation ;
Que l'association SACI est inscrite au répertoire des métiers et a déclaré avoir pour activité des travaux de couverture alors que cette association déclare relever de la loi du 1er juillet 1901.
Qu'il est indéniable que Monsieur S. exerce son activité artisanale sous le couvert de son association pour se soustraire à ses obligations vis à vis des organismes sociaux.
Que la jurisprudence estime que lorsqu'une personne se livre à une activité commerciale en se dissimulant derrière un prête nom, le redressement judiciaire doit être prononcé à l'égard de celui qui est le commerçant mais aussi à l'égard du véritable commerçant.
Que l'activité de couvreur justifiant l'inscription au Répertoire des Métiers de l'association SACI est en fait exercée par Monsieur S. et est d'ailleurs incompatible avec une association régie par la loi de 1901.
Que l'inscription au Répertoire des Métiers de l'association SACI en lieu et place de celle de Monsieur S. n'est qu'un moyen destiné à dissimuler son activité de travailleur indépendant.
Que le rôle de l'association SACI est purement fictif, qu'il n'a qu'un seul objet : permettre à Monsieur S. d'exercer une activité artisanale sous le prête nom de l'association.
Que toutes les contraintes ont été adressées au nom de Monsieur S. sans que ce dernier ne les conteste ; qu'il a été de même été pratiqué, sans que cela entraîne une quelconque réaction de la part de Monsieur S., une tentative de saisie attribution sur son compte personnel et non celui de l'association.
Que ces éléments permettent de conclure que Monsieur S. estime lui-même qu'il exerce une profession artisanale qui justifie son affiliation auprès de la Caisse RSI de RENNES (anciennement AVA).
Qu'est réputée comme exploitant d'une entreprise artisanale et devant être immatriculée au Répertoire des Métiers, toute personne physique qui n'emploie pas plus de 10 salariés et qui exerce à titre principal ou secondaire une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de service ; que cette définition résulte de la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
Que l'article 1er de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association énonce : L’association est une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun de façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager les bénéfices.
Que l'objectif de l'association SACI à savoir développer et promouvoir les techniques de couverture de bâtiments ne peut être désintéressée ; que par ce biais Monsieur S. entend que son activité de couvreur lui procure un revenu ;
Qu'une association ne peut de façon habituelle fournir de services que si ces activités sont prévues dans le cadre de ses statuts ; que l'article L. 442-7 du Code de Commerce précise en effet que aucune association ne peut, de façon habituelle, offrir de produits à la vente, les vendre ou fournir de services si ces activités ne sont pas prévues par ses statuts', à défaut elle encourt une amende de 1.500 € ;
Qu'en outre, la Cour d'appel de céans dans un arrêt du 8 septembre 2004 s'est déjà prononcée sur l'affiliation d'un président d'association auprès du régime d'assurance vieillesse obligatoire des artisans ; qu'elle a ainsi précisé : Si Monsieur a la possibilité de crée une association, d(en être le président et d'être salarié de cette association, encore faut-il qu'il justifie que le conseil d'administration de cette association ait pris une délibération l'autorisant à être embauché en qualité de salarié, qu'il produise le contrat de travail définissant ses droits et obligations et qu'il démontre que dans l'exercice de son activité professionnelle il est constamment soumis à un lien de subordination envers son employeur qui exerce effectivement sur lui un pouvoir de direction et de discipline ;
Qu'en l'espèce, Monsieur S. est le président de l'association, qu'il ne peut se prévaloir de la qualité de salarié puisque le critère de subordination n'existe pas ; qu'il ne justifie d'aucune délibération du Conseil d'administration de l'association l'autorisant à être embauché, ni d'aucun contrat de travail ;
Que le Tribunal de Commerce de MORLAIX a simplement constaté que l'association SACI était seule immatriculée auprès du Répertoire des Métiers et en a donc déduit que Monsieur S. ne pouvait être personnellement considéré comme artisan ou commerçant ;
Que le Tribunal a omis de rechercher si Monsieur S., bien que non immatriculé personnellement au Répertoire des Métiers, répondait aux critères qualifiant l'exercice d'une profession artisanale exercée à titre individuel et relevant par conséquent du régime des travailleurs indépendants non salariés instauré pour les professions artisanales ;
Que toutefois l'article L. 622-3 du Code de la Sécurité Sociale dispose que Les professions artisanales groupent les chefs d'entreprises individuelles, les gérants et associés non salariés des entreprises exploitées sous forme de société, immatriculés au Répertoire des métiers ou susceptibles d'être assujettis à cette immatriculation ainsi que toutes les personnes qui, lors de leur dernière activité professionnelle dirigeaient en une de ces qualités une entreprise dont l'activité et la dimension auraient été de nature à provoquer cette immatriculation si celle ci avait été obligatoire à l'époque où les intéressés ont exercé cette activité ;
Qu'en l'espèce, il est établi que Monsieur S. a voulu dissimuler une activité indépendante lui permettant de ne payer de charges sociales puisque les éléments constitutifs d'une association régie par la loi de 1901 ne sont pas réunis (articles L. 314-10 et L. 314-11 du Code du Travail) ;
Que Monsieur S. exerce une activité artisanale et aurait dû s'inscrire à titre personnel au Répertoire des Métiers ; que cette omission est à dessein effectuée pour se soustraire à ses obligations à l'égard des organismes sociaux dont il dépend du fait de la loi ;
Que la Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants (RSI) sollicite à bon droit la réformation du jugement du Tribunal de Commerce de MORLAIX du 28 novembre 2005.
Qu'il convient de dire et juger que Monsieur S. est un artisan conformément aux dispositions de l'article L. 620-2 du Code du Commerce et que l'action de la caisse tendant à voir prononcer l'ouverture d'une procédure collective est recevable et bien fondée ;
Que la jurisprudence considère que l'action à l'encontre d'une personne qui se dissimule derrière un prête nom n'est pas une extension de la procédure au sens des articles L. 621-5 et L. 624-5 du Code du Commerce mais l'ouverture d'une procédure à l'encontre du véritable maître de l affaire , celui qui exerce l'activité (Cass C. , 22 oct. 1996, n°94-16.914) ;
Que l'action de la Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants (RSI) est parfaitement recevable et que la Caisse Nationale est bien fondée à solliciter que la Cour réforme en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;
Considérant que par ailleurs, il est justifié que Monsieur S. est débiteur à l'égard de l'appelante de la somme de 12.771,66 € (périodes du 19.05.2000 au 30.11.2004) ; qu'il était redevable au 14 mai 2004 de la somme de 3.920,65 € à la Caisse Maladie Régionale et de 4.833,00 € au 2 juin 2004 à l'URSSAF ;
Que face à l'échec de toutes les mesures de recouvrement amiable, la RSI a été contrainte de pratiquer des saisies sur ses comptes bancaires, qui se sont révélées infructueuses ;
Que Monsieur S. ne dispose d'aucun actif disponible lui permettant d'honorer ses obligations ;
Qu'il est justifié que ce dernier est dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ; que sa situation telle qu'exposée démontre l'existence de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter et l'état de cessation des paiements ;
Qu'il y a donc lieu de prononcer l'ouverture d'une procédure collective.
Considérant qu'il convient de réformer le jugement entrepris ;
Que les dépens seront employés en frais privilégiés de redressement judiciaire ;
Qu'en raison de la situation obérée de l'intimé, il n'y a pas lieu à octroi d'une somme au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en faveur de la Caisse RSI ;
PAR CES MOTIFS
Réformant le jugement entrepris,
Prononce le redressement judiciaire de Monsieur Hugues S,
Fixe provisoirement la date de cessation des paiements au 12 février 2008 ;
Désigne Maître E. , 9 rue Neptune 29200 BREST, en qualité de représentant des créanciers, et Maître GENITEAU, 44 rue Emile Zola 29200 BREST, en qualité d'administrateur judiciaire ;
Renvoie les parties, le représentant des créanciers et l'administrateur judiciaire devant le Tribunal de Commerce de MORLAIX aux fins de désignation d'un juge commissaire et de l'organisation de la procédure collective ;
Ordonne la publication du présent arrêt dans les conditions prévues à l'article L 627-4 du Code de Commerce ;
Impartit à Maître E. un délai de dix mois afin d'établir la liste des créances déclarées au passif de la procédure collective de M. Hugues S. au sens de l'article L. 621-103 du Code de Commerce ;
Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de redressement judiciaire, ceux d'appel étant recouvrés selon les modalités de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;
Rejette toute prétention autre ou contraire.