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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 5 novembre 2021, n° 19/06902

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Logistoc (SAS), Sotrac (SAS)

Défendeur :

Dell France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Avocats :

Me Teytaud, Me Fournier, Me Marie

T. com. Paris, du 4 mars 2019, n° 201705…

4 mars 2019

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties.

Il sera succinctement rapporté que la SARL Sotrac et la SAS Logistoc proposent des prestations de logistique de marchandises, transport et entreposage, principalement dans le secteur informatique, en France et en Europe.

La SAS EMC Computer Systems France (ci-après désignée EMC) a pour activité la commercialisation de systèmes informatiques et de logiciels de stockage ainsi que de logiciels de virtualisation et l'offre de services associés. Elle a fait l'objet d'une fusion absorption par la SAS DELL FRANCE le 17 février 2021 (pièce n°1 Dell).

Le 29 octobre 2007, EMC a conclu avec les sociétés Sotrac et Logistoc, toutes deux désignées dans le contrat comme « prestataires », un contrat de prestations de services logistiques d'entreposage et de transports à effet au 1er juillet 2006.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 mars 2019 qui a :

- débouté la SAS EMC COMPUTER SYSTEMS FRANCE de sa demande de nullité de l'assignation,

- débouté l'EURL SOTRAC et la SAS LOGISTOC de leur demande au titre de l'article 1134 du code civil,

- débouté l'EURL SOTRAC et la SAS LOGISTOC de leur demande au titre de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce,

- condamné l'EURL SOTRAC et la SAS LOGISTOC à payer à la SAS EMC COMPUTER SYSTEMS FRANCE la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

- condamné l'EURL SOTRAC et la SAS LOGISTOC aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 100,08 dont 16,47 de TVA.

Vu l'appel interjeté les sociétés Sotrac et Logistoc le 28 mars 2019,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 12 juin 2019 pour SARL Sotrac et la SAS Logistoc, par lesquelles elles demandent à la cour de :

- recevoir les sociétés SOTRAC et LOGISTOC en leur argumentation et des y déclarer bien fondées,

- réformer en toutes ses dispositions la décision déférée,

- rejeter l'argumentation qui sera soulevée par la société EMC ² dans ses écritures d'intimée

- constater que le contrat liant la société EMC² à la société SOTRAC requérante a pour terme éventuel le 30 juin de chaque année

- constater que le terme du préavis donné par la société EMC² est au 30 août 2014 et ce faisant que le contrat est prorogé au 30 juin 2015

- condamner en conséquence la société EMC² sur le fondement des dispositions de l'article 1134 du code civil à verser à :

 La société SOTRAC la somme de 1 126 132, représentant la moyenne du chiffre d'Affaires des trois dernières années avec EMC²

 La société LOGISTOC la somme de 286 223 représentant la moyenne des trois dernières années du chiffre d'affaire avec EMC²,

- constater que la société EMC² a par ailleurs commis une faute génératrice d'un préjudice distinct pour la société SOTRAC mais également pour la société LOGISTOC sur le fondement des dispositions de l'article L 442-6 I 5ème du code de commerce

- condamner en conséquence la société EMC² à verser à :

La société SOTRAC la somme de 3 225 724,88 correspondant à :

préjudice direct lié au licenciement 98 724,68 €

préjudice indirect lié au licenciement des salariés 900 000 €

préjudice lié aux investissements 446 600 € outre 50 % taxe foncière de 64 800 €

préjudice lié à la perte de chiffre d'affaires 1 748 000 €

La société LOGISTOC la somme de 848 015,88 €

préjudice lié au licenciement 42 015,88 €

préjudice lié aux investissements 183 600 € outre 50 % de taxe foncière de 64 800 €

préjudice lié à la perte de chiffre d'affaires 590 000 €

- débouter la société EMC² de l'intégralité de ses demandes

- condamner la société EMC² à verser une somme de 8 000 chacune aux sociétés SOTRAC et LOGISTOC sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Marie Laurence MARIE avocat aux offres de droit sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 21 mai 2021 pour la SAS DELL, venant aux droits de la SAS EMC computer systems france, par lesquelles elle demande à la cour de :

- déclarer l'arrivée du terme, au 31 août 2014, de la relation contractuelle entre EMC, SOTRAC et LOGISTOC et l'absence de tout renouvellement par les parties,

- déclarer l'absence de toute rupture abusive par EMC de sa relation commerciale avec SOTRAC et LOGISTOC,

- déclarer l'absence de tout élément à l'appui de la démonstration par SOTRAC et LOGISTOC de l'étendue du prétendu préjudice subi,

En conséquence,

- débouter SOTRAC et LOGISTOC de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 4 mars 2019 en toutes ses dispositions,

En tout état de cause,

- condamner les sociétés SOTRAC et LOGISTOC à payer à la société DELL FRANCE venant aux droits d'EMC la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les sociétés SOTRAC et LOGISTOC aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître François TEYTAUD, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture du 3 juin 2021,

SUR CE, LA COUR,

Sur l'exécution de bonne foi du contrat

En vertu de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne. En l'espèce, le contrat litigieux ayant été conclu le 29 octobre 2007 et ses reconductions tacites ayant cessé, ce qui n'est pas contesté, avant le 1er octobre 2016, il est ainsi soumis au code civil antérieur à cette réforme.

Aux termes de l'article 1134 du code civil ancien, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; elles doivent être exécutées de bonne foi.

L'article 2 du contrat conclu le 29 octobre 2007 entre les sociétés Sotrac et Logistoc et EMC stipule qu'il entre en vigueur le 1er juillet 2006 pour une durée de 24 mois se renouvelant ensuite par tacite reconduction par période annuelle, sauf dénonciation de l'une des parties par lettre recommandée avec avis de réception sous réserve d'un délai de préavis de trois mois avant la date d'échéance du contrat.

Il n'est pas contesté que par courrier du 1er août 2013, EMC a informé les sociétés Sotrac et Logistoc de sa décision de mettre un terme au contrat, à effet au 31 août 2014 soit 13 mois plus tard. EMC indiquait dans ce courrier que le volume des colis diminuant et les sociétés Sotrac et Logistoc refusant toute solution constructive à la réorganisation de leurs relations depuis qu'une partie de sa logistique était assurée par une autre société, Kuehne & Nagel, elle constatait la perte de confiance irrémédiable entre elles et leur laissait un préavis de 13 mois pour leur permettre d'assurer leur réorganisation interne (pièce n°22 Sotrac et Logistoc).

L'échéance annuelle du contrat étant prévue pour le 30 juin de chaque année, EMC ne pouvait, par courrier du 1er août 2013, le dénoncer que pour l'échéance du 30 juin 2014, sans possibilité pour elle de le proroger unilatéralement jusqu'au 31 août suivant.

Cependant, la cour relève que si EMC ne produit aucun courrier ou message électronique des sociétés Sotrac et Logistoc rapportant la preuve de leur acceptation du report du terme du contrat, ces dernières ne produisent pas plus de courrier ou message électronique dans lequel elles auraient refusé cette prorogation.

Or si le seul silence des sociétés Sotrac et Logistoc ne pouvait valoir acceptation, la persistance des prestations exécutées par elles pour EMC entre le 1er juillet 2014 et le 31 août 2014, comme il ressort de l'extrait de son grand livre global pour 2014 dans lequel les prestations sont facturées jusqu'au 1er septembre 2014 avec une dernière facture de stockage le 10 septembre 2014, soit concomitamment au délai proposé, permet de conclure que l'offre d'EMC de proroger le terme du contrat jusqu'au 31 août 2014 tout en manifestant en termes clairs et non équivoques, dans le délai du préavis, sa volonté de ne pas voir renouveler le contrat jusqu'au 30 juin 2015, a été acceptée par les sociétés Sotrac et Logistoc.

Partant, le contrat a valablement pris fin entre les parties le 31 août 2014.

Le jugement du tribunal sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Sotrac et Logistoc de leurs demandes d'exécution forcée du contrat jusqu'au 30 juin 2015 et de paiement des prestations jusqu'à cette date.

Sur la rupture des relations commerciales établies

Aux termes de l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Le champ d'application de ce texte requiert des relations commerciales établies, soit une relation commerciale entre les parties qui revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et dans laquelle la partie victime de la rupture pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, le tribunal a justement apprécié que malgré l'absence de garantie de renouvellement stipulé à l'article 2 alinéa 2 du contrat du 29 octobre 2007 et la durée limitée des périodes contractuelles visées par chaque renouvellement, il a résulté de la succession des contrats entre les parties une relation commerciale qui permettait aux sociétés Sotrac et Logistoc d'anticiper raisonnablement une certaine continuité du flux d'affaires avec EMC pour l'avenir, les sociétés Sotrac et Logistoc n'étant pas démenties par l'intimée lorsqu'elles évoquent des relations commerciales établies depuis 25 années.

En revanche, l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou s'il a été délivré, l'insuffisance du préavis, lequel doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, et des circonstances prévalant au moment de la notification de la rupture, susceptibles d'influencer le temps nécessaire pour le redéploiement de l'activité du partenaire victime de la rupture.

En l'espèce s'agissant des circonstances de la rupture, le préavis du 1er août 2013 par lequel EMC a informé les sociétés Sotrac et Logistoc de sa décision de mettre un terme au contrat à effet au 31 août 2014, avait été précédé d'échanges entre les parties en 2010 (pièces 10 et 11 Sotrac) par lesquels le groupe EMC les informait de son choix stratégique de confier à un seul et même prestataire la globalité de ses contrats logistiques en Europe en organisant notamment des réunions d'information et de travail avec ce prestataire, Kuhne & Nagel, Sotrac et Logistoc conservant 100 % de ces prestations (courriel d'EMC du 23 février 2012 - pièce n° 14).

Or sur ce point, les sociétés Sotrac et Logistoc ne contestent pas s'être finalement opposées aux propositions de collaboration avec Kuhne & Nagel à partir de janvier 2013, préférant continuer à être en contact direct avec chacun des clients finaux d'EMC (pièce n° 25 Dell). Si elles expliquent leur opposition par l'observation qu'elles avaient faite en 2006 de « l'incapacité de Kuhne & Nagel d'assurer les objectifs fixés par EMC et les dysfonctionnements dont les clients finaux s'étaient plaints », et s'il résulte des courriers d'EMC de 2006 que la mise en place de la plateforme européenne de logistique avait effectivement alors subi un retard (pièce n° 3 Dell), aucune pièce ne permet de constater ces mêmes dysfonctionnements en 2012 ou 2013 tandis qu'EMC oeuvrait depuis à l'organisation de cette plateforme et au rapprochement de ses partenaires commerciaux, et auxquels Sotrac et Logistoc avaient participé jusqu'en 2012 comme cela résulte, notamment, des courriels de Logistoc des 17 février et 21 décembre 2012 (pièces n° 14 et 24 Dell).

Par ailleurs, si les appelantes affirment avoir eu un lien de dépendance économique « très fort » avec la société EMC, elles opèrent un renversement de la charge de la preuve en soutenant qu'EMC ne justifie pas avoir eu recours à un autre transporteur durant les années concernées par leur relation commerciale. Quant aux pièces produites par les appelantes, elles ne permettent pas de déduire une telle dépendance. Au contraire, ces dernières indiquent dans leurs propres conclusions (page 15) que depuis 2012 le volume des prestations qui leur étaient confié par EMC avait baissé de moitié, ce qui réduit d'autant le flux d'affaires dont elles pouvaient raisonnablement anticiper la continuité.

En outre, aucune pièce probante n'est produite relativement à l'importance du personnel mis à disposition et à des investissements effectués par Sotrac et Logistoc dédiés à la relation avec EMC non encore amortis ou non reconvertibles : les sociétés Sotrac et Logistoc étant spécialisées dans le transport et la logistique de marchandises dans le secteur informatique, en France et en Europe, aucune difficulté particulière n'est rapportée par elles aux débats pour trouver d'autres partenaires commerciaux sur le marché, de rang équivalent, en 2013.

En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a jugé qu'eu égard à la durée de la relation commerciale, au marché dans lequel évoluent les appelantes et à la substitualité de la relation concernée, le préavis de 13 mois laissé par EMC et exécuté par les sociétés Sotrac et Logistoc sans contestation, devait permettre à ces dernières de redéployer leur activité. La rupture ne peut donc être qualifiée de brutale.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Sotrac et Logistoc de l'ensemble de leurs demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les sociétés Sotrac et Logistoc succombant à l'action, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles et statuant de ces chefs en cause d'appel, elles seront condamnées aux dépens, qui pourront être recouvrés directement contre elles par Me François TEYTAUD, avocat, pour ceux dont il a fait l'avance sans en recevoir provision, et condamnées, en conséquence, à payer à la société Dell France la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SARL Sotrac et la SAS Logistoc aux dépens,

Autorise Me François TEYTAUD, avocat, à recouvrer directement contre elles les dépens dont il a fait l'avance sans en recevoir provision,

Condamne la SARL Sotrac et la SAS Logistoc à payer à la SAS Dell France la somme de 10 000 euros (dix mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.