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Décisions

CJUE, 2e ch., 11 novembre 2021, n° C-933/19 P

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Autostrada Wielkopolska (SA)

Défendeur :

Commission européenne, République de Pologne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Arabadjiev

Juges :

Mme Ziemele, M. von Danwitz, M. Xuereb, M. Kumin

Avocat général :

M. Saugmandsgaard Øe

CJUE n° C-933/19 P

10 novembre 2021

LA COUR : - 

1 Par son pourvoi, Autostrada Wielkopolska S.A. (ci-après « AW ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 octobre 2019, Autostrada Wielkopolska/Commission (T‑778/17, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:756), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision (UE) 2018/556 de la Commission, du 25 août 2017, relative à l’aide d’État SA.35356 (2013/C) (ex 2013/NN, ex 2012/N) octroyée par la Pologne à Autostrada Wielkopolska (JO 2018, L 92, p. 19, ci-après la « décision litigieuse »).

 Les antécédents du litige

2 Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 37 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.

3 Le 10 mars 1997, à l’issue d’un appel d’offres, la République de Pologne a attribué à AW une concession pour construire et exploiter la section de l’autoroute A 2 située entre Nowy Tomyśl (Pologne) et Konin (Pologne) (ci-après la « section concernée de l’autoroute A 2 ») pour une période de quarante ans.

4 En vertu du contrat de concession signé le 12 septembre 1997 (ci-après le « contrat de concession »), AW s’engageait à obtenir, à ses frais et risques, des financements extérieurs pour construire et exploiter la section concernée de l’autoroute A 2 et bénéficiait, en contrepartie, du droit de percevoir les péages acquittés par les utilisateurs de l’autoroute. Ce contrat lui permettait également d’augmenter les tarifs de péage pour maximiser ses recettes dans la limite de tarifs maximaux définis par catégorie de véhicules.

5 Après son adhésion à l’Union européenne en 2004, la République de Pologne a transposé dans le droit polonais la directive 1999/62/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 1999, relative à la taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures (JO 1999, L 187, p. 42). L’article 7, paragraphe 3, de cette directive prévoit que les péages et droits d’usage ne sont pas perçus cumulativement pour l’utilisation d’un même tronçon de route.

6 En conséquence, le Parlement polonais a adopté l’ustawa o zmianie ustawy o autostradach płatnych oraz o Krajowym Funduszu Drogowym oraz ustawy o transporcie drogowym (loi modifiant la loi sur les autoroutes à péage et le Fonds routier national ainsi que la loi sur le transport routier), du 28 juillet 2005 (Dz. U. no 155, position 1297, ci-après la « loi du 28 juillet 2005 »). Cette loi a éliminé la double taxation des poids lourds pour l’utilisation d’un même tronçon de route. Ainsi, à compter du 1er septembre 2005, les poids lourds titulaires d’une vignette (redevance d’usage des routes) pour emprunter les routes nationales en Pologne ont été exonérés de péages sur les autoroutes faisant l’objet de contrats de concession.

7 En vertu de la loi du 28 juillet 2005, les concessionnaires devaient être indemnisés par le Fonds routier national pour la perte de recettes engendrée par l’exonération de péages. Cette loi disposait que les concessionnaires avaient droit au remboursement d’un montant équivalant à 70 % du produit obtenu en multipliant le nombre réel de passages de poids lourds munis de vignette par le tarif du péage virtuel négocié avec les concessionnaires pour chaque catégorie de poids lourds. La réduction à 70 % fixée par ladite loi était destinée à compenser la hausse prévue du trafic de poids lourds sur les autoroutes concédées à la suite de l’exonération de péages. Cette même loi prévoyait également que les tarifs du péage virtuel ne pouvaient excéder les tarifs réels appliqués à la catégorie de véhicules correspondante. Elle précisait enfin que la méthode de compensation devait être déterminée dans chacun des contrats de concession.

8 En ce qui concerne AW, la méthode de compensation et les tarifs du péage virtuel ont été fixés, après négociation avec les autorités polonaises, dans l’annexe 6 du contrat de concession (ci-après l’« annexe 6 »), adoptée le 14 octobre 2005.

9 La République de Pologne a expliqué que la méthode de compensation prévue à l’annexe 6 reposait sur le principe que la situation financière attendue du concessionnaire ne devait pas changer après la loi du 28 juillet 2005. Elle a précisé que, afin d’atteindre cet objectif, le taux de rendement interne escompté (ci-après le « TRI ») de l’investissement d’AW dans la section concernée de l’autoroute A 2 devait rester au même niveau que celui auquel il serait resté en l’absence de modification de la loi, c’est-à-dire sans la perte de recettes résultant de la loi du 28 juillet 2005.

10 Les parties signataires de l’annexe 6 (ci-après « les parties contractantes ») sont convenues que le calcul de la compensation se déroulerait selon une procédure en deux étapes, fondée sur des modèles financiers montrant les flux financiers réels et attendus et permettant de calculer le TRI. Au cours de la première étape, il était nécessaire de fixer les tarifs du péage virtuel que la République de Pologne devait verser à AW. Au cours de la seconde étape, lesdits tarifs devaient être vérifiés au plus tard le 30 novembre 2007 et, s’il y avait lieu, être révisés.

11 Ainsi, lors de la première étape, les tarifs du péage virtuel ont été fixés sur la base des trois modèles financiers suivants, présentés par AW :

– le modèle de base présentait la situation financière d’AW au moment de la clôture de ses comptes en 2000 et supposait que le péage serait effectivement perçu pendant toute la durée de la concession. Le TRI était de 10,62 % ;

– le modèle de perception effective du péage décrivait la situation financière d’AW telle qu’elle aurait été à partir du mois de décembre 2004 si les poids lourds n’étaient pas exonérés de péage. Le TRI était de 10,77 %, et

– le modèle avec vignette décrivait la situation financière d’AW telle qu’elle aurait été à partir du mois de juin 2005 si les poids lourds étaient exonérés de péage. Dans ce modèle, les recettes se composaient de la compensation sous la forme d’un péage virtuel versée pour les poids lourds et de la perception effective du péage pour les autres véhicules. Les tarifs du péage virtuel étaient fixés aux niveaux maximaux autorisés par le contrat de concession. Le TRI était de 8,20 %.

12 Sur la base de ces modèles financiers, AW a montré que, même en appliquant les tarifs maximaux du péage virtuel, le TRI de 10,77 % du modèle de perception effective du péage ne serait pas atteint. Pour cette raison, elle a fixé les tarifs du péage virtuel aux niveaux maximaux autorisés par le contrat de concession.

13 À partir du 1er septembre 2005, les poids lourds munis d’une vignette ont été exonérés de péage et AW a perçu une compensation mensuelle calculée sur la base du nombre de poids lourds concernés empruntant l’autoroute et des tarifs du péage virtuel convenus.

14 Lors de la seconde étape, les parties contractantes devaient vérifier l’évolution du trafic de poids lourds à la suite de l’exonération de péages et adapter les tarifs du péage virtuel en conséquence pour éviter le versement de compensations excessives ou insuffisantes. AW devait présenter un modèle financier actualisé (ci-après le « modèle de vérification ») montrant l’impact desdits tarifs sur les indicateurs financiers de base du contrat de concession, dont le TRI. Si le TRI du modèle de vérification se révélait supérieur au TRI du modèle de perception effective du péage, les tarifs du péage virtuel devaient être revus à la baisse pour éliminer le rendement excessif. En revanche, si le TRI du modèle de vérification se révélait inférieur au TRI du modèle de perception effective du péage, les tarifs en cause devaient être revus à la hausse.

15 AW a fourni le modèle de vérification en 2007. Dans ce modèle, le TRI était de 9,20 % au mois de juin de l’année 2006. Le rapport de vérification joint à ce modèle et présenté par AW suggérait que les tarifs du péage virtuel devaient être augmentés.

16 Par lettre du 28 novembre 2007, la Generalna Dyrekcja dróg krajowych i autostrad (direction générale des routes nationales et des autoroutes, Pologne) a informé AW que, en raison de doutes concernant l’exactitude des hypothèses retenues pour les besoins de l’annexe 6, elle n’acceptait pas la proposition de révision des tarifs du péage virtuel. Nonobstant ce courrier, AW a continué à percevoir des versements mensuels au titre du péage virtuel, conformément aux stipulations de ladite annexe. Puis, le 13 novembre 2008, le ministre des Infrastructures polonais a déclaré se soustraire à l’effet de cette annexe, affirmant notamment avoir conclu celle-ci par erreur.

17 Selon la République de Pologne, AW a surestimé le TRI du modèle de perception effective du péage en utilisant des prévisions de trafic et de recettes obsolètes. AW aurait utilisé une étude sur le trafic et les recettes réalisée par la société de conseil Wilbur Smith Associates (WSA) en 1999 (ci-après l’« étude WSA de 1999 ») alors qu’une étude plus récente, datant du mois de juin 2004 (ci-après l’« étude WSA de 2004 »), était disponible. Selon le rapport du 24 septembre 2010 commandé par le ministère des Infrastructures polonais et réalisé par la société PricewaterhouseCoopers (PwC) (ci-après le « rapport PwC »), l’application des hypothèses de trafic et de recettes figurant dans l’étude WSA de 2004 plutôt que de celles figurant dans l’étude WSA de 1999 avait pour effet de diminuer le TRI dans le modèle de perception effective du péage de 10,77 à 7,42 %.

18 Ainsi, de l’avis du ministre des Infrastructures polonais, AW aurait perçu un montant de compensation excessif au titre du péage virtuel. AW ayant refusé de rembourser le trop-perçu réclamé par la République de Pologne, ledit ministre a sollicité l’ouverture d’une procédure judiciaire tendant à la récupération de ce trop-perçu.

19 Simultanément, AW a contesté le refus d’exécution de l’annexe 6 en portant l’affaire devant un tribunal arbitral. Par une sentence du 20 mars 2013 (ci-après la « sentence arbitrale »), ce tribunal a donné raison à AW en constatant que ladite annexe était valide et que la République de Pologne devait respecter les stipulations de cette annexe. Par un jugement du 26 janvier 2018, le Sąd Okręgowy w Warszawie, I Wydział Cywilny (tribunal régional de Varsovie, première division civile, Pologne) a rejeté le recours du ministre des Infrastructures polonais dirigé contre la sentence arbitrale. Ce jugement a fait l’objet d’une procédure en appel devant le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne).

20 L’application du système de compensation sous la forme d’un péage virtuel a pris fin le 30 juin 2011, avec la mise en place par la République de Pologne d’un système de télépéage qui a remplacé les vignettes.

21 Le 31 août 2012, la République de Pologne a notifié à la Commission européenne une mesure consistant en l’octroi à AW d’une compensation financière, sous la forme d’un péage virtuel, en raison de la perte de recettes causée par la loi du 28 juillet 2005.

22 Le 20 septembre 2014, la Commission a décidé d’ouvrir une procédure formelle d’examen relative à la mesure notifiée (ci-après la « décision d’ouverture »). Cette décision a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 20 septembre 2014 (JO 2014, C 328, p. 12).

23 Le 25 août 2017, la Commission a adopté la décision litigieuse.

24 En premier lieu, en ce qui concerne l’existence d’une aide d’État, la Commission a considéré qu’AW avait le droit d’être indemnisée en raison des modifications apportées par la loi du 28 juillet 2005 qui l’avaient privée de la possibilité de percevoir un péage auprès des poids lourds, mais que, si une telle compensation améliorait sa situation financière attendue en ce qu’elle excéderait la compensation liée aux conséquences directes des modifications apportées par ladite loi, AW recevrait un avantage indu constituant une aide d’État.

25 S’agissant du modèle de perception effective du péage, la Commission a considéré qu’AW aurait dû recourir aux prévisions de trafic et de recettes contemporaines disponibles, contenues dans l’étude WSA de 2004. Elle a constaté que, en comparaison avec l’étude WSA de 1999, l’étude WSA de 2004 contenait des données nettement plus basses concernant le trafic de véhicules relevant des catégories 2 et 3 ainsi que des tarifs optimaux de péage effectif nettement plus faibles pour les véhicules relevant des catégories 2 à 4. Elle a estimé que l’utilisation du modèle de perception effective du péage fondé sur l’étude WSA de 1999 avait débouché sur un TRI supérieur à celui auquel il était légitimement permis de s’attendre au moment des modifications apportées par la loi du 28 juillet 2005, ce qui avait conduit à une compensation excessive sous la forme de paiements plus élevés pour le péage virtuel.

26 S’agissant de la vérification des tarifs du péage virtuel, la Commission a estimé que la République de Pologne avait pris sur elle les risques liés à l’évolution du trafic pendant la période allant de la mise en place du système de péage virtuel à la vérification de 2007. Elle a cependant accepté ce mécanisme de vérification, au motif qu’il avait permis de fixer les tarifs du péage virtuel à un niveau permettant d’éviter le paiement d’une compensation excessive. La Commission a également relevé que la vérification avait été conduite à l’issue d’une période limitée en comparaison avec la totalité de la durée du contrat de concession, mais suffisante pour que les parties contractantes puissent réunir les données réelles de trafic indispensables et élaborer sur cette base des prévisions de trafic fiables.

27 S’agissant du calcul du trop-perçu, la Commission a considéré que le modèle de perception effective du péage actualisé par PwC et utilisé par cette dernière dans son rapport (ci-après le « modèle PwC de perception effective du péage ») intégrait les prévisions de trafic et de recettes de l’étude WSA de 2004 et reflétait de façon correcte les prévisions actualisées à la date d’adoption de la loi du 28 juillet 2005. Elle a convenu que le TRI de 7,42 % du modèle PwC de perception effective du péage pouvait être considéré comme le TRI auquel AW pouvait s’attendre juste avant les modifications apportées par cette loi. Elle a estimé que, en comparaison du TRI de 7,42 % du modèle PwC de perception effective du péage, le TRI de 10,77 % utilisé par AW dans le cadre des négociations était excessif. De même, elle a relevé que le TRI de 8,20 % du modèle avec vignette était supérieur à 7,42 %.

28 La Commission a constaté que, pour déterminer le trop-perçu sur la période allant du mois de septembre 2005 au mois d’octobre 2007 et précédant la vérification, PwC avait utilisé le modèle avec vignette pour recalculer les tarifs du péage virtuel qu’il aurait fallu appliquer à partir du mois de septembre 2005 afin d’atteindre un TRI de 7,42 %. Elle a noté que le montant de la compensation déterminé à partir des tarifs du péage virtuel recalculés avait été comparé aux paiements effectivement réalisés en faveur d’AW. Elle a estimé que, sur cette période, le trop‑perçu s’élevait à environ 64,7 millions d’euros.

29 La Commission a constaté que, pour déterminer le trop-perçu sur la période postérieure à la vérification, allant du mois de novembre 2007 au mois de juin 2011, PwC avait appliqué le modèle de vérification pour recalculer les tarifs du péage virtuel afin d’atteindre un TRI de 7,42 %. Elle a noté que le montant de la compensation déterminé sur la base des tarifs du péage virtuel recalculés avait été comparé aux paiements effectivement réalisés en faveur d’AW. Elle a considéré que, sur cette période, le trop-perçu s’élevait à environ 159 millions d’euros.

30 S’agissant de l’argument d’AW selon lequel le critère de l’investisseur privé en économie de marché était rempli, la Commission a répondu par la négative.

31 En second lieu, la Commission a estimé que la compensation ayant été mise à la disposition d’AW avant la notification de cette mesure à la Commission, l’interdiction prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE n’avait pas été respectée par la République de Pologne et que, par suite, l’aide octroyée était illégale. Elle a conclu, en outre, que cette aide n’était pas compatible avec le marché intérieur, de sorte qu’elle devait être récupérée en vue de rétablir la situation qui existait sur le marché avant son octroi.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

32 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 novembre 2017, AW a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

33 À l’appui de ce recours, AW a soulevé, en substance, six moyens tirés, le premier, d’une violation du droit d’être associé à la procédure administrative, le deuxième, d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en raison de l’utilisation d’un critère erroné pour apprécier l’existence d’un avantage économique et d’une application manifestement erronée de ce critère, le troisième, d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en raison d’une application incorrecte du critère de l’investisseur privé et d’une motivation inadéquate, le quatrième, tiré de ce que la Commission a fondé sa conclusion quant à l’incompatibilité de l’aide sur des considérations erronées, le cinquième, d’une erreur manifeste d’appréciation dans le calcul du montant de l’aide d’État et, le sixième, d’un défaut de motivation de la décision litigieuse.

34 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours dans son ensemble.

 Les conclusions des parties devant la Cour

35 AW demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué,

– d’annuler la décision litigieuse ou de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

– de condamner la Commission aux dépens.

36 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner AW aux dépens.

 Sur le pourvoi

37 À l’appui de son pourvoi, AW invoque quatre moyens.

 Sur le premier moyen

38 Le premier moyen, relatif aux droits procéduraux d’AW, est tiré d’une erreur de droit, d’une dénaturation des preuves et d’un défaut de motivation. Tout en contestant l’argumentation d’AW, la Commission propose également à la Cour de rejeter ce moyen en procédant à une substitution de motifs.

 Argumentation des parties

–  Sur l’argumentation d’AW sous pourvoi

39 AW estime que le Tribunal a jugé à bon droit, au point 60 de l’arrêt attaqué, que la Commission ne l’avait pas associée à la procédure administrative dans une mesure adéquate, ce qui constituerait une violation d’une formalité substantielle qui aurait dû entraîner, à elle seule, l’annulation de la décision litigieuse. En revanche, il aurait affirmé à tort, au point 61 de cet arrêt, qu’il était nécessaire d’établir, aux fins de l’annulation de cette décision, que, en l’absence d’une telle omission, l’analyse juridique retenue par la Commission aurait pu être différente. Ainsi, le Tribunal aurait appliqué un critère juridique erroné et, partant, commis une erreur de droit. Par ailleurs, le raisonnement du Tribunal aux points 63, 64, 67 et 68 dudit arrêt serait inadéquat et contradictoire et procéderait d’une dénaturation des preuves.

40 À cet égard, tout d’abord, AW relève que les considérants 76 à 78 de la décision d’ouverture établissent que le péage virtuel doit être calculé selon les prévisions de trafic les plus récentes et que la Commission avait identifié l’étude WSA de 2004 comme étant l’étude la plus récente. Or, dans des observations relatives à la décision d’ouverture, AW aurait identifié l’étude réalisée en 2005 par la société Faber Maunsell (ci-après l’« étude FM de 2005 ») comme étant la plus récente. La Commission et la République de Pologne auraient discuté de la pertinence de cette étude durant la période au cours de laquelle le Tribunal a conclu qu’AW aurait dû être à nouveau en mesure de présenter ses observations. Si AW avait pu apporter des preuves démontrant que, contrairement à ce que la Commission avait estimé à la suite de ces échanges, ladite étude était utilisable, la Commission aurait dû en tenir compte comme étant l’étude la plus récente et le niveau du TRI juste avant les modifications apportées par la loi du 28 juillet 2005 (ci-après le « TRI du péage réel ») aurait pu dès lors être fixé à 8,2 % ou être supérieur à ce taux, si bien qu’il n’y aurait eu ni avantage ni aide d’État et que l’issue de la procédure aurait été différente.

41 Ensuite, au point 67 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait déformé l’argumentation d’AW, laquelle portait en réalité sur l’absence de possibilité pour cette dernière de présenter ses observations sur les arguments de la République de Pologne. En outre, si ce point devait être lu en ce sens que l’étude FM de 2005 n’était pas prise en compte dans le raisonnement de la Commission, il y aurait lieu de considérer que le Tribunal a déformé le contenu de la décision litigieuse et s’est contredit eu égard à son affirmation selon laquelle la Commission entendait utiliser les données les plus récentes. Si, en revanche, ledit point devait être lu en ce sens qu’une distinction générale doit être établie dans le cadre des droits procéduraux d’AW entre des « déclarations positives » (l’étude WSA de 2004 est l’étude « la plus récente ») et des « déclarations négatives » (l’étude FM de 2005 doit être écartée) de la Commission, il y aurait lieu de considérer que le Tribunal a commis une erreur de droit.

42 Enfin, l’issue de la procédure aurait également pu être différente si AW avait eu l’occasion de présenter ses observations sur la nature prétendument à court terme du système de péage virtuel prévu à l’annexe 6, en invoquant notamment le caractère contradictoire de cette considération avec l’article 4 de cette annexe. En effet, si la décision litigieuse ne fait pas mention de ladite considération, la Commission l’aurait néanmoins invoquée en première instance en soulignant que, du fait de la nature prétendument à court terme du système de péage virtuel prévu à l’annexe 6, tout risque d’inflation ou risque de change avait une importance limitée. Or, n’ayant avancé aucune autre considération à cet égard lors de l’audience devant le Tribunal, il conviendrait de considérer que la Commission avait déjà avancé cette même considération durant la phase administrative.

43 La Commission rétorque d’emblée que procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué la considération d’AW selon laquelle le fait d’avoir été associé à la procédure administrative revêtirait le caractère d’une formalité substantielle. En outre, contrairement à la formalité substantielle consistant à inviter les intéressés à présenter des observations par la publication de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, le droit des intéressés d’être associés à la procédure administrative dans une mesure adéquate constituerait non pas une telle formalité substantielle, mais un droit subjectif dont la portée peut dépendre de la situation propre de l’intéressé concerné et des circonstances de l’espèce. En conséquence, si le fait de ne pas mettre à nouveau le bénéficiaire en mesure de présenter ses observations devait être considéré comme constituant un vice de procédure, quod non, selon la Commission, le critère appliqué par le Tribunal aux points 61 et suivants de l’arrêt attaqué serait correct.

44 À l’égard de l’argumentation d’AW résumée au point 40 du présent arrêt, la Commission relève qu’AW propose non pas un raisonnement juridique différent, mais simplement un résultat différent, en raison de données chiffrées différentes utilisées pour effectuer les mêmes calculs, ce qui ne serait pas de nature à démontrer que le Tribunal a manifestement dénaturé les éléments de preuve. AW ferait ainsi valoir que, si elle avait été associée aux échanges qui ont eu lieu avec la République de Pologne, le résultat de l’analyse de la Commission aurait été différent. Selon la Commission, cet argument vise, en réalité, à contester une appréciation factuelle, ce qui échapperait au contrôle opéré par la Cour au stade du pourvoi.

45 S’agissant de l’argumentation d’AW résumée aux points 41 et 42 du présent arrêt, la Commission rappelle qu’il n’est pas nécessaire que la motivation de l’arrêt attaqué aborde un par un chaque argument avancé devant le Tribunal, que le reproche de ne pas avoir mentionné un élément non invoqué par la requérante ne constitue pas un moyen valable et que, en conséquence, les affirmations résumées aux points 41 et 42 du présent arrêt sont hors de propos. En outre, selon la Commission, AW admettrait que la décision litigieuse ne fait pas mention de la nature prétendument à court terme du système de péage virtuel prévu à l’annexe 6. À cet égard, le Tribunal aurait simplement conclu que l’argument procédural d’AW était inopérant au motif que le point au titre duquel elle invoquait le droit d’être entendue ne faisait pas partie de la motivation de la décision litigieuse.

46 La République de Pologne fait valoir que, contrairement à ce que prétend AW, elle a pu soumettre des observations écrites et orales après la publication de la décision d’ouverture, dans le cadre d’une lettre soumise à la Commission le 27 janvier 2015 et de réunions qui se sont tenues avec cette institution les 24 novembre 2015 et 21 mars 2017. À cet égard, elle souligne que, compte tenu du fait que les bénéficiaires des aides ne sont que des parties intéressées à la procédure et ne peuvent pas contester à titre autonome l’action de la Commission au cours de la procédure administrative, que la décision d’ouverture n’est pas entachée d’erreurs nécessitant une rectification et que la République de Pologne n’a pas apporté de nouvelles preuves au cours de la procédure formelle d’examen, la Commission aurait donné à AW l’occasion de présenter des observations allant bien au-delà des obligations lui incombant. En particulier, AW aurait pu commenter la pertinence et l’incidence de l’étude FM de 2005 sur la méthode de calcul du TRI lorsqu’elle l’a soumise à la Commission, mais elle aurait préféré, tant devant la Commission que devant le Tribunal, se référer à l’étude WSA de 1999.

–  Sur la demande de substitution de motifs de la Commission

47 La Commission considère que le raisonnement figurant aux points 58 à 60 de l’arrêt attaqué est erroné en droit, dès lors que, en qualité de bénéficiaire de la mesure d’aide en cause, AW est une partie « intéressée », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, qui, selon la jurisprudence, ne peut se prévaloir des droits de la défense, ne peut prétendre, à l’instar d’un État membre, à un débat contradictoire avec la Commission et ne dispose que du droit d’être associée à la procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d’espèce. Or, le Tribunal aurait méconnu cette jurisprudence en jugeant que la Commission aurait dû mettre à nouveau AW en mesure de présenter ses observations.

48 En effet, ayant constaté, au point 63 de l’arrêt attaqué, que la décision d’ouverture avait permis à AW d’exercer son droit de présenter des observations, le Tribunal aurait dû reconnaître que les circonstances de l’espèce n’imposaient pas à la Commission d’aller au-delà. En particulier, les intérêts divergents d’AW et de la République de Pologne ne sauraient justifier d’accorder à AW des droits semblables à ceux de cet État membre. De même, ni la durée ni l’intensité des échanges avec la République de Pologne n’auraient été inhabituelles et ne justifieraient, en tout état de cause, l’octroi de droits supplémentaires à AW. Or, en estimant que la Commission aurait dû accorder à AW le droit de commenter les observations de cet État membre, le Tribunal lui aurait, en substance, accordé un droit à un débat contradictoire et aurait dénaturé la procédure qui prévoit que seul l’État membre se voit offrir la possibilité de commenter les informations communiquées par les autres intéressés.

49 AW soutient que la Commission n’invoque pas une erreur de droit, mais se borne à contester, sans invoquer de dénaturation, l’appréciation factuelle du Tribunal selon laquelle les circonstances propres à l’espèce exigeaient qu’AW puisse présenter des observations supplémentaires. Or, le contrôle de cette appréciation ne relevant pas de la compétence de la Cour et les parties défenderesses n’ayant pas demandé le renvoi de l’affaire au Tribunal, la demande de la Commission serait irrecevable et conduirait la Cour à statuer ultra petita. En outre, la Commission aborderait individuellement les différents facteurs, alors que le Tribunal aurait, au point 58 de l’arrêt attaqué, abordé conjointement les circonstances particulières du cas d’espèce. De plus, le Tribunal n’aurait pas affirmé qu’AW aurait dû se voir offrir la possibilité de présenter des observations sur toutes les informations communiquées et la simple présentation d’observations complémentaires, eu égard notamment à l’absence de connaissance complète du dossier, n’équivaudrait pas à un débat contradictoire ni ne correspondrait aux droits accordés aux États membres en la matière.

 Appréciation de la Cour

50 En premier lieu, s’agissant de l’argumentation résumée aux points 40 et 41 du présent arrêt, tirée d’une dénaturation d’éléments de preuve et d’un défaut de motivation, il convient de rappeler que, dans le cadre d’un pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, notamment, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par le requérant (arrêt du 22 octobre 2014, British Telecommunications/Commission, C‑620/13 P, non publié, EU:C:2014:2309, point 55 et jurisprudence citée).

51 Au point 60 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, dans les circonstances particulières de l’affaire, telles que relevées au point 58 de cet arrêt, la Commission aurait dû mettre à nouveau AW en mesure de présenter des observations.

52 Au point 61 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que la circonstance que la Commission a omis d’associer AW aux échanges intervenus avec la République de Pologne postérieurement à la décision d’ouverture, pour regrettable qu’elle puisse être, n’était pas de nature à entraîner l’annulation de la décision litigieuse dans la mesure où, dans les circonstances de l’espèce, en l’absence d’une telle omission, l’analyse juridique retenue par la Commission dans cette dernière décision n’aurait pas pu être différente.

53 Au point 67 dudit arrêt, le Tribunal a précisé, à cet égard, que « l’argument de la requérante, tiré de ce que la décision d’ouverture, contrairement à la décision [litigieuse], ne mentionnait pas l’étude [FM de 2005], ne [pouvait] prospérer [dès lors que], si la Commission a fait référence à cette étude, au considérant 138 de la décision [litigieuse], c’est uniquement pour considérer que ladite étude ne pouvait pas servir à calculer le TRI du projet ». Il a ajouté que la Commission s’est ainsi « bornée à écarter, comme dépourvue de pertinence, une étude invoquée par la requérante elle-même dans le cadre de ses observations [et que d]ans ces conditions, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir mentionné l’étude [FM de 2005] dans la décision d’ouverture ».

54 Ce point 67 visait ainsi à répondre à l’argumentation figurant au point 39 de la requête en première instance, rédigé comme suit :

« [...] si la requérante avait été informée de l’opinion de la Commission selon laquelle l’étude [FM] de 2005 n’était pas fiable [...], car elle était censée se fonder exclusivement sur les prévisions de trafic et non pas sur les prévisions de revenus, la requérante aurait pu montrer que cette affirmation était clairement erronée. On ne saurait exclure que la Commission aurait alors eu un autre point de vue sur la signification de l’étude [FM] de 2005 qui aurait affecté l’ensemble de son appréciation. De même, si la requérante avait su que la Commission avait été d’accord avec les modifications des modèles financiers faites par PwC (les modèles que la Commission n’a pu ouvrir avant la décision d’ouverture), elle aurait cherché à réfuter ce jugement. La Commission ayant accordé beaucoup d’importance au rapport de PwC, les arguments qui minent la crédibilité de ce rapport sont en mesure d’affecter l’issue de l’enquête de la Commission. »

55 Or, il résulte de la lecture conjointe du point 67 de l’arrêt attaqué et du point 39 de la requête en première instance, tels que mentionnés aux points 53 et 54 du présent arrêt, qu’AW soutient à bon droit devant la Cour que le Tribunal a déformé son argumentation qui portait sur l’absence de possibilité pour elle de présenter ses observations sur les arguments de la République de Pologne. En particulier, AW a fait valoir que, si elle avait eu cette possibilité, elle aurait pu démontrer que l’étude FM de 2005 était utilisable et pertinente.

56 Or, dès lors que le Tribunal a considéré, aux points 60 et 61 de l’arrêt attaqué, d’une part, que la Commission aurait dû mettre AW en mesure de présenter ses observations et, d’autre part, que l’analyse juridique retenue par la Commission dans la décision litigieuse n’aurait pas pu être différente, il ne pouvait s’abstenir de prendre spécifiquement position sur l’argument rappelé au point 54 du présent arrêt. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le Tribunal a entaché son arrêt d’une insuffisance de motivation à cet égard.

57 Partant, sans qu’il soit besoin d’examiner si le raisonnement du Tribunal, au point 67 de l’arrêt attaqué, procède d’une dénaturation d’éléments de preuve, force est de constater que ce point est entaché d’une erreur de droit.

58 Cela étant, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, si les motifs d’une décision du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 48).

59 Dans ces conditions, il convient d’examiner la demande de substitution de motifs faite par la Commission, par laquelle cette institution soutient, contrairement à ce que prétend AW, que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a estimé qu’AW aurait dû être entendue une seconde fois au cours de la procédure administrative.

60 À cet égard, il convient de rappeler que la procédure de contrôle des aides d’État est, compte tenu de son économie générale, une procédure ouverte à l’égard de l’État membre responsable, au regard de ses obligations en vertu du droit de l’Union, de l’octroi de l’aide. C’est ainsi que, pour respecter les droits de la défense, dans la mesure où cet État membre n’a pas été autorisé à commenter certaines informations, la Commission ne peut pas les retenir dans sa décision contre cet État membre (arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 73).

61 Il est également de jurisprudence constante que les entreprises potentiellement bénéficiaires des aides d’État sont considérées comme étant des parties intéressées que la Commission a le devoir, lors de la phase d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, d’inviter à présenter leurs observations (arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 70).

62 Si ces parties intéressées ne peuvent se prévaloir des droits de la défense, elles disposent, en revanche, du droit d’être associées à la procédure administrative suivie par la Commission dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d’espèce (arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 71).

63 En effet, il résulte notamment de l’article 108, paragraphe 2, TFUE que, lorsque la Commission décide d’ouvrir la procédure formelle d’examen au sujet d’un projet d’aide, elle doit mettre les intéressés, au nombre desquels la ou les entreprises concernées, en mesure de présenter leurs observations. Cette règle a le caractère d’une formalité substantielle (arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C‑334/07 P, EU:C:2008:709, point 55).

64 À cet égard, la Cour a jugé, dans le cadre de l’application de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, que la publication d’un avis au Journal officiel de l’Union européenne constitue un moyen adéquat en vue de faire connaître à toutes les parties intéressées l’ouverture d’une procédure. Cette communication vise à obtenir, de la part de ces dernières, toutes informations destinées à éclairer la Commission dans son action future. Une telle procédure donne aussi aux États membres et aux milieux concernés la garantie de pouvoir se faire entendre (arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 72).

65 Dans la procédure de contrôle des aides d’État, les parties intéressées autres que l’État membre concerné n’ont que le rôle rappelé au point précédent du présent arrêt et, à cet égard, elles ne sauraient prétendre elles-mêmes à un débat contradictoire avec la Commission, tel que celui ouvert au profit dudit État membre (arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 74).

66 Par ailleurs, la Cour a précisé que, lorsque le régime juridique sous l’empire duquel un État membre a procédé à la notification d’une aide projetée vient à changer avant que la Commission ne prenne sa décision, celle-ci doit, en vue de statuer, comme elle y est obligée, sur la base des règles nouvelles, demander aux intéressés de prendre position sur la compatibilité de cette aide avec ces dernières. Il n’en va autrement que si le nouveau régime juridique ne comporte pas de modification substantielle par rapport à celui précédemment en vigueur (arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C‑334/07 P, EU:C:2008:709, point 56).

67 Toutefois, une irrégularité de procédure n’entraîne l’annulation en tout ou en partie d’une décision que s’il est établi que, en l’absence de cette irrégularité, cette décision aurait pu avoir un contenu différent (arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 80).

68 À cet égard, la Cour a déjà jugé que, s’agissant des droits procéduraux des parties intéressées, lorsqu’il y a un changement de régime juridique après que la Commission a mis les parties intéressées en mesure de présenter leurs observations et avant l’adoption par la Commission d’une décision relative à un projet d’aide et que la Commission fonde cette décision sur le nouveau régime juridique sans inviter ces parties à présenter leurs observations sur celui-ci, la seule existence de différences entre le régime juridique sur lequel lesdites parties ont été mises en mesure de soumettre leurs observations et celui sur lequel est fondée ladite décision n’est pas susceptible, en tant que telle, d’entraîner l’annulation de cette même décision. En effet, alors même que les régimes juridiques en cause auraient changé, se pose la question de savoir si, au regard des dispositions de ces régimes qui sont pertinentes pour le cas d’espèce, ledit changement était susceptible de changer le sens de la décision de la Commission (arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 81).

69 Il résulte notamment de cette jurisprudence que l’omission par la Commission d’inviter les parties intéressées à présenter leurs observations sur un changement de régime juridique, telle l’entrée en vigueur au cours d’une procédure administrative en matière d’aides d’État de lignes directrices que cette institution entend appliquer dans une décision clôturant cette procédure, ne constitue pas une violation d’une formalité substantielle.

70 Comme le fait valoir à bon droit la Commission, ce raisonnement vaut a fortiori en l’occurrence, au regard de l’omission de permettre au bénéficiaire de la mesure examinée de prendre position sur des observations de l’État membre concerné relatives aux informations fournies par ce bénéficiaire.

71 En outre, s’il peut y avoir, ainsi que l’admet la Commission, des circonstances dans lesquelles la constatation de faits nouveaux ou différents par rapport à ceux évoqués dans la décision d’ouverture ou encore l’intervention de modifications substantielles du cadre juridique pertinent peuvent nécessiter d’associer davantage les parties intéressées, voire requérir qu’une décision d’ouverture complémentaire ou rectifiée soit publiée, la présente affaire ne fait apparaître aucune de ces situations.

72 En particulier, les circonstances évoquées par le Tribunal aux points 58 et 59 de l’arrêt attaqué ne suffisent pas à établir une obligation pour la Commission d’accorder à AW la faculté de commenter les observations de la République de Pologne, ce qui s’apparenterait à un débat contradictoire avec cet État membre devant la Commission.

73 En second lieu, il résulte de la constatation effectuée au point précédent du présent arrêt, selon laquelle les circonstances de l’espèce ne suffisent pas à établir une obligation pour la Commission d’accorder à AW la faculté de commenter les observations de la République de Pologne, que l’argumentation d’AW résumée aux points 39 et 42 du présent arrêt, tirée d’une erreur de droit, doit être écartée comme étant inopérante.

74 En effet, lorsqu’une telle obligation n’est pas établie, comme en l’occurrence, force est de constater que ne se pose pas la question de savoir si l’analyse juridique retenue par la Commission aurait pu être différente si la faculté de commenter des observations de l’État membre concerné avait été accordée.

75 Au demeurant, il résulte de la jurisprudence rappelée au point 67 du présent arrêt que, contrairement à ce que prétend AW, le critère juridique retenu par le Tribunal n’est pas, en tant que tel, erroné.

76 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’accueillir la demande de substitution de motifs de la Commission et de rejeter le premier moyen du pourvoi.

 Sur les deuxième et troisième moyens

77 Le deuxième moyen, relatif au critère de l’investisseur privé, est divisé en quatre branches.

78 Le troisième moyen, relatif à l’existence d’un avantage économique, est divisé en deux branches.

 Sur les premières branches des deuxième et troisième moyens

79 Par la première branche du deuxième moyen, relative aux risques d’inflation et de change, AW fait valoir que le Tribunal a méconnu le critère de l’investisseur privé, qu’il a substitué sa propre motivation à celle de la décision litigieuse et qu’il a renversé la charge de la preuve.

80 Par la première branche du troisième moyen, relative à la pertinence d’un transfert de ces risques, AW invoque une mauvaise application de ce critère pour apprécier l’existence d’un avantage économique, une substitution de motifs à ceux de la décision litigieuse, un renversement de la charge de la preuve et un défaut de motivation.

–  Argumentation des parties

81 Dans le cadre de la première branche du deuxième moyen, AW rappelle que le Tribunal a jugé, aux points 110 à 112 et 170 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait considéré à bon droit qu’un investisseur privé hypothétique n’aurait pas pris en compte le transfert des risques de change et d’inflation invoqués par AW au cours de la procédure administrative, au motif qu’ils n’ont pas été discutés par les parties contractantes et que les inconvénients qui en résultent pour AW, voire les avantages en découlant pour la République de Pologne, n’étaient pas établis.

82 Toutefois, en ayant ainsi limité l’examen aux seules options envisagées par les parties contractantes dans l’annexe 6, le Tribunal aurait méconnu que l’examen du critère de l’investisseur privé doit nécessairement viser l’ensemble des options qu’un opérateur privé aurait raisonnablement envisagées dans une telle situation. En outre, si un contrat fixe certes la position finale de ses parties, il ne ferait pas, en principe, état de l’ensemble des considérations qui les ont amenées à le conclure. En l’espèce, les preuves figurant dans le dossier démontreraient que les parties contractantes auraient été avisées, aidées par des experts et capables de saisir l’impact du plafond des tarifs du péage virtuel ainsi que les différences entre un système de péage virtuel et un système de péage réel. Il ressortirait également du dossier que ce plafond était prévu à l’annexe 6, dans l’avant-dernier paragraphe du point 4 de son annexe 1. Il y aurait ainsi lieu de considérer que le Tribunal a dénaturé ces preuves, dès lors qu’une stipulation contractuelle est, en principe, discutée entre les parties au contrat en cause.

83 En jugeant que la Commission n’était pas tenue d’examiner le transfert des risques, au motif que ces risques n’étaient pas établis, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve, dès lors qu’il incomberait à la Commission de démontrer que le bénéficiaire n’aurait manifestement pas obtenu des facilités comparables de la part d’un investisseur privé hypothétique et que, à cet égard, il lui incombe de prendre en compte toute information susceptible d’influencer de manière non négligeable le processus décisionnel d’un opérateur privé normalement prudent et diligent, se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’État membre concerné. Partant, la Commission aurait été tenue d’établir qu’un investisseur privé n’aurait pas a priori considéré l’information en cause comme étant pertinente.

84 Selon AW, il appartenait donc au Tribunal d’établir si la Commission avait pris en compte toutes les informations disponibles et si la motivation de la décision litigieuse comprenait un examen du transfert des risques de change et d’inflation. Or, au lieu de comporter une telle vérification, l’arrêt attaqué comblerait, par une substitution de motifs, une lacune à cet égard dans la décision litigieuse. En effet, le raisonnement figurant aux points 110 à 112 de l’arrêt attaqué ne présenterait de lien avec aucune des appréciations figurant dans cette décision.

85 Par ailleurs, les risques de change et d’inflation influant directement sur le montant des sommes dues et sur l’aptitude à financer de telles sommes tout au long de la concession, il s’agirait à l’évidence d’un facteur susceptible d’avoir une influence significative sur le processus décisionnel d’un opérateur privé, si bien que Tribunal aurait mal appliqué le critère de l’investisseur privé en se référant à un investisseur qui se désintéresse de ses propres bénéfices et de ses propres risques.

86 Enfin, AW considère que, au point 112 de l’arrêt attaqué, la motivation est inadéquate, dès lors qu’il ne ressortirait pas clairement de ce point si le Tribunal a considéré qu’il y a eu transfert des risques de change et d’inflation à la République de Pologne non seulement lorsque les fluctuations se situent en dessous du plafond absolu sur le tarif du péage virtuel prévu, mais également au-dessus de celui-ci, quod non, auquel cas le Tribunal aurait dénaturé les preuves du dossier dans la mesure où l’existence d’un plafond absolu ressort clairement de celui-ci. Or, aucun autre élément mentionné dans ledit point ne serait susceptible de soutenir la conclusion à laquelle parvient le Tribunal.

87 Par la première branche du troisième moyen, AW fait valoir que les erreurs entachant l’appréciation par le Tribunal du critère de l’investisseur privé, applicable en l’espèce, concernent également, de manière plus large, celle relative à l’existence d’un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. S’agissant des erreurs que le Tribunal aurait commises aux points 110 à 112 de l’arrêt attaqué, AW renvoie à son argumentation résumée aux points 81 à 86 du présent arrêt, démontrant une mauvaise application dudit critère, un défaut de motivation, une substitution de motifs et un renversement de la charge de la preuve.

88 En outre, aux deux dernières phrases du point 112 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se serait livré à une évaluation économique complexe qui excède ses pouvoirs de contrôle et qui l’a conduit à substituer sa motivation à celle de la Commission qui ne s’intéresse pas, dans la décision litigieuse, au contenu de ces deux dernières phrases. Le raisonnement mené à ce point serait, par ailleurs, insusceptible de soutenir la conclusion du Tribunal et dénaturerait les preuves, dès lors que les poids lourds représentent 81 % des revenus d’AW et que le Tribunal n’explique pas comment un inconvénient du système de péage virtuel ayant une incidence sur ces revenus pourrait être compensé par le fait que 19 % des revenus d’AW ne sont pas concernés par cet inconvénient.

89 L’argumentation présentée par AW en première instance ayant visé les inconvénients du système de péage virtuel qui ne sont pas intégrés dans le calcul du TRI, mais qui ont néanmoins une incidence sur la situation financière de celle-ci, les considérations du Tribunal sur les inconvénients de ce système qui ont été intégrés dans ce calcul ne seraient, dès lors, pas pertinentes. Selon AW, la question pertinente est celle de savoir si, du point de vue d’AW, un TRI prévu plus élevé mais présentant des risques d’inflation et de change plus élevés serait économiquement plus avantageux qu’un TRI prévu plus faible mais présentant des risques d’inflation et de change plus faibles. Or, il ne serait pas possible de répondre à cette question sans effectuer une appréciation du plafond des tarifs du péage virtuel.

90 La Commission et la République de Pologne contestent l’argumentation d’AW. La Commission considère, en particulier, qu’il ressort des points 110 et 111 de l’arrêt attaqué que l’annexe 6 ne comporte aucune considération relative à l’accroissement des risques d’inflation et de change, qu’il n’est donc pas prouvé que les parties contractantes entendaient tenir compte d’un tel accroissement et que le TRI du modèle avec vignette communiqué par AW en première instance n’a pas été présenté comme incluant un élément de compensation correspondant aux risques d’inflation et de change. En outre, l’allégation selon laquelle la charge de la preuve aurait été renversée serait irrecevable dès lors qu’elle n’est accompagnée d’aucun argument juridique la justifiant. En outre, la Commission et la République de Pologne font valoir que les premières branches des deuxième et troisième moyens ne sont pas fondées.

–  Appréciation de la Cour

91 Dans le cadre des premières branches des deuxième et troisième moyens, AW reproche au Tribunal d’avoir dénaturé des éléments de preuve et d’avoir commis plusieurs erreurs de droit résultant d’applications erronées du critère de l’investisseur privé, d’une répartition erronée de la charge de la preuve, d’une substitution de motifs et d’une motivation insuffisante de l’arrêt attaqué.

92 S’agissant, en premier lieu, des prétendues dénaturations d’éléments de preuve, il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits (arrêt du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 97 ainsi que jurisprudence citée).

93 Partant, l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 98 ainsi que jurisprudence citée).

94 Lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante de la Cour qu’une dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 99 ainsi que jurisprudence citée).

95 En l’occurrence, la première dénaturation invoquée par AW vise le point 110 de l’arrêt attaqué, aux termes duquel « il ne ressort pas de l’annexe 6 que les parties contractantes ont entendu tenir compte des inconvénients allégués du système de péage virtuel dont [AW] se prévaut désormais, ni a fortiori qu’elles ont conclu un accord à cet égard. Cette annexe ne comporte notamment aucune considération relative à l’accroissement des risques allégués par [AW] ».

96 Or, lorsqu’AW reproche au Tribunal d’avoir méconnu que le plafond des tarifs du péage virtuel est prévu à l’annexe 6, à l’avant-dernier paragraphe du point 4 de son annexe 1, et que cette stipulation contractuelle a été discutée entre les parties contractantes, elle ne fait pas valoir de dénaturation, mais conteste, en réalité, l’appréciation factuelle du Tribunal selon laquelle la seule présence de ce plafond n’équivaut pas, en l’absence d’autres éléments corroborants, à une prise en compte par ces parties d’un transfert des risques de change et d’inflation invoqués par AW.

97 Partant, ainsi que le fait valoir à bon droit la Commission, les prétentions d’AW à cet égard sont irrecevables au stade du pourvoi.

98 La deuxième dénaturation invoquée par AW vise le point 112 de l’arrêt attaqué, qui est notamment libellé comme suit :

« [...] en application de l’annexe 6, les tarifs du péage virtuel étaient indexés en fonction des fluctuations du taux d’inflation et du taux de change, et augmentés au surplus, tous les six mois à compter du 1er septembre 2007, d’un facteur supplémentaire appelé “WWR”. Par le mécanisme de vérification, la République de Pologne a également pris sur elle les risques liés à l’évolution du trafic et des recettes et garanti que le TRI resterait au même niveau que celui attendu avant la modification de la loi pendant la période allant du 1er septembre 2005 au 31 décembre 2006. Dans ces conditions, la seule existence d’un plafond des tarifs du péage virtuel, non indexé en fonction des fluctuations du taux d’inflation et du taux de change, ne peut être considérée comme ayant transféré à la requérante le risque d’inflation et le risque de change et comme justifiant le versement d’une “prime” à la requérante. »

99 Dans la mesure où AW reproche au Tribunal d’avoir ainsi considéré qu’il y a eu transfert des risques de change et d’inflation à la République de Pologne non seulement lorsque les fluctuations se situent en dessous du plafond absolu sur le tarif du péage virtuel prévu mais également au‑dessus de celui-ci, force est de constater que, dans la première phrase citée au point précédent, le Tribunal s’est borné à décrire le mécanisme prévu à l’annexe 6, que la deuxième phrase vise non pas les risques de change et d’inflation, mais les risques liés à l’évolution du trafic et des recettes et que la troisième phrase comporte une appréciation factuelle tirée des éléments de preuve mentionnés dans les deux phrases précédentes.

100 Ce passage de l’arrêt attaqué ne fait ainsi apparaître aucune dénaturation d’éléments de preuve et AW se borne de nouveau à contester une appréciation factuelle souveraine du Tribunal, ce qui est irrecevable au stade du pourvoi.

101 La troisième dénaturation invoquée par AW vise également le point 112 de l’arrêt attaqué, en ce qu’il est notamment ainsi libellé :

« [...] s’agissant de l’impossibilité de fixer les péages au niveau optimal et de l’impossibilité de bénéficier d’un rendement supérieur à celui initialement prévu, il convient de constater, d’une part, [qu’AW] demeurait libre de fixer les tarifs de péage applicables aux véhicules autres que les poids lourds munis d’une vignette, de sorte qu’elle pouvait adapter sa stratégie commerciale aux évolutions du marché, et, d’autre part, qu’elle avait utilisé, au 1er septembre 2005, toutes les possibilités d’augmenter ses tarifs réels pour les poids lourds en fixant ces derniers aux niveaux maximaux autorisés par [le contrat de concession]. Les inconvénients allégués par la requérante ne pouvaient donc affecter sensiblement sa situation financière attendue. »

102 Lorsqu’AW relève que les poids lourds représentent 81 % de ses revenus et qu’elle prétend que le Tribunal n’explique pas comment un inconvénient du système de péage virtuel ayant une incidence sur ces revenus pourrait être compensé par le fait que 19 % de ses revenus ne sont pas concernés par cet inconvénient, elle tend non pas à établir une dénaturation, par le Tribunal, des clauses contractuelles dans le cadre de la première des phrases mentionnées au point précédent, mais à démontrer que l’appréciation factuelle du Tribunal selon laquelle les inconvénients allégués du système de péage virtuel ne pouvaient sensiblement altérer sa situation financière attendue est erronée. Cette argumentation doit, dès lors, elle aussi être considérée comme étant irrecevable.

103 En second lieu, s’agissant des erreurs de droit prétendument commises par le Tribunal, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C‑160/19 P, EU:C:2020:1012, point 27 et jurisprudence citée).

104 Dans la mesure où l’argumentation présentée par AW dans le cadre des premières branches des deuxième et troisième moyens concerne exclusivement la troisième de ces conditions, il y a lieu de relever que, conformément à la jurisprudence également constante de la Cour, sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises, ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pu obtenir dans des conditions normales de marché (arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH Holding et FIH Erhvervsbank, C‑579/16 P, EU:C:2018:159, point 44).

105 Ainsi, compte tenu de l’objectif de l’article 107, paragraphe 1, TFUE d’assurer une concurrence non faussée, y compris entre les entreprises publiques et les entreprises privées, la notion d’« aide », au sens de cette disposition, ne saurait recouvrir une mesure accordée en faveur d’une entreprise au moyen de ressources d’État lorsque celle-ci aurait pu obtenir le même avantage dans des circonstances correspondant aux conditions normales du marché. L’appréciation des conditions dans lesquelles un tel avantage a été accordé s’effectue donc, en principe, par application du principe de l’opérateur privé (arrêt du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C‑160/19 P, EU:C:2020:1012, point 103 et jurisprudence citée).

106 À cet égard, lorsqu’il existe des doutes quant à l’applicabilité dudit principe, notamment en raison de l’emploi par l’État membre concerné, lors de l’adoption de la mesure en cause, de ses prérogatives de puissance publique, il incombe à l’État membre d’établir sans équivoque et sur la base d’éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d’opérateur privé (arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 63 et jurisprudence citée).

107 En revanche, lorsque le principe de l’opérateur privé est applicable, il figure parmi les éléments que la Commission est tenue de prendre en compte pour établir l’existence d’une aide, et ne constitue donc pas une exception s’appliquant seulement sur la demande d’un État membre, lorsqu’il a été constaté que les éléments constitutifs de la notion d’« aide d’État », figurant à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sont réunis (arrêt du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C‑160/19 P, EU:C:2020:1012, point 109 et jurisprudence citée).

108 Dans ce cas, c’est donc sur la Commission que pèse la charge de prouver, en tenant compte, notamment, des informations fournies par l’État membre concerné, que les conditions d’application du principe de l’opérateur privé ne sont pas remplies, de sorte que l’intervention étatique en cause renferme un avantage, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C‑160/19 P, EU:C:2020:1012, point 110).

109 À cet égard, il convient de rappeler que, aux fins de l’appréciation de la question de savoir si la même mesure aurait été adoptée dans les conditions normales du marché par un opérateur privé, il convient de se référer à un tel opérateur se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’État concerné (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 30 et jurisprudence citée).

110 C’est dans ce cadre qu’il appartient à la Commission d’effectuer une appréciation globale prenant en compte tout élément pertinent en l’espèce lui permettant de déterminer si l’entreprise bénéficiaire n’aurait manifestement pas obtenu des facilités comparables d’un tel opérateur privé (arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 29 et jurisprudence citée).

111 Il en découle que l’examen auquel la Commission doit, le cas échéant, se livrer ne saurait se limiter aux seules options que l’autorité publique compétente a effectivement prises en compte, mais doit nécessairement viser l’ensemble des options qu’un opérateur privé aurait raisonnablement envisagées dans une telle situation (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 29).

112 À cet égard, d’une part, doit être considérée comme étant pertinente toute information susceptible d’influencer de manière non négligeable le processus décisionnel d’un opérateur privé normalement prudent et diligent, se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’opérateur public (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 60).

113 D’autre part, sont seuls pertinents, aux fins de l’application du principe de l’opérateur privé, les éléments disponibles et les évolutions prévisibles au moment où cette décision a été prise (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 61).

114 En outre, la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité FUE relatives aux aides d’État, de conduire la procédure d’examen des mesures incriminées de manière diligente et impartiale, afin qu’elle dispose, lors de l’adoption de la décision finale, des éléments les plus complets et fiables possibles pour ce faire (arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 67 et jurisprudence citée).

115 Dans la mesure où AW reproche au Tribunal d’avoir excédé les limites de son contrôle, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre du contrôle de la légalité visé à l’article 263 TFUE, la Cour et le Tribunal sont compétents pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité FUE ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir. L’article 264 TFUE prévoit que, si le recours est fondé, l’acte contesté est déclaré nul et non avenu. La Cour et le Tribunal ne peuvent donc, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué (arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 104 et jurisprudence citée).

116 En outre, il est de jurisprudence constante que l’examen qu’il appartient à la Commission d’effectuer, lors de l’application du principe de l’opérateur privé, requiert de procéder à une appréciation économique complexe et que, dans le cadre du contrôle que les juridictions de l’Union exercent sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission dans le domaine des aides d’État, il n’appartient pas au juge de l’Union de substituer son appréciation économique à celle de la Commission (arrêt du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C‑160/19 P, EU:C:2020:1012, point 100).

117 Toutefois, le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 64).

118 À cet égard, la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée, qui incluent ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer conformément à la jurisprudence rappelée aux points 110 à 113 du présent arrêt et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la procédure administrative (arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, points 70 et 71).

119 C’est au regard des considérations exposées aux points 103 à 118 du présent arrêt qu’il convient d’examiner l’argumentation d’AW.

120 S’agissant, premièrement, du grief pris de ce que le Tribunal aurait limité son examen aux seules options envisagées par les parties contractantes et aurait méconnu l’influence significative des risques allégués sur le processus décisionnel d’un investisseur privé, il résulte, certes, de la jurisprudence rappelée aux points 110 et 111 du présent arrêt, que l’examen auquel la Commission doit, le cas échéant, se livrer ne saurait se limiter aux seules options que l’autorité publique compétente a effectivement prises en compte, mais doit nécessairement viser l’ensemble des options qu’un opérateur privé aurait raisonnablement envisagées dans une telle situation.

121 Toutefois, il résulte également de cette jurisprudence que cette exigence n’implique pas que la Commission soit tenue de prendre en compte, en outre, des options qu’un opérateur privé n’aurait pas raisonnablement envisagées dans une telle situation.

122 En outre, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice (C‑300/16 P, EU:C:2017:706), était en cause l’application du critère du créancier privé à un créancier qui visait à maximiser la récupération des sommes qui lui étaient dues par un débiteur en faillite. C’est dans le cadre d’une telle situation que la Cour a jugé qu’il incombait à la Commission d’examiner, au-delà des options de recouvrement envisagées par l’autorité publique compétente, toute autre option qu’un créancier privé aurait raisonnablement prise en compte.

123 En revanche, la situation en cause en l’espèce fait apparaître que la République de Pologne n’était pas, par rapport à AW, dans la situation d’un créancier privé, ni d’ailleurs dans celle d’un investisseur privé. En effet, étant donné que cet État membre se voyait dans l’obligation d’indemniser AW pour un dommage qui avait été causé à celle-ci dans le cadre de leurs relations contractuelles, le critère à retenir était bien celui d’un débiteur privé qui est redevable, dans le cadre d’une relation contractuelle, d’une somme d’argent à son cocontractant en raison d’un dommage qu’il lui a causé.

124 Or, force est de constater qu’il n’est pas dans l’intérêt d’un débiteur privé de compenser son créancier pour des risques de change et d’inflation que ce créancier n’a pas fait valoir à son égard. En effet, dès lors qu’une compensation plus importante irait, en principe, à l’encontre des intérêts d’un débiteur privé, il convient de considérer qu’un tel débiteur n’aurait pas pris en compte de tels risques sauf si, sur demande de son cocontractant, il était tenu de le faire ou que cela aurait été dans son intérêt entendu plus largement, eu égard à la relation contractuelle en cause.

125 Partant, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a considéré, aux points 152 à 154 et 165 à 171 de l’arrêt attaqué, qu’un opérateur privé dans la situation de la République de Pologne n’aurait pas, en principe, accepté de verser un montant supérieur à celui qu’il devait à AW par suite de l’évènement dommageable en cause et, plus spécifiquement, aux points 110 à 112 de cet arrêt, qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte des risques pesant prétendument sur AW dont il n’apparaît pas qu’ils aient fait l’objet d’une demande d’AW lors des négociations avec cet État membre ou qu’ils auraient autrement fait l’objet de leurs échanges.

126 Il en résulte, deuxièmement, que c’est à tort qu’AW reproche au Tribunal d’avoir effectué un renversement de la charge de la preuve, dès lors que les risques allégués par AW doivent être considérés, en conséquence, comme n’étant pas des informations pertinentes susceptibles d’influencer de manière non négligeable le processus décisionnel d’un opérateur privé normalement prudent et diligent, se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle de l’opérateur public. Dans ces conditions, contrairement à ce que prétend AW, il ne saurait être considéré que la Commission était tenue de préciser, dans la décision litigieuse, les raisons pour lesquelles elle n’a pas pris en compte les risques allégués par AW.

127 Troisièmement, eu égard aux considérations qui précèdent, AW ne saurait utilement prétendre que le Tribunal a opéré une substitution de motifs ou qu’il a excédé les limites de son contrôle lorsqu’il a constaté, aux points 110 à 112 de l’arrêt attaqué, que les risques invoqués par AW n’étaient ni pertinents pour l’appréciation que la Commission était tenue d’effectuer ni établis. Le Tribunal s’est, en effet, borné à apprécier les arguments avancés devant lui et à vérifier si la décision litigieuse était ou non illégale au regard des prétentions d’AW.

128 Enfin, dans la mesure où AW fait valoir que le raisonnement figurant auxdits points de l’arrêt attaqué est insusceptible de soutenir la conclusion du Tribunal, figurant au point 113 de cet arrêt, force est de constater qu’elle ne reproche pas un défaut de motivation dudit arrêt, mais qu’elle critique le contenu des appréciations du Tribunal invitant, partant, la Cour à procéder à une nouvelle appréciation des faits, ce qui ne relève pas de sa compétence et doit donc être considéré comme étant irrecevable au stade du pourvoi.

129 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les premières branches des deuxième et troisième moyens du pourvoi comme étant, en partie, irrecevables et, en partie, non fondées.

 Sur la deuxième branche du deuxième moyen

130 La deuxième branche du deuxième moyen, relative aux options qu’un investisseur privé hypothétique aurait envisagées, est tirée de la violation du critère de l’investisseur privé, du principe de primauté du droit de l’Union, de l’obligation de motivation, des règles en matière de preuve et des limites du contrôle à effectuer par le Tribunal.

–  Argumentation des parties

131 AW soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’un investisseur privé aurait été limité, lors de la négociation du montant du péage virtuel, par les dispositions et les objectifs de la loi du 28 juillet 2005, dès lors qu’il aurait entériné l’approche erronée de la Commission consistant à ne prendre en compte que les options envisagées par l’État membre concerné. En outre, le niveau adéquat de compensation pour AW ne serait pas une considération déterminante pour un investisseur privé, dans la mesure où il n’est directement lié ni à sa profitabilité ni à son risque.

132 Par ailleurs, si une mesure contraire à une loi nationale constituait un avantage, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison du seul fait qu’un investisseur privé ne paierait pas davantage que ce qui est exigé par cette loi, cette dernière limiterait l’application de ladite disposition de rang supérieur, engendrant une violation du principe de primauté du droit de l’Union.

133 De plus, en estimant que la loi du 28 juillet 2005 impose aux parties contractantes des limites relatives à la détermination du péage virtuel, le Tribunal aurait motivé l’arrêt attaqué de façon inadéquate, violé les règles en matière de preuve et substitué une motivation différente à celle de la décision litigieuse. En effet, si cette loi a interdit le péage réel, elle aurait aussi renvoyé à des négociations relatives à la méthode de compensation et aux délais de remboursement. Cette loi ne spécifiant ni le TRI, ni qu’il devrait uniquement compenser la perte de recettes, ni les considérations que l’État peut prendre en compte, ni la position commerciale de l’État, elle laisserait un large pouvoir d’appréciation pour structurer l’accord portant sur les péages virtuels.

134 AW aurait d’ailleurs fourni au Tribunal, en tant que preuve de la portée et du contenu de la loi du 28 juillet 2005, la sentence arbitrale qui expliciterait la correcte interprétation de la loi du 28 juillet 2005 et que le Tribunal aurait rejetée à tort et au moyen d’une motivation inadéquate comme étant dénuée de pertinence. En effet, le fait que cette sentence ne s’imposait pas à la Commission et qu’elle ne déclare pas plus pertinente l’étude WSA de 1999 par rapport à l’étude WSA de 2004 serait inopérant quant à la valeur probante de ladite sentence. Le Tribunal aurait ainsi tiré ses conclusions à partir de preuves incomplètes et sans aucun fondement, aucun élément du dossier ne soutenant ces conclusions. Le Tribunal aurait également méconnu que l’examen de la portée et du contenu de la loi du 28 juillet 2005 supposait des connaissances techniques et que la Commission ne s’est pas procurée l’expertise requise, ce qui serait aggravé par le fait que la sentence arbitrale et le libellé de la loi du 28 juillet 2005 indiquaient que le péage virtuel devait être négocié entre les parties contractantes. Enfin, la sentence arbitrale aurait été annulée par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) au seul motif de sa contrariété à la décision litigieuse, ce qui ne remettrait pas en cause sa valeur probante quant à l’interprétation de ladite loi.

135 En outre, en ayant entériné, au point 153 de l’arrêt attaqué, l’affirmation dénuée de preuves exactes, fiables et cohérentes qui figure au point 152 de la décision litigieuse, selon laquelle l’annexe 6 octroie une compensation plus importante que ne l’exigeait la loi du 28 juillet 2005 et qu’il existe une contradiction entre le contrat de concession et cette annexe, le Tribunal aurait omis de vérifier si les exigences de preuve étaient remplies. L’arrêt attaqué serait ainsi entaché d’un défaut de motivation ne permettant pas à AW de connaître les raisons ayant amené le Tribunal à retenir l’interprétation qu’il a faite de ladite loi ni de connaître les raisons du rejet de son argumentation selon laquelle la prétendue contradiction n’existerait pas.

136 La Commission et la République de Pologne contestent l’argumentation d’AW. La Commission estime, en particulier, que le grief tiré de ce qu’un investisseur privé ne serait pas limité par les dispositions et les objectifs de la loi du 28 juillet 2005 est irrecevable, dès lors que la nature de l’erreur de droit n’est pas précisée et qu’aucun argument juridique n’est avancé à l’appui d’un tel grief. En outre, la portée et le contenu de cette loi constituant des éléments de fait, l’appréciation souveraine du Tribunal portant sur ces éléments ne pourrait être contestée que si la dénaturation desdits éléments était invoquée, ce qui ne serait ni soulevé ni a fortiori prouvé. Enfin, la Commission et la République de Pologne font valoir que la deuxième branche du deuxième moyen n’est pas fondée.

–  Appréciation de la Cour

137 Il y a lieu de rejeter d’emblée l’irrecevabilité soulevée par la Commission portant sur l’argumentation présentée par AW dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, celle-ci étant suffisamment claire et visant à la constatation d’une erreur de droit résultant de la limitation par le Tribunal des éléments pris en compte aux fins de l’appréciation au titre du principe de l’opérateur privé, d’une violation du principe de primauté du droit de l’Union, d’une méconnaissance des règles relatives à l’administration de la preuve, d’une substitution de motifs et d’une motivation inadéquate de l’arrêt attaqué.

138 Ces griefs formulés par AW visent les points 152 à 154 de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a notamment estimé que la Commission avait considéré à bon droit que la loi du 28 juillet 2005 et le contrat de concession imposaient à la République de Pologne d’indemniser AW pour la seule perte de recettes causée par les modifications apportées par cette loi et qu’aucun opérateur privé rationnel n’aurait accepté de verser un montant supérieur à ce que lui imposaient ladite loi et ce contrat.

139 Il a déjà été relevé aux points 121 à 125 du présent arrêt que c’est à bon droit que le Tribunal a estimé qu’un débiteur privé dans la situation de la République de Pologne ne viserait pas à indemniser AW au-delà des conséquences qui découlent de l’impact de la loi 28 juillet 2005 sur leur relation contractuelle. L’appréciation du Tribunal étant ainsi conforme au principe de l’opérateur privé, il y a lieu de considérer qu’elle n’est pas entachée d’une erreur de droit ni qu’elle viole le principe de primauté du droit de l’Union.

140 Il en résulte également qu’AW ne saurait utilement prétendre que le Tribunal a opéré une substitution de motifs ou qu’il a excédé les limites de son contrôle lorsqu’il a effectué, aux points 152 à 154 de l’arrêt attaqué, les constatations rappelées au point 138 du présent arrêt. Le Tribunal s’est, en effet, borné à apprécier les arguments avancés devant lui et à vérifier si la décision litigieuse était ou non illégale au regard des prétentions d’AW.

141 S’agissant de la prétendue motivation déficiente de l’arrêt attaqué, tout d’abord, il y a lieu de relever qu’AW conteste seulement le caractère suffisant de la motivation de l’arrêt attaqué pour soutenir les conclusions du Tribunal.

142 Ensuite, cette argumentation procède, en partie, d’une lecture erronée des points 152 et 153 de l’arrêt attaqué, ceux-ci ne comportant ni de constatation selon laquelle l’annexe 6 octroierait à AW une compensation plus importante que celle exigée par la loi du 28 juillet 2005 ni qu’il existe une contradiction entre le contrat de concession et cette annexe, mais que le montant de la compensation auquel AW avait droit résultait d’une appréciation d’ensemble du fait dommageable causé par ladite loi et des obligations incombant à la République de Pologne en vertu dudit contrat.

143 En conséquence, le Tribunal n’ayant pas effectué, dans ces points de l’arrêt attaqué, de telles constatations, est dénuée de tout fondement l’argumentation d’AW selon laquelle le Tribunal aurait, en les effectuant, méconnu les règles relatives à l’administration de la preuve.

144 Enfin, AW vise à obtenir, ainsi que l’a fait valoir à bon droit la Commission, une nouvelle appréciation des faits, et notamment du contenu de la loi du 28 juillet 2005, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour.

145 Il s’ensuit qu’il convient de rejeter la deuxième branche du deuxième moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.

 Sur la troisième branche du deuxième moyen

146 Par la troisième branche du deuxième moyen, relative au risque d’échec des négociations et au risque de contentieux, AW invoque une dénaturation des preuves ainsi que la méconnaissance du critère de l’investisseur privé, du principe de primauté du droit de l’Union, de l’obligation de motivation, des règles en matière de preuve et des limites du contrôle à effectuer par le Tribunal.

–  Argumentation des parties

147 AW fait valoir que, à l’instar des conseillers de la République de Pologne, qui auraient considéré l’annexe 6 comme étant acceptable, un investisseur privé hypothétique aurait pris en compte le risque qu’AW finisse par demander la résiliation du contrat de concession ou par introduire un recours ainsi que l’avis professionnel de ses conseillers à cet égard, et que la Commission était donc tenue tant d’évaluer ce risque que de prendre en compte cet avis, ce qu’elle aurait omis de faire et que le Tribunal n’aurait pas censuré.

148 En effet, au point 165 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait limité l’application du critère de l’investisseur privé aux seules options prévues par la loi du 28 juillet 2005 et aurait ainsi entaché l’arrêt attaqué des mêmes erreurs que celles déjà relevées dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen du pourvoi. Le raisonnement mené au point 166 de cet arrêt serait circulaire, inadéquat et comporterait une substitution de motifs en ce qui concerne les risques de résiliation et de contentieux mentionnés au point précédent du présent arrêt.

149 Pour autant que, au point 167 dudit arrêt, le Tribunal a estimé qu’AW avait également intérêt à éviter un contentieux, le Tribunal substituerait de nouveau son raisonnement à celui de la Commission dans la décision litigieuse, ne répondrait pas à l’argument relatif au point où AW n’aurait plus poursuivi la relation commerciale, qui serait marqué par la perspective de pertes pour AW, et dénaturerait les analyses des conseillers de la République de Pologne. La dernière phrase de ce point contiendrait, en outre, une erreur de logique et, partant, une motivation inadéquate, en ce qu’elle limiterait la prise en compte des risques de résiliation et de contentieux à la période antérieure à l’adoption de la loi du 28 juillet 2005, alors même que ces risques existeraient également pour la période postérieure.

150 La Commission et la République de Pologne contestent l’argumentation d’AW.

–  Appréciation de la Cour

151 Par son argumentation présentée dans le cadre de la troisième branche du deuxième moyen, qui vise les points 165 à 167 de l’arrêt attaqué, AW invoque une mauvaise application du principe de l’opérateur privé, une motivation inadéquate, une substitution de motifs ainsi qu’une dénaturation des preuves.

152 Au point 165 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné, en ce qui concerne les prétendus risques encourus par un opérateur privé en cas d’échec des négociations, qu’un tel opérateur n’aurait conclu un avenant au contrat de concession que pour indemniser AW, conformément à la loi du 28 juillet 2005, de la seule perte de recettes causée par cette loi et que, par conséquent, il n’aurait ni tenu compte de ces prétendus risques ni accepté de verser, à ce titre, une compensation supérieure. Il a ajouté que lesdits risques n’ont pas été discutés par les parties contractantes lors de la négociation de l’annexe 6 et n’ont pas été pris en compte pour calculer le montant de la compensation versée à AW.

153 Au point 166 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que la Commission s’est bornée, pour l’essentiel, dans la décision litigieuse, à remettre en cause les données utilisées dans les modèles financiers prévus à l’annexe 6. Or, les risques prétendument encourus par un opérateur privé en l’absence de transaction n’ayant aucun rapport avec la pertinence des données utilisées dans les modèles financiers, le Tribunal a estimé que rien ne permettait de penser qu’un opérateur privé aurait accepté d’utiliser les données non pertinentes de l’étude WSA de 1999 plutôt que celles de l’étude WSA de 2004 pour tenir compte desdits risques.

154 Au point 167 de l’arrêt attaqué, tout d’abord, le Tribunal a ajouté que le risque d’échec des négociations et le risque contentieux n’auraient pas été pris en compte par un opérateur privé dans le cadre des négociations pour calculer le montant de la compensation due à AW, puisque ces risques n’auraient aucun rapport avec la perte de recettes causée par la modification législative. Ensuite, il a estimé qu’AW avait également intérêt à ce que les négociations aboutissent et à ce qu’un recours contentieux visant l’obtention de dommages et intérêts soit évité. Enfin, il a relevé qu’AW n’avait pas établi ni même allégué que les conseillers de la République de Pologne estimaient que le risque d’échec des négociations ainsi que le risque contentieux devaient être pris en compte pour déterminer le TRI juste avant les modifications apportées par la loi du 28 juillet 2005.

155 Quant à la prétendue dénaturation des preuves, il suffit de relever que, contrairement aux exigences rappelées au point 94 du présent arrêt, AW ne précise pas quel élément de preuve serait dénaturé par la constatation effectuée par le Tribunal dans la dernière phrase du point 167 de l’arrêt attaqué.

156 S’agissant de la mauvaise application du principe de l’opérateur privé invoquée par AW, tout d’abord, il y a lieu de rappeler que le critère d’appréciation à retenir en l’espèce était celui d’un débiteur privé qui était redevable, dans le cadre d’une relation contractuelle, d’une somme d’argent à son cocontractant en raison d’un dommage qu’il lui avait causé. Ainsi qu’il a déjà été constaté à plusieurs reprises dans le présent arrêt, n’est pas, dès lors, entachée d’erreur de droit l’appréciation du Tribunal selon laquelle un tel débiteur n’aurait pas, en principe, indemnisé AW au-delà du montant dû en raison du fait dommageable.

157 Ensuite, même en admettant que cette obligation de paiement résultait d’une relation contractuelle plus large entre la République de Pologne et AW et qu’un débiteur privé dans la situation de cet État membre aurait ainsi pu prendre en compte les risques d’échec des négociations et de contentieux, encore faudrait-il que ceux-ci aient été réels et qu’ils aient pu engendrer pour lui des coûts plus élevés que ceux liés à l’indemnisation d’AW du fait des conséquences sur elle de la loi du 28 juillet 2005.

158 Enfin, il résulte des appréciations factuelles du Tribunal, figurant aux points 165 et 167 de l’arrêt attaqué, que la réalité de tels risques n’était pourtant pas établie. En effet, le Tribunal a relevé, à cet égard, que ce point n’a pas été discuté entre les parties contractantes et il résulte, par ailleurs, de l’arrêt attaqué que le mécanisme de compensation des pertes convenu devait, d’une part, assurer le remplacement entier des recettes perdues et, d’autre part, assurer qu’AW était en mesure de rembourser les prêts souscrits pour la construction du tronçon d’autoroute en cause.

159 Dans ces conditions, le grief tiré de la mauvaise application du principe de l’opérateur privé doit être écarté comme étant non fondé.

160 En ce qui concerne les prétendues substitutions de motifs, il importe de relever que le Tribunal a examiné, aux points 165 à 167 de l’arrêt attaqué, l’argumentation d’AW selon laquelle la Commission avait omis à tort de prendre en compte les risques d’échec des négociations et les risques de contentieux. À cet égard, le Tribunal a constaté que les risques allégués par AW n’étaient pas établis. Or, la Commission n’est pas, en principe, tenue de préciser dans ses décisions les raisons pour lesquelles elle n’a pas pris en compte des éléments non établis. Partant, le Tribunal n’a pas, auxdits points de l’arrêt attaqué, fourni une motivation qui aurait dû figurer dans la décision litigieuse, mais a exposé un raisonnement rejetant l’argumentation présentée devant lui et tendant à établir un prétendu défaut de motivation de la décision litigieuse.

161 Enfin, sous couvert d’une prétendue insuffisance de motivation de l’arrêt attaqué, AW tend, en réalité, à obtenir de la Cour une nouvelle appréciation des faits, ce qui ne relève pas de sa compétence.

162 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter la troisième branche du deuxième moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.

 Sur la quatrième branche du deuxième moyen

163 La quatrième branche du deuxième moyen, relative à l’étude du trafic et des recettes à retenir, est tirée d’une déformation de la décision litigieuse, de la substitution par le Tribunal d’une motivation différente à celle de ladite décision, de l’application erronée du critère de l’investisseur privé, d’une violation du principe de primauté du droit de l’Union, d’une violation des règles en matière de preuve et d’un défaut de motivation.

–  Argumentation des parties

164 AW relève que le point 152 de la décision litigieuse énonce qu’« il est très douteux » qu’un investisseur privé accepte de calculer la compensation d’AW sur la base de l’étude WSA de 1999 plutôt que sur celle de l’étude WSA de 2004 et souligne que, ce faisant, la Commission ne disposait pas de preuve qu’il en soit ainsi. Or, la charge de la preuve incombant à la Commission, ce raisonnement ne saurait soutenir sa conclusion selon laquelle le critère de l’investisseur privé n’était pas rempli. Partant, en affirmant, au point 153 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse était suffisamment motivée en ce qui concerne l’application de ce critère, le Tribunal aurait appliqué un critère juridique erroné, déformé le sens évident de la décision litigieuse et substitué sa motivation à celle de cette décision.

165 AW estime que les termes employés par la Commission témoigneraient d’ailleurs, tout comme la structure de la décision litigieuse, de ce que la Commission aurait traité le critère de l’investisseur privé comme étant une exception qu’elle ne devait examiner qu’à la demande d’AW, de sorte que le point 142 de l’arrêt attaqué, qui constaterait le contraire, ne serait pas convaincant.

166 AW relève que le point 154 de l’arrêt attaqué se prononce uniquement sur les mérites respectifs de l’étude WSA de 2004 par rapport à l’étude WSA de 1999 pour analyser la situation financière d’AW antérieure à la modification législative en cause. Toutefois, un investisseur privé ne se limiterait pas à considérer que certains éléments d’une formule auraient pu être choisis différemment, mais choisirait entre l’option de cette formule et d’autres options disponibles en fonction de leur résultat final. Le raisonnement du Tribunal n’expliquerait pas la raison pour laquelle l’annexe 6 ne figurait pas parmi ces autres options, le cas échéant prises en compte par un tel investisseur, de sorte que la motivation de l’arrêt attaqué sur ce point serait inadéquate.

167 En outre, en ayant intégré dans son analyse l’objectif de la loi du 28 juillet 2005, le Tribunal aurait entaché ce même raisonnement des erreurs exposées au point 82 du présent arrêt. La motivation dudit point 154 ne faisant pas apparaître l’option que le Tribunal a considérée comme étant celle qu’un investisseur privé aurait envisagée, elle serait inadéquate. En particulier, il ne serait pas clair si le Tribunal a envisagé l’accord trouvé entre les parties avec pour seul changement l’actualisation du modèle financier de base au moyen des données de l’étude de trafic WSA de 2004, c’est‑à‑dire avec un plafond des tarifs de péage virtuel, ou un accord fondé sur le modèle financier de base actualisé mais sans fixation de plafond. Or, dans le premier cas, la motivation du Tribunal serait contradictoire, car, selon le Tribunal, pour « garantir la compensation », un tel plafond ne serait pas nécessaire puisque le TRI aurait été de 7,42 %, et, dans le second cas, il serait évident que le plafond des tarifs de péage virtuel aurait dû être examiné.

168 Toujours à cet égard, AW relève qu’une autre option ouverte à l’investisseur privé aurait pu consister en un accord sans actualisation de la présomption de trafic du modèle financier de base, mais avec un plafond des tarifs de péage virtuel plus bas qui aurait pu déboucher sur un TRI inférieur à 7,42 %. Or, un investisseur privé ne paierait évidemment pas davantage, dans le seul but d’utiliser la « bonne » étude. La « bonne » étude serait dès lors, à elle seule, dénuée de pertinence. Le critère de l’investisseur privé supposerait, en effet, une analyse du « paquet complet », si bien que l’analyse du Tribunal constituerait une mauvaise application de ce critère. De même, le Tribunal aurait ignoré l’argument d’AW selon lequel un investisseur privé aurait estimé qu’aucune des études disponibles n’était adaptée à l’objectif poursuivi, ce qui correspondrait aux conclusions du conseiller financier de la République de Pologne, ce qu’aucun investisseur ne pouvait ignorer.

169 La Commission conteste l’argumentation d’AW.

–  Appréciation de la Cour

170 Par la quatrième branche du deuxième moyen, AW reproche au Tribunal d’avoir, aux points 142, 153 et 154 de l’arrêt attaqué, employé des critères juridiques erronés, déformé le sens de la décision litigieuse, substitué sa propre motivation à celle de cette décision, insuffisamment motivé l’arrêt attaqué et omis de répondre à l’un de ses arguments.

171 Tout d’abord, s’agissant de l’argumentation d’AW selon laquelle le Tribunal aurait écarté à tort, au point 142 de l’arrêt attaqué, son argumentation selon laquelle la Commission avait traité le critère de l’investisseur privé comme une exception, il convient de rappeler que le Tribunal a considéré, dans ce point, qu’AW n’était pas fondée à soutenir cette même argumentation devant lui, dès lors que, « si la Commission a effectivement examiné le montant du trop-perçu tel qu’il résultait du rapport PwC [...] avant d’aborder le critère de l’investisseur privé, elle ne s’est prononcée de façon définitive sur l’existence d’un avantage économique et sur le montant du trop-perçu qu’après avoir examiné ce critère [...] ».

172 À cet égard, force est de constater qu’il ressort sans équivoque de la décision litigieuse que, dès les points 125 et 126 de cette décision, la Commission a mené l’ensemble de son analyse de l’existence d’un avantage économique sous la perspective de ce qu’il incombait, en vertu du contrat de concession, à la République de Pologne d’indemniser AW pour les dommages causés par la loi du 28 juillet 2005 et qu’une compensation excédant ces dommages renfermait un avantage économique, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il s’ensuit que cette analyse correspond, dans sa substance, à celle que cette institution était tenue de mener en application du principe de l’opérateur privé.

173 Cette concordance de ladite analyse avec ce principe ayant d’ailleurs été relevée par la Commission au point 152 de la décision litigieuse et précisée par le Tribunal aux points 152 à 154 et 165 à 171 de l’arrêt attaqué, il y a lieu d’écarter l’argumentation d’AW comme étant non fondée.

174 Ensuite, en ce qui concerne les critiques d’AW dirigées contre la dernière phrase du point 153 de l’arrêt attaqué, il convient de rappeler que, par ce point, le Tribunal a jugé que, en « considérant qu’il était “très douteux” qu’une entité économique privée rationnelle accepterait de calculer la compensation sur la base de l’étude WSA de 1999 plutôt que sur la base de l’étude [WSA de 2004, plus récente], [la Commission] a exposé de façon suffisamment claire qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier qu’une telle entité aurait utilisé l’étude WSA de 1999 et a motivé son appréciation en soulignant le caractère plus récent de l’étude WSA de 2004 ».

175 À cet égard, il convient de rappeler que l’interprétation d’une décision en matière d’aides d’État adoptée par la Commission dans l’exercice de ses pouvoirs relève d’une appréciation juridique incombant au Tribunal et à la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, points 102 et 105).

176 En outre, l’interprétation d’un point spécifique d’une telle décision doit être effectuée dans le contexte de l’ensemble de la décision concernée (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Larko/Commission, C‑244/18 P, EU:C:2020:238, point 111).

177 En l’espèce, l’affirmation de la Commission, au point 152 de la décision litigieuse, selon laquelle il était « très douteux » qu’un opérateur privé aurait recouru à l’étude WSA de 1999 doit ainsi être lue dans le contexte de la situation d’espèce, ainsi qu’il ressort notamment du point 135 de la décision litigieuse par lequel la Commission a précisé qu’il était nécessaire de s’appuyer sur une prévision contemporaine à la loi du 28 juillet 2005 du trafic et des recettes.

178 Il s’ensuit que, au point 153 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a, contrairement à ce que prétend AW, ni employé un critère juridique erroné ni déformé le sens de la décision litigieuse. Il n’a pas non plus substitué sa propre motivation à celle de la décision litigieuse, mais a, en rejetant l’argumentation présentée par AW devant lui, confirmé la motivation de cette décision.

179 Enfin, quant à l’argumentation d’AW dirigée contre le point 154 de l’arrêt attaqué, il convient de relever d’emblée que cette argumentation procède d’une mauvaise appréhension du critère applicable. En effet, ainsi que l’a rappelé, en substance, le Tribunal, à ce point de l’arrêt attaqué, un débiteur privé dans la situation de la République de Pologne qui était redevable d’une somme à AW, dans le cadre de sa relation contractuelle avec celle-ci, en raison du dommage qu’il lui avait causé par l’adoption de la loi du 28 juillet 2005, aurait eu pour objectif d’assurer l’indemnisation d’AW des seules conséquences défavorables découlant de cette loi.

180 Le raisonnement du Tribunal selon lequel, compte tenu de cet objectif, rien ne permet de penser qu’un opérateur privé aurait accepté de se fonder sur les données de l’étude WSA de 1999 plutôt que sur celles de l’étude WSA de 2004, aurait exigé la désignation supplémentaire d’un expert ou aurait préféré utiliser les données de l’étude FM de 2005, permet ainsi clairement de comprendre, contrairement à ce que prétend AW, qu’un tel opérateur privé aurait pris en compte, parmi l’ensemble des options imparfaites d’évaluation disponibles, celle permettant du mieux possible de déterminer les conséquences défavorables de ladite loi, en vue de garantir que l’indemnisation allouée soit conforme à ses obligations contractuelles sans qu’elle les excède.

181 Il s’ensuit que ce raisonnement fait application du critère adéquat et fournit une réponse claire et cohérente à l’ensemble de l’argumentation d’AW résumée aux points 134, 136 et 147 à 150 de l’arrêt attaqué.

182 Dans la mesure où AW soutient que ledit raisonnement est inadéquat en ce que d’autres options que celle retenue par la Commission et confirmée par le Tribunal auraient dû être prises en compte, il suffit de relever que, ce faisant, AW demande en réalité à la Cour d’effectuer une nouvelle appréciation des faits, ce qui ne relève pas de sa compétence.

183 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter la quatrième branche du deuxième moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondée.

 Sur la seconde branche du troisième moyen

184 La seconde branche du troisième moyen, relative au niveau du TRI du péage réel, est tirée d’un défaut de motivation, d’une méconnaissance par le Tribunal des obligations de contrôle lui incombant et d’une violation des règles en matière de preuve.

–  Argumentation des parties

185 AW fait valoir que la motivation figurant aux points 120 à 127 de l’arrêt attaqué est insuffisante pour soutenir le rejet de ses arguments résumés au point 115 de cet arrêt. Tout d’abord, le Tribunal se serait contenté d’énoncer sa conclusion sans avoir procédé à une évaluation économique complexe, manquant dès lors à son obligation de vérifier si la décision litigieuse était fondée sur des preuves précises, fiables, cohérentes et complètes, ainsi qu’à son obligation de respecter les règles en matière de preuve.

186 En effet, le point 120 de l’arrêt attaqué serait exclusivement consacré aux mérites respectifs des études WSA de 1999 et de 2004 et ne répondrait pas à l’argument résumé au point 115 de cet arrêt. Le fait que l’étude WSA de 1999 était moins pertinente que l’étude WSA de 2004 ne signifierait pas que cette dernière était fiable. Le raisonnement exposé au point 121 dudit arrêt ne présenterait pas de lien avec la question pertinente de savoir si le TRI de 7,42 % avait été identifié de manière adéquate. Le point 122 de l’arrêt attaqué évoquerait ledit argument sans nullement expliquer les raisons pour lesquelles une mise à jour de certaines données relatives au trafic et aux recettes dans le cadre d’une étude portant sur un autre tronçon de l’autoroute serait dénuée de pertinence. Par le point 123 de cet arrêt, le Tribunal aborderait de nouveau la comparaison des mérites respectifs des études WSA de 1999 et de 2004 et affirmerait que la désignation d’un expert n’était pas nécessaire, ce qui ne serait aucunement motivé et aboutirait à renverser indûment la charge de la preuve. La motivation du point 124 dudit arrêt serait également sans rapport avec ladite question. Le point 125 de l’arrêt attaqué concernerait exclusivement le deuxième argument lié à l’étude FM de 2005 et son point 126 ne répondrait qu’au troisième argument relatif au modèle PwC de perception effective du péage.

187 En outre, le Tribunal aurait méconnu son obligation de vérifier si la décision litigieuse était fondée sur des preuves précises, fiables, cohérentes et complètes et n’aurait pas respecté les règles en matière de preuve, en jugeant à tort que la Commission n’était pas tenue de rechercher des informations supplémentaires concernant le caractère utilisable de l’étude FM de 2005. À cet égard, alors même que la Commission aurait l’obligation d’apprécier les preuves de façon impartiale et approfondie, il résulterait du point 138 de la décision litigieuse que la Commission s’est exclusivement fondée sur les informations reçues de la République de Pologne pour rejeter cette étude comme étant inutilisable. Or, au vu de la nature conflictuelle de la relation entre cet État membre et AW et du fait que ledit État membre avait omis de mentionner l’étude FM de 2005, la Commission aurait dû être plus vigilante et demander à la République de Pologne ou à des tiers des informations supplémentaires.

188 La Commission estime qu’AW critique la valeur probante des éléments de preuve, en faisant valoir qu’ils n’étaient pas fiables, en mettant en cause leur exhaustivité et en affirmant qu’un rapport supplémentaire aurait donc dû être commandé. Or, par cette argumentation, AW chercherait, en substance, à ce que l’appréciation du Tribunal soit réexaminée, ce qui ne relèverait pas de la compétence de la Cour. En outre, la Commission et la République de Pologne contestent l’argumentation d’AW sur le fond.

–  Appréciation de la Cour

189 Par son argumentation présentée dans le cadre de la seconde branche du troisième moyen, qui vise les points 120 à 127 de l’arrêt attaqué, AW soutient que la motivation de l’arrêt attaqué est insuffisante, que le Tribunal a exercé un contrôle juridictionnel insuffisant, qu’il a méconnu les règles en matière de preuve, qu’il a omis de répondre à l’argumentation d’AW résumée au point 115 de l’arrêt attaqué et qu’il a renversé la charge de la preuve.

190 Tout d’abord, s’agissant de la prétendue omission du Tribunal de répondre à l’argumentation d’AW résumée au point 115 de l’arrêt attaqué, il convient de rappeler que, par cette argumentation, AW faisait valoir que les conclusions de la Commission concernant l’étude WSA de 2004 étaient manifestement erronées, dès lors que la valeur probante des études de trafic serait limitée et que, en l’absence d’étude de trafic fiable, les parties contractantes se seraient accordées sur une méthodologie selon laquelle les attentes initiales d’AW en termes de rendement étaient utilisées comme base de calcul, mais étaient réduites, par l’application du plafond des tarifs de péage virtuel, à un niveau que la République de Pologne jugeait acceptable.

191 Par ladite argumentation, AW prétendait donc que l’étude WSA de 2004 présentait une valeur probante insuffisante par rapport à l’étude WSA de 1999 à laquelle AW attribuait, en substance, une valeur probante suffisante en s’appuyant sur la méthodologie convenue entre les parties contractantes.

192 Or, contrairement à ce que prétend AW, le Tribunal a expressément écarté, aux points 122 à 124 de l’arrêt attaqué, cette même argumentation.

193 En effet, d’une part, il a relevé à ces points, premièrement, que WSA a produit une succession d’études, préparées par le même conseiller, en utilisant la même méthodologie, dans le but d’élaborer des prévisions de trafic et de recettes relatives à l’autoroute A 2, deuxièmement, que l’étude WSA de 2004, préparée pour AW elle-même, visait à mettre à jour les prévisions de trafic et de recettes précédemment effectuées, troisièmement, que cette étude a donc permis de mettre à jour les prévisions de trafic et de recettes présentées dans l’étude WSA de 1999, en tenant compte de l’évolution réelle du trafic et des recettes sur la section concernée de l’autoroute A 2 et du développement économique de la Pologne, quatrièmement, que l’étude WSA de 2004 contient, en conséquence, des prévisions de trafic et de recettes plus pertinentes que celles contenues dans l’étude WSA de 1999 et reflète de manière plus exacte la réalité du marché au moment des modifications apportées par la loi du 28 juillet 2005 et, cinquièmement, que l’annexe 6 mentionne le modèle financier que les parties contractantes étaient convenues d’utiliser aux fins du calcul du TRI juste avant les modifications apportées par ladite loi, en faisant référence au « dossier des actionnaires de [WSA], qui est la mise à jour au 31 décembre 2004 ».

194 D’autre part, le Tribunal en a déduit, au point 124 de l’arrêt attaqué, que « les plus récentes prévisions préparées par WSA constituaient, dans ce contexte, des données plus pertinentes que celles de l’étude WSA de 1999 ».

195 Ensuite, le point de savoir si, dans ces conditions, les éléments du dossier établissent ou non que la désignation supplémentaire d’un expert était ou non nécessaire relève d’une appréciation factuelle de la valeur probante de ces éléments et ne renverse nullement, contrairement à ce que prétend AW, la charge de la preuve.

196 Enfin, force est de constater que les points 120 à 127 de l’arrêt attaqué comportent une analyse détaillée des éléments du dossier au regard de l’argumentation avancée par AW devant le Tribunal et fournissent un raisonnement précis par rapport à la pertinence et à la valeur probante de chacun des éléments visés à ces points. En particulier, le Tribunal a examiné auxdits points la valeur probante des études WSA de 1999 et de 2004, des données réelles de trafic fournies par AW à la direction générale des routes nationales et des autoroutes, de l’étude réalisée en 2005 par le conseiller des banques en matière de trafic concernant le scénario de péage virtuel, mentionnée au point 125 de l’arrêt attaqué, ainsi que de l’étude FM de 2005. Il a, en outre, analysé le caractère approprié du modèle PwC de perception effective du péage employé par la Commission pour calculer le montant de l’aide en cause.

197 Doit ainsi être écartée comme étant non fondée l’argumentation d’AW tirée d’une motivation insuffisante des points 120 à 127 de l’arrêt attaqué, d’un contrôle juridictionnel insuffisant et d’une méconnaissance des règles en matière de preuve.

198 Il s’ensuit que la seconde branche du troisième moyen doit être écartée comme étant non fondée.

199 Par conséquent, il y a lieu de rejeter les deuxième et troisième moyens comme étant, en partie, irrecevables et, en partie, non fondés.

 Sur le quatrième moyen

200 Par le quatrième moyen, relatif au calcul du montant de l’aide en cause, AW fait valoir que le Tribunal a déformé le sens évident des preuves et a entaché l’arrêt attaqué d’un défaut de motivation.

 Argumentation des parties

201 AW relève que, au point 192 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué que le péage virtuel était fondé, avant la vérification de 2007, sur un TRI, trop élevé, de 10,77 %. Or, il ressortirait, tout d’abord, de l’annexe 6, en particulier du point 3 de son annexe 1, que le péage virtuel était fixé à un montant spécifique exprimé en zlotys polonais (PLN), sans aucune référence à un TRI, ensuite, de l’annexe 6, en particulier du point 4 de son annexe 1, que ce taux était soumis à indexation selon une formule, sans aucune référence à un TRI, et, enfin, de l’annexe 6, en particulier de sa clause 4, sous d), que le TRI n’est devenu applicable qu’après vérification des péages virtuels, à savoir après le 1er novembre 2007. Partant, affirmer que les tarifs de péage virtuel antérieurs au mois d’octobre 2007 étaient déterminés par l’utilisation d’un TRI dénaturerait les éléments de preuve du dossier.

202 Le point 193 de l’arrêt attaqué serait également entaché d’une dénaturation des preuves, dès lors que le Tribunal y aurait constaté que le modèle de vérification n’avait pas pour objet de calculer la surcompensation, dans la mesure où la Commission avait remis en cause le niveau du TRI du modèle de perception effective du péage, alors même que, avant la vérification de 2007, ce TRI n’aurait joué aucun rôle dans le calcul du péage virtuel. En outre, AW soutient qu’il ne saurait être inféré du constat selon lequel le modèle de vérification n’avait pas pour objet de calculer la surcompensation le fait qu’il y a eu surcompensation avant la vérification.

203 La Commission et la République de Pologne contestent l’argumentation d’AW.

 Appréciation de la Cour

204 Aux points 192 et 193 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, premièrement, que le montant de la surcompensation évalué par la Commission correspondait à la différence entre les paiements effectivement réalisés en faveur d’AW et les sommes qu’elle aurait dû recevoir sur la base du TRI établi selon le modèle PwC de perception effective du péage, deuxièmement, que, pour la période allant du mois de septembre 2005 au mois d’octobre 2007, le trop-perçu correspondait ainsi à la différence entre les paiements dont AW avait effectivement bénéficié et la compensation calculée sur la base du TRI auquel elle pouvait s’attendre juste avant les modifications apportées par la loi du 28 juillet 2005, troisièmement, que, partant, le TRI de 10,77 % du modèle de perception effective du péage utilisé par AW pour fixer les taux du péage virtuel au cours de la période antérieure au mois d’octobre 2007 était déjà trop élevé par rapport au TRI auquel elle pouvait s’attendre, quatrièmement, que le mécanisme de vérification prévu à l’annexe 6 n’avait fait que confirmer l’erreur entachant ledit TRI, cinquièmement, que, dans ces conditions, ce mécanisme ne pouvait pas remettre en cause le fait qu’AW n’aurait pas dû bénéficier initialement du versement de sommes aussi importantes au cours de la période allant du mois de septembre 2005 au mois d’octobre 2007 et, sixièmement, que le mécanisme de vérification prévu à l’annexe 6 reposait sur une comparaison entre le TRI du modèle de vérification et le TRI du modèle de perception effective du péage et permettait d’ajuster les tarifs du péage virtuel compte tenu des données de trafic réel après la mise en place du système de péage virtuel.

205 Le Tribunal en a déduit, au point 193 de l’arrêt attaqué, qu’un « tel mécanisme n’a pas le même objet que le raisonnement suivi par la Commission pour calculer la surcompensation, la Commission ayant, dans ce raisonnement, remis en cause le niveau du TRI du modèle de perception effective du péage ».

206 Or, il ressort sans équivoque de ce raisonnement et de cette conclusion que, contrairement à ce que laisse supposer AW, ledit raisonnement ne vise pas à décrire le mécanisme prévu à l’annexe 6, mais porte sur le calcul effectué par la Commission pour déterminer le montant de l’aide d’État. En effet, par ces points de l’arrêt attaqué, le Tribunal visait à répondre à l’argumentation d’AW résumée au point 191 de cet arrêt, qui tendait à établir l’absence de surcompensation pour la période allant du mois de septembre 2005 au mois d’octobre 2007.

207 Il s’ensuit que le quatrième moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué et doit, dès lors, être écarté comme étant non fondé.

208 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté.

 Sur les dépens

209 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

210 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

211 AW ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission.

212 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable, mutatis mutandis, à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la République de Pologne, ayant participé à la procédure devant la Cour, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Autostrada Wielkopolska S.A. est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3) La République de Pologne supporte ses propres dépens.