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Décisions

TUE, 8e ch., 10 novembre 2021, n° T-678/20

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane, Solar Electric Martinique, Société de production d’énergies renouvelables

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Svenningsen

Juges :

M. Barents, M. Laitenberger

TUE n° T-678/20

10 novembre 2021

LE TRIBUNAL : - Antécédents du litige

1 La loi no 2000-108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité (JORF du 11 février 2000, p. 2143) vise à encourager le développement d’énergies renouvelables sur le territoire français. À cette fin, ladite loi a introduit une obligation d’achat qui a été reprise par les articles L.314-1 et suivants du code de l’énergie et selon laquelle Électricité de France (EDF) et les distributeurs non nationalisés mentionnés à l’article 23 de la loi no 46-628, du 8 avril 1946, sur la nationalisation de l’électricité et du gaz ont une obligation de conclure, lorsque les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l’achat de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, incluant l’énergie photovoltaïque, d’une durée de 20 ans à un prix fixé par arrêté tarifaire ministériel. Jusqu’au 31 décembre 2015, les coûts supportés par EDF et les distributeurs non nationalisés mentionnés à l’article 23 de la loi no 46-628 en raison de l’obligation d’achat ont fait l’objet, en vertu du décret no 2004-90, du 28 janvier 2004, relatif à la compensation de charges de service public d’électricité, d’un mécanisme de compensation intégrale financé par une contribution au service public de l’électricité prélevée sur les consommateurs d’électricité. Depuis le 1er janvier 2016, ces coûts sont compensés par un compte d’affectation spéciale pour la transition énergétique financé par des taxes sur la consommation de produits énergétiques.

2 Des arrêtés tarifaires, du type de ceux mentionnés au point 1 ci-dessus, ont été adoptés, notamment, le 10 juillet 2006 (ci-après l’« arrêté tarifaire 2006 »), le 12 janvier 2010 (ci-après l’« arrêté tarifaire 1/2010 »), le 31 août 2010 (ci-après l’« arrêté tarifaire 8/2010 »), le 4 mars 2011 et le 9 mai 2017. Même si seul ce dernier arrêté est toujours en vigueur, les autres arrêtés tarifaires, abrogés entretemps, continuent à être applicables dans la mesure où le prix d’achat de l’électricité payé pendant toute la durée du contrat d’achat, soit 20 ans, est celui défini par l’arrêté tarifaire en vigueur au jour où le producteur a formulé une demande complète de raccordement au réseau public.

3 Solar Electric Holding, société holding qui détient à 100 %, comme filiales, Solar Electric Guyane et Solar Electric Martinique, qui sont chargées du développement et de la construction de projets de production d’électricité à partir de sources d’énergie photovoltaïque, respectivement, en Guyane et en Martinique, ainsi que Société de production d’énergies renouvelables (Soproder), qui est chargée de l’exploitation de ces différentes installations photovoltaïques, a conclu avec EDF des contrats d’achat d’électricité sur le fondement des arrêtés tarifaires mentionnés au point 1 ci-dessus. Soproder s’est trouvée dès lors, au sein du groupe formé par ces différentes sociétés, être celle bénéficiant de manière directe et immédiate des tarifs préférentiels définis par lesdits arrêtés.

4 Par arrêt du 18 septembre 2019, la Cour de cassation (France), saisie de demandes d’indemnisation, a jugé que les mesures fondées sur les arrêtés tarifaires 2006 et 1/2010, mettant en œuvre un mécanisme d’obligation d’achat à un prix supérieur à celui du marché, constituaient des aides d’État illégales en ce qu’elles n’avaient pas été notifiées à la Commission européenne conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

5 Par ailleurs, par lettre du 26 mars 2020 adressée aux requérantes, Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane, Solar Electric Martinique et Soproder, la Commission a confirmé que les mesures fondées sur les arrêtés tarifaires 2006, 1/2010 et 8/2010 ne lui avaient pas été notifiées.

6 Le 20 juin 2020, les requérantes ont transmis à la Commission le formulaire de plainte relative à des aides d’État illégales, tel que visé à l’article 24, paragraphe 2, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9). Dans ce formulaire, les requérantes ont indiqué que les régimes d’aides résultant des arrêtés tarifaires 2006, 1/2010 et 8/2010 avaient été mis à exécution alors que la Commission ne s’était jamais prononcée sur leur compatibilité avec le marché intérieur et que l’absence de décision de la Commission créait, selon elles, un vide juridique préjudiciable à l’ensemble des producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie photovoltaïque français, dans la mesure où les revenus tirés des contrats conclus au tarif prévu par lesdits arrêtés seraient susceptibles d’être remis en cause et de faire l’objet de mesures de récupération. Or, selon les informations fournies par les requérantes dans ce formulaire, les mécanismes de soutien à la production d’électricité à partir de sources d’énergie photovoltaïque résultant des arrêtés tarifaires 2006, 1/2010 et 8/2010 seraient compatibles avec le marché intérieur. Tout en invoquant l’article 108, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 12, paragraphe 1, du règlement 2015/1589, les requérantes, dans ce formulaire, et plus particulièrement dans les sections 3.4, 8 et 9.3 de celui-ci, ont « demand[é] à la Commission de se prononcer expressément sur la compatibilité des régimes d’aide[s] résultant des[dits] arrêtés ».

7 Par lettre du 1er juillet 2020, les services de la Commission ont formulé plusieurs questions et demandes d’informations complémentaires, auxquelles les requérantes ont répondu par courriel en date du 31 août 2020.

8 Par lettre du 3 septembre 2020, la Commission a rejeté la plainte des requérantes du 20 juin 2020 relative à des aides d’État illégales aux installations photovoltaïques des requérantes (ci-après la « décision attaquée), en indiquant notamment ce qui suit :

« La [direction générale « Concurrence »] considère que votre plainte doit être rejetée en raison du fait que l’objet ne relève pas du champ d’application des articles 12, paragraphe 1, et 24, paragraphe 2, du [règlement 2015/1589] […]

[L]es plaignantes demandent à la Commission de se prononcer sur la compatibilité des régimes d’aide[s], comme si elles représentaient la France dans une procédure de quasi-notification. Ainsi, l’objet de votre plainte ne relève-t-il pas du champ d’application des articles 12, paragraphe 1, et 24, paragraphe 2, du [règlement 2015/1589], et doit pour cette raison être rejetée […]

Nous vous remercions pour les renseignements que vous nous avez transmis. La Commission les enregistrera comme des informations générales relatives au marché. »

 Procédure et conclusions des parties

9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 novembre 2020, les requérantes ont introduit le présent recours.

10 Le mémoire en défense a été déposé au greffe du Tribunal le 27 janvier 2021.

11 Par décision du 2 février 2021, le Tribunal a décidé, conformément à l’article 83, paragraphe 1, de son règlement de procédure, qu’un deuxième échange de mémoires n’était pas nécessaire.

12 Par lettre du 15 avril 2021, les requérantes ont sollicité la tenue d’une audience de plaidoiries au titre de l’article 106, paragraphe 1, du règlement de procédure.

13 Le 4 juin 2021, le Tribunal a, à titre de mesure d’organisation de la procédure, posé une question aux parties pour réponse écrite, à laquelle ces dernières ont répondu le 21 juin 2021.

14 Par lettre en date du 9 juillet 2021, les requérantes ont informé le Tribunal qu’elles renonçaient à leur demande d’audience de plaidoiries.

15 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée.

16 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner des requérantes aux dépens de l’instance.

 En droit

17 À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent trois moyens, tirés, respectivement, le premier, d’une violation de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, le deuxième, d’une violation de l’article 12, paragraphe 1, du même règlement et, le troisième, de l’obligation impartie à la Commission de faire appliquer le traité FUE.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589

18 Dans le cadre du premier moyen, s’appuyant sur le libellé de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, les requérantes font valoir qu’il suffit qu’une aide soit illégale pour qu’elle puisse faire l’objet d’une plainte recevable au titre de cet article. L’article 24, paragraphe 2, dudit règlement n’imposerait en aucune manière une condition supplémentaire liée au fait que cette plainte devrait viser à obtenir une déclaration d’incompatibilité de l’aide en cause. Bien que, selon les requérantes, en pratique, il soit rare, voire inédit, qu’une plainte contre une aide illégale et compatible soit déposée par une partie intéressée, ce caractère exceptionnel ne saurait pour autant placer cette plainte en dehors du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, sauf à ajouter une condition de recevabilité non prévue par le traité FUE ou ledit règlement.

19 Par ailleurs, la Commission, dans la décision attaquée, se serait appuyée à tort sur les conditions d’ouverture d’une procédure formelle d’examen, qui devrait être ouverte si, à l’issue de l’examen préliminaire, des doutes sur la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur persistaient. Selon les requérantes, même si, en pratique, la plupart des plaintes concernant des aides illégales ont pour objectif ultime l’ouverture de la procédure formelle d’examen, la faculté de former une plainte mettant en cause une aide illégale devant déboucher tout d’abord sur l’examen préliminaire ne doit pas être confondue avec le cas d’ouverture d’une procédure formelle.

20 Dans ces conditions, le fait que les requérantes considèrent que l’aide illégale qui est l’objet de leur plainte soit compatible avec le marché intérieur et qu’elles visent à susciter, par cette plainte, une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections en ce qui concerne cette aide n’exclurait pas cette plainte du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589.

21 La Commission conteste ces arguments.

22 À titre liminaire, il convient de relever que la plainte introduite par les requérantes visait à obtenir de la part de la Commission une décision de ne pas soulever d’objections quant à la compatibilité des mesures mises en œuvre par les autorités françaises et fondées sur les arrêtés tarifaires 2006, 1/2010 et 8/2010. Dans ce contexte, le premier moyen soulève la question de savoir si l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 confère au bénéficiaire d’une aide nouvelle versée illégalement et, comme dans le cas d’espèce, aux sociétés ayant un intérêt économique dans la société bénéficiaire de cette aide, en raison d’une intégration au sein du même groupe, un droit subjectif à saisir la Commission d’une plainte dans le but d’obtenir de la part de celle-ci une décision déclarant la compatibilité d’une aide qui n’a pas été notifiée par l’État membre concerné avec le marché intérieur.

23 L’article 24 du règlement 2015/1589, intitulé « Droits des parties intéressées », dispose à son paragraphe 2 que « [t]oute partie intéressée peut déposer une plainte pour informer la Commission de toute aide présumée illégale ou de toute application présumée abusive d’une aide ». Dans un même temps, la définition de « partie intéressée » à l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 vise « tout État membre et toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, en particulier le bénéficiaire de celle-ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles ».

24 Si la lettre des dispositions citées ci-dessus tend donc à établir que les bénéficiaires d’aides illégalement versées peuvent déposer une plainte auprès de la Commission, une telle conclusion doit toutefois être écartée pour des motifs tenant à l’architecture du contrôle des aides d’État ainsi qu’à l’économie du mécanisme des plaintes.

25 S’agissant tout d’abord de l’architecture du contrôle des aides d’État, il y a lieu de rappeler que l’obligation de notification constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle des aides d’État mis en place par le traité FUE, qui établit un contrôle préventif sur les projets d’aides nouvelles institué par l’article 108, paragraphe 3, TFUE et visant à ce que seules des aides compatibles avec le marché intérieur soient mises à exécution, et cela seulement après que les doutes sur leur compatibilité aient été levés par une décision finale de la Commission (arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C‑445/19, EU:C:2020:952, points 18 et 19). Ce système de contrôle préventif s’oppose à ce que les États membres qui versent des aides en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE soient favorisés au détriment de ceux qui, conformément à cette disposition, notifient les aides à l’état de projet et s’abstiennent de les mettre en œuvre dans l’attente de la décision finale adoptée par la Commission (arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 92). À cet égard, il convient également de rappeler que l’appréciation de la compatibilité des mesures d’aide avec le marché intérieur, au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union européenne (voir arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, point 37 et jurisprudence citée).

26 Il résulte de l’économie même de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui institue un rapport bilatéral entre la Commission et les États membres, que l’obligation de notification pèse sur ces derniers. Cette obligation ne saurait par conséquent être considérée comme satisfaite en cas de notification faite par l’entreprise bénéficiaire de l’aide. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, le mécanisme de contrôle et d’examen des aides d’État organisé par l’article 108 TFUE n’impose pas d’obligation spécifique au bénéficiaire de l’aide. D’une part, l’obligation de notification et l’interdiction préalable de mise en œuvre des projets d’aides ne s’adressent qu’à l’État membre concerné, ainsi que cela ressort également de manière sous-jacente de l’article 10 du règlement 2015/1589, qui prévoit que l’État membre concerné peut retirer sa notification avant que la Commission ne prenne une décision sur la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur. D’autre part, celui-ci est également le seul destinataire de la décision par laquelle la Commission constate l’incompatibilité d’une aide et l’invite à la supprimer dans le délai qu’elle détermine [arrêts du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, EU:C:1996:285, point 73, et du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C‑442/03 P et C‑471/03 P, EU:C:2006:356, point 103].

27 Or, admettre que le bénéficiaire d’une aide illégalement versée puisse saisir la Commission d’une plainte afin qu’elle constate la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur n’aurait d’autre effet que de permettre à ce bénéficiaire de se substituer à l’État membre concerné, seul compétent pour notifier une mesure d’aide à la Commission.

28 De plus, une telle faculté reconnue au bénéficiaire d’une aide illégalement versée de saisir la Commission en vue de faire constater la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur remettrait en cause le caractère fondamental et impératif de l’obligation de notification des mesures d’aide et de l’interdiction de leur mise en œuvre en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, tel que rappelé par la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2019, Italie et Eurallumina/Commission, T‑119/07 et T‑207/07, non publié, EU:T:2019:613, point 113), ainsi que de la sanction de principe qui est associée au manquement de l’État membre notamment à cette obligation de notification préalable, à savoir le remboursement de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C‑39/94, EU:C:1996:285, point 70).

29 En effet, elle offrirait au bénéficiaire d’une aide illégalement versée la possibilité de pallier les manquements de l’État membre concerné à son propre profit, en suscitant une décision de la Commission lui permettant par la suite de se prévaloir du point 55 de l’arrêt du 12 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication (C‑199/06, EU:C:2008:79), en vertu duquel le juge national n’est pas tenu d’ordonner la récupération d’une aide mise à exécution en méconnaissance de la dernière phrase de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, lorsque la Commission a adopté une décision finale constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur, ce que les requérantes elles-mêmes admettent rechercher.

30 Par ailleurs, il convient de rappeler, toujours sous l’angle de l’architecture du système de contrôle des aides d’État, que les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences seront tirées d’une méconnaissance des obligations découlant de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d’éventuelles mesures provisoires (arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C‑354/90, EU:C:1991:440, point 12). À ces fins, les juridictions nationales peuvent être saisies de litiges les obligeant à interpréter et à appliquer la notion d’aide, visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en particulier en vue de déterminer si une mesure étatique aurait dû ou non être soumise à la procédure de contrôle préalable établie à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Si lesdites juridictions parviennent au constat que la mesure concernée aurait effectivement dû être préalablement notifiée à la Commission, elles doivent la déclarer illégale (arrêt du 19 mars 2015, OTP Bank, C‑672/13, EU:C:2015:185, point 37).

31 Il en découle que les bénéficiaires d’une aide illégale peuvent saisir leurs juridictions nationales afin de voir sanctionné le refus explicite ou implicite de l’État dispensateur de cette aide de se conformer à son obligation de notification. Dès lors, il n’y a pas lieu de leur reconnaître le droit de déclencher, au moyen d’une plainte adressée à la Commission sur le fondement de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, l’examen de la compatibilité de l’aide dans le but de la voir être autorisée, et cela, le cas échéant, contrairement à la volonté de l’État membre concerné, manifestée par l’absence de notification de la part de celui-ci.

32 Comme la Commission le relève à juste titre, il n’existe pas de droit subjectif à l’octroi d’une aide d’État dans le droit de l’Union. Dès lors, le bénéficiaire ne peut pas se substituer aux compétences de l’État membre et procéder, de sa propre initiative, à une notification pour le compte de l’État membre dans le but d’obtenir par celle-ci une décision autorisant la mise en œuvre d’une aide non notifiée [voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C‑442/03 P et C‑471/03 P, EU:C:2006:356, point 103].

33 En ce qui concerne l’économie du mécanisme des plaintes et le droit de déposer une plainte auprès de la Commission, il y a lieu de relever que, selon l’article 24, paragraphe 2, première phrase, du règlement 2015/1589, le but de celui-ci est d’informer la Commission de toute aide présumée illégale, ce qui, conformément à l’article 15, paragraphe 1, première phrase, du même règlement, a pour effet de déclencher l’ouverture de la phase préliminaire d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, impliquant l’adoption, par la Commission, d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4, du règlement 2015/1589 (arrêt du 5 mai 2021, ITD et Danske Fragtmænd/Commission, T‑561/18, sous pourvoi, EU:T:2021:240, point 47).

34 Par ailleurs, l’article 12, paragraphe 1, second alinéa, du règlement 2015/1589 dispose que la Commission « veille à ce que l’État membre concerné soit pleinement et régulièrement informé de l’avancée et des résultats de l’examen [de toute plainte] ». Cette disposition, qui vise à protéger les droits de défense de l’État membre concerné, implique que la décision faisant suite et droit à une plainte est destinée à lui être défavorable et, partant, à constater l’incompatibilité de l’aide ayant fait l’objet de la plainte.

35 La conception du mécanisme de plainte comme visant à identifier les aides incompatibles avec le marché intérieur est également corroborée par le point 8 du formulaire de plainte visé à l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 et annexé au règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2004, L 140, p. 1), tel que modifié, qui requiert que le plaignant indique « les raisons pour lesquelles, [selon lui,] l’aide d’État présumée n’est pas compatible avec le marché intérieur ».

36 De surcroît, il ressort du point 3 de ce même formulaire que les bénéficiaires de l’aide n’apparaissent pas parmi les parties susceptibles de déposer une plainte. Aussi, la mention des concurrents du ou des bénéficiaires de l’aide ainsi que la question figurant au même point visant à clarifier en quoi et dans quelle mesure l’aide d’État présumée affecte la position concurrentielle du plaignant démontrent que le mécanisme de plainte vise à protéger notamment les droits de ceux dont les intérêts risquent d’être affectés par l’octroi de l’aide à certains bénéficiaires. Cela est davantage corroboré par le point 7 dudit formulaire qui requiert que le plaignant explique en quoi, selon lui, l’aide d’État présumée confère un avantage économique à son ou ses bénéficiaires.

37 Dès lors, bien que les bénéficiaires soient considérés comme des « parties intéressées » à l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, l’économie du mécanisme de plainte s’oppose à ce que celui-ci soit utilisé par les parties ayant, comme notamment les bénéficiaires de l’aide dénoncée, un intérêt au constat de compatibilité de cette aide par la Commission.

38 Il s’ensuit que le champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 est circonscrit aux plaintes qui visent à dénoncer des aides illégales que les plaignants considèrent comme incompatibles avec le marché intérieur. En revanche, le champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, de ce règlement ne couvre pas les plaintes par lesquelles les plaignants soutiennent qu’une aide est compatible avec le marché intérieur et devrait, pour cette raison, être autorisée par la Commission. Par conséquent, les bénéficiaires d’une aide illégale et les sociétés ayant un intérêt économique dans cette société bénéficiaire en raison de l’unité économique qu’elles forment avec elle à raison de la détention par la société mère de 100 % du capital des plaignantes ne sauraient s’appuyer sur l’article 24, paragraphe 2, première phrase, du règlement 2015/1589 pour déposer une plainte visant une aide illégale dont ils bénéficient directement ou indirectement, et cela dans le but de faire adopter par la Commission une décision constatant la compatibilité de cette aide.

39 Dans ces conditions, il convient de constater que la plainte introduite par les requérantes le 20 juin 2020 ne relève pas du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589.

40 Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en constatant que la plainte introduite par les requérantes ne relevait pas du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589. Dès lors, le premier moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 12, paragraphe 1, du règlement 2015/1589

41 Par le deuxième moyen, les requérantes invoquent une erreur de droit commise par la Commission en ce qu’elle aurait agi à l’encontre de son obligation d’ouvrir la phase d’examen préliminaire. Une telle obligation aurait été déclenchée en vertu de l’article 12, paragraphe 1, du règlement 2015/1589. En effet, les requérantes auraient déposé une plainte, selon elles, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de ce règlement.

42 La Commission estime que le deuxième moyen n’est pas autonome par rapport au premier et que son sort dépend, dès lors, entièrement du premier moyen d’annulation, tiré d’une violation de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589. Or, la Commission le réfute comme infondé tout en tenant compte des dispositions de l’article 12 de ce règlement. Partant, il conviendrait de rejeter également ce deuxième moyen d’annulation.

43 En réponse à ce moyen, il y a lieu de relever que, selon l’article 12, paragraphe 1, second alinéa, du règlement 2015/1589, la Commission examine toute plainte « déposée par une partie intéressée conformément à l’article 24, paragraphe 2[, de ce règlement] ». Ainsi, la Commission est tenue de procéder à un examen diligent et impartial des plaintes qui lui sont transmises lorsqu’elles sont fondées sur une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et identifient de manière non équivoque et circonstanciée des mesures à l’origine de cette violation (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2018, Naviera Armas/Commission, T‑108/16, EU:T:2018:145, point 102). Or, la plainte telle qu’introduite par les requérantes le 20 juin 2020 n’invoquant pas une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et ne relevant dès lors pas du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, dudit règlement, la Commission n’était pas dans l’obligation de procéder à l’ouverture de la phase d’examen préliminaire conformément à l’article 12, paragraphe 1, dudit règlement.

44 Dans ces conditions, le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’obligation impartie à la Commission de faire appliquer le traité FUE

45 Dans le cadre du troisième moyen, les requérantes font valoir que la Commission a manqué à ses obligations au titre des articles 107, 108 et 109 TFUE et du règlement 2015/1589.

46 Bien que la Commission ait été informée de l’existence des régimes d’aides issus des arrêtés tarifaires 2006, 1/2010 et 8/2010 ainsi que de l’absence de leur notification, elle serait restée inerte, ce qui aurait vidé de leur intérêt les dispositions du traité FUE. En écartant une plainte portant sur des aides, dont la Commission reconnaîtrait le caractère illégal, sans avoir néanmoins vérifié préalablement que celles-ci n’étaient pas incompatibles avec le marché intérieur, la Commission aurait manqué à son rôle de garant du droit de l’Union et à celui qui consiste pour elle à s’assurer de la sécurité juridique des justiciables. La Commission ayant une compétence exclusive pour analyser la compatibilité d’une aide, il lui aurait appartenu de vérifier que l’aide illégale, dont l’existence avait été portée à sa connaissance par les requérantes, n’était pas incompatible. D’ailleurs, il existerait des éléments produits par les requérantes, à savoir notamment un avis de la commission de régulation de l’énergie (France), qui auraient mis en doute la compatibilité des aides avec le marché intérieur.

47 Dans ces conditions, l’absence de prise de position de la Commission sur la compatibilité des aides en cause équivaut, selon les requérantes, à un déni de justice, car cette absence créerait un vide juridique que les articles 107 à 109 TFUE ainsi que le règlement 2015/1589 entendraient éviter.

48 La Commission conteste les arguments avancés.

49 En réponse au troisième moyen, il convient tout d’abord de rappeler, à l’instar des requérantes, que la Commission a une compétence exclusive pour apprécier la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur (voir arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, point 37 et jurisprudence citée). Néanmoins, le droit de l’Union n’impose pas une obligation absolue pour la Commission de procéder à une appréciation de la compatibilité d’une aide non notifiée dès qu’elle en est informée.

50 En effet, le règlement 2015/1589 ne prévoit que deux cas de figure dans lesquels la Commission est effectivement tenue de procéder à l’examen de la compatibilité d’une mesure d’aide avec le marché intérieur. D’une part, une telle obligation existe en cas de notification par l’État membre dispensateur de l’aide. Ainsi, l’article 4, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement dispose que « [l]a Commission procède à l’examen de la notification dès sa réception ». D’autre part, une obligation d’examen incombe à la Commission, en vertu de l’article 12, paragraphe 1, second alinéa, dudit règlement, dans le cas d’une plainte « déposée par une partie intéressée conformément à l’article 24, paragraphe 2[, du même règlement] ».

51 Or, en l’occurrence, il est constant que les aides issues des arrêtés tarifaires 2006, 1/2010 et 8/2010 n’ont pas été notifiées à la Commission par la République française. De plus, force est de constater que la plainte introduite par les requérantes le 20 juin 2020 ne relève pas du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589. Dans ces conditions, la Commission n’était pas tenue de procéder à un examen des mesures d’aide susmentionnées. Dès lors, l’absence de décision de sa part à l’égard de ces mesures d’aide ne saurait constituer un déni de justice susceptible de créer un vide juridique. Il en va d’autant moins ainsi que, comme il a été relevé aux points 29 et 30 ci-dessus, les requérantes peuvent saisir les juridictions de l’État membre concerné en vue de faire sanctionner le refus de cet État de procéder à la notification des mesures dénoncées, à supposer que ces juridictions constatent qu’elles relèvent de la qualification d’aides d’État nouvelles.

52 À cet égard, il y a lieu de relever que l’interdiction de mise à exécution des projets d’aides édictée à l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE revêt un effet direct. Le caractère immédiatement applicable de l’interdiction de mise à exécution visée à cette disposition s’étend à toute aide qui a été mise à exécution sans être notifiée (voir arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, EU:C:2013:755, point 29 et jurisprudence citée). Par ailleurs, il incombe aux autorités nationales de récupérer de leur propre initiative toute aide illégalement octroyée (arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 92).

53 Au vu de ce cadre juridique clair quant au régime des aides d’État nouvelles octroyées sans notification préalable et de l’absence d’un droit subjectif découlant du droit de l’Union pour des bénéficiaires actuels et potentiels de se voir octroyer une aide par un État membre en l’absence de notification par cet État membre, l’absence de décision de la Commission sur la compatibilité d’une telle aide illégale ne saurait non plus porter atteinte au principe de sécurité juridique.

54 Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le troisième moyen et, en définitive, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

55 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté.

2) Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane, Solar Electric Martinique et Société de production d’énergies renouvelables sont condamnées aux dépens.