Cass. com., 16 juin 2021, n° 20-15.048
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Brahic-Lambrey
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 16 janvier 2020), M. et Mme [M] ont souscrit un prêt, le 31 décembre 2009, auprès de la société Crédit immobilier de France Rhône Alpes Auvergne, devenue la société Crédit immobilier de France développement (le Crédit immobilier).
2. M. [M] a été mis en liquidation judiciaire le 4 octobre 2010, M. [U] puis la société [S] [Q], en la personne de M. [Q], étant désignés en qualité de liquidateur. Le Crédit immobilier a déclaré sa créance, au titre du solde restant dû sur le montant du prêt.
3. Postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire, les époux [M] ont poursuivi le règlement des échéances de remboursement de ce prêt, jusqu'au mois d'août 2016. Le Crédit immobilier a dressé un décompte des sommes restant dues arrêté au 23 octobre 2017.
4. Le 16 janvier 2018, le liquidateur a assigné le Crédit immobilier et demandé au tribunal l'annulation des paiements intervenus après le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de M. [M] et la restitution des sommes payées.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société [S] [Q], ès qualités, fait grief à l'arrêt de dire que l'action en annulation et en restitution des paiements est prescrite pour les paiements intervenus avant le 16 janvier 2015 et de limiter la condamnation du Crédit immobilier à restituer la somme de 9 483,53 euros, alors « que l'action en annulation des paiements partiels d'une créance née antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective se prescrit par trois ans à compter du dernier paiement reçu par le créancier, la créance étant indivisible ; qu'en jugeant que, s'agissant du remboursement du prêt, et donc du paiement d'échéances périodiques, le délai de prescription de l'action en annulation de ces paiements court à compter de chaque échéance réglée en violation de l'interdiction des paiements, la cour d'appel a violé l'article L. 622-7 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l'article L. 622-7, III du code de commerce que, le délai de prescription de trois ans de l'action en nullité du paiement d'une créance opéré en violation du I de ce texte courant à compter de ce paiement, l'action en nullité de plusieurs paiements d'échéances successives de remboursement d'un prêt doit être engagée dans le délai de trois ans suivant chaque paiement d'échéance argué de nullité.
7. L'arrêt retient exactement que l'action en annulation introduite par le liquidateur le 16 janvier 2018 ne peut porter que sur les échéances du prêt payées par le débiteur au Crédit immobilier à partir du 16 janvier 2015, la demande de remboursement des échéances antérieures à cette date étant prescrite.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. La société [S] [Q], ès qualités, fait grief à l'arrêt de dire que la créance de restitution se compensera avec les sommes dues au Crédit immobilier déclarées au passif de la liquidation judiciaire de M. [M], alors « que toute compensation est exclue entre la dette de restitution consécutive au prononcé de la nullité d'un paiement effectué en violation de l'interdiction des paiements et la créance déclarée à la procédure collective sur laquelle le paiement irrégulier s'était imputé ; qu'en faisant droit à l'exception de compensation opposée par le Crédit immobilier au vu de la connexité qui aurait existé entre les créances du Crédit immobilier et celles de la liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé les articles L. 622-7 et L. 622-20 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
10. M. [M] conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est nouveau, le liquidateur n'ayant pas soutenu devant les juges du fond que la compensation était mise en échec en raison de la différence des fondements des créances réciproques.
11. Cependant, il résulte des conclusions du liquidateur devant la cour d'appel qu'il a soutenu que le mandataire établirait les comptes entre les créanciers en fonction des privilèges et de leur rang, et que la compensation n'avait vocation à jouer que pour valider le paiement d'une créance antérieure, en principe interdit, et ne concernait pas la créance en restitution une fois le paiement annulé.
12. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1347 du code civil et les articles L. 622-7, L. 622-20, alinéa 4, et L. 643-8 du code de commerce :
13. Il résulte de la combinaison du troisième et du quatrième de ces textes que les sommes recouvrées par le liquidateur au titre de la restitution par le créancier du montant des paiements opérés par le débiteur en violation des dispositions du deuxième, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-3 du code de commerce, dont la nullité a pour but de rétablir l'égalité entre les créanciers soumis à la discipline collective, entrent dans le patrimoine du débiteur et sont destinées à être réparties entre tous les créanciers. Toute compensation est donc exclue entre la dette de restitution consécutive à l'annulation d'un paiement et une créance admise au passif du débiteur.
14. Pour dire que la créance de restitution se compensera avec les sommes dues au Crédit immobilier déclarées au passif de la liquidation judiciaire de M. [M], l'arrêt retient que les créances du Crédit immobilier résultant des échéances du prêt impayé et celles de la liquidation judiciaire résultant de paiements intervenus en contravention avec l'article L. 622-7 du code de commerce sont connexes, ayant pris naissance à l'occasion d'un ensemble contractuel unique.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la créance de restitution se compensera avec les sommes dues à la société Crédit immobilier de France développement déclarées au passif de la liquidation judiciaire de M. [M], l'arrêt rendu le 16 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE la demande de compensation formée par la société Crédit immobilier de France développement.