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Décisions

CA Nancy, 2e ch. com., 19 octobre 2011, n° 10/01718

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hostellerie de l'ile (SAEL)

Défendeur :

Marchal

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cunin

Conseillers :

Mme Zecca-Bischoff, M. Bruneau

Avoués :

SCP Leinster Wisniewski Mouton, SCP Millot-Logier et Fontaine

Avocats :

Me Guidon, Me Rommelfangen, Me Bouthier, Me Pasina

TGI Nancy, du 16 avr. 2010

16 avril 2010

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seings privés du 23 janvier 1989, les époux Meyer, aux droits desquels vient aujourd'hui madame Lilli-Anne Meyer Marchal, ont donné en location aux époux Tardivon , aux droits desquels vient aujourd'hui la Sarl Hostellerie de l'Ile, un immeuble à usage de commerce et d'habitation sis à Custines.

Par acte d'huissier du 10 juillet 2006, madame Lilli-Anne Meyer Marchal a signifié à la Sarl Hostellerie de l'Ile un congé avec offre de renouvellement pour le 15 janvier 2007 moyennant un loyer hors taxe porté de 15.012 euros HT à 63.600 euros HT, au motif que le prix devait être fixé par application des dispositions de l'article 23-8 du décret du 30 septembre 2003 selon les usages dans la branche considérée.

La Sarl Hostellerie de l'Ile a accepté le renouvellement du bail, mais contesté le loyer demandé.

Elle a saisi la Commission Départementale de conciliation des baux commerciaux qui, le 27 juin 2008, a estimé qu'un montant de 40.000 euros apparaissait raisonnable ; que cependant, elle dressait un procès-verbal de non-conciliation.

Par acte d'huissier du 26 septembre 2008, madame Lilli-Anne Meyer Marchal a fait citer la Sarl Hostellerie de l'Ile devant le tribunal de grande instance de Nancy, aux fins de voir fixer le loyer au montant initialement demandé ; la Sarl Hostellerie de l'Ile demande pour sa part de voir le loyer renouvelé fixé à la somme de 16.046 euros.

Par jugement du 22 janvier 2009, la juridiction a ordonné une expertise, confiée à monsieur Jean-Pierre Dumur ; celui-ci a rendu son rapport le 25 septembre 2009.

Par jugement du 16 avril 2010, le tribunal de grande instance de Nancy a, sur le fondement des conclusions du rapport de l'expert, retenu le caractère monovalent des lieux et fixé le montant du loyer à la somme de 33.190 euros.

La Sarl Hostellerie de l'Ile a interjeté appel de cette décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions du 11 octobre 2010, la Sarl Hostellerie de l'Ile sollicite de voir infirmer la décision entreprise.

Elle expose que c'est à tort que le premier juge a retenu le caractère monovalent des lieux, l'entreprise exerçant en plus de son activité hôtelière une activité de petite restauration- bar, cette  activité ayant fait l'objet d'un rajout au bail ; que dès lors, le bailleur a nécessairement renoncé à se prévaloir du caractère monovalent des locaux ; que l'expert  a constaté l'existence de cette activité, ainsi que la disposition des lieux permet une différenciation des activités d'Hostellerie et de restauration.

Par ailleurs, la Sarl Hostellerie de l'Ile fait valoir que l'expert n'a pas relevé de modification de l'un des éléments prévus par l'article L 145 - 33 du code de commerce, et que la valeur locative doit être déterminée uniquement selon la méthode hôtelière ; que cependant, d'une part les bases de calcul retenues par l'expert sont contestables en  ce qu'il a surévalué le montant du chiffre d'affaires réalisé et le taux de remplissage potentiel de l'hôtel , celui-ci étant par ailleurs situé  en dehors d'une agglomération et à l'écart des voies de communication ; que d'autre part le bail a mis à la charge du preneur des charges qui excèdent celles prévues par les dispositions de l'article 605 du code civil et que, contrairement à ce qu'a estimé l'expert, ce type de clause n'est pas usuel dans le secteur géographique concerné ; que le loyer doit donc être  fixé en fonction de ces éléments.

La Sarl Hostellerie de l'Ile demande donc de :

- voir constater que les locaux loués ne sont pas monovalents et qu'il n'existe aucune cause de déplafonnement,

- voir fixer le montant du loyer à une somme qui ne saurait dépasser 21.672 euros à compter du 16 janvier 2007,

- débouter madame Lilli-Anne Mayer Marchal de ses demandes,

- la condamner à lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions du 19 janvier 2011, madame Lilli-Anne Mayer Marchal forme appel incident.

Elle soutient en premier lieu que les locaux présentent un caractère monovalent dans la mesure où ils ne permettent que l'exercice d'une activité d'hôtel, la restauration ne pouvant être que  très accessoire ; que dès lors ce caractère monovalent écarte le principe du plafonnement du loyer en cas de renouvellement ; que le jugement devra être  confirmé sur ce point.

En second lieu, madame Lilli-Anne Mayer Marchal fait valoir que le montant actuel du loyer est inférieur à celui devant être fixé compte tenu des caractéristiques de  l'établissement ; que de plus le loyer doit être fixé selon la méthode hôtelière ; que, selon cette méthode, le chiffre d'affaires réalisé est indifférent ; que doivent donc être pris en compte notamment la localisation de l'établissement, son état général et son équipement, la destination des lieux et les facteurs locaux de commercialité , étant précisé sur ce point que l'établissement est le seul hôtel installé à Custines et qu'en conséquence il est difficile de trouver des éléments  de comparaison ; que la méthode hôtelière tient compte des usages de la profession, et ne considère que le potentiel d'exploitation du commerce indépendamment des performances de l'exploitant ; que, sur ce point, les bases retenues par l'expert pour calculer le montant du loyer sont toutefois inférieures à celles résultant des méthodes usuelles de calcul, que  l'on applique la méthode hôtelière ou celle fondée sur le capital à investir ; que ces calculs font apparaître dans le premier cas une valeur annuelle de loyer  de 51.846 euros HT, et dans le second de 69.809 euros HT ; que la moyenne de ces deux chiffres donne une valeur de 63.600 euros HT par an ; que la décision contestée doit être réformée.

Subsidiairement, madame Lilli-Anne Meyer Marchal demande donc de voir confirmer la décision entreprise sur le montant du loyer.

Madame Lilli-Anne Meyer Marchal demande donc de :

- voir débouter la Sarl Hostellerie de l'Ile de ses demandes, fins et conclusions,

- fixer le loyer du bail commercial à la valeur de 63.600 euros par an HT à compter du 1er mars 2007,

- subsidiairement fixer le montant du loyer à la somme de 33.190 euros HT à la même date,

- condamner la Sarl Hostellerie de l'Ile à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 juin 2011.

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur la nature des lieux :

Attendu que l'article L. 145-33 du code de commerce dispose que :

Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1°) Les caractéristiques du local considéré ;

2°) La destination des lieux ;

3°) Les obligations respectives des parties ;

4°) Les facteurs locaux de commercialité ;

5°) Les prix couramment pratiqués dans le voisinage ;

Attendu que l'article L. 145-34 du code de commerce dispose que :

A moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 , le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa  durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice national trimestriel  mesurant le coût de la construction ou, s'ils sont applicables, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction ou, s'ils sont applicables, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.

En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.

Les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite reconduction, la durée du bail excède douze ans'.

Que l'article R. 145 du même code précise que :

« Le prix du bail des locaux construits en vue d'une seule utilisation peut, par dérogation aux articles L. 145-33 et R. 145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d'activité considérée »;

Attendu qu'en cas d'exploitation mixte, le caractère monovalent ou non de locaux commerciaux doit s'apprécier en fonction de l'autonomie ou de l'interdépendance des différentes activités ;

Attendu que c'est par des motifs pertinents rappelant exactement les observations de l'expert que le premier juge a estimé que, dans le cadre de l'activité de la Sarl Hostellerie de l'Ile, l'exploitation d'un bar restaurant apparaît à l'évidence comme un accessoire de l'activité d'hôtellerie de surcroît quasi réservé à la clientèle de cette dernière ;

Que, de plus, l'expert relève que l'établissement ne dispose d'aucun moyen de communication relatif à l'activité de restauration rapide ;

Que la Sarl Hostellerie de l'Ile ne démontre aucunement, notamment par la production de document comptable, avoir une activité de restauration indépendante de celle directement liée à l'activité hôtelière, le seul élément disponible sur ce point étant le chiffre d'affaires réalisé par le service des petits-déjeuners ;

Qu'enfin, la mention au bail prévoyant une activité de 'petite restauration' n'a pas pour effet en elle-même, à défaut d'autre élément, de donner à l'activité un caractère non monovalent ;

Attendu que, compte tenu de ces éléments, il y a lieu de confirmer la décision entreprise sur ce point ;

- Sur le montant du loyer :

Attendu que madame Lilli-Anne Meyer soutient que le loyer peut être fixé en référence à la moyenne obtenue d'une part par la méthode dite « hôtelière » et d'autre part par la méthode par le capital à investir ;

Mais attendu qu'il ressort du dossier que la méthode hôtelière est la plus à même de rendre compte de la valeur locative par adaptation de ses éléments à la situation particulière de l'établissement ;

Qu'il ressort du rapport de monsieur Dumur, dont la méthode a été exactement rappelée par le premier juge par des motifs qu'il convient d'adopter, que l'expert a tenu compte de la localisation de l'établissement et des spécificités de son activité ;

Que l'expert a répondu aux critiques émises par la Sarl Hostellerie de l'Ile sur les bases choisies pour calculer le montant du loyer ; que, s'agissant des charges de  l'article 605 du code civil, il conclut qu'il est parfaitement usuel qu'en matière de baux commerciaux, notamment dans l'agglomération nancéienne, les réparations à ce titre  soient à la charge du locataire ;  qu'il indique également qu'il est tout aussi usuel que la cession et la sous-location soient interdites ; que la Sarl Hostellerie de l'Ile n'apporte aucun élément  à l'appui de ses objections ;

Qu'il convient donc de confirmer la décision entreprise sur le montant du loyer ;

Attendu qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de madame Lilli-Anne Meyer l'intégralité des frais par elle exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande sur ce point selon les modalités indiquées au dispositif ;

Attendu enfin que la Sarl Hostellerie de l'Ile supportera les dépens d'appel, lesquels seront directement recouvrés par la SCP Millot-Logier-Fontaine, Avouées associées, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Dit les appels recevables ;

Confirme le jugement rendu le 16 avril 2010 par le tribunal de grande instance de Nancy en toutes ses dispositions ;

Condamne la Sarl Hostellerie de l'Ile à payer à madame Lilli-Anne Meyer la somme de MILLE EUROS (1.000 euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que la Sarl Hostellerie de l'Ile supportera les dépens d'appel, lesquels seront directement recouvrés par la SCP Millot-Logier-Fontaine, Avouées associées, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'arrêt a été prononcé à l'audience du dix-neuf octobre deux mille onze par Monsieur CUNIN, Président de la deuxième chambre commerciale à la Cour d'Appel de NANCY, conformément à l'article 452 du Code de Procédure Civile, assisté de Madame HUSSON, greffier.