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Décisions

CA Paris, 16eme ch. A, 30 janvier 2008, n° 07/00587

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cambacauto (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaboriau

Conseillers :

Mme Imbaud-Content, M. Peyron

Avoués :

Me Huyghe, SCP Goirand

Avocats :

Me Dauxin, Me Banide

TGI Paris, du 7 déc. 2006

7 décembre 2006

Exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties

Par  acte du 24 novembre 1977 , renouvelé le 17 juillet 1985 puis le 2 février 1995, la société HVR a consenti à bail commercial à la société CAMBACAUTO un bâtiment, composé de deux sous-sols, d'un rez-de-chaussée et de cinq étages, situé [...] à destination de parking, garage, réparations mécaniques, vente et achat de voitures, auto-école et tout ce qui touche à l'automobile, directement ou indirectement, carrosserie, peinture, pour une durée de neuf années à compter du 1er juillet 1994, moyennant un loyer annuel hors charges de 105 041,64 € tel que révisé par un  avenant du 24 mai 2000.

Depuis un  avenant du 8 mars 1982 , le bailleur a autorisé le preneur à sous-louer deux niveaux 'pour l'activité autorisée par le bail, ainsi que pour la confection en tout genre et articles de Paris'.

Par  acte du 24 décembre 2002, la société HVR a fait délivrer à la société CAMBACAUTO un congé avec offre de renouvellement au 1er juillet 2003 pour un loyer annuel en principal de 230 000 €.

Le locataire a accepté le renouvellement du bail mais a refusé le déplafonnement du loyer.

Après mémoire préalable, la société HVR a assigné le 16 mai 2003 la société CAMBACAUTO aux fins de voir fixer le loyer à une somme de 180 000 € pour la partie parking et à 152 € le m² pour les surfaces sous- louées (en l'espèce, les deux étages supérieurs).

Par  jugement du 20 novembre 2003, le juge des loyers commerciaux du Tribunal de grande instance de Paris a ordonné avant dire droit une expertise.

Dans son rapport déposé le 4 mai 2006, Monsieur PETIT conclut, en cas de monovalence, à une valeur locative comprise, selon la méthode retenue, entre 129 227 € et 172 607 € et à défaut à un loyer plafonné de 119 009 €.

Il observe que le bâtiment loué se trouve en fond de cour d'un immeuble situé [...], dans un secteur cosmopolite et défavorisé.

Sur la question de la monovalence, l'expert note :

•             qu'un  arrêté du 6 décembre 1968 et un certificat de conformité du 16 mars 1971 ont autorisé la construction d'un bâtiment de 5 étages et 2 niveaux de sous-sol à usage de parking,

•             que les locaux sont constitués d'un bâtiment unique, disposant d'un accès unique, formé de deux plateaux par niveau, accessibles par une rampe pour les voitures et par un petit ascenseur et un escalier étroit pour les piétons, avec une hauteur sous plafond faible (2,18 à 2,32 m), sauf au rez-de-chaussée et au 1er sous-sol,

•             que si le niveau haut du 4ème étage et les deux niveaux du 5ème étage ont été sous-loués à diverses reprises, à la date de son transport seule la partie inférieure du 5ème niveau est sous-louée, la partie supérieure ne pouvant plus l'être du fait de l'obstruction de la rampe à son niveau par ce sous-locataire,

•             qu'il est dès lors quasi impossible de louer des niveaux ou des demi-niveaux à des locataires différents pour une autre activité que celle de parking, les niveaux étant essentiellement reliés par la rampe, principal accès, et ne pouvant pas être séparés,

•             qu'à son avis, compte tenu de la faible hauteur sous plafond, du faible éclairement naturel des locaux et de l'étroitesse des parties communes, il n'existe pas de solution pour adapter parfaitement les locaux à d'autres activités, quelqu'en soit le coût,

•             que seuls les niveaux extrêmes pourraient être fermés pour un coût modique.

La Cour statue sur l'appel interjeté par la société CAMBACAUTO du jugement rendu le 7 décembre 2006 par le juge des loyers commerciaux du Tribunal de grande instance de Paris qui a :

•             Fixé à 162 775 € en principal par an à compter du 1er Juillet 2003 le loyer du bail renouvelé,

•             Condamné la société CAMBACAUTO à payer à la Sci HVR les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés depuis le 1er Juillet 2003, à compter du prononcé du jugement,

•             Ordonné l'exécution provisoire,

•             Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

•             Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

•             Condamné chacune des parties par moitié aux dépens incluant le coût de l'expertise.

Pour retenir la monovalence, le premier juge considère, d'une part, qu'il est prouvé que l'immeuble a été construit en vue d'une seule utilisation, d'autre part, que l'autorisation de sous-location partielle ne saurait suffire à exclure la monovalence des lieux alors que le locataire lui-même fait justement valoir les difficultés qu'il rencontre dans cette faculté du fait de la conformation des lieux.

Dans ses dernières conclusions du 7 novembre 2007, la société CAMBACAUTO demande à la Cour de :

•             à titre principal,

•             INFIRMER le jugement rendu le 7 décembre 2006,

•             DIRE que les locaux loués ne sont pas des locaux monovalents et que les dispositions de l'article 23-8 du décret du 30 septembre 1953 ne sont donc pas applicables,

•             APPLIQUER la variation de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction publié par l'INSEE conformément à l'article L. 145-34 du Code de commerce,

•             En conséquence, FIXER le montant du loyer renouvelé à la somme de 119 009 € hors charges à compter du 1er juillet 2003,

•             à titre subsidiaire,

•             FIXER le montant du loyer renouvelé à la somme de 81 761 € hors charges à compter du 1er juillet 2003,

•             à titre plus subsidiaire,

•             FIXER le montant du loyer renouvelé à la somme de 81 289 € hors charges à compter du 1er juillet 2003,

•             à titre encore plus subsidiaire,

•             FIXER le montant du loyer renouvelé à la somme de 96 906 € hors charges à compter du 1er juillet 2003,

•             en tout état de cause,

•             INFIRMER le jugement en ce qu'il a condamné la société CAMBACAUTO à payer les intérêts capitalisés sur les intérêts arriérés depuis le 1er juillet 2003 à compter du jugement,

•             CONDAMNER la société HVR à payer à la société CAMBACAUTO la somme de 5 000 € par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître HUYGHE.

Pour dénier la monovalence, la société CAMBACAUTO soutient que le premier juge ne pouvait pas se contenter de dire que l'immeuble a été construit en vue d'une seule utilisation, celle de garage-hôtel, mais devait aussi rechercher si les locaux pouvaient être affectés à une autre utilisation sans des travaux importants ou des transformations coûteuses.

Elle fait valoir d'abord que cette autre utilisation résulte de ce que, depuis l'avenant du 8 mars 1982 , le bailleur a autorisé la sous-location de deux niveaux pour  l'activité de confection en tout genre et articles de Paris ; que cette sous location a été effective pour les 4ème et 5ème niveaux ; que les activités de parking et de confection sont distinctes et leurs clientèles sont différentes ;  qu'enfin la sous-location autorisée représente, s'agissant de deux niveaux, près de 30% de la surface totale de l'immeuble.

Elle estime ensuite que les locaux, sur chaque niveau, sont divisibles et cloisonnables. Pour l'établir, elle produit :

•             un rapport d'expertise privée établi le 28 octobre 2003 par Monsieur JACOTEY, lequel note que dans le passé une partie des lieux a été utilisée comme garage atelier (mécanique, carrosserie et vente de voitures),

•             un rapport d'expertise privée établi le 23 mars 2007 par le cabinet GP expertise duquel il résulte que le dernier étage pourrait être cloisonné par carreaux de plâtre avec un budget de moins de 25 000 €, alors que l’avant dernier étage pourrait être à usage d'entrepôt pouvant intéresser, par exemple, un brocanteur ayant pas de porte à la Porte de Montreuil,

•             un devis établi le 13 octobre 2007 par une entreprise BATI 4 portant désignation de travaux d'aménagement de locaux d'un palier pour un montant de 8 790,60 € TTC.

Dans ses dernières conclusions du 30 octobre 2007, la société HVR demande à la Cour de :

•             CONFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle a fait application des dispositions de l'article R. 145-10 aux locaux donnés à bail à la société CAMBACAUTO et retenu ainsi leur caractère monovalent pour avoir été construits initialement en vue d'une seule utilisation, pour constituer une unité d'exploitation et être insusceptibles d'une autre affectation sans travaux à ce point conséquents que leur coût viendrait démentir l'intérêt d'un quelconque réaménagement,

•             DIRE que l'expert a suffisamment caractérisé la monovalence des locaux pour ne pouvoir se voir opposer l'inexécution de sa mission,

•             DIRE que le devis de modification des locaux communiqué le 17 octobre ne présente aucun caractère probant en l'absence de précision relative au niveau concerné, d'une part, de coûts unitaires, d'autre part, ce qui interdit d'en apprécier la pertinence,

•             DIRE que l'évaluation forfaitaire du Cabinet d'expertise en assurance est sans intérêt au regard du présent litige pour n'avoir pas été soumis à Monsieur PETIT, d'une part, pour avoir été établi unilatéralement, d'autre part, pour n'être accompagné d'aucun document justificatif technique enfin,

•             En conséquence de la monovalence, FIXER le loyer au 1er juillet 2003 à la valeur locative, et DIRE que la méthode d'évaluation en usage est une méthode de reconstitution de la recette THÉORIQUE et ne peut constituer un calcul effectué à partir des résultats du preneur,

•             CONFIRMER la décision entreprise sur le nombre de places de stationnement abonnés, le nombre de places de stationnement horaire, sur le choix d'une méthode permettant d'appliquer la méthode métrique aux surfaces sous-louées,

•             PORTER à 100 € la recette théorique par place abonnée, à 8 heures la base de recette théorique des abonnements horaire,

•             DIRE que la recette théorique d'hébergement ressort donc à 45 000 €,

•             RETENIR un coefficient multiplicateur de 3,5 lequel n'a pas été contesté par la société CAMBACAUTO devant le Premier Juge,

•             LIMITER à 5 % l'abattement pour travaux,

•             RETENIR les surfaces sous-louées pour 1 254 m² au prix de 90 € le m², soit au total la somme de 112 860 €,

•             FIXER en conséquence le loyer de renouvellement à la somme annuelle en principal de 256 842 € et condamner la preneuse en paiement pour le différentiel échu depuis la date de prise d’effet du renouvellement, outre le complément de dépôt de garantie et les intérêts,

•             DIRE que le dépôt de garantie sera réajusté pour correspondre à 6 mois de ce nouveau loyer,

•             FIXER le point de départ des intérêts au taux légal à compter de la date de prise d'effet du renouvellement et dire que les intérêts seront dus au fur et à mesure de chaque échéance sur les arriérés,

•             DIRE que les intérêts dus seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code Civil,

•             CONDAMNER la société preneuse au paiement d'une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Scp GOIRAND avoués.

La société HVR soutient, à titre principal, que les locaux ayant été construits en vue d'une seule utilisation, sont pour cette seule raison monovalents.

À titre subsidiaire, elle estime que l'expert a justement apprécié qu'un parking avec 2,20 m de hauteur, sans ouverture et des rampes d'accès pour les véhicules ne pouvait être transformé ; que les pièces produites ultérieurement, non soumises à l'expert et au contradictoire, ne sont pas probantes ; qu’enfin la sous-location à des ateliers de confection ne porte pas atteinte à la monovalence dès lors que seuls deux demi-niveaux sont affectés à cette activité ;

Motivation de l'arrêt

Considérant qu'il résulte tant des autorisations administratives d'origine que de la disposition des lieux, que l'immeuble en litige a été construit dans les années 1970 en vue d’une seule utilisation, celle de garage-hôtel, outre des activités accessoires liées à l'automobile mentionnées au bail ;

Que cependant, et nonobstant les obstacles matériels triviaux relevés par l'expert, il n'en est pas moins constant que depuis l'année 1982 deux activités distinctes y sont exercées, celle initialement prévue de garage-hôtel au sous-sol, au rez-de-chaussée et aux trois premiers étages, et, avec d'importantes difficultés d'exploitation liées à la configuration des locaux, celle de confection dans les deux étages supérieurs ;

Considérant qu'il est patent que l'activité de confection exercée dans les étages supérieurs n'est en aucune manière complémentaire ou interdépendante de celle de garage-hôtel et que leurs clientèles en sont totalement distinctes ;

Considérant que pour soutenir que les locaux restent globalement monovalents, le bailleur estime qu'il convient d'apprécier l'importance respective des parties d'immeubles affectées au garage-hôtel  et celles affectées à la confection ;  qu'il écrit que l'importance respective des surfaces n'est guère douteuse puisque seuls deux demi-niveaux sont affectés à la sous-location ;  qu'il ajoute que les chiffres d'affaires ne peuvent être comparés puisque, s'agissant de sous locations, ceux consacrés à la confection ne sont pas connus ;

Mais considérant qu'il résulte des termes du bail que la sous-location porte sur deux niveaux (et non sur deux demi-niveaux) sur les huit que contient l'immeuble, soit un quart des locaux ; que si les chiffres d'affaires des activités de confection ne sont pas connus, le bailleur reconnaît leur importance économique puisque dans ses développements  relatifs à la fixation du montant du loyer, il propose de retenir celui correspondant aux locaux de garage-hôtel à la somme de 157 000 € et celui relatif aux emplacements sous loués  (cette fois pour deux plateaux entiers !) à la somme de 112 860 €, soit à plus de 40 % du loyer global réclamé ;

Considérant, dans ces conditions, que l'exercice effectif dans les locaux de deux activités économiques distinctes dont aucune n'est l'accessoire de l'autre ne permet pas de retenir une monovalence des locaux ;

Que, conformément à la demande principale de l'appelant, le loyer sera fixé au montant du loyer plafonné, soit à la somme de 119 009 € HC, à compter du 1er juillet 2003 ;

Que les intérêts dus seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;

Considérant que la procédure et l'expertise ayant été nécessaires pour fixer les droits respectifs des parties, il convient d'ordonner le partage des dépens ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en dernier ressort,

I- Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau,

- Fixe le loyer renouvelé à la somme de 119 009 € hors charges à compter du 1er juillet 2003 ;

-Condamne la société CAMBACAUTO à payer les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés depuis le 1er juillet 2003, à compter de la date de chaque échéance contractuelle et en fonction de la somme effectivement payée par le preneur ;

-autorise, à compter de la première demande en ce sens, en application de l'article 1154 du Code civil, la capitalisation des intérêts, dès lors qu'ils sont dus pour plus d'une année entière ;

II - Fait masse des dépens de première instance et d'appel, compris ceux d'expertise, et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties ;

III- Déboute les parties de leurs autres demandes.