CA Grenoble, ch. com., 4 novembre 2021, n° 19/03239
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Réponse Financement (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
Mme Blanchard, M. Bruno
EXPOSE DU LITIGE :
La Sas Réponse Financement exploite une activité de commercialisation en matière de courtage en crédits et assurances de prêts.
Elle a développé un réseau de franchise permettant aux franchisés d'exploiter une agence sous sa marque VOUS FINANCER.COM.
Au début du mois de juin 2016, Mme X a fait acte de candidature pour devenir courtier sous franchise VOUSFINANCER.COM et le 20 juin suivant, elle signait avec la société Réponse Financement le document d'information précontractuelle prévu par l'article L. 330-3 du code de commerce.
Le 13 juillet 2016, les parties régularisaient un contrat de franchise d'une durée de cinq ans, moyennant un droit d'entrée de 69 000 euros, une redevance annuelle sur le chiffre d'affaires d'un minimum de 12 000 euros ht, une redevance publicité de 2 400 euros ht par an au minimum, un pack informatique.
Suivant courrier du 11 octobre 2016, Mme X était informée par l'Orias du rejet de sa demande d'inscription dans la catégorie des courtiers en opérations de banque et en services de paiement.
Le 27 décembre 2016, elle a réclamé à la société Réponse Financement, le remboursement du droit d'entrée acquitté, avant de la faire assigner devant la juridiction commerciale aux fins de caducité, puis de nullité du contrat de franchise.
Par jugement du 24 juin 2019, le tribunal de commerce de Grenoble a :
- rejeté la demande d'irrecevabilité de la Sas Réponse Financement,
- dit que le calendrier des signatures et des règlements prévus au contrat est incompatible avec l'obtention de l'agrément Orias préalablement au déroulement du contrat,
- dit que l'une des conditions essentielles au bon déroulement du contrat, à savoir l'agrément Orias, n'a pas pu être obtenue par Mme X et de ce fait l'exécution est impossible et la caducité du contrat encourue,
- condamné la Sas Réponse Financement à rembourser à Mme X le montant de la franchise soit 69 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,
- condamné Mme X à payer à la Sas Réponse Financement une somme arbitrée à 15 000 euros à titre de remboursement des sommes engagées par la Sas Réponse Financement,
- ordonné la compensation des montants,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes au titre d'indemnités, dont l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme X aux dépens.
Suivant déclaration au greffe du 25 juillet 2019, la société Réponse Financement a relevé appel de cette décision.
Au terme de ses écritures notifiées le 25 mars 2020, la société Réponse Financement demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- statuant à nouveau,
- rejeter l'ensemble des demandes de Mme X,
- à titre principal, condamner Mme X à restituer autant que de besoin au franchiseur la somme de 69 000 euros ttc de droit d'entrée contractuel,
- à titre subsidiaire, la condamner au remboursement de tous les frais qu'elle a engendrés estimés à 39 000 euros,
- condamner Mme X à verser au franchiseur la somme de 72 000 euros ttc au titre des redevances spécifiques contractuelles minimales sur toute la période contractuelle à titre principal,
- à titre subsidiaire, condamner la même à verser au franchiseur 32 400 euros ttc correspondant à la seule période allant jusqu'à la signature d'un nouveau contrat de franchise sur la zone de Nice,
- condamner Mme X à verser au franchiseur la somme de 14 400 euros ttc au titre des redevances « publicité » contractuelles minimales sur toute la période contractuelle à titre principal,
- à titre subsidiaire, la condamner à lui verser 6 480 euros ttc correspondant à la seule période allant jusqu'à la signature d'un nouveau contrat de franchise sur sa zone territoriale,
- condamner Mme X à verser au franchiseur la somme de 34 560 euros ttc au titre de la réparation du préjudice d'image,
- condamner Mme X à verser au franchiseur la somme de 6.480 euros ttc au titre du préjudice financier lié à la non-facturation des 4 postes informatiques prévus pendant les 27 mois de la période allant jusqu'à la signature d'un nouveau contrat de franchise sur sa zone territoriale,
- condamner Mme X au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
La société Réponse Financement soutient qu'elle n'a commis aucune faute alors que :
- l'ensemble des documents pré-contractuels et contractuels mettaient à la charge du franchisé les démarches administratives auprès de l'Orias,
- le délai donné pour obtenir l'immatriculation n'a jamais posé problème,
- le refus d'agrément de l'Orias est exclusivement fondé sur la condamnation pénale de Mme X pour des faits d'escroquerie et de faux en écriture,
- le contrat n'a pu recevoir exécution qu'en raison de la faute commise par la franchisée.
Elle fait valoir que cette dernière connaissait l'existence de cette condamnation, dont elle n'avait pas relevé appel et qui avait donc un caractère définitif, qu'elle l'a sciemment dissimulée à sa cocontractante, qu'elle ne peut en conséquence se prévaloir de sa propre turpitude et se trouve privée d'intérêt légitime à agir.
Elle estime en conséquence que l'objet, comme la cause du contrat de franchise sont parfaitement valables, que le contrat n'est ni caduc, ni nul mais que la déloyauté, la mauvaise foi de Mme X justifie sa résiliation à ses torts exclusifs.
Elle considère que le contrat étant parfaitement valable, le droit d'entrée lui est acquis comme contrepartie à la transmission du savoir-faire à la franchisée, à la mise à sa disposition de la marque et des moyens d'exercer l'activité, mais également à titre d'indemnité de la résiliation.
A titre subsidiaire, elle estime qu'elle doit être indemnisée des frais qu'elle a engagés dans le recrutement et la formation de la franchisée.
Elle soutient par ailleurs que cette résiliation lui a fait perdre le versement des redevances contractuelles minimales pendant toute la durée du contrat, et qu'elle a porté atteinte à l'image de son réseau de franchise.
Selon ses conclusions notifiées le 26 décembre 2019, Mme X entend voir :
- déclarer la société Réponse Financement mal fondée en son appel,
- la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- prononcer la nullité du contrat de franchise signé entre les parties le 13 juillet 2016 pour absence de cause,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Réponse Financement à rembourser à Mme X le montant de la franchise de 69 000 euros avec intérêt au taux légal à compter du jugement,
- infirmer pour le surplus le jugement entrepris,
- condamner la société Réponse Financement à payer à Mme X la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Réponse Financement aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maitre A, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Mme X expose d'une part que les faits pour lesquels elle a été condamnée relèvent de sa responsabilité de gérante statutaire d'une société de conseils en investissements financiers dont son co-prévenu était le véritable gérant de fait ; d'autre part, qu'ayant relevé appel de cette condamnation, elle n'avait pas à en révéler l'existence compte tenu de son caractère non définitif.
Elle fait valoir que seul le bulletin n° 3 de son casier judiciaire lui a été demandé et qu'il ne comportait aucune condamnation.
Elle soutient que :
- l'immatriculation du courtier, outre d'être une obligation légale, est un élément essentiel du contrat de franchise et constitue une obligation contractuelle,
- l'Orias lui a refusé cette immatriculation au visa d'une condamnation pénale non définitive en contrariété avec les dispositions des articles L. 512-4 du code des assurances et R. 546-1 du code monétaire et financier,
- la brièveté du délai entre la signature du document précontractuel et celle du contrat de franchise ne lui permettait pas d'obtenir et de justifier de la décision de l'Orias, intervenue trois mois après,
- le tribunal de commerce ne pouvait cependant faire application de la caducité du contrat introduite par l'ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016,
- son immatriculation auprès de l'Orias constituant la cause déterminante de l'obligation qu'elle a contractée à l'égard de la société Réponse Financement, le refus de cet organisme doit entraîner la nullité du contrat pour absence de cause, en l'occurrence de contrepartie.
Mme X s'oppose aux demandes reconventionnelles de la société Réponse Financement aux motifs que cette dernière a attendu 27 mois pour conclure un nouveau contrat de franchise en remplacement du sien, qu'il n'est pas justifié des préjudices invoqués.
La procédure a été clôturée le 1er juillet 2021.
MOTIFS DE LA DECISION :
La société Réponse Financement n'ayant pas repris la fin de non-recevoir soulevée en première instance, la cour ne pourra que confirmer le jugement qui l'a rejetée.
1°) sur la nullité de l'obligation :
Le contrat de franchise ayant été signé le 13 juillet 2016, seules sont applicables au litige les dispositions du code civil antérieures à l'ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre suivant.
Selon l'ancien article 1131 du code civil, applicable au litige, l'obligation sans cause, sur une fausse cause ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet et doit être sanctionnée de la nullité.
En vertu de son article II, le contrat de franchise a pour objet de permettre l'exploitation par le franchisé d'une agence sous la marque « VOUSFINANCER.COM » et la communication par le franchiseur de son savoir-faire et de ses méthodes.
Si l'immatriculation auprès de l'Orias, est une des conditions nécessaires pour le franchisé à cette exploitation, elle ne constitue pas la cause de ses obligations de verser d'une part un droit d'entrée, d'autre part des redevances et commissons mensuelles, cette cause se trouvant, s'agissant d'un contrat synallagmatique, dans la contrepartie concédée par le franchiseur en termes de formation, de droit d'usage de sa marque et d'accompagnement notamment publicitaire.
Au demeurant, la cour observera que le refus d'inscription émanant de l'Orias est intervenu en novembre 2016, soit postérieurement à la souscription du contrat de franchise, date d'appréciation de l'existence de la cause.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a dit caduc le contrat de franchise et la demande de nullité sera rejetée.
2°) sur la résiliation du contrat de franchise :
Au titre des obligations du franchisé, le contrat prévoit dans son article 12 que ce dernier s'engage notamment à : "être en permanence en règle avec les obligations professionnelles résultant de la loi applicable aux OBSP" (opérations de banque et en services de paiement).
Le 22 juillet 2016, Mme X a signé la déclaration sur l'honneur, prévue par l'article R. 519-6 du code monétaire et financier, attestant du respect de la condition d'honorabilité exigée par l'article L. 500-1-II du même code et visant l'absence de condamnation à une peine d'emprisonnement ferme ou d'au moins 6 mois avec sursis, notamment pour une infraction d'escroquerie ou de faux.
Or, il est versé au débat un arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 octobre 2018, selon les termes duquel, par jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 4 mai 2015, Mme X a été définitivement déclarée coupable des faits d'escroquerie et d'usage de faux en écriture et condamnée à un emprisonnement délictuel de neuf mois avec sursis, décision pénale dont elle n'a pas relevé appel, puisque son recours du 12 avril 2016, ne porte que sur le jugement sur intérêts civils du 6 avril 2016.
Mme X, qui ne pouvait ignorer ni les termes de sa condamnation, ni le caractère limité de son appel, a donc établi une déclaration sur l'honneur mensongère au sujet de l'une des conditions essentielles à la bonne exécution du contrat et qu'il lui appartenait de remplir.
La brièveté du délai de trois mois imposé au franchisé pour obtenir son inscription auprès de l'Orias et ouvrir son agence est sans incidence sur la faute commise par Mme X, puisque sa situation au regard de ses obligations légales et contractuelles n'aurait pas été modifiée par un délai plus long, l'article L. 500-1-II du code monétaire et financier prévoyant une interdiction d'exercice pendant dix ans à compter de la condamnation pénale.
C'est donc bien par la seule faute de Mme X, qui ne peut, de surcroît, se prévaloir de sa propre turpitude, que la convention de franchise n'a pu recevoir aucune exécution et qu'elle doit être résiliée à ses torts exclusifs.
Le droit d'entrée, contrepartie de la communication du savoir-faire et du droit d'usage de la marque reste dû au franchiseur, qui justifie notamment de la formation délivrée à Mme X.
Le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Réponse Financement à rembourser le montant du droit d'entrée de 69.000 euros à Mme X, qui devra être déboutée de ce chef de demande.
3°) sur l'indemnisation :
Le contrat de franchise, initialement souscrit pour une durée de cinq ans, prévoyait le versement par le franchisé de redevances et commissions fixées à :
- 6 % du chiffre d'affaires hors taxes et d'un minimum de 1 000 euros ht par mois au titre de l'activité de courtage,
- 2 % du chiffre d'affaires hors taxes et d'un minimum de 200 euros ht par mois au titre de la publicité,
- 140 euros ht par mois pour un poste.
L'inexécution de la convention a fait perdre à la société Réponse Financement une chance de percevoir ces redevances que la cour fixera à 90 %.
Il devra être tenu compte du délai de trois mois accordé pour le démarrage de l'activité, soit jusqu'au 22 octobre 2016 et de la signature d'un nouveau contrat de franchise le 25 octobre 2018 sur le secteur de Nice intra-muros, initialement dévolu à l'agence que Mme X devait exploiter.
Ainsi, la période d'indemnisation ne pourra être retenue que pour la période du 22 octobre 2016 au 25 octobre 2018, soit 24 mois.
Enfin, le contrat ne contenant aucune précision sur le nombre de postes informatiques à équiper, la cour ne retiendra que la redevance d'un seul poste.
En conséquence, le préjudice résultant de la perte de chance d'encaisser les redevances de la franchisée sera fixé ainsi qu'il suit :
- au titre de l'activité de courtage : 21.600 euros ht (24 x 1000 x 90 %),
- au titre de la publicité : 4320 euros ht (24 x 200 x 90 %),
- au titre du pack informatique : 3024 euros ht (24 x 140 x 90 %).
Si la société Réponse Financement se prévaut d'une atteinte à son image, elle n'en rapporte pas la preuve concrète, l'attestation produite procédant par affirmations et généralités.
En conséquence, la cour infirmera partiellement le jugement qui a débouté la société Réponse Financement de toutes demandes indemnitaires et condamnera Mme X au paiement des sommes précédemment retenues.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Grenoble en date du 24 juin 2019 en ce qu'il a :
- rejeté la demande d'irrecevabilité de la Sas Réponse Financement,
- débouté la Sas Réponse Financement de sa demande d'indemnisation au titre de son préjudice d'image,
L'INFIRME pour le surplus de ses dispositions,
Statuant à nouveau,
DEBOUTE Mme X de sa demande de nullité du contrat de franchise,
PRONONCE la résiliation du contrat de franchise,
DEBOUTE Mme X de sa demande de restitution du droit d'entrée,
CONDAMNE Mme X à payer à la Sas Réponse Financement les sommes de 21 600 euros ht, 4 320 euros ht et 3024 euros ht à titre de dommages et intérêts,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme X à payer à la Sas Réponse Financement la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme X aux dépens de première instance et d'appel.