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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 4 novembre 2021, n° 19/02839

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

BRA (SAS)

Défendeur :

Zimmer Biomet France (SAS), Amplitude (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

Avocats :

Me Beaufour-Garaude, Me Herlemont, Me Grimaud, Me Dauphin, Me Teston

T. com. Romans-sur-Isère, du 29 mai 2019…

29 mai 2019

EXPOSE DU LITIGE :

La Sarl Biomet France est une des filiales de la société de droit américain Biomet, fabricant de dispositifs médicaux, notamment de prothèses orthopédiques et de leurs accessoires.

Par contrat d'agent commercial exclusif en date du 20 février 2006, la Sarl Biomet France a confié à la Sas Biomet Rhône Alpes (BRA), dirigée par M. X, la représentation exclusive des produits Biomet dans treize départements de la région Rhône-Alpes (01, 05, 07, 26, 38, 39, 42, 43, 48, 69, 71, 73 et 74).

En contrepartie de l'exclusivité accordée, le contrat prévoyait une clause de non-concurrence, faisant interdiction à l'agent commercial de représenter directement ou indirectement auprès de la clientèle, tout produit concurrent des produits objets du mandat, pendant toute la durée du contrat et pendant une période maximale de deux ans après son terme en contrepartie d'une indemnité correspondant à une année de commissions par année d'application.

Ce contrat a fait l'objet de huit avenants.

Suivant traité du 31 décembre 2009, la société Biomet France a apporté sa branche d'activité de commercialisation à la Sas Biomet.

A compter de l'année 2014, la société Biomet s'est rapprochée de la société Zimmer conduisant à leur regroupement à compter du 25 juin 2015, puis à leur fusion le 30 novembre 2016, sous la dénomination sociale de Zimmer Biomet France.

Par courrier du 29 décembre 2015, la société BRA a notifié à la Sarl Biomet France la résiliation de son contrat d'agence commerciale et les parties se sont opposées sur les conditions cette résiliation.

Par actes d'huissier des 13 et 14 juin 2016, la société Zimmer Biomet France (Zimmer Biomet) a fait signifier à la société BRA la mise en oeuvre de la clause de non-concurrence pour une période d'un an et a dénoncé cette notification à plusieurs sociétés concurrentes dont la Sas Amplitude.

Se prévalant d'actes de concurrence déloyale, la société Zimmer Biomet a obtenu par ordonnance du 9 décembre 2015 du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère, l'autorisation de faire procéder par huissier de justice à des opérations de constat et de recueil de documents dans les locaux de la société BRA et de la société Amplitude.

Elle a sollicité et obtenu la même autorisation de constat à l'encontre des dirigeants de ces sociétés.

Par ordonnances du 13 janvier 2016, la société BRA a obtenu de la même juridiction l'autorisation de faire procéder à des constatations similaires dans les locaux de la société Zimmer Biomet et de l'assigner à bref délai.

Sur le fondement de la violation de la clause de non-concurrence, de détournement de clientèle et de faits de dénigrement, la société Zimmer Biomet a fait assigner la société BRA et la Sas Amplitude en indemnisation devant le tribunal de commerce de Romans sur Isère.

Elle a également fait assigner aux mêmes fins M. X devant le tribunal de commerce d'Annecy qui, au bénéfice de la connexité, s'est dessaisi, renvoyant l'affaire et les parties devant le tribunal de commerce de Romans sur Isère.

Cette juridiction, par jugement avant dire droit du 11 octobre 2018, a principalement :

- rejeté la demande de sursis à statuer présentée par la société BRA,

- dit que la société Zimmer Biomet France justifie d'un intérêt légitime dans son action à l'encontre de la société BRA et de la société Amplitude,

- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la société Zimmer Biomet Sas et de la sociélé Zimmer Biomet France,

- ordonné à la société Amplitude de communiquer, sous la forme d'attestations comptables dûment certifiées par un expert-comptable ou commissaire aux comptes, les informations suivantes :

- les chiffres d'affaires annuels réalisés par Amplitude sur les années 2014 et 2015, pour les clients suivants :

 *  Clinique des Cévennes (07)

 *  Clinique Pasteur (07)

 *  GRPT Hospitalier Porte de Provence (26)

 *  Clinique Kennedy (26)

 *  Centre Hospitalier de Valence (26)

 *  Clinique des Alpes (38)

 *  Clinique de Belledonne (38)

 *  Clinique du Bon Secours (43)

 *  Centre Hospitalier Desgenettes Lyon (69)

 *  Hopital privé de l'Est Lyonnais (69)

 *  Clinique Charcot

 *  CAPIO - Clinique du Tonkin (69)

 *  Clinique de Dracy le Fort (71)

 *  Centre Hospitalier Bourg Saint Maurice (73)

 *  Clinique Herbert Aix les Bains (73)

 *  CHAM Savoie Site Albertville (73)

 *  Médipôle de Savoie (73)

 *  CH Métropole Savoie (73)

 *  Hôpital privé Pays de Savoie (74)

 *  Centre Hospitalier Alpes Léman (74)

 *  CH Annecy Genevois (74)

 *  Clinique d'Argonay (74)

 *  Hopitaux du Léman (74),

et le détail du chiffre d'affaires réalisé par Amplitude sur la période allant du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 pour les mêmes clients,

- enjoint à la société Zimmer Biomet France de justifier sur les mêmes périodes, sous la forme d'attestations comptables dûment certifiées par un expert-comptable ou commissaire aux comptes, de la qualité de clients des sociétés listées par la société Zimmer Biomet France,

- laissé les frais irrépétibles à la charge de chacune des parties,

- réservé les dépens.

Puis statuant sur le fond, par jugement du 29 mai 2019, le tribunal de commerce a principalement :

- rejeté la demande de sursis à statuer du fait de l'instance pendante devant la cour d'appel sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial,

- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la société Biomet Sas et de la société Zimmer Biomet France,

- déclaré irrecevable la demande de la société Amplitude en nullité de l'engagement de non-concurrence du contrat d'agent du 20 février 2006 liant Zimmer Biomet France et BRA, faute de justifier de sa qualité à agir,

- constaté que la société BRA avait violé son engagement de non-concurrence,

- condamné la société BRA au paiement d'une somme de 3.230.629,98 euros ttc en remboursement de l'indemnité de non-concurrence,

- condamné la société BRA au paiement d'une somme de 1.555.000 euros, au titre de la clause pénale,

- débouté la société Zimmer Biomet France de sa demande à l'encontre de la société BRA à hauteur de 9.800.000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- débouté la société BRA de l'intégralité de ses demandes, y compris au titre des dommages et intérêts et de l'article 700 du code de procédure civile,

- constaté que la société Amplitude France a commis une faute en menant des manœuvres déloyales visant à détourner la clientèle confiée à BRA par Biomet devenue Zimmer Biomet France,

- dit que la société Zimmer Biomet France ne rapporte pas d'éléments pour chiffrer son préjudice,

- débouté la société Zimmer Biomet France de sa demande au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice,

- débouté la société Zimmer Biomet France de sa demande présentée à l'encontre de M. X à hauteur de 750.000 euros au titre de dommages et intérêts,

- débouté M. X de sa demande au titre de la procédure abusive, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dommages et intérêts,

- condamné solidairement les sociétés BRA et Amplitude à verser à Zimmer Biomet France la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les sociétés BRA et Amplitude de l'ensemble de leurs demandes, y compris au titre d'une procédure abusive, de l'article 700 du code de procédure et des dommages et intérêts,

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de ce jugement,

- mis les dépens à la charge commune des sociétés Sas BRA et la Sas Amplitude France.

Suivant déclarations au greffe des 3, 4 et 5 juillet 2019, les sociétés BRA, Zimmer Biomet France, Amplitudes et M. X ont interjeté appel de ce jugement.

Ces différentes instances ont été jointes.

Au terme de ses conclusions n° 3 notifiées le 5 juin 2020, la société BRA demande à la cour de :

- infirmer le jugement sur incident du 11 octobre 2018, en ses dispositions ayant :

 *  rejeté la demande de sursis à statuer du fait de l'instance encore pendante devant la cour d'appel, sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial,

 *  dit que la société BRA à défaut d'avoir été expressément informée du transfert du contrat d'agent commercial par la société Biomet France Sarl à la société Biomet Sas, puis à la société Zimmer Biomet France, a implicitement entériné ce transfert en ne contestant pas la qualité de co-contractant de Biomet Sas puis Zimmer Biomet France auprès desquels elle a sollicité l'exécution des obligations du mandant,

 *  dit que la société Zimmer Biomet France justifie d'un intérêt légitime dans son action à l'encontre de la société BRA et de la société Amplitude, du fait de manquements à l'obligation de non-concurrence résultant du contrat d'agent commercial du 20 février 2006,

 *  rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société BRA et la société Amplitude à l'encontre de la société Zimmer Biomet France tirée du défaut de qualité pour agir de la société Biomet Sas et de la société Zimmer Biomet France,

 *  laissé les frais irrépétibles à la charge de chacune des parties,

- infirmer le jugement sur le fond du 29 mai 2019 en ses dispositions ayant:

 *  rejeté la demande de sursis à statuer présentée par la société BRA du fait de l'instance encore pendante devant la cour d'appel, appelée à statuer sur l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial,

 *  dit que la société BRA à défaut d'avoir été expressément informée du transfert du contrat d'agent commercial par la société Zimmer Biomet France Sarl à la société Zimmer Biomet Sas, puis à la société Zimmer Zimmer Biomet France, a implicitement entériné ce transfert en ne contestant pas la qualité de co-contractant de Biomet Sas puis Zimmer Biomet France auprès desquels elle a sollicité l'exécution des obligations du mandant,

 *  dit que la société Zimmer Biomet France justifie d'un intérêt légitime dans son action à l'encontre de la société BRA et de la société Amplitude, du fait de manquements à l'obligation de non-concurrence résultant du contrat d'agent commercial du 20 février 2006,

 *  rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société BRA et la société Amplitude à l'encontre de la société Zimmer Biomet France tirée du défaut de qualité pour agir de la société Biomet Sas et de la société Zimmer Biomet France,

 *  constaté que la société BRA a violé son engagement de non concurrence ayant pris fin le 30 juin 2017,

 *  condamné la société BRA au paiement de la somme de 3.930.626,98 euros ttc au titre du remboursement de l'indemnité de non-concurrence versée,

 *  condamné la société BRA au paiement de la somme de 1.555.000 euros, au titre de la clause pénale figurant à l'article 8.2 du contrat d'agent,

 *  débouté la société BRA de l'intégralité de ses demandes, y compris au titre des dommages et intérêts et de l'article 700 du code de procédure civile ;

 *  condamné solidairement les sociétés BRA et Amplitude à verser à Zimmer Biomet France la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

 *  débouté les sociétés BRA et Amplitude de l'ensemble de leurs demandes, y compris au titre de procédure abusive, de l'article 700 du code de procédure et des dommages et intérêts ;

 *  liquidé et mis les dépens à la charge commune de la Sas BRA et de la Sas Amplitude France.

- statuant à nouveau :

- surseoir à statuer sur les demandes formées par la société Zimmer Biomet France jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur la question de l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial du 20 février 2006,

- à titre subsidiaire :

- déclarer la société Zimmer Biomet France irrecevable en l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

- rejeter purement et simplement, sans examen au fond, l'ensemble des prétentions formulées par la société Zimmer Biomet France,

- à titre subsidiaire, sur le fond :

- débouter la société Zimmer Biomet France de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

- à titre reconventionnel :

- condamner la société Zimmer Biomet France à payer à la société BRA la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire,

- en toute hypothèse,

- condamner la société Zimmer Biomet France à payer à la société BRA la somme de 50.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

La société BRA considère que l'issue du litige relatif à l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial, est de nature à influer sur la solution de la présente instance.

Elle soutient que la société Zimmer Biomet n'a pas qualité pour agir à son encontre au titre d'une action fondée sur la violation de la clause de non-concurrence du contrat d'agence commerciale de 2006, aux motifs que :

- la Sarl Biomet France est sa cocontractante initiale,

- aucune transmission du contrat ne lui a été signifiée en vertu des dispositions de l'article 1690 du code civil,

- elle n'a elle-même jamais donné son accord exprès à la transmission d'un contrat d'agence commerciale conclu intuitu personae.

Sur le fond, elle conteste toute violation de la clause de non-concurrence et toute concurrence déloyale à l'encontre de la société Zimmer Biomet et fait valoir que :

- elle n'a eu quasiment aucune activité commerciale pendant la durée d'application de la clause, ce que confirme le rapport d'expertise comptable amiable du 6 novembre 2019 et les vérifications de l'Urssaf,

- la clause n'interdit pas des actes préparatoires à une activité concurrentielle susceptible d'être exercée postérieurement à l'expiration de l'obligation de non-concurrence,

- si elle s'est rapprochée d'autres sociétés concurrentes de la société Zimmer Biomet c'est en raison du comportement déloyal et fautif de cette dernière et afin de préparer une future collaboration commerciale,

- l'acquisition par son dirigeant, M. X, de titres de participation de la société Amplitude ne constitue pas une violation de la clause de non-concurrence,

- la clause devant s'interpréter de manière restrictive, elle ne permet pas de sanctionner des actes de dénigrement et /ou de désinformation qu'elle conteste, ou encore d'embauche d'anciens collaborateurs de la société Amplitude,

- les griefs qui lui sont fait, notamment de démarchage et de détournement de clients, ne sont pas prouvés,

- cette preuve ne peut résulter du seul constat d'une perte de chiffre d'affaires de la société Zimmer Biomet ou de la perte de marchés, soumis pour le secteur public à la procédure d'appel d'offres et dans le secteur privé à l'avis prépondérant des chirurgiens concernés dans le choix du matériel,

- contrairement aux accusations de la société Zimmer Biomet, elle n'a pas, dans la période précédant la rupture du contrat, réduit son activité d'agent commercial au bénéfice de cette dernière, augmentant même son chiffre d'affaires à ce titre, malgré la relation conflictuelle avec son mandant,

- aucune preuve n'est apportée d'un démarchage actif de clients pour le compte de sociétés concurrentes de la société Zimmer Biomet avant le terme de son obligation de non-concurrence le 30 juin 2017,

- le simple constat d'une diminution du chiffre d'affaires de la société Zimmer Biomet, au demeurant non établie, ne permet pas d'établir un lien de causalité avec une prétendue violation de la clause de non-concurrence, mais peut résulter de multiples facteurs, notamment des problèmes de logistique, d'approvisionnement, ou de qualité des matériels,

- les pertes de marchés publics invoqués l'ont été, pour la plupart, au profit d'autres sociétés que les sociétés Amplitude ou Exactech.

Elle considère que la société Zimmer Biomet ne rapporte pas la preuve d'un préjudice indemnisable en l'absence de pièces comptables pertinentes, celles produites se référant à l'ensemble de l'entité " Zimmer-Biomet " et non au seul chiffre d'affaires généré par la société BRA.

Elle relève en outre la contradiction dans la décision des premiers juges qui ont retenu l'existence d'un préjudice à son encontre, tout en l'écartant à l'encontre de la société Amplitude.

Selon ses conclusions n° 4 notifiées le 17 novembre 2020, la société Zimmer Biomet entend voir :

- sur le jugement sur incident du 11 octobre 2018 :

- débouter les sociétés BRA, Amplitude et M. X de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement sur incident en toutes ses dispositions,

- sur le jugement au fond du 29 mai 2019 :

- débouter les sociétés BRA, Amplitude et M. X de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement sur le fond rendu par le tribunal de commerce de Romans le 29 mai 2019 en ce qu'il a :

 *  débouté la société Zimmer Biomet France de sa demande à l'encontre de la société BRA à hauteur de 9.800.000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

 *  dit que la société Zimmer Biomet France ne rapporte pas d'éléments pour chiffrer son préjudice,

 *  débouté la société Zimmer Biomet France de sa demande au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice, faute de justifier d'un préjudice indemnisable,

 *  constaté que la société Zimmer Biomet France ne rapporte aucune preuve d'une faute personnelle de M. X, détachable de ses fonctions de représentant légal de la société BRA,

 *  débouté la société Zimmer Biomet France de sa demande à hauteur de 750.000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- statuant à nouveau :

- condamner solidairement les sociétés BRA et Amplitude au paiement de la somme de 9.800.000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- condamner personnellement M. X à verser à Zimmer Biomet France la somme de 750.000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- condamner solidairement les sociétés BRA et Amplitude, ainsi que M. X, à verser à Zimmer Biomet France la somme de 50.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement BRA, Amplitude et M. X aux entiers dépens, dont distraction requise au profit de la société d'avocats Lexavoue, avoués aux offres de droit conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La société Zimmer Biomet considère que les deux actions sont distinctes par leur objet et leur fondement et que le sursis à statuer ne se justifie pas.

Sur la fin de non-recevoir et sa qualité à agir, elle soutient que :

- la Sas Biomet a repris les engagements contractuels au titre du contrat d'agence commerciale par la signature des deux avenants des 30 juin et 18 juillet 2011, devenant la cocontractante de la société BRA,

- la fusion par voie d'absorption de Biomet Sas par Zimmer France, dont la société BRA a été informée en juillet 2015, a transmis à cette dernière l'intégralité de son patrimoine,

- la société BRA était parfaitement informée de la transmission du contrat à la Sas Biomet, puis à la société Zimmer France, leur adressant ses factures d'indemnités de non-concurrence, et ne peut donc prétendre que cette transmission lui est inopposable,

- en qualité de tiers au contrat, la société Amplitude ne peut soulever cette fin de non-recevoir.

Elle considère que sa demande de communication de pièces comptables par la société Amplitude n'a pas pour effet d'inverser la charge de la preuve, que cette mesure est nécessaire pour permettre à la juridiction de comparer les chiffres d'affaires de la société Amplitude avec les pertes dont elle justifie par ailleurs et ainsi quantifier plus précisément le transfert de chiffre d'affaires intervenu entre elles.

Elle fait valoir que la société Amplitude n'a pas qualité pour agir en nullité de la clause de non-concurrence insérée dans le contrat d'agent commercial de la société BRA et que cette clause est conforme aux prescriptions de l'article L.134-14 du code de commerce, étant limitée dans l'espace, dans le temps, indemnisée mensuellement et dépourvue de caractère potestatif.

La société Zimmer Biomet soutient que la société BRA a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard en développant une activité concurrentielle au travers de :

- la mise en place de partenariats commerciaux avec la société Amplitude pour les prothèses de hanche et de genou et avec la société Exactech pour les prothèses d'épaules,

- actes de dénigrement de ses produits et de désinformation à leur sujet,

- le transfert de clientèle au profit de la société Amplitude, la croissance du chiffre d'affaires de cette dernière correspondant au chiffre d'affaires issu de sa propre collaboration avec la société BRA.

Elle relève que des liens étroits entre cette dernière et la société Amplitude ont été tissés dès 2015, avant même la fusion entre les sociétés Zimmer et Zimmer Biomet, et la résiliation du contrat d'agent commercial, M. X allant jusqu'à acquérir des actions de la société Amplitude et la société BRA recrutant plusieurs de ses anciens salariés.

Elle se prévaut de la perte brutale et importante de chiffre d'affaires enregistrée depuis le terme du contrat d'agent commercial et durant la période d'application de la clause de non-concurrence sur l'ancien secteur confié à la société BRA, de l'augmentation fulgurante et concomitante du chiffre d'affaires de la société Amplitude sur la même période et de la perte de nombreux appels d'offre d'établissements publics de santé au profit de cette dernière.

La société Zimmer Biomet reproche à la société Amplitude d'avoir :

- déployé auprès de ses clients afin d'assurer leur transfert à son profit, une assistance à la pose de prothèses au travers d'une société Instrumentation Bloc qui est intervenue entre juillet 2016 et avril 2017 au sein des établissements de santé confiés à la société BRA,

- débauché cette dernière alors qu'elle était son agent commercial exclusif sur la région Rhône Alpes en sachant qu'elle provoquerait ainsi une désorganisation de son marché sur ce secteur géographique.

Elle conteste les difficultés de fabrication et d'approvisionnement, les défauts de fabrication de ses produits, les craintes inspirées par la fusion des sociétés Zimmer et Biomet, comme causes de la perte de son chiffre d'affaires sur la seule région Rhône Alpes.

Elle considère que M. X a engagé sa responsabilité personnelle en participant au détournement de sa clientèle et au dénigrement de ses produits, ainsi qu'en procédant à l'acquisition de titres de la société Amplitude, fautes détachables de ses fonctions de dirigeant de la société BRA et qui ont contribué à sa désorganisation.

Elle soutient que durant la période d'application de la clause de non-concurrence, la société BRA a perçu une double rémunération constituée d'une part des indemnités qu'elle lui a versées, d'autre part des commissions versées par la société Amplitude, qu'elle doit lui restituer le montant des indemnités indûment versées et lui payer l'indemnité forfaitaire contractuelle, mais également réparer son préjudice économique, solidairement avec la société Amplitude.

Par conclusions n° 4 notifiées le 18 mai 2021, la société Amplitude demande à la cour de :

- dire et juger les appels de la société Amplitude recevables et bien fondés,

- sur le jugement du 11 octobre 2018 :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

1) dit que la société Zimmer Zimmer Biomet France justifie d'un intérêt légitime dans son action à l'encontre de la société BRA et de la société Amplitude, du fait de manquements à l'obligation de non-concurrence résultant du contrat d'agent commercial du 20 février 2006,

2) rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Amplitude à l'encontre de la société Zimmer Biomet France tirée du défaut de qualité pour agir de la société Biomet Sas et de la société Zimmer Biomet France,

3) estimé fondée la demande de la société Zimmer Biomet France tendant à la production des documents vainement sollicités auprès de la société Amplitude,

4) ordonné à la société Amplitude de communiquer, sous la forme d'attestations comptables dûment certifiées par un expert-comptable ou commissaire aux comptes:

 *  Les chiffres d'affaires annuels réalisés par Amplitude sur les années 2014 et 2015, pour une liste de 23 clients désignés :

 *  Le détail du chiffre d'affaires réalisé par Amplitude sur la période allant du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 pour les mêmes clients,

5) laissé les frais irrépétibles à la charge de chacune des parties,

- statuant à nouveau :

- à titre principal :

- déclarer recevable la fin de non-recevoir soulevée par la société Amplitude et tirée du défaut de droit d'agir de la société Zimmer Biomet France,

- prononcer l'irrecevabilité de toutes les demandes formées par la société Zimmer Biomet France pour défaut de qualité pour agir, ces demandes étant toutes tirées du contrat non transmis,

- à titre subsidiaire,

- écarter des débats les pièces n° 131 et 132 produites par la société Amplitude en exécution du jugement sur incident du tribunal de commerce de Romans sur Isère du 11 octobre 2018, en toute hypothèse,

- débouter la société Zimmer Biomet France de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Zimmer Biomet France à payer à la société Amplitude la somme de 10.000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'incident de première instance,

- sur le jugement du 29 mai 2019 :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

 *  dit que la société Zimmer Biomet France ne rapporte pas d'éléments pour chiffrer son préjudice,

 *  débouté la société Zimmer Biomet France de sa demande au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice, faute de justifier d'un préjudice indemnisable,

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

 *  dit que la société Zimmer Biomet France justifie d'un intérêt légitime dans son action à l'encontre de la société BRA et de la société Amplitude, du fait de manquements à l'obligation de non-concurrence résultant du contrat d'agent commercial du 20 février 2006,

 *  rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Amplitude à l'encontre de la société Zimmer Biomet France tirée du défaut de qualité pour agir de la société Biomet Sas et de la société Zimmer Biomet France,

 *  déclaré irrecevable la demande de la société Amplitude en nullité de l'engagement de non-concurrence du contrat d'agent du 20 février 2006 liant Biomet France et BRA, faute de justifier de sa qualité à agir,

 *  constaté que la société Amplitude France a commis une faute en menant des manœuvres déloyales visant à détourner la clientèle confiée à BRA par Biomet devenue Zimmer Biomet France,

* condamné solidairement les sociétés BRA et Amplitude à verser à Zimmer Biomet France la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

 *  débouté la société Amplitude de l'ensemble de ses demandes, y compris au titre de procédure abusive, de l'article 700 du code de procédure civile et des dommages-intérêts,

 *  liquidé et mis les dépens à la charge commune des sociétés Sas BRA et Sas Amplitude France,

- statuer à nouveau :

- à titre principal :

- déclarer recevable la fin de non-recevoir soulevée par la société Amplitude et tirée du défaut de droit d'agir de la société Zimmer Biomet France,

- prononcer l'irrecevabilité de toutes les demandes formées par la société Zimmer Biomet France pour défaut de qualité pour agir, ces demandes étant toutes tirées du contrat non transmis,

- à titre subsidiaire,

- débouter la société Zimmer Biomet France de la totalité de ses demandes formées à l'encontre de la société Amplitude.

- débouter la société Zimmer Biomet France de la totalité de ses demandes formées à l'encontre de la société Amplitude,

- condamner la société Zimmer Biomet France à payer à la société Amplitude la somme de 1euro symbolique à titre de dommages et intérêts,

- autoriser la société Amplitude à titre de réparation complémentaire à publier la décision à intervenir totalement ou par extraits dans la revue spécialisée "Maîtrise orthopédique " aux frais de la société Zimmer Biomet France pour un coût maximum de 12.000 euros ht,

- condamner la société Zimmer Biomet France à payer à la société Amplitude une somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Zimmer Biomet France à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de la Selarl Dauphin-Mihajlovic.

La société Amplitude conteste la qualité à agir de la société Zimmer Biomet sur le fondement des stipulations du contrat d'agent commercial du 20 février 2006, situation juridique dont elle considère pouvoir se prévaloir en qualité de tiers et fait valoir que :

- s'agissant d'un contrat intuitu personae, le contrat d'agent commercial ne pouvait être transmis à la Sas Zimmer Biomet par voie de transmission universelle de patrimoine sans l'accord exprès et préalable de la société BRA à la substitution de cocontractant,

- cette dernière n'a jamais consenti à cette transmission de son contrat d'agent commercial, les avenants intervenus postérieurement n'ayant concerné que la rémunération de la société BRA et son changement d'adresse,

- dans leurs échanges préalables au litige, la société BRA s'est adressée à la seule Sarl Biomet France, à qui elle a notamment adressé sa demande d'indemnité de rupture.

Elle considère qu'en faisant droit à la demande de production forcée de documents comptables, le tribunal a inversé la charge de la preuve des agissements déloyaux allégués, alors que la société Zimmer Biomet a obtenu plusieurs autorisations de mesures d'instruction ad futurum tendant aux mêmes fins, qui se sont révélées infructueuses ; que la preuve de ces faits lui incombe exclusivement et que cette nouvelle mesure d'instruction supplée sa carence dans la preuve.

Elle ajoute que cette production de pièces n'est pas de nature à établir l'existence d'une déloyauté, qui ne peut résulter du simple transfert de la clientèle.

Elle se prévaut de la nullité de la clause de non-concurrence qui lui est opposée aux motifs qu'elle fait référence à une clientèle non définie, qu'elle ne vise aucun territoire géographique, que son étendue est imprécise et que sa mise en œuvre est potestative.

Elle fait valoir que :

- la clause de non-concurrence n'interdit que les actes de représentation au sens du contrat d'agent commercial et doit être interprétée strictement,

- la société Zimmer Biomet a discrétionnairement étendu le périmètre de l'engagement de non-concurrence souscrit par la société BRA à un territoire géographique et à la détention minoritaire de titres,

- ces extensions contreviennent aux dispositions de l'article L.134-14 du code de commerce,

- il n'est rapporté aucune preuve d'actes positifs de violation de la clause de non-concurrence dont elle se serait rendue complice, la seule perte de clientèle alléguée par la société Zimmer Biomet ne suffisant pas à caractériser un acte de concurrence déloyale.

Elle relève que malgré le conflit avec son mandant, la société BRA a augmenté son chiffre d'affaires en 2015 et 2016, que les éléments produits par la société Zimmer Biomet ne permettent pas la comparaison, qu'ils révèlent une progression de son chiffre d'affaires, qu'une partie de la perte de clientèle alléguée ne lui a pas profité, que la société Zimmer Biomet n'est pas en mesure de justifier de sa perte de marge brute.

La société Amplitude soutient que les pertes de marchés par la société Zimmer Biomet trouvent leur cause dans :

- sa moindre compétitivité sur les marchés publics,

- les inquiétudes suscitées par la fusion des sociétés Zimmer et Biomet France,

- des difficultés importantes d'approvisionnement et de fabrication,

- le renforcement significatif de la force de vente de la société Amplitude en région Rhône-Alpes,

- des transferts de chirurgiens entre les établissements.

Elle rappelle en outre que le choix d'un matériel de prothèse relève de la décision du seul chirurgien, que les établissements publics de santé sont soumis au respect du code des marchés publics qui leur imposent le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse sans négociation, sur la base de critères objectifs.

Elle considère que les actes préparatoires à la future collaboration nouée entre les sociétés BRA et Amplitude sont licites, que l'objet même du délai de prévenance est de permettre à chaque partie de réorganiser son activité, la participation à des salons professionnels ne constitue pas un acte de représentation de produits concurrents.

Elle reproche à la société Zimmer Biomet d'avoir, par ses affirmations mensongères et l'instance abusivement poursuivie à son encontre, tenter de la déstabiliser.

Par conclusions notifiées le 5 décembre 2019, M. X demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions relatives aux condamnations prononcées plus particulièrement à l'encontre de la société BRA,

- statuant à nouveau,

- adjuger tant à la société BRA qu'à la société Amplitude le bénéfice de leurs conclusions déposées devant la cour dans le cadre de leurs appels respectifs,

- condamner la société Zimmer Biomet France aux entiers dépens de première instance et d'appel.

M. X estime que la société Zimmer Biomet est défaillante dans l'administration de la preuve d'actes positifs commis par la société BRA et/ou son dirigeant, en violation de la clause de non-concurrence, pendant la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017.

Il considère que ni le fait d'être entré en relation avec une société concurrente afin de préparer l'avenir de la société BRA, ni l'acquisition à titre personnel de titre de cette société, ne peuvent lui être reprochés comme constituant des actes positifs de concurrence déloyale ; que son ancien mandant ne peut au travers d'une clause de non-concurrence lui interdire de manière définitive toute possibilité de nouer un nouveau partenariat.

Il souligne que postérieurement à la rupture du contrat d'agent commercial, il a donné aux salariés de la société BRA pour instruction de ne plus entrer en contact avec des clients sur le secteur géographique concerné, que la société BRA s'est abstenue de toute activité pendant la période couverte par la clause de non-concurrence, que jusqu'au terme du contrat d'agent commercial, il a loyalement exécuté les obligations contractuelles.

Il soutient que la société Zimmer Biomet ne fait pas la démonstration du préjudice qu'elle invoque au titre d'une perte de clientèle et de chiffre d'affaires.

La procédure a été clôturée le 27 mai 2021.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur le sursis à statuer :

Un autre litige oppose les sociétés BRA et Zimmer Biomet quant à l'imputabilité de la rupture du contrat d'agent commercial

Si certains des griefs débattus entre les parties sont identiques, les deux instances poursuivent des fins différentes et la solution de la présente qui porte sur la violation de la clause de non-concurrence mise en œuvre postérieurement à la fin du contrat d'agent commercial, ne dépend pas de l'issue donnée dans l'autre instance où la cour a vidé son délibéré le 24 juin 2021.

Il n'y a pas lieu de surseoir à statuer et les deux jugements seront confirmés sur ce point.

2°) sur le défaut de qualité à agir de la société Zimmer Biomet :

La société Zimmer Biomet agit sur le fondement de la clause de non-concurrence insérée dans le contrat d'agent commercial signé le 20 février 2006 entre la Sarl Zimmer Biomet France et la société BRA.

Le contrat d'agent commercial et ses six premiers avenants ont été régularisés entre la société BRA, désignée en qualité d'agent, et la Sarl Zimmer Biomet France, désignée en qualité de mandante.

Il résulte du mandat d'intérêt commun qui en résulte que ce contrat a été conclu en considération de la personne du cocontractant, ce que confirment les stipulations de son article 11.1 soumettant sa transmission par l'agent à l'accord du mandant.

Il résulte de l'extrait Kbis de la Sas Zimmer Biomet que cette dernière a bénéficié à effet du 31 décembre 2009 d'un apport partiel d'actifs par voie de scission de la Sarl Zimmer Biomet France.

Le contrat d'agence commerciale, conclu en considération de la personne du cocontractant, ne peut être transmis, même par cession partielle d'actif, qu'avec l'accord du cessionnaire et de l'agent commercial.

En acceptant de régulariser à deux reprises, les 30 juin et 18 juillet 2011, les avenants n° 7 et 8 visant expressément le contrat d'agence en vigueur depuis le 2 mai 2006, non plus avec la Sarl Zimmer Biomet France, mais avec la Sas Zimmer Biomet parfaitement identifiée par son numéro d'immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés et en poursuivant avec cette dernière l'exécution du contrat, lui adressant ses factures et recevant d'elle paiement de ses commissions, la société BRA a expressément ratifié la transmission du contrat, ce que confirme sa propre présentation auprès de la société Zimmer en qualité d'agent exclusif " Zimmer Biomet Sas " par courriel du 11 mai 2015, constituant sa pièce n°20.

En conséquence, la société Zimmer Biomet a qualité à agir sur le fondement du contrat d'agent commercial et les deux jugements seront confirmés en ce qu'ils ont rejeté cette fin de non-recevoir.

3°) sur la communication forcée de pièces :

Chaque partie au procès doit concourir à la justice en vue de la manifestation de la vérité et l'article 142 du code de procédure civile autorise le juge à ordonner la production de preuves détenues par l'une ou l'autre d'entre elles, sans que l'usage de ce pouvoir discrétionnaire ne soit de nature à entraîner un renversement de la charge de la preuve.

La cour observera que si les premiers juges ont ordonné à la société Amplitude la production de documents comptables relatifs aux chiffres d'affaires réalisés avec certains clients, ils ont également enjoint à la société Zimmer Biomet de produire certaines preuves au sujet de sa clientèle, recherchant, par cette mesure d'instruction, à recueillir les éléments qui leur paraissaient indispensables pour leur permettre de trancher le litige.

Le jugement avant dire droit du 11 octobre 2018 sera confirmé sur ce point.

4°) sur la nullité de la clause de non-concurrence demandée par Amplitude :

Si, malgré sa qualité de tiers au contrat d'agent commercial, la clause de non-concurrence lui est opposable pour fonder une action en responsabilité à son encontre, la société Amplitude n'est cependant pas titulaire du droit d'agir en nullité de cette clause, alors qu'il s'agit d'une nullité relative qui ne vise à protéger que les seuls intérêts du débiteur des obligations ou interdictions qu'elle énonce.

Le jugement du 29 mai 2019 sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré la société Amplitude irrecevable en sa demande de nullité de la clause de non-concurrence.

5°) sur les actes de concurrence déloyale :

Le principe de la liberté du commerce autorise le commerçant à gérer à sa convenance son entreprise sur un marché concurrentiel et lui confère la liberté d'attirer la clientèle, y compris de ses concurrents, sans engager sa responsabilité.

A l'aune de ce principe, ne peut être constitutif de concurrence déloyale, que l'exercice fautif de cette liberté, conduisant à détourner la clientèle d'un concurrent, à nuire à ses intérêts par des moyens contraires à la loi, aux usages loyaux du commerce ou à l'honnêteté professionnelle.

La société Zimmer Biomet fonde son action en responsabilité d'une part sur la violation par la société BRA des obligations résultant de la clause de non-concurrence inscrite au contrat d'agent commercial, ainsi que d'actes de dénigrement, d'autre part sur l'existence d'un partenariat commercial entre les sociétés BRA et Amplitude opérant transfert de sa clientèle au profit de cette dernière.

L'article 8 du contrat d'agent commercial stipule que pendant la durée du contrat, l'agent s'interdit de représenter auprès de la clientèle directement ou indirectement tous produits concurrents des produits visés au contrat et qu'au terme du contrat, pour quelque cause que ce soit, les parties conviennent que la clause de non-concurrence ne s'appliquera qu'à la condition expresse que le mandant, verse à l'agent une indemnité nette équivalant à un an de commissions dues par année d'application de la clause, sans que cette durée puisse excéder deux années.

La société Zimmer Biomet a fait signifier à la société BRA par ministère d'huissier qu'elle entendait se prévaloir de ces stipulations pendant un délai d'un an du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017.

Il appartient à Zimmer Biomet de rapporter la preuve des actes de concurrence anti contractuelle commis en violation des interdictions ainsi mises à la charge de sa cocontractante par la clause de non-concurrence invoquée.

Au bénéfice de l'interprétation restrictive de cette clause, ces actes ne peuvent être constitués que par la représentation auprès de la clientèle, directement ou indirectement, de produits concurrents aux produits de la société Zimmer Biomet, seule interdiction énoncée.

S'il résulte des éléments recueillis dans le cadre des mesures d'investigation, notamment de simulations et budgets prévisionnels d'activité, comme des déclarations d'un responsable de la société Amplitude dans la presse professionnelle, que la société BRA a noué des contacts avec cette société dès le dernier trimestre 2015 afin d'envisager une collaboration, aucune des pièces produites aux débats par la société Zimmer Biomet ne permet cependant de rapporter la preuve que ce partenariat commercial ait été formalisé avant le 1er juillet 2017, terme de la période d'application de la clause de non-concurrence.

Si le témoignage écrit de Mme Y confirme que le rapprochement entre les sociétés BRA et Amplitude était envisagé depuis longtemps, il laisse apparaître que ces deux sociétés n'ont travaillé ensemble qu'à compter du dernier trimestre 2017, puisqu'elle atteste avoir été informée lors d'un entretien du 20 juillet 2016, de l'arrivée de l'équipe BRA et du délai d'un an et demi dont elle disposait pour trouver une autre orientation professionnelle.

La société Zimmer Biomet est également défaillante à établir la preuve d'actes matériels de présentation à l'un de ses clients par la société BRA, d'un produit de la société Amplitude ou de l'un quelconque de ses concurrents.

La rédaction de la clause de non-concurrence ne permettait pas non plus d'interdire à l'agent commercial de préparer sa reprise d'activité après qu'il se soit libéré de ses obligations à l'égard de son précédent mandant, y compris en rencontrant les représentants de sociétés concurrentes et en s'intéressant à l'activité de ces dernières, notamment lors de salons professionnels.

Le fait que M. X, président de la société BRA, ait acquis, en son nom personnel en novembre 2016, des titres de la société Amplitude est inopérant à caractériser la violation par la société BRA de ses obligations contractuelles de non-concurrence.

Si la société Zimmer Biomet établit au travers de témoignages que sa clientèle a eu connaissance de la volonté exprimée par la société BRA de ne pas poursuivre sa collaboration avec elle et que plusieurs chirurgiens utilisateurs de ses produits ont exprimé des craintes relatives à des suppressions de produits, il ne peut en être présumé, ainsi que l'a fait le tribunal, que la société BRA est à l'origine de la diffusion d'informations erronées à ce sujet, pouvant caractériser des actes de dénigrement, en l'absence de toute preuve d'actes matériels positifs, aucun des témoignages produits n'imputant ces informations à la société BRA.

Ainsi qu'il a été précédemment rappelé, un commerçant dispose de la liberté d'attirer la clientèle de ses concurrents, sans qu'il puisse lui en être fait grief, sauf à démontrer l'utilisation de procédés illégaux ou contraires aux usages.

La seule augmentation, même importante du chiffre d'affaires réalisé par la société Amplitude sur la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 sur 23 clients de la société Zimmer Biomet et auprès desquels, elle se trouvait déjà implantée pour 20 d'entre eux, ne peut suffire à démontrer un détournement déloyal de cette clientèle et il en est de même de la circonstance que ses salariés aient réalisé, sur la même période, des assistances opératoires auprès d'établissements de santé de la région Rhône-Alpes qui étaient des clients habituels de la société Zimmer Biomet, alors que par l'effet de la cessation de l'activité de la société BRA sur un secteur géographique où elle était un acteur important et très bien implanté, allant jusqu'à représenter 40 % de parts de marché, les sociétés concurrentes ont eu l'opportunité de se repositionner auprès de la clientèle commune et d'accroître leurs propres parts de marché.

Il n'est en outre rapporté la preuve d'aucun acte de démarchage par BRA de son ancienne clientèle, qu'elle justifie avoir informée directement par courrier, de la suspension de ses activités pendant 12 mois à compter du 1er juillet 2016, l'invitant à s'adresser directement à la société Zimmer Biomet.

La suspension de l'activité commerciale de la société BRA entre le 1er juillet 2016 et le 30 juin 2017 est confirmée par l'analyse de sa comptabilité sur cette période qui ne fait ressortir la perception d'aucune commission, mais également une chute brutale des communications téléphoniques et des frais de déplacements de ses collaborateurs, situation corroborée par le constat réalisé par l'Urssaf à l'occasion de son contrôle de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018.

Les nombreuses attestations de chirurgiens versées aux débats démontrent que ces derniers adaptent leurs choix de prothèses aux besoins de leurs patients, aux évolutions proposées et sont ainsi amenés à utiliser simultanément les produits de plusieurs fabricants. Ils ne peuvent dès lors être considérés comme une clientèle fidélisée et captive d'un seul d'entre ces fabricants alors que par ailleurs, plusieurs d'entre eux ont fait état des difficultés d'approvisionnement avec la société Zimmer Biomet comme leurs craintes de suppression de gammes de produits.

La société Zimmer Biomet ne rapporte pas la preuve d'actes positifs de concurrence anti-contractuel et/ou déloyale commis par les sociétés BRA, Amplitude, comme par M. X et ne peut voir prospérer son action en responsabilité à leur encontre ce qui conduira la cour d'une part à infirmer partiellement le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société BRA à rembourser les sommes perçues au titre de l'indemnité de non-concurrence et à la clause pénale, d'autre part à débouter la société Zimmer Biomet de l'intégralité de ses prétentions.

6°) sur les demandes reconventionnelles en indemnisation et publication :

Il est de principe que l'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue un droit fondamental qui ne peut dégénérer en abus sanctionné par l'octroi de dommages et intérêts que par l'effet d'une faute.

Dans le cadre de la présente instance, les sociétés BRA et Amplitude ne caractérisent pas, au-delà de la seule carence probatoire de la société Zimmer Biomet, l'intention purement malveillante qu'elles allèguent dans la conduite de son action en responsabilité.

La cour confirmera le jugement en ce qu'il a rejeté leurs demandes indemnitaires, ainsi que celles visant à la publication de la décision.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME dans toutes ses dispositions le jugement avant dire droit du tribunal de commerce de Romans sur Isère en date du 11 octobre 2018,

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Romans sur Isère en date du 29 mai 2019, sauf en ce qu'il a :

- constaté que la société BRA avait violé son engagement de non-concurrence,

- condamné la société BRA au paiement d'une somme de 3.230.629,98 euros ttc en remboursement de l'indemnité de non-concurrence,

- condamné la société BRA au paiement d'une somme de 1.555.000 euros, au titre de la clause pénale,

- débouté la société BRA de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- constaté que la société Amplitude France a commis une faute en menant des manœuvres déloyales visant à détourner la clientèle confiée à BRA par Biomet devenue Zimmer Biomet France,

- débouté M. X de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement les sociétés BRA et Amplitude à verser à Zimmer Biomet France la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les sociétés BRA et Amplitude de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure,

- mis les dépens à la charge commune des sociétés Sas BRA et la Sas Amplitude France, statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

DEBOUTE la Sas Zimmer Biomet France de sa demande de remboursement de l'indemnité de non-concurrence versée à la Sas BRA,

DEBOUTE la Sas Zimmer Biomet France de sa demande de condamnation de la Sas BRA au titre de la clause pénale,

CONDAMNE la Sas Zimmer Biomet France à payer à la Sas BRA et à la Sas Amplitude la somme de 25.000 euros chacune ainsi que 3.000 euros à M. X en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Sas Zimmer Biomet France aux entiers dépens de première instance et d'appel.