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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 5 novembre 2021, n° 20/00240

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mobile Pro (SAS)

Défendeur :

Init SYS (Sasu), Tec-Cell (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de La Simone, Mme Primevert

T. com. Paris, du 25 nov. 2019, n°J20190…

25 novembre 2019

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Mobile Pro (société Mobile Pro), spécialisée dans le « marketing » par messages textuels téléphoniques courts de type SMS, a créé une plateforme d'envoi de SMS (« Short Message Services ») promotionnels par la mise en place du site internet « www.SMSenvoi.com » au moyen duquel elle réalise pour ses clients des campagnes publicitaires.

La SAS Tec-Cell (société Tec-Cell), anciennement dénommée Tec-Free, a pour activité la transmission de données et de messages téléphoniques courts de type SMS et/ou MMS (« Multimedia Messaging Services ») sur les réseaux des opérateurs en télécommunication, au travers de l'utilisation de cartes SIM (« Subscriber Identity Module »).

La société Mobile Pro a signé le 2 août 2013 un contrat de prestation de service avec la société Tec-Cell mais le 6 décembre 2014 au soir celle-ci l'a informée téléphoniquement de la suspension pure et simple de la fourniture de SMS « Low Cost » à compter du 7 décembre 2014 à minuit.

La SAS Init Sys (société Init Sys), qui a pour activité la vente et la maintenance d'outils de supervision et d'administration de réseaux de télécommunication, qu'elle commercialise auprès d'opérateurs télécoms, a conclu le 15 avril 2013 avec la société Avertime, à laquelle s'est substituée à effet au 1er octobre 2014 la société Tec-Cell, un contrat de « vente en gros » d'abonnements à des lignes mobiles et de cartes SIM permettant principalement l'envoi et la réception d'appels et de SMS.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 décembre 2014 doublée d'un courriel du même jour, la société Mobile Pro a mis en demeure la société Tec-Cell de reprendre les prestations prévues au contrat, laquelle a repris partiellement ses fournitures avant d'interrompre définitivement celles-ci le 8 mars 2015.

Le 8 décembre 2014, la société Init Sys a résilié le contrat la liant à la société Tec-Cell, arguant de la persistance d'impayés et de la détection de spams SMS sur les lignes de son cocontractant, puis sur son assignation des sociétés Tec-Cell et Avertime, le tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 23 février 2016, dit la résiliation du contrat régulière et condamné la société Tec-Cell à payer à la société Init Sys la somme de 177.156,51 € au titre du solde restant dû de quatorze factures, outre les intérêts.

Suivant exploit du 29 avril 2015, la société Mobile Pro a fait assigner la société Tec-Cell devant le tribunal de commerce de Paris en réparation des préjudices allégués et afin d'obtenir une indemnité au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, la société Tec-Cell ayant appelé en outre appelé en intervention forcée la société Init Sys.

Par jugement du 25 novembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a :

- joint les instances RG n° 2015026698 et RG n° 2015069624 sous le seul et même numéro RG J2019000566,

- déclaré recevable l'assignation en intervention forcée délivrée à la société Init Sys,

- débouté la société Mobile Pro de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la société Mobile Pro à payer à la société Tec-Cell la somme de 55.013,50 € au titre des factures impayées et dit indisponible ladite somme pour la société Tec-Cell, en raison de la saisie-attribution dont elle a fait l'objet au bénéfice de la société Init Sys,

- condamné la société Mobile Pro à payer à la société Tec-Cell la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les sociétés Tec-Cell et Mobile Pro, in solidum, à verser à la société Init Sys la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné les sociétés Mobile Pro et Tec-Cell, chacune par moitié, aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe.

La société Mobile Pro a formé appel de ce jugement par déclaration en date du 18 décembre 2019 enregistrée le 7 janvier 2020.

Suivant ses dernières conclusions signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 16 mars 2020, la société Mobile Pro demande à la cour, au visa des anciens articles 1134 et 1147 du code civil et de l'ancien article L. 442-6 du code de commerce :

- d'infirmer la décision rendue le 25 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Paris en l'ensemble de ses dispositions (RG n°J2019000566) ;

Statuant de nouveau,

- de dire et juger la société Mobile Pro recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- de dire et juger irrecevables et mal fondées les sociétés Tec-Cell et Init Sys en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- de dire et juger non écrites les clauses exclusives et limitatives de responsabilité dont se prévaut la société Tec-Cell ;

Vu les fautes ayant engagé la responsabilité contractuelle de la société TEC-CELL et la responsabilité délictuelle de la société INIT SYS,

- de condamner la société Tec-Cell, au besoin solidairement, et à tout le moins in solidum, avec la société Init Sys à payer à la société Mobile Pro les sommes de :

158.540,00 € au titre du préjudice financier subi de décembre 2014 à février 2015 ;

50.000 € au titre de la perte de clientèle et du préjudice commercial et d'image ;

65.000 € au titre du préjudice causé par la rupture du service d'accès au SMS pour ses clients ;

Vu la rupture brutale d'une relation commerciale établie,

- de condamner la société Tec-Cell, au besoin solidairement, et à tout le moins in solidum, avec la société Init Sys à payer à la société Mobile Pro la somme de 220.456 € au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Subsidiairement, si par impossible la Cour considérait que la société Mobile Pro était débitrice d'une créance à l'encontre de la société Tec-Cell,

- de constater la connexité entre les sommes due à la société Mobile Pro et celles dues à la société Tec-Cell ;

- de dire et juger que la compensation desdites dettes connexes est intervenue à la date d'exigibilité de la première d'entre elles, soit au 31 janvier 2015 ;

En tout état de cause,

- de condamner tout succombant, au besoin solidairement et à tout le moins in solidum, aux entiers dépens et à payer à la société Mobile Pro la somme de 15.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Suivant ses dernières conclusions signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 19 mai 2021, la société Init Sys demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 25 novembre 2019 en toutes ses dispositions ;

A tout le moins, de le confirmer en ce qu'il a :

- condamné la société Mobile Pro à payer à la société Tec-Cell la somme de 55.013,50 € en principal ;

- dit indisponible ladite somme pour la société Tec-Cell en raison de la saisie-attribution dont elle a fait l'objet au bénéfice de la société Init Sys ;

- condamné in solidum les sociétés Tec-Cell et Mobile Pro à verser à la société Init Sys la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

En tout état de cause, y ajoutant :

- de condamner la société Mobile Pro à verser à la société Init Sys la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de condamner la société Mobile Pro aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP G. B. en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Tec-Cell n'ayant pas constitué avocat, la société Mobile Pro lui a régulièrement fait signifier sa déclaration d'appel le 4 mars 2020 et ses conclusions par voie d'assignation le 15 avril 2020. La société Init Sys a également fait signifier ses conclusions à la société Tec-Cell par voie d'huissier le 18 juin 2020. La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 17 juin 2021.

SUR CE, LA COUR,

Alors que la société Tec-Cell n'a pas constitué avocat, il est rappelé en liminaire, qu'à la suite des articles 472 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas ou que ses conclusions ont été déclarées irrecevables, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels les premiers juges se sont déterminés, motifs que la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier.

Sur la responsabilité de la société Tec-Cell

La société Mobile Pro se prévaut de la violation du contrat, conclu le 2 août 2013, de prestation de services d'envoi de SMS par la société Tec-Cell et entend voir engager sa responsabilité contractuelle sur le fondement des articles 1134 et 1147 anciens du code civil. Le 6 décembre 2014 la société Tec-Cell a en effet informé oralement la société Mobile Pro de la suspension pure et simple de la fourniture de SMS « Low Cost », à compter du 7 décembre 2014. Dans un courriel du 8 décembre 2014, la société Tec-Cell écrit à la société Mobile Pro « Nous ne pouvons transmettre aucun sms pour le moment, nous vous informons dès que nous pourrons reprendre. ». Des relations sporadiques se sont poursuivies au début de l'année 2015 avant de cesser totalement le 8 mars.

L'article 3 sur la durée du contrat précise :

« Le présent contrat est conclu pour une durée indéterminée à compter de sa signature.

Sans préjudice des autres modes de résiliation prévus au contrat, celui-ci pourra être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties, sans qu'elle n'ait à justifier de motif, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à l'autre partie, moyennant le respect d'un préavis d'un mois. ».

L'article 10 sur la « responsabilité du prestataire » est ainsi décliné :

« 10.1 Le prestataire s'engage à fournir le service avec diligence et selon les règles de l'art, étant précisé qu'il pèse sur lui une obligation de moyens, à l'exclusion de toute obligation de résultat, ce que le client reconnaît et accepte expressément.

10.2 (...)

10.3 Le service est fourni au client sur la base d'un service « en l'état » et le prestataire ne garantit pas que le service répondra parfaitement aux attentes du client, que le service sera ininterrompu ou dépourvu de tout vice, erreur ou défaut. Le prestataire se réserve notamment la faculté d'interrompre momentanément l'accès à sa plate-forme ou à ses équipements informatiques pour des raisons de maintenance.

10.4 Le prestataire ne saurait être tenu responsable des difficultés ou impossibilités momentanées de fourniture du service et/ou d'accès à sa plate-forme ou à ses équipements informatiques qui auraient pour origine des circonstances qui lui sont extérieures, la force majeure, ou encore qui seraient dues à des perturbations du réseau de télécommunication, le client reconnaissant expressément que le bon fonctionnement des réseaux des opérateurs ne dépend aucunement du prestataire et que ce dernier ne peut garantir ni les délais ni la qualité de la transmission des SMS et/ou MMS. Dans l'hypothèse d'un cas de force majeure faisant obstacle à l'exécution de ses obligations par une partie et se poursuivant au-delà d'une durée d'un mois, le présent contrat pourra être résilié par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception, sans qu'aucune des parties n'ait à verser à l'autre une quelconque indemnité.

10.5 La responsabilité susceptible d'être encourue par le prestataire au titre des présentes est expressément limitée aux seuls dommages directs subis par le client et ne couvre pas les dommages indirects éventuellement subis par ce dernier, tels que notamment la perte de chiffre d'affaires, de résultat ou de profits, la perte de clientèle, la perte de commandes, la perte de chance, la perte de données ou encore le préjudice moral.

10.6 En toute hypothèse, la responsabilité du prestataire ne pourra en aucun cas excéder 10 % (dix pour cent) du montant total des factures émises par le prestataire à l'ordre du client au cours du mois qui précède directement le fait générateur de responsabilité. ».

Si les articles précités rappellent avec force que l'obligation du prestataire n'est que de moyens, ils précisent également que le service peut être momentanément interrompu pour des raisons de maintenance, des motifs qui lui sont extérieurs ou encore la force majeure. Or, non seulement l'arrêt de l'envoi des SMS n'a pas été « momentané » comme le prévoient les articles 10.3 et 10.4 mais définitif au 8 mars 2015, mais surtout cette cessation est liée aux manquements contractuels de la société Tec-Cell vis-à-vis de la société Init Sys. La résiliation du contrat Init Sys/Tec Cell est en effet intervenue aux torts de la société Tec-Cell auteur de nombreux impayés et de l'envoi de spams SMS.

La société Tec-Cell n'a donné aucune explication à la société Mobile Pro et n'a respecté aucun préavis, la résiliation pouvant être qualifiée tout d'abord de partielle au mois de décembre 2014 puisque les prestations ont repris à un niveau réduit avant de cesser définitivement, la résiliation étant alors totale, le 8 mars 2015.

Si aucun volume minimal de fourniture de SMS n'était prévu dans le contrat, les chiffres fournis par la société Mobile Pro permettent de dégager une moyenne mensuelle de SMS Low Cost envoyés par la société Mobile Pro - sans qu'il ne soit prouvé qu'elle n'était alimentée que par l'intermédiaire de la société Tec-Cell - de 3.242.000 SMS en 2014. Le nombre de SMS envoyés était de 734.067 entre le 1er et le 5 décembre 2014, et a chuté à 107.929 pour le reste du mois de décembre soit après la suspension des prestations annoncée le 6 décembre 2014.

La société Mobile Pro a été contrainte de faire appel à un autre prestataire, en urgence, mais n'a pu atteindre les volumes d'envoi de SMS Low Cost prévus. En effet, alors qu'au mois de décembre 2013, la société Mobile Pro avait envoyé 4.893.942 SMS, elle n'a pu adresser que 1.251.843 SMS au mois de décembre 2014.

La société Mobile Pro rapporte la preuve d'une faute de la société Tec-Cell qui a manqué à son obligation de moyens, aucune des hypothèses d'exonération prévues par les clauses contractuelles ne trouvant ici à s'appliquer.

Ainsi, il apparaît que la résiliation sans préavis initiée par la société Tec-Cell est fautive, contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges.

Elle engage la responsabilité contractuelle de son auteur.

Sur les préjudices subis par la société Mobile Pro

Avant d'envisager les demandes chiffrées de la société Mobile Pro au titre des préjudices qu'elle prétend avoir subis du fait de la résiliation fautive de la société Tec-Cell, il convient d'examiner la validité des clauses exclusives et limitatives de responsabilité dont l'appelante demande à la cour de dire et juger qu'elles doivent être réputées non écrites. Bien que ne visant pas un texte en particulier pour ce faire, l'appelante se réfère à une jurisprudence constante issue de l'article 1131 ancien « sur la cause » du code civil.

Sur les clauses

La société Mobile Pro qualifie l'article 10.6 de clause « limitative » de responsabilité et les autres clauses d’« exclusives » de responsabilité, sans les citer précisément.

Les clauses relatives à la « responsabilité du prestataire » figurent dans l'article 10 du contrat Mobile Pro/Tec-Free devenue Tec-Cell.

Les clauses 10.1 à 10.4, dont le contenu est précisé supra, se contentent de développer l'obligation de moyens du prestataire, les cas d'interruption ou de suspension du service, le cas de force majeure notamment, et ne constituent pas une exonération de sa responsabilité. Elles sont valides et ne sauraient être réputées non écrites dans la mesure où elles ne vident pas l'obligation essentielle ' ici la fourniture de SMS - de sa substance.

L'article 10.5 en revanche, s'il limite la responsabilité susceptible d'être encourue par le prestataire aux seuls dommages directs, donne une liste non exhaustive des dommages indirects exclus. Or, cette énumération ainsi libellée « (...) tels que notamment la perte de chiffre d'affaires, de résultat ou de profits, la perte de clientèle, la perte de commandes, la perte de chance, la perte de données ou encore le préjudice moral. » est tellement large qu'elle contredit à l'évidence la portée de l'obligation essentielle souscrite par le prestataire. Non seulement certains dommages qualifiés d'indirects par le contrat sont en réalité des dommages directs mais aucun préjudice économique ne paraît pouvoir être réclamé après l'application de cette clause. L'article 10.5 doit par conséquent être réputé non écrit.

L'article 10.6 limite la responsabilité du prestataire à « 10 % du montant total des factures émises par le prestataire à l'ordre du client au cours du mois qui précède directement le fait générateur de responsabilité ». Cette clause revient à circonscrire à l'extrême la réparation due par le prestataire en cas de manquement. En fixant un seuil manifestement dérisoire, cette clause limitative de responsabilité contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par la société Tec-Cell. L'article 10.6 sera donc réputé non écrit.

Sur l'évaluation des préjudices

La société Mobile Pro sollicite en premier lieu l'indemnisation du préjudice financier subi de décembre 2014 à février 2015, à hauteur de 158.540 €. A partir des rapports d'activité qui lui ont été fournis par la société Mobile Pro, le cabinet d'expertise-comptable CMB Experts et Conseils a établi un rapport dont il ressort qu'ont été envoyés par la société Mobile Pro :

1.119.551 SMS en janvier 2011 et 1.495.966 SMS en décembre 2011,

1.721.563 SMS en janvier 2012 et 3.758.117 SMS en décembre 2012,

2.501.802 SMS en janvier 2013 et 4.893.942 SMS en décembre 2013,

4.460.552 SMS en janvier 2014 et 2.093.839 SMS en décembre 2014,

1.501.159 SMS en janvier 2015.

Au regard de ces données, la société Mobile Pro, qui souligne que les fêtes de fin d'année et les soldes d'hiver sont des périodes où l'activité économique est très intense, estime qu'elle pouvait raisonnablement espérer envoyer un minimum de 5 millions de SMS en décembre 2014, 5 millions de SMS en janvier 2015 et 3 millions de SMS en février 2015.

La société Tec-Cell n'a mis à sa disposition que 841.996 SMS en décembre 2014, 960.106 SMS en janvier 2015 et 290.055 SMS en février 2015.

Sur la période de décembre 2014 à février 2015, la société Tec-Cell n'a donc fourni à la société Mobile Pro qu'un volume de 1.802.102 SMS et la société Kabtel, à laquelle elle a dû faire appel en urgence pour pallier la carence de son fournisseur, un total de 2.092.157 SMS.

Au mois de février 2014 ont été envoyés 2.500.000 SMS.

Compte-tenu de ces éléments, le nombre de SMS tel qu'escompté par la société Mobile Pro de décembre 2014 à février 2015 n'apparaît pas déraisonnable et correspond à la croissance prévisible de l'activité de la société.

Le nombre de SMS ayant fait défaut sur la période incriminée est par conséquent de 9.114.947 (13.000.000 - (1.792.896 + 2.092.157)).

La marge brute des SMS Tec-Cell était de 0,017 euro ( prix de vente unitaire 0,03 euro - prix d'achat Tec Cell 0,013 euro) et la marge brute Kabtel de 0,015 euro (prix de vente unitaire 0,03 - prix d'achat Kabtel 0,015 euro). Il en résulte un surcoût de marge de 0,002 euro par SMS en raison du changement de fournisseur.

Le préjudice financier subi par la société Mobile Pro sur la période décembre 2014-février 2015 doit en conséquence être fixé à la somme de 158.540 € ainsi décomposée :

- préjudice à la suite de l'arrêt de Tec-Cell : 0,017 x 9.114.947 = 154.954 €,

- préjudice de marge dû au changement de fournisseur : 0,002 x 1.792.896 = 3.586 €. Le jugement sera infirmé sur ce point. La société Tec-Cell est condamnée à payer à la société Mobile Pro la somme de 158.540 € au titre de son préjudice financier.

La société Mobile Pro réclame en deuxième lieu - dans son dispositif - la somme de 50.000 € au titre de la perte de clientèle et du préjudice commercial et d'image.

L'appelante soutient que la suppression par la société Tec-Cell de sa fourniture de SMS a eu pour conséquence l'impossibilité de délivrer l'essentiel de ses prestations à ses propres clients et ce durant une période stratégique de l'année. Cependant, la perte financière résultant directement de cette interruption est indemnisée au titre du premier chef de préjudice sollicité. Elle fait en outre valoir qu'elle a perdu des marchés et nouveaux clients potentiels mais n'apporte aucun élément étayant sa demande à ce titre, notamment quant au volume de SMS envoyés postérieurement à la rupture et le prétendu discrédit auprès de ses clients actuels et futurs. Elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

La société Mobile Pro sollicite en troisième lieu la somme de 65.000 € au titre du préjudice causé par la rupture du service d'accès au SMS pour ses clients. Elle procède également par voie d'affirmation sans asseoir sa demande sur des éléments tangibles démontrant que ce service était effectivement souscrit. La société Mobile Pro sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur la demande au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie

La société Mobile se prévaut de la rupture brutale par la société Tec-Cell de la relation commerciale établie entre elles, au sens de l'article L. 442-6 I 5°. Elle réclame donc, en sus, la somme de 220.456 €.

Aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

« I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...) ; ».

Le champ d'application de ce texte est celui des relations commerciales établies, c'est-à-dire les cas où la relation commerciale entre les parties revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l'interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaire avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis, lequel doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

La cour doit procéder à une appréciation in concreto des conditions de déroulement et de la spécificité de la relation.

La relation commerciale entre la société Mobile Pro et la société Tec-Cell a débuté par la conclusion du contrat du 2 août 2013, contrat à durée indéterminée selon les termes de l'article 3 de la convention.

La suspension de la fourniture de SMS est intervenue au soir du 7 décembre 2014 puis la société Tec-Cell a repris ses prestations très ponctuellement jusqu'à une interruption totale le 8 mars 2015.

Force est de constater que les relations commerciales entre les parties n'ont duré que seize mois avant la suspension des prestations de la société Tec-Cell.

Le contrat unissant Mobile Pro à Tec-Cell prévoyait la possibilité d'une résiliation à tout moment avec un préavis d'un mois, sans motif. La jeunesse de la relation commerciale entre les parties couplée à la faculté de résilier le contrat à tout moment ne permet pas de caractériser une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Mobile Pro de sa demande à ce titre.

Sur la responsabilité de la société Init Sys

La société Mobile Pro demande à la cour de retenir la responsabilité délictuelle de la société Init Sys et de la condamner « solidairement ou in solidum » avec la société Tec-Cell au paiement. Elle prétend exercer une « action directe » à l'encontre de la société Init Sys en invoquant son action engagée sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce. Elle fait valoir de manière générale que le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

A titre liminaire, il convient de rappeler que la solidarité est légale ou conventionnelle et ne se présume pas, de sorte qu'aucune condamnation solidaire ne peut intervenir. Une condamnation « in solidum » peut toutefois être prononcée à condition que les intervenants reconnus responsables aient, par leurs fautes respectives, concouru à l'apparition du même dommage.

Un contrat de vente en gros de prestations de services « MVNO VGO SMS ONLY ' LOW & HIGH » a été conclu le 15 avril 2013 entre les sociétés Init Sys et Avertime ayant pour objet la « vente en gros » par Init Sys à Avertime, d'abonnements à des lignes mobiles et de cartes SIM permettant principalement l'envoi et la réception d'appels et de SMS via le réseau 2G ou 3G.

Par un avenant aux conditions du contrat du prestations de service signé le 10 novembre 2014, la société Tec-Cell s'est substituée à la société Avertime dans l'exécution du contrat, avec effet au 1er octobre 2014.

La société Mobile Pro n'étant pas partie au contrat Init Sys/Tec-Cell recherche la responsabilité délictuelle de la première.

Cependant, comme l'ont retenu les premiers juges (jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 février 2016), la résiliation du contrat Init Sys/Tec Cell s'est opérée conformément aux dispositions contractuelles. En effet, la société Init Sys a résilié le contrat par lettre du 8 décembre 2014 en raison de l'existence d'impayés malgré de nombreuses mises en demeure adressées entre le 10 janvier 2014 et le 17 novembre 2014 et de la persistance de l'envoi de spams SMS sur les lignes de Tec-Cell.

L'appel interjeté par la société Tec-Cell à l'encontre de ce jugement a été déclaré caduc en vertu d'une ordonnance du conseiller de la mise en état du 24 novembre 2016 qui n'a fait l'objet d'aucun déféré.

La résiliation du contrat Init Sys/Tec Cell est donc intervenue aux torts de la société Tec-Cell. Ainsi, en l'absence de manquement contractuel de la société Init Sys vis-à-vis de la société Tec-Cell dans l'exécution de la convention les liant, la société Mobile Pro échoue à démontrer l'existence d'une faute délictuelle de la société Init Sys à l'origine d'un préjudice subi par elle.

En outre, s'il est acquis qu'un tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d'une relation commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice, encore faut-il que la preuve en soit rapportée. Or, la société Mobile Pro, qui se prévaut la « survenance de l'arrêt brutal de l'approvisionnement de la part de la société Init Sys vers la société Tec-Cell qui a provoqué l'arrêt brutal de la fourniture par la société Tec-Cell envers la société Mobile Pro », ne démontre pas que la relation commerciale entre Tec-Cell et Init Sys, qui n'a duré que du 15 avril 2013 au 8 décembre 2014, était « établie » au sens de l'article L. 442-6, ni que la fin de leurs relations aurait été « brutale » alors que Tec-Cell avait été amplement prévenue par son cocontractant, par de multiples mises en demeure en raison de ses manquements, d'une résiliation possible.

Il convient par conséquent de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté la société Mobile Pro de ses demandes à l'encontre de la société Init Sys.

Sur les factures impayées

La société Mobile Pro sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Tec-Cell la somme de 55.013,50 € au titre des factures impayées et dit indisponible ladite somme pour la société Tec-Cell, en raison de la saisie-attribution dont elle a fait l'objet au bénéfice de la société Init Sys.

L'appelante a reconnu que la société Tec-Cell avait continué à lui fournir des SMS jusqu'au 8 mars 2015 même si les volumes étaient très réduits et sans commune mesure avec les mois précédant la suspension. Ces prestations ont été facturées et n'ont pas été intégralement réglées. En effet, la société Mobile Pro a reconnu dans un courriel du 18 février 2015 : « Après point avec la compta, il semblerait que vous n'ayez pas pris en compte le virement du 06/11/14 d'un montant de 40.139,27 €. Nous vous devons donc au 31/12/2014 : 29.725,51 € TTC. ».

La société Tec-Cell a émis les factures suivantes au titre de l'année 2015 :

- deux factures de 14.977,66 € TTC et 978,24 € TTC, soit 15.955,90 € TTC pour janvier 2015,

- deux factures de 5.018,98 € TTC et 795,19 € TTC, soit 5.814,17 € TTC pour février 2015,

- deux factures de 1.683,58 € TTC et 1.834,34 € TTC, soit 3.517,92 € TTC pour mars 2015.

La société Mobile Pro n'a pas contesté ces factures au moment de leur émission et se contente aujourd'hui de soutenir qu'il n'est pas démontré que les SMS auraient été effectivement fournis. Elle a cependant produit, par le biais du rapport de son expert-comptable et pour asseoir sa demande de préjudice financier, les données relatives au nombre de SMS issus de la société Tec-Cell de décembre 2014 à février-mars 2015.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a condamné la société Mobile Pro à payer à la société Tec-Cell la somme de 55.013,50 € au titre des factures impayées.

La société Mobile Pro sollicite à titre subsidiaire la compensation entre les sommes qui lui sont dues par la société Tec-Cell et celles qu'elle lui doit, dettes qu'elle qualifie de connexes.

Cependant, la créance détenue par la société Tec-Cell sur la société Mobile Pro a fait l'objet d'une saisie-attribution au bénéfice de la société Init Sys par acte du 24 mai 2016.

Suivant jugement du 24 décembre 2020, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Marseille, saisi sur assignation de la société Mobile Pro à l'encontre de la société Init Sys, l'a déboutée de sa demande de nullité de la saisie-attribution.

La saisie-attribution a ainsi emporté attribution immédiate de la créance en cause à la société Init Sys et la somme de 55.013,50 € ne peut donc faire l'objet d'une compensation.

Il convient par conséquent de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la créance de la société Tec-Cell sur la société Mobile Pro d'un montant de 55.013,50 € a fait l'objet d'une saisie-attribution au bénéfice de la société Init Sys qui la rend indisponible.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Mobile Pro à payer à la société Tec-Cell la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné la société Mobile Pro in solidum avec la société Tec-Cell, au profit de la société Init Sys au titre des frais irrépétibles.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Tec-Cell aux dépens et à payer à la société Init Sys la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Tec-Cell sera également condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP G.-B., qui en a fait la demande, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Tec-Cell sera condamnée à payer à la société Mobile Pro la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la société Init Sys, qui a obtenu une indemnité au titre des frais irrépétibles en première instance et ne forme désormais cette demande qu'à l'encontre de la société Mobile Pro, la charge de ses frais irrépétibles en cause d'appel. Elle sera donc déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, CONFIRME le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Mobile Pro de ses demandes au titre de la perte de clientèle, du préjudice commercial et d'image, du préjudice causé par la rupture du service d'accès au SMS pour ses clients et au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- débouté la société Mobile Pro de ses demandes à l'encontre de la société Init Sys,

- condamné la société Mobile Pro à payer à la société Tec-Cell la somme de 55.013,50 € au titre des factures impayées et dit indisponible ladite somme pour la société Tec-Cell, en raison de la saisie-attribution dont elle a fait l'objet au bénéfice de la société Init Sys,

- condamné la société Tec-Cell à payer à la société Init Sys la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

L'INFIRME pour le surplus,

STATUANT À NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

RÉPUTE non écrites les clauses 10.5 et 10.6 du contrat de prestation de service n° 1304002 du 2 août 2013 conclu entre la société Tec-Free devenue Tec-Cell et la société Mobile Pro ;

CONDAMNE la société Tec-Cell à payer à la société Mobile Pro la somme de 158.540 € au titre de son préjudice financier ;

CONDAMNE la société Tec-Cell aux dépens, dont distraction au profit de la SCP G.-B. ;

CONDAMNE la société Tec-Cell à payer à la société Mobile Pro la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Init Sys de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.