Cass. com., 10 novembre 2021, n° 20-13.385
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Tél and Com (SA)
Défendeur :
Bouygues Télécom (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Rapporteur :
Mme Comte
Avocats :
SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 décembre 2019), les sociétés Tél and Com et Bouygues Télécom ont entretenu des relations commerciales à compter de l'année 1999, d'abord régies par un accord se limitant à des conditions générales de distribution « standard » sans contrepartie spécifique et générant un chiffre d'affaires limité, puis, à compter de 2002, par des contrats de distribution successifs.
2. Au cours de l'année 2012, les parties ont envisagé de modifier les conditions de leurs relations, s'agissant des conditions particulières de distribution.
3. Aucun accord n'ayant été trouvé entre les parties sur les modalités d'exécution du contrat, la société Bouygues Télécom a, par lettre du 27 novembre 2012, informé la société Tél and Com de sa décision de ne pas reconduire à l'identique ses conditions de distribution au-delà du 31 décembre 2013 et lui a signifié, par lettre du 3 avril 2013, l'absence de renouvellement à échéance, soit le 31 décembre 2013, des conditions de distribution « grand public », ainsi que la cessation des relations commerciales, avec un point de départ du préavis le 27 novembre 2012.
4. Reprochant à la société Bouygues Télécom une rupture brutale de la relation commerciale établie, outre des fautes contractuelles, la société Tél and Com l'a assignée en réparation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur les premier, cinquième et sixième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais, sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. La société Tél and Com fait grief à l'arrêt de dire suffisant le préavis délivré par la société Bouygues Télécom par lettre du 27 novembre 2012 et par lettre du 3 avril 2013 et de rejeter sa demande en indemnisation au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, alors « que l'état de dépendance économique d'un partenaire commercial envers l'autre justifie un allongement de la période de préavis en cas de rupture des relations commerciales établies ; que pour écarter la dépendance économique, la cour d'appel a affirmé que la société Tél and Com pouvait s'orienter vers un autre opérateur en l'absence de clause d'exclusivité ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme cela lui était demandé, si la structure très concentrée du marché, comprenant quatre opérateurs seulement, qui représentaient fin 2013 près de 90 % des parts de marché, et dont le rang n'est pas nécessairement équivalent, SFR ayant déjà manifesté son désintérêt pour la société Tél and Com, permettait réellement à la société Tél and Com, qui réalisait plus de 50 % de son activité avec la société Bouygues Télécom, de développer d'autres partenariats, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance no 2019-359 du 24 avril 2019 :
7. La durée du préavis suffisante s'apprécie au terme d'une analyse concrète de la relation commerciale, tenant compte de sa durée, du volume d'affaires réalisé et de la notoriété du client, du secteur concerné comme du caractère saisonnier du produit, du temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire, en respectant, conformément à la loi, la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, et de l'état de dépendance économique du fournisseur, cet état se définissant comme l'impossibilité pour celui-ci de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'il a nouées avec une autre entreprise.
8. Pour juger que le délai de préavis n'avait pas à être rallongé en raison de l'état de dépendance économique de la société Tél and Com, l'arrêt retient que cette société ne démontre pas qu'elle ne disposait pas de la possibilité de substituer à la société Bouygues Télécom un autre opérateur ou des activités autres que la vente des offres téléphoniques.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si dans le délai octroyé, la société Tél and Com disposait, en l'état de la configuration du marché en cause, d'une solution techniquement et économiquement équivalente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. La société Tél and Com fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement de la somme de 8 600 000 euros pour avoir été exclue de la commercialisation de l'offre B&You et privée de primes de parc, alors « que les juges doivent répondre aux conclusions des parties ; que dès lors en affirmant, pour rejeter les demandes d'indemnisation formées par la société Tél and Com au titre d'un manquement de la société Bouygues Télécom à en tenant compte de la possibilité, pour une entreprise, de la bonne foi contractuelle, que la société Tél and Com ne faisait pas la démonstration de l'absence de raison objective à la commercialisation par a seule société Bouygues Télécom des offres B&You, qui avaient de fait cannibalisé le parc de clientèle de Tél and Com, au prétendu motif que ces offres ne pouvaient être commercialisées en boutique à raison des coûts internes élevés, sans répondre sur ce point aux conclusions de la société Tél and Com qui démontrait que postérieurement à la rupture de leurs relations commerciales, la société Bouygues Télécom avait commercialisé les offres B&You dans le réseau physique de ses propres boutiques et dans les boutiques de la société Com Centre, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Un défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
12. Pour juger que la société Bouygues Télécom n'a pas fait preuve de déloyauté dans ses relations commerciales, l'arrêt relève que l'offre B&You n'était pas comparable au prix des offres du quatrième opérateur et ne pouvait être commercialisée en boutique à raison des coûts internes élevés, et que cette offre était commercialisée sur internet par elle.
13. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Tél and Com qui soutenait que, postérieurement à la rupture de leur relation commerciale, la société Bouygues Télécom avait commercialisé les offres B&You dans le réseau physique de ses propres boutiques et dans les boutiques de la société Com Centre, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
14. La société Tél and Com fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la société Bouygues Télécom la somme de 3 020 234 euros au titre des remboursements sur primes d'ouverture, alors que « la cassation entraîne l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui en est la suite ; qu'il est constant que l'article 5.3 des Conditions Particulières de distribution du 15 avril 2011 prévoyant les modalités de calcul du montant à rembourser sur les primes d'ouverture tient expressément compte de la date de fin du contrat ; que dès lors, la cassation à venir sur le premier ou le deuxième moyen, relatifs à la durée du préavis, entraînera nécessairement la cassation de l'arrêt en ce qu'il a condamné la société Tél and Com à rembourser un montant de 3 020 234 euros calculé sur la base d'une date de fin de préavis fixée au 31 décembre 2013 en application de l'article 625 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
15. Selon ce texte, la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
16. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le moyen, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Tél and Com en indemnisation au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, condamne la société Tél and Com à verser à la société Bouygues Télécom la somme de 3 020 234 euros au titre des remboursements sur primes d'ouverture, rejette la demande de la société Tél and Com en paiement des primes d'ouverture et primes de parc pour 2012 et 2013, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 20 décembre 2019, entre-les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.