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Décisions

Cass. com., 10 novembre 2021, n° 19-24.961

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

La Villa Brignac (SAS)

Défendeur :

Caisse de Crédit Mutuel Toulon Liberté (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Comte

Avocats :

Me Haas, Me Le Prado

Aix-en-Provence, ch 3-3, du 17 oct. 2019

17 octobre 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 octobre 2019), la Caisse de crédit mutuel Toulon Liberté (le Crédit mutuel) a consenti à la société La Villa Brignac, par deux actes sous seing privé du 23 janvier 2012, intitulés « contrat de prêt professionnel notarié », deux prêts, qui ont ensuite été réitérés par un acte notarié unique du 1er mars 2012.

2. Invoquant l'inexactitude du taux effectif global de ces contrats, la société La Villa Brignac a assigné le Crédit mutuel en nullité des clauses d'intérêts devant le tribunal de commerce de Toulon. Le Crédit mutuel a opposé, à titre principal, la prescription de l'action, invoquant les dispositions contractuelles réduisant le délai de prescription à une année. Devant la cour d'appel, la société La Villa Brignac a, pour la première fois, soutenu que la clause réduisant le délai de prescription devait être déclarée non écrite, celle-ci créant un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits.

Sur le moyen, pris en sa première branche.

Enoncé du moyen

3. La société La Villa Brignac fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite l'action qu'elle a introduite contre le Crédit mutuel, alors « que la cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir juridictionnel de statuer sur un litige portant sur l'application de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ; qu'en relevant, pour faire application de la clause des contrats de prêt réduisant le délai de prescription à un an et dire que l'action de la société La Villa Brignac était prescrite, que la sanction édictée par l'article L. 442-6, I, 2° prohibant les clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties n'était pas la nullité de la clause, cependant qu'elle était dépourvue du pouvoir juridictionnel pour connaître d'une défense au fond portant sur l'application de ces dispositions, la cour d'appel a violé les articles L. 442-6 du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019, D. 442-3 du code de commerce, 122 et 125 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Le Crédit mutuel conteste la recevabilité du moyen au motif qu'il est contraire à la thèse soutenue par la société La Villa Brignac qui avait invoqué l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce au soutien de ses demandes formées devant la cour d'appel.

5. Cependant, la société La Villa Brignac n'a pas fait valoir devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence que celle-ci disposait du pouvoir juridictionnel pour statuer sur l'exception de nullité de la clause tirée du déséquilibre significatif.

6. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 442-6, III du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, et l'article D. 442-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-599 du 17 juin 2019 :

7. En vertu du premier texte, les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret. Le second désigne la cour d'appel de Paris pour en connaître. Il en résulte que toute cour d'appel, autre que celle de Paris, est dépourvue du pouvoir juridictionnel de statuer sur des demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 de ce code et que la méconnaissance de ces dispositions est sanctionnée par une fin de non-recevoir. Dès lors, il appartient à ces cours d'appel de relever d'office, le cas échéant, la fin de non-recevoir tirée du défaut de leur pouvoir juridictionnel pour statuer sur un litige relatif à l'application de cet article et l'irrecevabilité des demandes formées devant elles en résultant.

8. Pour, en statuant sur les demandes, considérer la clause limitant la prescription opposable à la société La Villa Brignac et déclarer irrecevable, comme prescrite, l'action engagée par cette société contre le Crédit mutuel, l'arrêt retient que l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce n'ouvre, au profit du cocontractant, qu'une action en responsabilité, l'action en nullité d'une clause étant réservée, par le paragraphe III de ce texte, au ministre chargé de l'économie et au ministère public.

9. En statuant ainsi, alors que saisie d'une demande fondée pour la première fois devant elle sur l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, il lui appartenait de constater qu'elle ne disposait pas du pouvoir juridictionnel pour statuer sur un litige relevant de ces dispositions, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation ;

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue sur le pouvoir juridictionnel de la juridiction saisie du moyen fondé sur l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce.

12. Il y a lieu de déclarer la cour d'appel d'Aix-en-Provence dépourvue du pouvoir juridictionnel de statuer sur le moyen de la société La Villa Brignac tiré du déséquilibre significatif résultant de la clause invoquée par le Crédit Mutuel au soutien de sa fin de non-recevoir et de renvoyer à la cour d'appel de Paris l'examen de l'entier litige.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi sur le pouvoir juridictionnel de la cour d'appel saisie du litige ;

Statuant à nouveau sur ce point,

Déclare la cour d'appel d'Aix-en-Provence dépourvue du pouvoir juridictionnel de statuer sur le moyen de la société La Villa Brignac tiré du déséquilibre significatif résultant de la clause invoquée par la société Caisse
de crédit mutuel Toulon liberté au soutien de sa fin de non-recevoir ;

Remet, pour le surplus, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.